CE LÉGER RIEN DES CHOSES QUI ONT FUI, Alain DUAULT ; Éditions Gallimard 2017

Chronique de Nicole Hardouin

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CE LÉGER RIEN DES CHOSES QUI ONT FUI, Alain DUAULT, Éditions Gallimard, 2017

En quinze chapitres de « Ce léger rien des choses qui ont fui », Alain Duault rédige un grand Tout : chair dans laquelle il mord jusqu’au sang, juste avant le frisson mauve. À la margelle de ses nuits lasses, se dessine le souvenir, cheval noir qui galope dans les ténèbres.

Sur la mosaïque de sa mémoire brûlent les scories aux remous plus ou moins perceptibles, dans cette intime mythologie apparaissent désert et oasis, monastère et sultanat.

S’enroulent autour de lui des houles qui psalmodient des oraisons secrètes : j’ai si mal à la main perdue. S’entremêlent à la lassitude, les lavandières de l’amertume lavent les linges de la nuit, les violences du monde : j’ai de l’horreur plein les souliers.

S’inscrivent les interrogations sur la vie : pourquoi sommes-nous là ? Alain Duault, nautonnier des mots, arpenteur de sentes secrètes, répond en pinçant sa harpe charnelle : je cherche à tâtons sur ta peau / Des réponses à cette question de vivre.

Défile une voix, celle de Cécilia Bartoli, voix de crème et d’ambre, vague qui renverse tout, des visages dont : Nina, l’amour de Grieg. Des ombres aux yeux de rosée se réveillent dans la mantille de la nuit en brames sauvages, passionnels, Papa : se résout-on jamais à ce qu’un cœur si beau s’enraye.

Visage venu, revenu, qui êtes-vous, toi, vous qui habitez là où on n’habite pas ?

Le poète observe le retournement du sablier, les enfants meurent et nous restons, nous marchons dans l’épaisse forêt de l’âge ; sur ses rives de cendre et de soie, se pose le questionnement du passage du Seuil, tout le monde a peur du passage. Alain Duault sait, sent que aller au-delà est toujours angoissant : Dans la laisse insupportable d’une attente qui / N’a jamais de fin Pourquoi ces mains / Ne nous disent-elles pas quand elles remonteront le drap.

Délires, déclics, des coulées d’espoir pulsent aussi entre ronces blanches et épines du soir : je veux des clochers d’or, je veux courir dans l’eau du ciel, je veux chevaucher des nuages leurs plumes leurs dentelles jusqu’au congrès des brouillards.

A travers ce recueil, tout comme les couleurs trompent les ténèbres sur des lèvres en peau d’iris, la glace enfile des colliers de mots qui magnifient le feu, ses seins / Rose-thé que j’imagine encore tiède de plaisir. Mots de l’endroit ceux qui tentent encore, mots réverbères, mots calice pour offertoire interdit donc dit, mots tissés dans les murs du silence, comme les murs du labyrinthe de Dédale, murs aveugles avec l’ambiguïté de cent chemins qui se rompent, s’entrecroisent mais d’où l’on ne revient pas sauf à casser le fil d’Ariane.

Le lecteur méandre avec l’auteur dans des éclaboussures de cannelle, de poivre noir, à travers toutes ces pages irradie, la délicatesse : les enfants / Ils ont angles d’oiseaux dans les poche… Je suis sûr qu’ils pourraient nous / Apprendre mille et mille choses…Ce sont des enfants d’organdi. Pulse un puissant hymne à la passion : je ne suis jamais reparti de toi. Lèvres et langue raturent le souffle du vent et les mots franchissent les points de suspension du drapé de la chair : je bois tes seins, tu me tempêtes, j’ai des réclamations de fièvre.

Le poète égrène son chant dans un sillage de feu, pour envelopper les rives où s’affrontent la morsure des ombres.

La nuit peut aiguiser ses griffes de louve, Alain Duault se faufile sur un bûcher aux contours de neige en se disant qu’existe l’impérieuse nécessité de ne pas manquer la beauté des jours.

©Nicole Hardouin

Monsieur Origami, Jean-Marc Ceci, roman, éditions Gallimard, 2016, 168 pages, 15€

Chronique de Lieven Callantmonsieur-origami-jean-marc-ceci

Monsieur Origami, Jean-Marc Ceci, roman, éditions Gallimard, 2016, 168 pages, 15€


Avec Monsieur Origami, Jean-Marc Ceci signe son premier roman. Là où d’autres proposent une intrigue, une complication d’évènements et de personnages où le style, l’invention, la suggestion finissent par passer au second plan voire être complètement absents, Jean-Marc Ceci nous fait cadeau d’une écriture élaguée, où la pureté du silence, des espaces vierges s’offrent les premières places et rendent les lectures plurielles possibles.

À l’instar de l’art japonais de l’origami, le roman de Jean-Marc Ceci se base sur des principes simples mais non démunis de riches évocations. Il comporte quatre parties où plusieurs époques se superposent, où des personnages se croisent, où les trajectoires de vie sensiblement se modifient.

Maître Kurogiku fabrique le papier le plus solide et le plus beau qui soit, le Washi. Ce savoir-faire ancestral lui vient de son père. Il sélectionne les plus belles feuilles pour en faire des origami. Les autres il les vend. Kurogiku est appelé « Monsieur Origami » par les gens du village situé tout près de la ruine qu’il habite depuis quarante ans en compagnie d’Elsa qui ramasse les écorces des mûriers à papier (Kozo), nécessaires à la fabrication du papier et d’une chatte Ima (permanence).

Maître Kurogiku passe beaucoup de temps à méditer en face d’une feuille de papier pliée. La feuille de papier pliée m’a semblé être comme une allégorie du temps, de la vie qui tracent les chemins, des secrets et mystères que contiennent les failles, nos failles. On peut y voir aussi outre la réflexion sur soi-même qu’impose la réalisation d’un travail, d’une oeuvre et donc ici du livre et de son écriture, une réflexion sur la finalité de toute chose. Il ne s’agit sans doute que de simples plis qui partagent l’espace d’une feuille comme il ne s’agit que de quelques mots perdus dans le brouhaha de tous ceux qui se prononcent et s’écrivent.

Kurogiku a quitté le japon à l’âge de vingt ans pour suivre une jeune-femme italienne qu’il a à peine vue, la Signorina Ciao. Mais il s’est arrêté en ce lieu isolé de Toscane, une ruine qui ne lui appartient pas et de laquelle sans doute un jour, le véritable propriétaire l’en chassera. Il avait emporté dans des petits pots de petits arbres à kozo.
Rien ne nous appartient, nous ne faisons qu’emprunter le monde. « Toute beauté a sa part d’ombre ». Maitre Kurogiku mène une vie faite de renoncements ou plus exactement de choix murement consentis qui le guident vers l’acceptation de soi et la jouissance de l’instant présent.

Le jeune Casparo désire fabriquer une horloge complexe comprenant toutes les mesures du temps. Il cherchait un logement, il n’était que de passage et les gens du village lui ont conseillé d’aller voir « Monsieur Origami. » le nom qu’ils donnent à Kurogiku et qui n’est pas le sien pas plus que « Signorina Ciao » n’est celui de la femme pour laquelle il a quitté le japon quarante ans au paravent. Le nom que nous donnons aux choses, aux gens, aux animaux (la chatte Ima) ne sont que ceux que nous leur attribuons en signe d’appartenance. Jusqu’à quel point sommes-nous responsable de ce que nous créons, ou de ce quoi nous attribuons un nom?

Caspro et Kurogiku se rendront ensemble au Japon car Casparo désire comprendre pourquoi Maître Kurogiku médite devant une feuille de papier plissée. Ce voyage ne répondra qu’à une partie des questions que se posent les deux hommes et avec eux nous, les lecteurs. L’un pour l’autre ils ouvriront de nouvelles perspectives sur leur vie.

Casparo optera pour une montre simplifiée reprenant la mesure la plus simple du temps. Une montre qui ne reprendrait dans son mécanisme que le déploiement de jour en jour et d’année en année du temps, le temps que met la terre à tourner sur elle-même et à tourner autour du soleil. On peut considérer que les autres mesures du temps, de l’espace font parties de ce que la `Beauté nous cache ou nous réserve dans l’ombre ou comprendre que seuls importent véritablement les principaux plis du temps que sont ceux des jours.

Au début du livre, on peut lire en exergue:

« Là
Tout simplement
Sous la neige qui tombe »

Kobayashi Issa (1763-1827)

Voilà qui résume parfaitement le propos poétique du livre de Jean-Marc Ceci alliant densité et légèreté. Pudeur et  profonde vérité personnelle. Éternité et immanence.

©Lieven Callant

Hedwige Jeanmart, Blanès, Editions Gallimard-  RENTRÉE LITTÉRAIRE SEPTEMBRE 2014

 RENTRÉE LITTÉRAIRE SEPTEMBRE 2014

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  • Hedwige Jeanmart, Blanès, Editions Gallimard, 18,50 €, 2014.

 

« Et si on allait à Blanès ? C’était mon idée. Je l’avais lancée le samedi 10 mars, vers onze heures, après mes deux cafés, consciente de ce que je disais et du fait que je le disais pour lui faire plaisir, sans soupçonner une seconde que cette phrase serait celle qui me ferait chuter tout au fond du gouffre. Pourtant des phrases, j’en ai dit ». Ainsi commence l’histoire de celle qui va devoir en ajouter encore afin de maîtriser sa descente aux enfers de ce qu’on nomme du mot valise : amour.

 

L’invention fictionnelle, son biais permettent une fabulation plus vraie que le réel. Elle montre comment l’initiation amoureuse peut virer au chaos. Le tout dans une tentation suicidaire d’un côté, stimulante de l’autre. Le roman permet à la fois de lutter contre l’effacement de ce qui tue et de s’insinuer dans un nécessaire renoncement. La maison des souvenirs est progressivement remplacée par celle de l’être une fois exposées circonstances et déconvenues. L’amour est donc mis à nu mais loin des poncifs sentimentaux ou romantiques. Il n’est plus ce qui règne en partage.

 

De fait le roman lorgne moins sur le passé qu’il ouvre (presque) des perspectives d’avenir même si à la fin on le retrouve tel un épouvantail fait pour repousser ses semblables plus que les oiseaux. Si bien que « Blanès »  possède une forme d’éternité dans un corpus froid, nerveux, rapide sans goualantes ni  volupté. L’auteur  joue entre ordre et désordre, relique et image impensée. Le lecteur se laisse emporter en une sensation de vertige pour la pure émergence. Rien d’autre pour tout dire sinon ce mouvement.  Se perçoivent des aveux : ils ne sont pas pour autant synonyme de confession. Hedwige Jeanmart sait  ce que valent leurs monnaies de singe. C’est pourquoi la romancière écrit non  pour supporter l’existence mais pour la soulever. Elle invente afin de corriger le temps plus ou moins revenant.

 

©Jean-Paul Gavard-Perret