Jeanne Champel Grenier, Tableaux D’une Exposition, Éditions France Libris, 2022, 78 pages

Une chronique de Nicole Hardouin

Jeanne Champel Grenier, Tableaux D’une Exposition, Éditions France Libris, 2022, 78 pages

                  

                     Toute création transforme le chaos en cosmos

Mircéa Éliade

La toile est un lieu de devenir qui demande qu’on lui fasse écho par une connivence de sensibilité, d’amour. C’est ce que réalise l’auteure qui entre de plain-pied dans ses tableaux favoris. Elle en fait son musée personnel, les pages blanches deviennent des cimaises où sont accrochés ses coups de cœur, en sa compagnie nous les contemplons.

De par la réverbération de son âme d’artiste elle capte, transmue les souffles invisibles et les restitue dans toute la plénitude de leur composition. Jeanne Champel, au travers de ses textes poétiques, défroisse le réel, elle le transforme en un souffle vibrant et le temps s’arrête dans ses mots qui traduisent le moment pictural et son ressenti. Reflets des harmonies qui chantent dans des élans de lumière qui, souvent font remonter des souvenirs.

Si le moment de la création abolit le temps, le lecteur retrouve, dans ce recueil aux belles reproductions, l’heure immobile chère à Baudelaire. La force du dire, celle de l’émotion, l’élan du vivre apparaissent intensément et passent les frissons du premier vent, la trace de l’énigmatique arabesque de la plume qui s’envole dans un éclat de soleil et que le lecteur, ému, conserve en lui comme une sente méditative, une interrogation, une joie.

Là où manque les moyens d’expression ne bat que d’un acte la mémoire atrophiée, ce qui est bien loin d’être le cas de Jeanne, elle retrouve dans certaines toiles ce que l’oubli avait occulté dans l’urgence du moment de vie. Comme le souligne Michel Lagrange, le préfacier, le tableau devient autant fenêtre que miroir, l’âme de l’auteure le ressent pleinement. 

Poétiquement au travers d’un phrasé tendre, nostalgique, drôle, elle nous fait redécouvrir de nombreux peintres, ainsi Turner et sa tempête de neige en mer où le soleil diffuse de vibrantes lueurs/ Créant de doux effets de soieries en mer.

 Elle s’arrête sur « l’espace est silence » de Zao Wou Ki là, les moussons du rêve ont laissé des scories/restes d’ossature des nuits disparues/ éparpillement de plumes d’ibis ou de bambous.

La polémique liée à la toile de Millet :« les glaneuses », ne lui échappe pas : mais n’allons pas trop vite ; J.F.Millet lui-même, accusé d’avoir réalisé un sujet politique a dit qu’il avait peint, non pas le contraste entre nantis et pauvres mais la beauté du paysage agricole et la « mélancolie » qui s’en dégage.

Chagall et « ses vitraux bleus » la retiennent, une étrange vie y pulse, tous ces visages inconnus qui tourbillonnent, deviennent familiers avec des regards fulgurants/ perçants, non suppliants/ des regards délavés/ fanés jusqu’à l’iris.

Jeanne Champel traverse les portes du jour, conserve dans sa gorge une flambée de rosée pour accueillir Joaquim Sorolla qui « dans un jardin para pintar » qui fait remonter à sa mémoire le temps de son Espagne native : Sous les arcades de lumière évanescente/ « el gran pintor » Joaquim Sorella i Bastida / sifflote un rythme de sardane catalane/en regardant rosir le ventre des grenades. 

On sent frémir la poétesse, tout à fait prête à esquisser quelques pas de danse…qui la conduisent vers Picasso avec « the side of paradise », vers Matisse et « son nu bleu » il fait grand bleu /au livre d’heures.

Comme l’écrit, très justement, Michel Lagrange : tous les temps l’intéressent, tous les pays. Dès qu’un peintre apparaît, c’est tout un climat qui affleure, la Russie de Chagall, sa religion juive, ou le mysticisme vertical du Greco.

Nous laisserons au lecteur le plaisir de découvrir tous les autres peintres du musée imaginaire de Jeanne Champel Grenier, son âme de poète s’y épanouit en une source ardente, source à laquelle on se désaltère avec bonheur.

Dans l’éventail de son choix, les images tourbillonnent dans une reliure de rêves et de lettres d’or, la vue ne se brouille jamais aux sources des chemins aimés.

©Nicole Hardouin

JEANNE CHAMPEL GRENIER, CLAP3, Éditions France Libris, 2019

Une chronique de Nicole Hardouin

 JEANNE CHAMPEL GRENIER, CLAP3, Éditions France Libris, 2019

Ouvrir Clap 3 c’est déboucher une bouteille de champagne, non même pas, un jéroboam dont les bulles s’échappent en farandoles incontrôlables.

Les syllabes courent après les consonnes, s’emmêlent, se démêlent pour former des mots à l’endroit, à l’envers, prime ôtée pour primauté, les phrases qui ne veulent pas être en reste galopent derrière en une sarabande effrénée, elles en perdent leur langue naturelle pour, dans un volte-face, finir dans un franglais, malheureusement si courant, sorte de sabir carambouille, et autres carambistouilles, qui se roulent, sautent, s’étourdissent my love, j’ai mal au heart. : et comme le tournis gagne la page, les rideaux, les plumes déboulent comme vent de sable sur une plaine pour je vais bomir, n’est-ce pas plus bo que vomir ? Là, même les bulles de champagne rentrent dans la bouteille, le lecteur éternue au j’ai régurgité l’époisse sur le Larousse, le vin n’est pas arrivé à maturité.

Jeanne Champel Grenier qui a toutes les audaces ne se gêne pas pour anoblir un manant qui devient sieur Cafouille, seigneur Rocambouille. Il est vrai que là, l’auteur se retrouve en asile psychiatrique où elle peint des champs pleins de corbeaux qui attendent Gauguin. Curieusement, c’est dans cet hôpital que l’on se retrouve dans la normalité, enfin presque car à force de voir les étoiles au fond des puits, on se noie dans les déferlements du mot-bulle, draperies rouges sur les rides des phrases. 

Entre ouragan et foehn, mirages et marées, les chemins s’enfuient ; escortés de chiens le long de berges en peau d’iris, lorsque J. Champel vide sa gibecière, surtout  quand il lui a déclaré «  j’ai cassé le bol breton » ! Aïe aïe, ce sont les grandes marées, les rouleaux d’écume s’enfuient sans savoir où ils vont. Bordées de velours et de soupirs ,  les mouches blêmes se confessent aux araignées, la pendule fait des bulles et le chat a le hoquet, pensez donc c’était le bol de Quimper, le plus beau des bols à soupe, il venait de ma mère qui l’avait de de son grand père, toute une vie d corsaire,  l’homme se ratatineles flots montent, montent, les songes s’éparpillent dans des bruits de crécelles, la mer se sauve sur une plage à roulettes, et la vengeance  s’abat, nous la laissons découvrir au lecteur, assommé le manège à côté tourne à l’envers et dans les gares les salles plient leur attente, débordement !

Il est à remarquer que, souvent, lorsque’un couple est mis en scène, l’homme  a rarement le beau rôle, soit il fait profil bas comme dans le bol breton soit lorsque moi, Frédo, gros costaud des biscoteaux, je me fâche, le vocabulaire a des toux rauques, des accents qui passent mal, et le Frédo il se casse, ici le champagne, peut-être, a pris le goût de bouchon, quoique ce «  il se casse » permet à l’auteur d’aborder une chute inattendue.

Peut-être est-il aussi de bon ton à l’heure actuelle d’être féministe et de laisser le mâle de côté, chargé de toutes les turpitudes : c’est pour cela que dans les rues les maisons bâillent en dressant leurs oripeaux contre le vent du large et les harangues féminines.

Tout ceci n’empêche pas l’auteur d’aller se perdre en  pèlerinage en terre sainte, dans une sorte de périple ini-sciatique et, sur sa lancée, nous avons droit aux soins des brûlures par le feu, aux soins du bégaiement, et même à une recette pour la boulabe. Puis, J. Champel Grenier herborise et donne des recettes de plantes utilisées en Sibérie centrale pour se débarrasser des contestataires et des  belles-mères  invasives !

Ce recueil permet de laisser glisser l’esquif entre chaos et terrain plat, il ensemence l’hiver, hisse les souvenirs, devant les flammes de l’âtre.

Clap 3: silence. L’auteur assemble images, fantaisies et  grains de folie, donc d’hellébore, encore appelés roses de Noël, floraison d’humour dans la brûlure hivernale, à déposer au pied du sapin.

© Nicole Hardouin

Stephen Blanchard, À la lisière des enfantements, Éditions France Libris, préface de Patrice Breno Dijon/Orthez, 2018, 55 pages

Chronique de Claude Luezior

Stephen Blanchard, À la lisière des enfantements, Éditions France Libris, préface de Patrice Breno Dijon/Orthez, 2018, 55 pages, I.S.B.N. : 978-2-35519-696-6

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En première de couverture, l’auteur annonce une prose poétique. À juste titre, car il s’agit avant tout de phrases structurées, linéaires. Le texte se lit de manière fluide, telle une source.

D’un autre côté, le verbe, centré parmi les silences de la page, est libéré de sa ponctuation (les espaces entre les vers faisant office de respirations), mis à la verticale : nous voici formellement en poésie. Ce d’autant que le propos est souvent scandé : j’ai posé mes vers (…) / j’ai risqué ma vie (…) / je voudrais (…) / je m’en voudrais (…)

L’architecture est donc structurellement en prose mais la chair du texte est bien poétique : le frottement des mots aux interstices de la langue, leurs étincelles entre les failles du rêve, le façonnage des images sont essentiellement de nature artistique.

Lieu de libération entre prose et poésie, lieu de rencontre entre conscient et subconscient aux confins de mondes parallèles, l’écriture ainsi fécondée devient cri vital / de / la délivrance,

Car l’on n’est pas sans connaître les bouillonnements de Stephen Blanchard, non seulement dans ses incessantes activités associatives (rencontres, spectacles, festivals, jurys, vie littéraire) mais aussi éditoriales (revue Florilège, l’Aero-Page) qu’il tient à bout de bras avec une constance et une générosité hors du commun.

Le présent opuscule, magnifiquement introduit par une illustration de Paul Journet et agrémenté d’un zeste d’humour par Arfoll, nous conduit ainsi au cœur du chaudron où prend vie la créativité du chaman en ses fumerolles langagières. On est également sous le chêne du druide qui parle à la première personne, célèbre la nuit de ses brûlots et de ses incandescences. Le poète, fertilisé par les songes, n’est-il, d’une certaine manière, le ventre sacré d’une gestation pour autrui ? Ne porte-t-il la parole singulière d’une gésine en devenir ?

Je viens d’un autre monde

à la lisière des enfantements

face à l’écho furtif

des âmes souveraines

N’allez toutefois croire à la superbe d’un mage hors du temps. Le propos n’est ni hiératique, ni arrogant mais avant tout intimiste : Je traîne sur le pavé / mes rêves illusoires / comme un grand sac à refrains ou bien je vis dans le soupçon / d’une aube / l’invisible osmose / d’une étreinte / qui ne vient pas  ou encore je sais / qu’il faut vieillir / dans la lassitude / des jours / sans lendemain.

C’est la recherche perpétuelle d’une condition humaine dans les plis de l’ombre :

les éclats de lyre

j’écoute

dont la résonance

m’invite chaque jour

aux matinales de l’aube

où même les saules

ne pleurent jamais

Attitude humble, s’il en est. Comme le souligne Patrice Breno dans son élégante préface : Stephen Blanchard a la poésie dans la peau, dans le cœur et dans la tête. Son recueil est une manière de communion à mi-chemin entre les calices de la prose et de la poésie. Aux lecteurs de mesurer / la partie magique / de ses errances.

©Claude Luezior