Claude Vancour, Au gré du Cotentin, Poèmes, In Octavo Éditions, 86 pages, septembre 2023, 15€


C’est avec une joie immense que je retrouve les poèmes de Claude Vancour, ici accompagnés de photographies exclusives de Nathalie et Denis Obitz.

Chaque poème, de par sa précision témoigne d’une réelle et juste affection pour la région que le poète habite depuis 2009, la Normandie, le Cotentin. Photographies et poèmes se répondent grâce à d’habiles correspondances qui dépassent la simple description minutieuse. 

En quelques mots bien choisis, en quelques strophes taillées à la mesure d’une nature omniprésente, les poèmes de Vancour, nous permettent d’accéder à une nature plus profonde, différente, universellement reconnaissable. Les tempêtes, les marées, le défilement du temps de secondes en secondes, de saisons en saisons, de siècles en éternités marquent les végétaux, les animaux mais aussi les hommes. L’esprit du lecteur, sa petite conscience sont confrontés à une interrogation juste sur l’errance qu’est peut-être la vie. 

La vision du poète appelle à en reconnaître d’autres. C’est l’humain tel qui est dans sa globalité, avec ses aspirations mais aussi ses défaillances, ses erreurs, ses choix déplorables qui semble occuper le coeur des messages délivrés.

Il est sans doute difficile de déterminer l’ingrédient magique qui transforme le texte ordinaire en poème et le poème en Poème ultime. Difficile de parler de cette quête, que semble ignorer tellement de poètes actuels. Cette démarche occupe pourtant une place prépondérante dans la poésie de Claude Vancour. 

En nous parlant de lieux, il nous parle aussi des hommes qui les hantent, les habitent, les traversent, les transforment. Au-delà des apparences même très finement repérées: tempêtes, marées, etc…, le poète nous invite à mesurer le temps, à questionner l’histoire pour accéder à une sorte de résilience, seule issue véritable. À quoi peuvent bien servir les évocations poétiques de Claude Vancour si ce n’est à ouvrir des portes, à nous permettre d’entrer dans les paysages que nous contemplons pour en tirer non pas une leçon de morale ou une injonction au respect de normes et de lois préconçues mais pour en recevoir une invitation au voyage, une exhortation à en attendre plus de la simple réalité ?

P13 D Day, chez nous

et la cigüe en fleur
raye les dates et le pourquoi, reste
la road pour qu’on ne se perde pas
et les bêtes, là, se couchent
dans le champs d’à côté.

Maison vide en Cotentin P14 « et laisse le vent te traverser la tête » Charles Juliet

La maison n’a plus d’yeux pour voir,
plus de vapeur à son souffle éteint
et son manteau troué laisse paraître
ses jambes nues et son coeur inutile.
Seule la chouette par son cri
aère ses alvéoles (…)

Aux qualités d’écriture des poèmes et des photographies répondent une qualité de l’impression, une mise en page soignée et un choix approprié de papiers: brillants et lisses pour les photographies, texturé, neigeux pour les poèmes.  

Claude Vancour, La nuit n’a pas sommeil, poésies, Éditions Maïa, 141pages, 19€ttc, 2022

Une chronique de Lieven Callant

Claude Vancour, La nuit n’a pas sommeil, poésies, Éditions Maïa, 141 pages, 19€ttc, 2022


Sur la couverture, une illustration de Bernadette Laval-Físera nous montre un personnage sur une plage, au crépuscule regardant quatre personnes s’éloigner vers la mer. Règne comme un premier mystère, une première interrogation poétique entre deux lumières comme il y en aura tant d’autres dans le livre.

Le titre du recueil évoque l’intranquilité, une perturbation du repos: La nuit n’a pas sommeil. Le poète reste éveillé. Car ce titre peut signifier à l’instar de ce qui se passe autour de nous, que les temps obscures véhiculant les idées sombres de la guerre, de la méfiance vis à vis de l’autre n’ont pas sommeil non plus. Le poète reste alors ce phare, ce passeur de lumière et d’espoir. Il est celui qui reste attentif à l’ingrédient de base de la poésie: l’amour, la clairvoyance.

Le début de l’ouvrage nous révèle ainsi les projets de la poésie. 

« Avant même la parole, la beauté
occupe toute la place de l’éveillé,
et l’aveugle clairvoyant ouvre le chemin,
malgré les ronces des souvenirs. »

« Écrire au travers
d’une plus vielle écriture
dentelle noire sur la trame
de la lente marée haute de l’inspiration »

« Poésie qui tamise les mots » « au-delà de l’étouffement »

Claude Vancour reprend continuellement son travail d’écriture qu’il nourrit volontiers d’autres lectures. Certaines images reviennent modifiées, certaines phrases, certaines strophes sont reprises et montrées sous un nouvel angle. Le poème fait écho de lui-même. Le poème est à la base, déjà un écho.

L’auteur n’oublie pas non plus d’appuyer l’importance de la trace écrite. Au delà de la parole, « au-delà de l’étouffement » « Les mots nous disent en rang serré le peu de cas fait de notre respiration. Ils sont bien plus solides à l’encre indélébile » Les mots du poèmes sont-ils les « instruments du silence »? Ceux de Claude Vancour ne semblent pas voués à n’être que des performances éphémères, les visées sont plus profondes.

Pour le poète, la poésie est aussi geste, mise à plat de soi-même et éventuellement de ses contradictions, ses regrets. Écrire un poème est une action aussi importante que les autres même si elle est passée sous silence. Ce recueil de poésies a une élégance rare et discrète que j’ai comparé à cette autre oeuvre fameuse que sont les tapisseries de la Dame à la licorne. La Dame rassemble autour d’elle dans un jardin comme on le ferait pour un poème tout ce qui importe à la vie. Les cinq sens: vue, toucher, odorat, ouïe, goût et place au dessus de tout, l’énigmatique « À mon seul désir ». On retrouve dans les poèmes de ce livre ces appels aux sens. Ils prennent plusieurs strophes, occupent plusieurs poèmes ou se résument à une poignées de mots. Les formes poétiques varient en longueurs, en intensité, en luminosité. Le sixième sens peut peut-être alors être interprété comme étant la capacité à aimer. Désir amoureux de la vie et de ses multiples ingrédients.

Claude Vancour se questionne aussi sur la manière d’évoquer cet endroit de la poésie qui ne se reflète par aucun mot. 

« Eurydice, gantée,
à la limite du précipice,
titube mais passe
et l’enfer, pire,
est de l’autre côté.
Il la revoit enfin,
de dos, déhanchée,
prompte à disparaître
et soudain elle s’arrête,
retournée, elle veut sourire,
ses lèvres restent
empierrées. « 

La partie sombre d’un astre, la nuit et ces instants où la lumière ne nous éclaire plus, où il nous faut appréhender le monde autrement que par ses parties les plus visibles. Une approche par le rêve éveillé et lucide propre au poète.  Si les paupières se ferment, les mains se tendent, l’esprit se soulève, la pensée voyage.

« Poser le bleu du lac
comme une nappe où s’inscrit
l’empreinte, doigts écartés,
du passage minuscule
de l’homme sur la terre. »

Ce qui reste
à Eugenio Montale, i.m.

Pierre qui reste sous l’arbre et les genêts,
os de seiche que les oiseaux négligent,
le bois mort choisira
un masque minéral pour durer
aussi longtemps que la pierre, après
le départ des hommes.

Au gré des sept parties qui constituent la charpente du livre, on sent naître une évolution comparable à celle de la vie, avec ses saisons et un déroulement du temps qui n’est pas linéaire. Claude Vancour construit ses poèmes en explorateur chaque mot est un pas sagement choisi. 

Claude Vancour est le nom de plume de Vladimir Claude Fišera. Il fait partie des auteurs publiés par la revue Traversées. Il est aussi traducteur de poésies anglophones et slaves, l’auteur d’anthologies ainsi que d’ouvrages universitaires d’histoire et de science politique. On peut lire quelques unes de ses chroniques ici

© Lieven Callant

Claude Vancour, Dans l’atelier des nuits, poèmes somnambules, BF Éditions, 2014, 190 pages, 13€

Chronique de Lieven Callant

vancour_danslatelierdesnuits

Claude Vancour, Dans l’atelier des nuits, poèmes somnambules, BF Éditions, 2014, 190 pages, 13€


Somnambule, est la poésie. Éveillée, elle a pourtant tout du rêve. Elle s’adresse à moi, à la  manière des songes, pour la comprendre mais là n’est pas toujours sa vocation première, elle parcourt les cheminements de mon esprit malgré lui, au-delà des possibilités déclarées. Fulgurants détours, incendies incomplets, la poésie est toujours sujette à de multiples interprétations. Interrogation permanente de soi, il est si difficile de départager ses frontières.

L’atelier des nuits est bien cet endroit où elle surgit d’un rien, d’un souvenir, d’un événement que ma pensée endormie ne peut plus contrôler, raisonner, apprivoiser. Surgie de ce paysage, avançant avec la détermination particulière de quelqu’un qui a à deviner, la poésie me regarde de cet endroit de moi-même toujours en construction, pleine de prémonitions que je ne comprends pas, pleine de messages à décoder.

Voilà pour l’essentiel résumées les réflexions qui ont échoué sur mes rives après avoir dérivé au sein de la poésie de Claude Vancour. Parfois chaloupés par un rêve, parfois plantés comme la cicatrice de blessures qui ne veulent ou ne peuvent guérir, les poèmes ne sont pas toujours les messagers de bonnes nouvelles même si je suis persuadée qu’aucun d’entre eux ne s’apparente à ce qu’on nomme cauchemars. Le poème est un rêve qui nous révèle la réalité. La réalité humaine, sans masque.

Beaucoup des poèmes de ce recueil sont dédiés. Certains sont « lumière portée à bout de plume » d’autres sont nocturnes « tutoiement de l’infini », souffle, langage secret, remis d’une de nos guerres, ils nous annoncent que « Les chiens abandonnés n’osent plus se coucher en travers du chemin des hommes », que « Les moineaux ont fait leur nid dans les trous d’obus ». Aucun poème n’a pour vocation de nous endormir. Ils nous parlent du bout des lèvres de l’amour, de l’absence, de ce qu’on a à apprendre du prisonnier, de celui qui s’est échappé, de ceux qui traversent les silences, les étendues muettes. De l’insoupçonnable mystère qui fait de « L’ami en rêve une statue ».

Pour Claude Vancour qui est poète, traducteur, historien et politologue, la poésie a vertu d’engagements, de transcendance, de méditation, d’ultimes traversées nocturnes cherchant les jours de la vérité. Elle est messagère sans être mensongère, elle voyage sans partager les vœux des conquérants, de ceux qui pensent savoir. Elle m’a souvent convaincue de sa liberté, de son espoir, de sa lucidité sans menace.

L’un des principaux bienfaits des livres sur moi est qu’ils nourrissent mon imaginaire, mon envie d’écrire et de relire, titillent mes soubassements, élargissent mes frontières. Ce livre n’est pas de ceux que je range et que j’oublie. Merci à son auteur.

En couverture: Le pommier rouge, pastel, (détail), Bernadette Laval-Fisēra


©Lieven Callant

Enregistrer