Accueil de l’exil, Jean-Louis BERNARD, peintures d’Anne Moser, Editions des 2 Rives, Les Lieux Dits, 1er trim. 2015

Chronique de Claude Luezior

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Accueil de l’exil, Jean-Louis BERNARD, peintures d’Anne Moser, Editions des 2 Rives, Les Lieux Dits, 1er trim. 2015

Fulgurances : le verbe prend support sur les traces du pinceau. Ou l’inverse. Pour accueillir l’exilé dans son roulis de vagues, sa désespérance. Mais ne sommes-nous tous des exilés ? Dans ce cas, c’est l’exil, à savoir notre existence sur terre qui, quelque part, nous accueille.

Des textes autographes en transparence, dans un temps premier : comme si les mots n’étaient encore fixés, comme si le manuscrit flottait au gré d’écumes incertaines : lambeaux encore humides, rescapés d’une camarde qui malaxe les litanies d’un désespoir à la dérive.

À quai, ou plutôt sur l’une de ces plages pour rescapés de l’exode, la typographie s’assagit. Pas de pagination : le temps reste absent. Le poème suinte ses secrets, le marc de sa symbolique. Ressacs et brisures dans un long et peut-être vain alphabet du silence. Pour exprimer, dans l’attente d’une possible main tendue, ces voix / chair d’avant / le langage / affranchies / de la poussière / et de nos oripeaux.

Pudeur des corps et des âmes tendues, requérantes. Désespoir d’un radeau de la Méduse que disloquent les flots de nos indifférences. Le dépouillement du verbe et celui du trait vont jusqu’à une nudité non figurative. Synergies au-delà du cognitif, du raisonnant, d’une révolte chiffrée, racontée.

Poète et peintre unissent leurs humbles outils pour traduire l’indicible, à savoir ce qui ne peut se dire, se traduire. Tous deux vont à l’essentiel des instants frêles / et des désirs brûlés. Les flaques de couleurs donnent espoir, le texte fixe sens et mémoire. Jean-Louis BERNARD est poète majeur, mage et métaphoricien à la douane du subconscient. Passeur en tout cas, pour autant que le lecteur, dans l’ombre d’un recueillement, goûte avec respect ce Graal si subtilement distillé.

Dans l’urgence d’une soif et d’un partage.

©Claude Luezior

Accueil de l’exil, Anne Moser, Jean-Louis Bernard, Strasbourg, Les Lieux Dits éditions, 2015, (collection 2Rives)

Chronique de Pierre Schroven

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Accueil de l’exil, Anne Moser, Jean-Louis Bernard, Strasbourg, Les Lieux Dits éditions, 2015, (collection 2Rives)

Dirigée par Claudine Bohi et Germain Roesz, la collection 2Rives propose, je cite, de rapprocher les rives de la peinture, du dessin, du collage, de la langue et de la poésie. Issu d’une rencontre entre la peintre Anne Moser et le poète Jean-Louis Bernard, Accueil de l’exil est un livre où l’écriture prend appui sur l’espace suggéré des peintures et devient elle-même encre

Parcourus de vent, de lumière, de traces, de désirs et d’espace, les poèmes de Jean-Louis Bernard ouvrent notre esprit à la présence des mystères, traquent ce que la vie dissimule et célèbrent la nature dans son mouvement perpétuel ; en outre, ils s’appuient sur un silence antérieur au langage pour construire une pensée à partir de tout ce qui nous échappe et capter le chant originel d’un ailleurs à vivre.

Ici, peintures et textes s’unissent avec bonheur pour devenir un lieu de questionnement où la vie est sans cesse réinventée ; ici, tout semble chuchoter l’existence d’un monde que le langage ne peut atteindre ; ici, enfin, tout donne parole à ce qui exulte en nous et autour de nous.

Accueil de l’exil est un recueil qui ouvre la voie à une autre écriture du réel, ajoute une dimension à la vie et ouvre des espaces auquel aucun regard ne s’habitue…

Ici veille

la poudre des chemins

légère souveraine

ici demeure

un silence millénaire

loin des voix à l’encan

tisse les matins arasés

au plombé d’une saison blanche

et les soirs au regard dentelle

des vieilles villes

dans les surplis du crépuscule

quelques spectres à contre-jour

quelques escales éphémères

entre-monde

où zodiaque et limon

s’enchevêtrent

jusqu’à n’être plus

que la cartographie ultime

du désir

Anne MOSER Jean Louis BERNARD, Accueil de l’exil, Éditions 2 Rives, Les Lieux Dits

Chronique de Nicole Hardouin

 Anne MOSER   Jean Louis BERNARD, Accueil de l’exil, Éditions  2  Rives, Les Lieux Dits

Dans les accords mutiques de notes secrètes s’effruitent un passé, palpitation de l’invisible,  qui ne se solde pas : échos du vivre de Jean Louis BERNARD. Pour retrouver la proue d’un désir perdu, donc à portée de songes, le présent déchire ses drapés, nous portons en nous/ de si nombreux minuits.

          Si l’Exil est dans le verbe, franchir le seuil est toujours dangereux, le dragon veille c’est pourquoi J.L Bernard brûle son souffle pour en renaître enroché dans l’espace impensable/du monde / l’enfance et ses fontaines … / de gris et d’encre/à l’orée des pierres. Là, ses images n’hibernent jamais, elles sont la structure même du poète, il s’y tient debout, droit dans la courbure de ses marées ancestrales où sirènent des laines d’éternité, griffures d’un avenir logé dans un passé. Enracinement de l’errance.

Accueil de l’exil s’ouvre dans les annelures du serpent, pas le tentateur non, celui qui entré par les portes du sang nous enseigne la sagesse, celui qui est prêt à se tenir debout comme avant la fracture initiale cherchant la réintégration au grand Tout, c’est la quête du poète célébrant la foudre aux ongles de l’initiée. Jean Louis Bernard sorcier, sourcier conduit le lecteur dans son infinitude, dans le flux des courants du cosmos et des cavernes.

Les images se corporifient lorsque le poète cristallise les mots, coagulation, souffre rouge, sceau, vibrations lumineuses, incandescence dans sa danse des ombres. Mais la sarabande n’est jamais terminée, page à pas les mailles se tissent dans la grotte, élixir d’errance/assomption de l’immense/jusqu’à l’infime,  il lance ses dés, les laissent rouler dans le monde d’hier dont il rhabille la nudité. Il se tient sur l’axe de la balance surveillé par la déesse Mât, il en est le disciple. Montant, descendant dans un jeu de marelle jamais  inachevé, distance-séparation, distance-reliure,  il pousse par degrés ses méreaux, Mère-Eau, mots-peaux dont il dégage le sillage imperceptible et prégnant, la lourde légèreté de l’Essentiel, le feu secret de l’Esprit qui vit dans la matière et se répand dans l’exil de l’asile.

J.LBernard va jusqu’au sang des gerbes moissonnées en conjuguant le ressac de ses bûchers dans la présence de l’effacement. Démiurge, il fait tressaillir la pierre et crépiter la crête du feu dans la dissolution de l’instant sans nom. Ses sources ne coulent que par sa soif qui rançonne nos solitudes, dans l’urgence de la lenteur.

Chez J.L Bernard le feulement du sillage  est plus prégnant que le réel, l’ombre plus visible que la lumière et le feu a des avant-goûts de cendre prête à germer. Son exil est un asile aux tentations poreuses, ouverture sur l’entre-monde cartographie ultime du désir.

Les coulées-serpentaires du peintre Anne Moser enroulent les mots du poète, reflets-miroirs en parfaite osmose, c’est un jeu désirant ou infusent  déjà/ les regrets à venir.

                                    ©NICOLE HARDOUIN