Marguerite Yourcenar, Un homme obscur, une belle matinée, Folio, 2016, 227 pages.

Une chronique de Lieven Callant

Marguerite Yourcenar, Un homme obscur, une belle matinée, Folio, 2016, 227 pages.


Enfant, on m’avait offert un calendrier où chaque mois de l’année était illustré par une des peintures de Rembrandt. La dernière page était consacrée aux différents auto-portraits peints par le Maître tout au long de sa vie. Dans un jeu de miroirs, la question « Qui suis-je? » semblait surgir mais elle n’était pas la seule car j’avais le sentiment que ce n’était pas un instant furtif, celui de l’être, qui était représenté dans chacun des portraits mais une durée, un espace compris entre les deux moments, celui de la naissance et celui de la mort. Rembrandt interrogeait le temps, ses effets sur le corps et sur l’âme, ses effets sur la lumière et les ombres, sur leurs perceptions. Il ne posait à mes yeux pas encore de bilan définitif du désastre mais le questionnement du temps a continué de me préoccuper. Le temps des oeuvres d’art. Le temps littéraire et élastique de Marcel Proust, le temps comme un voyage de la lumière, le temps qui cesse de fuir et ne s’écoule guère comme les rivières mais semble être depuis l’endroit où je me trouve, un étrange morceau de gâteau.

Si dans un premier temps Rembrandt a inspiré Yourcenar pour ce récit, je le conçois et le comprends dans cette même optique d’interroger la vie en se servant du temps. Le temps comme instrument de lecture passant la vie sous sa loupe. Le temps comme espace de recul, de mise à distance permettant un renouvellement continuel et multiple des lectures et donc aussi de l’écriture.

Le style de Yourcenar est à la fois le fruit d’une longue élaboration faite d’oublis et de résurgences, et d’un travail minutieux mené avec passion tout au long d’une vie, sa vie à côté de celle de ses personnages qui n’ont cessé d’occuper quelques coins de mémoire comme c’est le cas de Nathanaël, personnage principal de Un homme obscur.

L’écriture d’un récit, d’un roman est constamment reprise, remise en cause, défaite et refaite. Même si Yourcenar avoue avoir « triché », je perçois ce « mensonge » comme étant la volonté de mieux cerner une réalité, une manière d’être au monde et que Rembrandt dans ses auto-portraits cherchait à traduire par des contours noirs ou des espaces de lumières et de couleurs. Écrire est une longue étude de soi-même, de soi comme filtre d’une vie dont les voies sont partagées par delà les temps et les espaces par une partie de l’humanité.

Le récit dont il est question ici prend la forme d’une boucle: le début est la fin, la fin est le début et le livre est toujours en chemin, en train de se réécrire au fil des lectures. Dès le premier paragraphe et en l’espace d’une demie page l’auteure résume le propos. Si le récit installe naturellement plusieurs niveaux de lecture, on peut aussi se satisfaire d’un seul. Il s’agit de la vie et de la mort d’un homme ordinaire né à Amsterdam au XVII ème siècle: Nathanaël . Il nait et meurt « sans grand fracas ». Ce qui intéresse Yourcenar et immédiatement après elle, ses lecteurs est ce qui se produit entre ces deux évènements. La vie ordinaire d’un homme obscur. Autrement dit d’un homme que rien n’illumine (si cela est possible), qui se satisfait d’une ombre. Peut-être se contente-t-il cet homme à ne pas exprimer le fond de sa pensée?

Un premier incident l’invite à prendre la fuite et à s’exiler. Une des épreuves que la vie réserve est bien celle du fuyard, du voyageur, de l’étranger, du sans domicile fixe, de celui qui rompt ses amarres. « Les hommes sont partout des hommes » pense-t-il en découvrant des atrocités commises à répétitions sur des semblables plus faibles, plus pauvres, plus las. Mais il arrive aussi à Nathanaël d’être « ivre d’air et de vent. » de se sentir « vivant, respirant, placé tout au centre ». Car cet exil, ce premier refus opposé au cheminement naturel de la vie, cette première blessure permet à Nathanaël d’en goûter les saveurs qui laissent passer celle d’une totale liberté, éphémère certes, mais défaite de ses racines, elle peut se rêver un avenir différent.

« Certains soirs, les étoiles bougeaient et tremblaient au ciel; d’autres nuits, la lune sortait des nuages comme une grande tête blanche, et y rentrait comme dans une tanière, ou bien, suspendue très haut dans l’espace où l’on n’apercevait rien d’autre, elle brillait sur l’eau houleuse. » P39

C’est placé au centre de cet univers-là dont il est question, naturellement.

Deux pages plus loin, j’ai pu lire comme pour rééquilibrer les propos et rappeler l’interrogation première du temps de la vie et en son maigre centre l’homme, être vivant et mortel que le temps engloutit:

« Quatre ans de sa vie croulait comme un de ces pans de glace qui tombent de la banquise et plongent d’un bloc à la mer. »

Yourcenar titille continuellement son lecteur comme pour ne point lui retirer sa lucidité et donc son libre arbitre, indispensable outil pour continuer de penser la vie, même celle d’un personnage comme Nathanaël qui fait de son XVII siècle notre XXI siècle.

« Après quatre ans vécus sans penser (il le croyait du moins), il avait regagné le monde des mots couchés dans les livres » P49 « Amas dit glorieux d’agitations inutiles qui jamais ne cessent et dont jamais personne ne prend la peine de s’étonner. »

Nathanaël au travers « des forêts de mots » s’interroge sur la foi « Mais que, détaché de la Trinité et descendu en Palestine, ce jeune Juif vînt sauver la race d’Adan avec quatre mille ans de retard sur la Faute, et qu’on n’allât au ciel que par lui, Nathanaël n’y croyait pas plus qu’aux autres Fables compilées par les doctes ». P54

Ce qui intéresse aussi Marguerite Yourcenar et la lectrice que je suis, c’est la rébellion même simple, celle des idées et qu’incarne aussi dans une certaine mesure Nathanaël. Ce refus inscrit au coeur de l’homme est-ce l’obscur coin de mémoire, de conscience, de morale à contre courant qu’évoque le titre du livre?

P84 « Hier, aujourd’hui et demain ne formaient qu’un seul long jour fiévreux qui contenait la nuit aussi. »

« Plus loin, un vieil homme d’aspect fiévreux parlait tout le temps, très vite, intarissable comme un mince filet d’eau qui déborde d’une fontaine. Il racontait sans doute sa vie. Personne n’y prêtait attention.

Voilà deux passages qui répondent en partie à mon interrogation concernant l’obscurité. Marguerite Yourcenar y répond par une mise en abîme de son récit. Personne ne prête attention, l’obscurité surgit du regard.

P93 « Tout se passait comme si, sur une route ne menant nulle part en particulier, on rencontrait successivement des groupes de voyageurs eux aussi ignorants de leur but et croisés seulement l’espace d’un clin d’oeil. D’autres, au contraire, vous accompagnaient un petit bout de chemin pour disparaître sans raison au prochain tournant, volatilisés comme des ombres. »

Outre une certaine et possible rébellion, une partie du destin nous échappe, échappe à notre contrôle, à notre volonté, la vie choisit pour nous comme pour ceux qui nous accompagnent : nous sommes des fantômes.

P109 « Á coup sûr, l’histoire n’avait pas à être reproduite point par point sur des toiles peintes bordées d’or. Mais il lui semblait qu’au faux des sentiments répondait le faux des gestes. »

P118.  « La logique et l’algèbre.(…) Des équations parfaitement nettes, toujours justes, quelles que soient les notions ou les matières auxquelles on puisse les rapporter (….) les choses ainsi enchaînées meurent sur place et se détachent de ces symboles et de ces mots comme des chairs qui tombent…. » « Ces myriades de lignes, ces milliers, ces millions de courbes par lesquelles, depuis qu’il y a des hommes, l’esprit a passé, pour donner au chaos au moins l’apparence d’un ordre …Ces volitions, ces puissances, ces niveaux d’existence de moins en moins corporalisés, ces temps de plus en plus éternels, ces émanation et ces influx d’un esprit sur l’autre, qu’est-ce, sinon ce que ceux qui ne savent pas ce dont ils parlent appellent grossièrement des Anges?

P121 Les passerelles des théorèmes et les ponts-levis des syllogismes ne mènent nulle part, et ce qu’ils rejoignent est peut-être Rien. Mais c’est beau. »

P150  « Tout d’abord, le silence semblait régner, mais ce silence, à bien l’écouter, était tissu de bruits graves et doux, si forts qu’ils rappelaient la rumeur des vagues, et profonds comme ceux des orgues de cathédrales; on les recevait comme une sorte d’ample bénédiction. Chaque rameau, chaque branche, chaque tronc bougeait avec un bruit différent, qui allait du craquement au murmure et au soupir. En bas, le monde des mousses et des fougères était calme. »

P158 « Alors, le temps cessa d’exister. (…) Le temps passait comme l’éclair ou durait toujours. (…). L’aube et le crépuscule étaient les seuls évènements qui comptaient. Entre eux, quelque chose coulait, qui n’était pas le temps mais la vie. »

Voilà qu’ici, l’auteure nous ramène au coeur de son livre, au coeur de son interrogation principale énoncée au début du récit. J’ai aussi relevé ces diverses citations afin de tenter de déployer la belle profondeur de l’écriture de Yourcenar, sa résonance.

P165 « Mais d’abord qui était cette personne qu’il désignait comme étant soi-même? D’où sortait-elle? (… ) « il ne se sentait pas comme tant de gens, homme par opposition aux bêtes et aux arbres; plutôt frère des unes et lointain cousin de autres »  

La mort arrive advient comme le restant. « Le pire était cette toux clapotante, comme s’il portait en soi on ne sait quel marécage où il s’enlisait. »

Dans la dernière phrase du récit, je lis une allusion au poème de Rimbaud « Le dormeur du val ». Une étrange lucidité nous empêche de croire que la mort est semblable au sommeil, de même que la vie n’est point un songe.

« Il reposa la tête sur un bourrelet herbu et se cala comme pour dormir. »

Le deuxième volet est consacré à la vie du fils de Nathanaël.

Dans la postface, j’ai relevé cette remarque écrite par Marguerite Yourcenar parce qu’elle invite à lire. Lire les autres livres de Yourcenar. Lire tout court, ce qui nous enrichira. Invitation que formule aussi régulièrement Patrice Breno, comme dans le N° 90 de Traversées.

« Toute oeuvre littéraire est ainsi faite d’un mélange de vision, de souvenir et d’acte, de notions et d’information reçues au cours de la vie par la parole ou par les livres, et des raclures de notre existence à nous. »

© Lieven Callant

Eric Dubois, Chaque pas est une séquence, éditions unicité, 2016, 48 pages, 11€

Une chronique de Lieven Callant

Eric Dubois, Chaque pas est une séquence, éditions unicité, 2016, 48 pages, 11€

En feuilletant le livre, je m’aperçois que de courtes strophes de deux lignes au plus se partagent l’espace vierge des pages. C’est donc de cette manière que l’on progresse, grâce au poème, par delà les séquences qu’il offre, peu à peu, de porte en porte.

L’écriture poétique est une démarche quotidienne, elle accompagne, elle clarifie, elle éparpille, elle condense le quotidien. Parcelles de vies, épures d’épreuves, elle répartit les souvenirs, partage le temps, le résume à quelques mots. Elle choisit en connaissance de cause. Le poète vit ce qu’il écrit, poème et expérience forment une même chose. Eric Dubois écrit comme il respire.

Le poème qu’il soit bref, qu’il soit long, qu’il s’étire ou se contracte ne connait pas en soi de fin. Il est une séquence du temps, un espace dédié au souvenir, un lieu de recueillement, d’acceptation et de partage. Il est un écho, une commémoration, un assemblage, un signe, un reflet, ce qu’il reste d’une sensation. Son écriture est toujours à refaire.

Illusions, émotions, prises de conscience, lucidités, aveuglements, étourdissements,  il apparait toujours morcelé, partiellement présent, le poème. En lui se rassemblent d’autres poèmes en devenir, des absences. L’écriture, le travail poétique d’Eric Dubois se concentre sur ces aspects-là. Un travail qui n’avoue jamais sa victoire mais confronte les vérités provisoires aux silences, les affirmations aux difficultés d’être, l’engourdissement au réveil soudain, les doutes renvoient aux questionnements nécessaires et inutiles. Ce livre est un des jardins d’Eric Dubois, les mots savamment dispersés attendent patiemment de germer et d’éclore en leurs lecteurs.

Des jardins, Eric Dubois en a plusieurs, il est responsable de la revue littéraire en ligne « Le Capital des Mots », il est blogueur « Les tribulations d’Eric Dubois ». Il a déjà publié de nombreux ouvrages de poésie (qu’il m’est arrivé de commenter). Il est chroniqueur et co-animateur sur Fréquence Paris Plurielle et est très présent sur les réseaux sociaux pour défendre et diffuser poèmes et créations artistiques. L’homme est jovial, sincère et d’une grande ouverture d’esprit. Il répond toujours à mes questions avec patience et gentillesse, en toute simplicité.

Voici quelques vers éparpillés extraits du livre:

——

Le bord des choses est le coeur de l’instant

——

Que dit le langage?

Des silences des mots
et le morcellement

——

Éclat dispersé dans les cendres du vent
qui se sédimente en fines couches de doute

__

Ce texte a pour seule fonction
d’inachever

Le propos
S’il y en a

____

Que cela ne soit pas un discours
comme tant d’autres

Mais un adjuvant à l’être

——

Écrire est un sursis

La vie est un poème
illisible

——-

Chaque mot pleure
sa défaite

©Lieven Callant

Blanchard Stephen, Hors Je, préface de Joël Conte, France Libris, 2016, 48 p.

Blanchard Stephen, Hors Je, préface de Joël Conte, France Libris, 2016, 48 p.

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Dans ce recueil, l’auteur refuse d’utiliser la première personne en guise de réponse à ses détracteurs qui lui en reprochent l’usage. Ce choix est aussi une contrainte et dans une perspective oulipienne, on pourrait noter l’omniprésence du jeu.

Parler de soi dans le monde (mouvement centrifuge) et évoquer le monde de sa place (mouvement centripète) sont deux positions complémentaires. L’auteur semble privilégier la seconde.

Néanmoins, l’absence de pronom à la première personne ne prive pas le recueil de sa dimension lyrique : « Il faut garder en soi / les promesses de l’aube », « vivre dans l’intervalle d’un sourire ». S’ensuit-il pour autant, une dissolution du moi ?

Des tournures impersonnelles, prophétiques (« il est grand temps », « un jour viendra sans doute… »), des injonctions (« il faut savoir… », « il faut arrêter… », « qu’il est bon de… ») ou des verbes transitifs à l’infinitif (« se noyer… ») laissent apparaître le prescripteur, l’observateur critique de la société, l’homme en marge qui s’évertue à « recueillir des mots », rêve de peuples rassemblés (p 12, 22, 45) ou contemple la beauté d’un paysage (p 32).

Ces différents regards posés sur l’avenir, la société actuelle (le consumérisme, la téléréalité, le loto, la violence), l’inspiration (« la muse ment », dit-il et son corolaire : la complainte) se croisent.

Être « hors je » est-il synonyme d’une existence menée à côté de certaines règles sociales (une vie de poète) ? Est-ce la capacité de l’auteur à voir en dehors de soi (la société), au-delà (l’avenir), près de soi (les mots) même si « la vie suit son cours / avec le vide inhabituel / des jours sans… » ? Est-ce une manière d’occuper singulièrement une place et de s’y maintenir coûte que coûte ?

©Basile Rouchin

Petits riens pour jours absolus, Guy Goffette, Gallimard, 2016, 14€

Chronique de France Burghelle Rey

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Petits riens pour jours absolus, Guy Goffette, Gallimard, 2016, 14€

Le tout récent opus de Guy Goffette rassemble des textes parus ces dernières années et publiés dans des versions différentes.
Un sage exergue de Robert Walser concernant la manière dont on doit vivre invite le lecteur à en savoir plus et le texte incipit le comble déjà par sa perfection à la fois sémantique et stylistique :

« Quand plus rien ne chante au dehors
je puise dans le sac et sème
sur la page un peu de poussière
d’oubli et le jour paraît comme

un musicien qui tend son chapeau. »

Dix textes en tout dans cette première section du recueil divisé en six parties et, pour les premiers, des poèmes composés de trois douzains et d’un dernier vers isolé vite abandonnés au profit de versets ou d’autres formes plus variées.
Dès le début le poète se mesure aux différents lieux dans lesquels il évolue ou pourrait évoluer, de la maison au jardin ou à la montagne et « comme / dans l’infâme boucherie ». Il se mesure à la mer, aux collines, dans l’odeur du colza et des pavots et, avant quelques pièces plus légères, se torture « comme Icare trente-six fois mourant sur la mer ».
Les dilectures, genre emblématique de l’auteur, occupent la deuxième section où des petits riens sont encore évoqués, espacés par des jours – les blancs peut-être de la mise en page – et illustrant la leçon de Rimbaud  quand il dit « On ne part pas ». Ne peut-on pas voir, en effet, « Dieu dans sa chambre » comme « le petit homme » ?

Suivent alors des versets allègres chantant Max de Saint Benoît–sur-Loire et la danse d’un saltimbanque qui annonce les « Retouches au Bestiaire de Guillaume Apollinaire ».
Petites strophes pour animaux puis petites touches parodiques en hommage à plusieurs auteurs, Artaud, Borges, etc.…
Le « Carnet d’adresses » à l’ami Paul de Roux, qui sut si bien parler lui-même de menus détails, termine la section avant la suivante au titre éponyme et constituée, dans la concision, de strophes de quelques vers brefs.

Pour le fond, Guy Goffette a lui-même défini son art poétique :

« La poésie, qui souffle où et quand elle veut, se nourrit de détails de l’existence, tous ces petits riens où l’émotion a fait son nid et qui restent à fleur de peau longtemps. »

Aussi parle-t-il ici « d’une feuille vierge », là de « la parole du lilas » et de « l’heure du bain », là encore de « l’enfant au pied du lit » ou de « la fraîcheur du linge ».
Autant de délicates trouvailles qui font de cette poétique un enchantement :

« Soleil soleil
vieil orpailleur
à genoux dans l’aube »

Et une variété conjointement de la forme qui, avec adresse, et pour un genre souvent  élégiaque à la recherche de l’absolu, allie le classique à la nouveauté.
A l’occasion de La couleur des larmes, des poèmes, dégageant un discret parfum de lyrisme, sont adressés aux êtres chers. Lyrisme optimiste au début de « Fin de Campagne » :

« Oui, tout finit par advenir, même la fortune / à celui qui n’attendait plus rien ».

Après quelques pages sur la guerre et les morts qu’il ne faut pas oublier, le recueil s’achève sur « Une prière ». Il y est dit que la joie et l’enfance doivent en nous l’emporter « à croire que tout est à tous miracle et merveille et tombe des nues ».
La poésie de Guy Goffette est, dans son message ici et dans son acception étymologique, évangile.

Monsieur Origami, Jean-Marc Ceci, roman, éditions Gallimard, 2016, 168 pages, 15€

Chronique de Lieven Callantmonsieur-origami-jean-marc-ceci

Monsieur Origami, Jean-Marc Ceci, roman, éditions Gallimard, 2016, 168 pages, 15€


Avec Monsieur Origami, Jean-Marc Ceci signe son premier roman. Là où d’autres proposent une intrigue, une complication d’évènements et de personnages où le style, l’invention, la suggestion finissent par passer au second plan voire être complètement absents, Jean-Marc Ceci nous fait cadeau d’une écriture élaguée, où la pureté du silence, des espaces vierges s’offrent les premières places et rendent les lectures plurielles possibles.

À l’instar de l’art japonais de l’origami, le roman de Jean-Marc Ceci se base sur des principes simples mais non démunis de riches évocations. Il comporte quatre parties où plusieurs époques se superposent, où des personnages se croisent, où les trajectoires de vie sensiblement se modifient.

Maître Kurogiku fabrique le papier le plus solide et le plus beau qui soit, le Washi. Ce savoir-faire ancestral lui vient de son père. Il sélectionne les plus belles feuilles pour en faire des origami. Les autres il les vend. Kurogiku est appelé « Monsieur Origami » par les gens du village situé tout près de la ruine qu’il habite depuis quarante ans en compagnie d’Elsa qui ramasse les écorces des mûriers à papier (Kozo), nécessaires à la fabrication du papier et d’une chatte Ima (permanence).

Maître Kurogiku passe beaucoup de temps à méditer en face d’une feuille de papier pliée. La feuille de papier pliée m’a semblé être comme une allégorie du temps, de la vie qui tracent les chemins, des secrets et mystères que contiennent les failles, nos failles. On peut y voir aussi outre la réflexion sur soi-même qu’impose la réalisation d’un travail, d’une oeuvre et donc ici du livre et de son écriture, une réflexion sur la finalité de toute chose. Il ne s’agit sans doute que de simples plis qui partagent l’espace d’une feuille comme il ne s’agit que de quelques mots perdus dans le brouhaha de tous ceux qui se prononcent et s’écrivent.

Kurogiku a quitté le japon à l’âge de vingt ans pour suivre une jeune-femme italienne qu’il a à peine vue, la Signorina Ciao. Mais il s’est arrêté en ce lieu isolé de Toscane, une ruine qui ne lui appartient pas et de laquelle sans doute un jour, le véritable propriétaire l’en chassera. Il avait emporté dans des petits pots de petits arbres à kozo.
Rien ne nous appartient, nous ne faisons qu’emprunter le monde. « Toute beauté a sa part d’ombre ». Maitre Kurogiku mène une vie faite de renoncements ou plus exactement de choix murement consentis qui le guident vers l’acceptation de soi et la jouissance de l’instant présent.

Le jeune Casparo désire fabriquer une horloge complexe comprenant toutes les mesures du temps. Il cherchait un logement, il n’était que de passage et les gens du village lui ont conseillé d’aller voir « Monsieur Origami. » le nom qu’ils donnent à Kurogiku et qui n’est pas le sien pas plus que « Signorina Ciao » n’est celui de la femme pour laquelle il a quitté le japon quarante ans au paravent. Le nom que nous donnons aux choses, aux gens, aux animaux (la chatte Ima) ne sont que ceux que nous leur attribuons en signe d’appartenance. Jusqu’à quel point sommes-nous responsable de ce que nous créons, ou de ce quoi nous attribuons un nom?

Caspro et Kurogiku se rendront ensemble au Japon car Casparo désire comprendre pourquoi Maître Kurogiku médite devant une feuille de papier plissée. Ce voyage ne répondra qu’à une partie des questions que se posent les deux hommes et avec eux nous, les lecteurs. L’un pour l’autre ils ouvriront de nouvelles perspectives sur leur vie.

Casparo optera pour une montre simplifiée reprenant la mesure la plus simple du temps. Une montre qui ne reprendrait dans son mécanisme que le déploiement de jour en jour et d’année en année du temps, le temps que met la terre à tourner sur elle-même et à tourner autour du soleil. On peut considérer que les autres mesures du temps, de l’espace font parties de ce que la `Beauté nous cache ou nous réserve dans l’ombre ou comprendre que seuls importent véritablement les principaux plis du temps que sont ceux des jours.

Au début du livre, on peut lire en exergue:

« Là
Tout simplement
Sous la neige qui tombe »

Kobayashi Issa (1763-1827)

Voilà qui résume parfaitement le propos poétique du livre de Jean-Marc Ceci alliant densité et légèreté. Pudeur et  profonde vérité personnelle. Éternité et immanence.

©Lieven Callant