Claude Luezior, Sur les franges de l’essentiel, suivi de Écriture, Éditions Traversée,ISBN 9782931077047, 126 pages, 2022, 25€.

Une chronique de Lieven Callant

Claude Luezior, Sur les franges de l’essentiel, suivi de Écriture, Éditions Traversée,ISBN 9782931077047, 126 pages, 2022, 25€.

L’étoile la plus lointaine jamais détectée se situe à plus de 28 milliards d’années-lumière. Est-ce à ce niveau qu’il faut situer les franges de l’essentiel en sachant que l’étoile brillait déjà alors que notre univers n’était âgé que de 900 millions d’années et que pour nous parvenir la lumière de cette étoile a mis 12,9 milliards d’années. Il y a de quoi attraper le vertige pourtant, il faut l’admettre la poésie sous toutes ses formes agit souvent sur nous comme l’un de ces puissants télescopes. Elle transforme, bouscule nos appréhensions les plus diverses.  

D’une certaine manière, dans la première partie de ce livre, Claude Luezior tente de circonscrire le domaine de la poésie, de guider son lecteur tout en guidant aussi celui qui écrit, transcrit, laisse une trace et crée. Il est bien question de marquer le temps, de s’inscrire aussi en un lieu que le poète déterminera lui-même après bien des questionnements et la résolution ou pas de bien des énigmes. Une trace sur le point de devenir écriture, parole écrite, « Juste pour ne pas se diluer tout à fait dans les tombes: passer plus loin, prendre la barque de l’Éternel, se confronter à Osiris. »

Au-delà de la question de trace, se pose aussi celle de la mémoire, de l’intérêt semble-t-il pour les homo sapiens que nous sommes de marquer les lieux de notre présence, de laisser un message, de transmettre par delà les générations une histoire. 

« traduire comme un combat
aux heures carnassières
pour une conscience
au-delà de l’artificiel »

Plus loin, je lis:


« trajectoire au-delà du détail
au-delà du périssable »

Chez Luezior, je devine un attrait particulier pour la peinture, l’art pictural où l’artiste parvient à s’exprimer sans mot, simplement en les remplaçant par des couleurs, des formes sombres, obscures ou éclaboussées de lumière. Une grande partie de sa poésie s’attache à révéler ces liens d’amour entre ces diverses formes artistiques. Il insiste sur le plaisir matériel et charnelle de l’écriture. La poésie est aussi posée comme un acte. 

Cet aspect de la poésie devenue geste créateur implique souvent une prise de position claire. Le créateur ne peut semble-t-il ignorer ou feindre d’ignorer ce qui se passe sous son nez, il a à prendre parti, se prononcer impérativement. Peut-il encore choisir le retrait et s’abstenir de proférer un jugement immédiat sans voir sa poésie se faire ranger parmi les expressions désuètes, absurdes, d’un autre temps? Peut-il encore proposer une autre configuration du temps « dans un monde où règne désormais la nanoseconde en sa dictature subtile »

N’oublions pas non plus que la création poétique est un acte de résistance pour Luezior,

« Un refuge de mes délires, réceptacle pour naufragé à bout de houle (…) crique à mes égarements, ancrage qui vacille, caverne quand se figent les stalactites comme autant de points d’exclamation, voici mon refus d’être ce que vous attendiez de moi. »

« Le langage comme outil formidable de l’évolution » La créativité est « comme tatouée à l’âme, chevillée au corps ». Elle force la prise de conscience.

« Sur une route du sang, à défaut de soie, le grandissime Alexandre, Attila et Gengis Khan

Noire ou bubonique la peste s’est donnée du mal pour mieux faire. »

Écrire est aussi et surtout un acte de foi et d’amour, pour Claude Luezior. C’est ce que l’on découvre aussi dans la seconde partie de ce livre intitulée « Écritures ». Fait-il allusion par ce titre aux Saintes Écritures qui « dans le langage chrétien sont les paroles écrites et dites par les saints hommes de Dieu inspirés par le Saint-Esprit. »?

Je perçois plutôt ici un clin d’oeil humoristique de la part du poète qui ne se prend jamais pour un saint homme mais dont l’inspiration est d’ordre magique, fantastique. La poésie est jeux d’esprit, jeux de mots et manipulations joyeuses et amoureuses de la syntaxe. Elle est loin de s’adresser uniquement à quelques érudits, c’est le désir et la réussite de Claude Luezior. 

© Lieven Callant

Alain Freixe : « Contre le désert »

Une chronique de Georges Cathalo

 

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Alain Freixe, Contre le désert, (L’Amourier éd., 2017), 126 pages, 13,50 euros – 1 montée du Portal – 06390 Coaraze – alain.freixe@wanadoo.fr ou amourier.com


« On lit. C’est un poème ? Une prose ? On ne sait plus. Une présence, oui. » Voilà ce qu’écrit Alain Freixe dans le court texte qui boucle son livre, texte intitulé « Comme on tombe amoureux ». Oui, c’est bien de cela qu’il s’agit avec ce miracle, cette utopie, ce mirage qui permet d’avancer et que l’on nomme poésie alors que l’on « va aveugle dans la grande nuit des pages. Ou du monde. »

Ce recueil regroupe plusieurs suites de poèmes déjà parues pour certaines en tirages limités. On se réjouit de les voir ici rassemblées. Si les thématiques de l’œuvre abondante de ce poète sont bien identifiées (l’ombre et la lumière, la montagne et le ciel,…), on aime ressentir en parcourant lentement ces pages, un vrai climat de confiance et de sérénité.

 Le poète avance dans une randonnée solaire et poétique : « l’ombre de ma voix / grandit derrière / mes mots ».  C’est là que « rempli de nuit / le monde glisse / et dans nos mots / nos images / l’ombre d’une torche / s’éteint ».

La sagesse du poète n’a rien à voir avec un quelconque détachement hautain vis-à-vis d’une réalité impitoyable et ce n’est surtout pas une résignation. Il y a dans ces poèmes une force sous-jacente qui permet à chacun de se retrouver : « on peut écrire / ce qu’on veut / en ventriloque / des lettres » car « on ne saisira jamais / que l’ombre / de ce dont on parle ».

©Georges CATHALO