Lectures de Mars 2022 de Patrick Joquel

www.patrick-joquel.com


poésie

Titre : La relève

Auteur : Jean-Christophe Ribeyre

avec des œuvres de Marie Alloy

Éditeur : L’ail des ours

Année de parution : 2022

Je voudrais habiter 

l’imprévu,

ce temps choisi 

de la lenteur,

ce temps de sève

qui ne se gagne pas,

ne se perd pas, celui, simplement,

qui met au monde.

Je voudrais descendre 

du train où vont les choses,

Un arrêt. Une pause. On en rêve tous une fois ou l’autre. Prendre un livre en main et le parcourir offre une de ces pauses. Tranquille avec le regard errant de la page à le fenêtre ; songer, réfléchir, écouter puis laisser le rien nous porter de sa présence. Comme un retour à l’essentiel.

Ce livre invite le lecteur à respirer. Souffler. À en tourner lentement les pages. À entrer dans son rythme lent et suivre ses désirs. Beaucoup de pages commencent ainsi par

Je voudrais

comme si au-delà de ce désir on se donnait une feuille de route, un novueau projet de vie ou simplement une invitation à vivre plus haut son quotidien. À vivre plus profond. Plus en conscience de l’éphémère, de ce monde flottant qu’on aperçoit entre les lignes du poème.

Comment ? Déjà en descendant de ce train où vont les choses. Prendre sa journée en main, la conduire ; mais aussi avec les mots. Avec le langage. Mettre des mots sur les jours. Tenter d’être juste entre les mots, sa vie et soi. Avec la conscience que toujours demeure un écart entre le poème et la réalité quotidienne.

Tout revient et se perd

comme les visages,

les mots,

qu’ils se tournent vers nous,

nous habillent

de croyance,

de doute,

tout se tait

et s’en retourne au fossé

dans l’indifférencié,

le redondant.

Oser, tenter l’accord

Je voudrais répondre en ami

au bruissement des saules ce soir,

aux rayons timides

au vent venu tourner 

les pages d’hortensias,

remercier ce qui

m’illumine

et me fait peur,

ce qui chantent et me lapide,

consentir

aux transparences,

aux foisonnements,

à la mort même

trouvant cette page, 

à ce qui fut

comme pour l’éternité 

ma vie d’une journée.

Une des voies de la poésie touche à ce que j’appelle lorsque je parle poésie aux enseignants au savoir-être : un savoir être au monde. Une voie qui s’approche du Tao, une voie que l’on trouve particulièrement dans les poèmes chinois ou japonais du passé, mais pas seulement du passé : du présent aussi et pas seulement chez les auteurs asiatiques, mais aussi en Europe. Ce livre de Jean-Christophe Ribeyre à mes yeux marche sur cette voie. 

Sans donner aucune leçon, sans apporter aucune réponse, il nous dit simplement

je voudrais être là,

simplement,

sans jeter d’images.

Sans avoir à frapper

aux portes du langage.

Simplement m’éprendre.

Ne foisser,

à aucun prix,

la robe des choses tues.

À lire dès la fin du college et jusqu’à plus soif.


Titre : J’attends la venue du grand froid

Auteur : Fitaki Linpé

Images : Pauline Collange

Éditeur : Via Domitia

Année de parution : 2 021

15 €

Un recueil de haïkus à lire au coin du feu si on a une cheminée ou sinon en imaginant la cheminée. Ces heures que l’on passe à regarder les flammes, les braises tandis que dehors tempête l’hiver ou simplement le froid bleu ou gris… Des heures de contemplation. De silence. Des heures avec ce compagnon discrètement présent pendant que l’on vaque à sa lecture, sa cuisine ou son ménage ou à l’écriture.

Le feu. Ce face à face vieux d’environ au moins 400 000 ans (Terra Amata et son feu maîtrisé), on n’est pas à un jour près, ce face à face donc entre l’homme et le feu… contempler un feu c’est se renouer à toutes ces veilles… répéter des gestes plus que millénaires… C’est être humain aussi, et simplement.

Sous le bois qui brûle

les braises palpitent

j’attends la venue du grand froid

devant le feuilles

mon invité boit du vin chaud

moi ses silences

petit matin froid

le feu et moi

plein d’entrain

soir et matin

à la paresse

le feu m’encourage


Titre : Dans le bonheur d’aller

Auteur : Jean-Hugues Malineau/Françoise Naudin-Malineau

Éditeur : Pippa

Année de parution : 2 020

16€

Haïkus 1989 à 2018, en sous titre. Un recueil de haïkus, mais pas n’importe quels haïkus, non : ceux que le couple envoyait à ses amis en guise de carte de nouvel an. De petits cahiers imprimés et façonnés à la main. J’ai la joie d’en avoir reçu quelques uns, et de les garder précieusement.

Un parcours de vie. De vie partagée. Chaque haïku comme un jalon de cette histoire, comme un cairn sur le chemin.

Poésie la vie entière écrivait Cadou. Les Malineau en sont complices et acteurs. Je vous invite à découvrir ces pages, à vous y arrêter un moment, là où vous vous sentez en écho, à respirer les parfums du haïku. Chacun y trouvera sa joie, la paix et du songe car telles sont les voies du haïku. Quelques syllabes et l’infini à portée de paupières.

En voici trois qui me résonnent bien en profondeur.

Le silence est 

peut-être 

le parfum des pierres

Rives silencieuses 

une libellule bleue 

incline un roseau

Un temps infime

entre la dernière hirondelle

et la première chauve-souris

https://www.pippa.fr/Dans-le-bonheur-d-aller?var_recherche=dans%20le%20bonheur%20d%27aller


Titre : Éphéméride, feuilles détachées

Auteur : Anthologie

Éditeur : Pourquoi viens-tu si tard

Année de parution : 2022

Une anthologie fort sympathique sur le thème du Printemps des Poètes 2022, accompagnée de photo de Marilyne Bertoncini, des feuilles d’automne, encore à l’arbre ou sur le sol. Comme les pages qu’on effeuille sur un éphéméride. Une ambiance douceur, une ambiance couleur. Un brin de nostalgie : le temps qui passe, les souvenirs en suspension et leur chute aérienne, évanescente suivie de ce petit bruit au contact du sol. J’ai été, je suis, je… 

Des poèmes divers, comme dans toute anthologie, chacun y fera son marché. Personnellement j’ai mis dans mon panier les poèmes de Antje-Stehn, Marilyne Bertoncini (comment résister à un poème sur le kaki quand il est présent dans un de mes albums et dans chacun de mes automnes?), Brigitte Broc et son « passagère du poème,

je vais,

jusqu’au bout de la page,

jusqu’au bout de la nuit. »

ou bien Ghislaine Lejard avec ce haïku

« Calames dans le jardin

sur la page du ciel

une calligraphie de silence »,

et tant d’autres à découvrir…

Une autre particularité de cette anthologie, c’est son ouverture au monde : des poètes de plusieurs pays sont présents avec leur poème en langue originelle et traduit (parfois en passant par l’anglais). Une heureuse initiative à saluer.

****

Fièrement se dressent

les pissenlits

sur les ronds-points

dans le vacarme des zones

de transit frénétique

Je les rencontre tapis

au niveau du regard des chiens

Des grappes de rayons filtrent

à travers les douces tiges de papier

vélin

tout flotte comme le feuillage

dans le jeu clair-obscur

d’une forêt magique

subtile et si légère

presque transparente

de sphères de graines rayonnantes

riches d’infinis possibles

il suffit d’un souffle de vent

pour une vie nouvelle

dans les fissures du quotidiennement

C’est mon Komorebi

drogue du bonheur made in Japn

on la trouve à n’importe quel coin de rue

n’importe quand.

Komorebi : ce mot japonais désigne la lumière du soleil qui filtre à travers les feuilles des arbres.

Antje-Stehn

****

Les kakis

L’automne est un brasier tourmenté

il enflamme les feuilles de l’arbre qui se tord

sous le poids de ses fruits

braises promises à tes lèvres

La laque rouge du feuillage ensanglante le ru

et le fruit dans ta main a le poids un peu mou

d’un sein vermeil et doux sous la soie de sa peau

qui se fendille un peu comme pour un baiser

C’est un soleil couchant que tu portes à ta bouche

en dégustant l’instant

maintenant

à jamais.

Marilyne Bertoncini

***

http://www.association-lac.com/



roman

Titre : A(ni)mal

Auteur : Cécile Alix

Éditeur : Slalom

Année de parution : 2 022

14,95€

Un récit poignant. Un livre qu’on ne lâche pas. Pas plus que le Je qui raconte son histoire ne lâche son chemin. Droit vers l’Europe. Il faut partir. Sa mère pousse au départ, l’organise. Le père a été tué par les soldats du gouvernement, les deux aînés sont déjà partis mais n’ont pas survécu à la traversée : ils ne savaient pas nager. La mère se sait en danger : elle persiste à vouloir enseigner…

le voyage. La route. Se battre pour garder sa place. Sa vie. La mer. Le canot. Les vagues. Les morts autour. Le combat de chaque instant pour survivre. L’Europe enfin, l’Italie. La fuite toujours. Rester libre. Le voyage en Europe. La survie. Des rencontres humaines, des accueils temporaires. Une nouvelle vie enfin.

En cette fin d’hiver où nos politiques s’interrogent sur la différence entre un migrant ou un réfugié, ce livre prend une dimension plus profonde.

À lire maintenant et dès le collège.

https://www.lisez.com/livre-grand-format/animal-voyage-migrant-aventure-destin-a-partir-de-13-ans/9782375543313

*


Patrick Joquel

www.patrick-joquel.com

Samedi 2 et dimanche 3 avril salon du livre de Flers (61)

dimanche 1er mai : printemps de Durcet (61)

vendredi 13 au dimanche 15 mai : salon du livre de Luçon

samedi 21 mai : salon du livre de Peymeinade (06)

vendredi 3 au dimanche 4 juin : salon du livre de Grimaud (83)

vendredi 7 au dimanche 9 octobre : salon du livre de Mouans-Sartoux

Les lectures de février 2022 de Patrick Joquel


Poésie

Titre : Perspective flottante / marias Poitevin

Auteur : Luce Guilbaud 

Éditeur : Rougier V. éditions

Année de parution : 2 021

16€

Le lecteur entre avec Luce Guilbaud dans ce paysage indécis où l’on ne sait plus exactement où commence la mer, où finissent les eaux, où se terre le sol. 

« … un paysage mouvant traversé d’oiseaux. »

Paysage de reflets, de mirages, de regrets, de retraits, de tentatives… paysage à bercer dans le regard, à laisser ruisseler sanglots et rires jusqu’à leur coulée. Paysage solitaire. 

Paysage d’oiseaux. Multiples espèces. Régal pour les yeux, pour le chercheur, pour le contemplatif. 

Paysage d’enfance où le miracle est à chaque pas, à chaque regard : tout est si changeant sur le marais. Sa lumière, ses reflets, ses oiseaux…

Paysage silencieux. À peine troué par les oiseaux, quelques insectes et le vent parfois. 

Souvenirs, présents et la certitude d’un demain identique. Un demain que la prochaine marée modifie déjà, parmi les ombres floues d’hier.

« Ici l’eau ne va pas simplement

elle a ses peurs ses retraits ses écarts

ses regrets ses tentatives tentations

et ses pertes dans le multiple

l’eau se crée entre ses propres bras

et se berce en mirages inversés

elle transporte ses soifs et ses débordements

son langage nous impose de plus lustrales leçons

sous le ciel et ses coulées de bleu

s’y noient infiniment nos sanglots retenus. »

http://www.rougier-atelier.com/?product=pu59-perspective-flottante-marais-poitevin-luce-guilbaud


Roman

Titre : L’arbre monde

Auteur : Richard Powers

Éditeur : Le Cherche Midi

Année de parution : 2 018

Je termine la lecture de ce livre et découvre dans un article du Monde qu’on estime à plusieurs milliers le nombre d’espèces d’arbres inconnues. Des arbres rares et donc fragiles. À préserver d’urgence car dans ce monde en pleine mutation climatique ils sont peut-être un avenir, peut-être aussi une pharmacopée du futur.

Ce roman donc tourne les feuilles des arbres. Via plusieurs personnages et autant d’histoires personnelles différentes. Tous se retrouvent autour des arbres, que ce soit ceux de leur jardin, ceux de leur recherches scientifiques, ceux qu’ils voient de la fenêtre ou encore ceux qu’ils essaient de sauver des bûcherons. Combats dont on a entendu parler dans nos journaux… découvertes récentes de la communication entre les arbres et cette idée qu’au-delà de chaque individu, la forêt est une entité vivante. 

Entre fiction et réalité ces pages donnent au lecteur une conscience plus vive de son environnement, de sa méconnaissance et l’invite en retour à plus de curiosité, plus de respect.

Un livre étonnant. Un livre de conscience. Un livre qui propose à son lecteur de vivre un peu plus haut que d’habitude.

https://www.lisez.com/livre-de-poche/larbre-monde/9782264074430


Patrick Joquel

www.patrick-joquel.com

 

  • Tout le mois de février exposition « Temps joueur/espace éphémère » à la Mairie de la Roquette/Siagne avec Laurent Del Fabbro.
  •  3  et 11 mars : Collège la Chênaie et Médiathèque la Strada de Mouans-Sartoux, rencontres avec une 6e.
  • 18 et 19 mars : rencontres plurielles de la Suze/Sarthe. rencontres avec deux classes et salon du livre poésie
    .
  •  Breil/Roya (06) rencontres le jeudi 24 mars de 14h à 15h pour la classe de 5ème du collège et de 15h à 16h pour la classe de CM2 de l’école.
  • 2 et 3 avril : salon du livre de Flers (61).  
  •  du 12 au 15 mai : animations et salon du livre de Luçon
  •  du 3 au 5 juin, salon du livre de Grimaud et rencontres avec des classes 
http://www.facebook.com/patrick.joquel

 et sur Radio Grand ciel.fr, émission la route inconnue de Christophe Jubien.

La poèmothèque d’Ethe 

La poèmothèque d’Ethe s’agrandit de jour en jour, grâce à des services de presse que je reçois depuis plus d’un quart de siècle ainsi qu’à des dons de particuliers et de bibliothèques ou autres organismes, ce dont je les remercie vivement. 

2050 recueils et revues littéraires répertoriés. Près de 4000 en rayons…

N’hésitez pas à parler de ce projet autour de vous et à nous communiquer des adresses de personnes susceptibles d’être intéressées et/ou d’organismes qui pourraient ajouter ces ressources sur leur site !

Le poèmothèque d’Ethe, sise au sein de la bibliothèque de l’ancienne mairie, rue du Dr Hustin, 67A, est accessible sur rendez-vous ainsi que tous les mercredis de 16 à 20 heures. Les ouvrages peuvent soit être consultés sur place, soit être emportés, gratuitement. Pour les lecteurs de la Province de Luxembourg, ils peuvent être envoyés gratuitement via le prêt inter-bibliothèques. Pour tout autre envoi, une participation aux frais de port sera demandée.

Tous les avis, remarques ou suggestions sont les bienvenus.

Patrice Breno

Revue Traversées

Directeur de publication
43, Faubourg d’Arival
6760 VIRTON (Belgique)
https://traversees.wordpress.com/a-propos/
0032 497 44 25 60

0032 63 57 68 64


Poèmothèque d’Ethe (Virton), Belgique = conservatoire de recueils de poésie et de revues littéraires, 

2050 recueils recensés à ce jour sur plus de 4000 en rayons…

Catalogue sur demande à biblioethe@gmail.com

Les lectures d’été 2021 de Patrick Joquel

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POESIE

Titre : FRICHES 132, hommage à Jean-Pierre Thuillat

Auteur : collectif

Éditeur : les cahiers de poésie verte

Année de parution : 2 021, pni

L’été. La pile des livres reçus, le balcon et les cigales… Lire. Lire et se souvenir.

Un dernier numéro de Friches. Un hommage à son rédacteur Jean-Pierre Thuillat.

Jean-Pierre Thuillat, poète, historien, spécialiste de Bertrand de Born le troubadour du XIIe siècle, adjoint municipal etc.

On déroule une quarantaine d’années au fil des pages. Un enracinement, une fidélité. De la ténacité. Jean-Pierre Thuillat aimait les arbres, les chênes. Friches est un arbre dans le paysage poétique de la fin du XXe/début XXIe siècle. Un arbre dont l’ombre a accueilli de nombreux poètes, de grandes voix comme il disait et des voix plus jeunes, plus secrètes.

Friches, des collaborateurs fidèles, ils ont la parole ici : pour rendre hommage comme pour entendre leur voix. C’est le prix Troubadours, ils sont tous présents. Ce sont des éditoriaux affûtés sur la poésie et le monde, on en retrouve ici quelques extraits. Friches, c’est une aventure. Je suis heureux d’y avoir participé quelques fois. Mon seul regret : je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer Jean-Pierre.

« Quand plus personne ne nous lira
que nous serons enfin bien morts
sous des kilomètres de neige
peut-être y aura-t-il malgré tout quelque part
un regard pour prendre mesure
de cette lueur que nous fûmes
et s’arrêter sur l’arbre d’en face
comme je m’arrête aujourd’hui sur ton nom
toi qui reposes depuis huit siècles
sous le calcaire bleu d’un gisant
et me réchauffes pourtant le cœur
par tout ce poids amorti par les ans »


Dans le 321 Encres Vives

« Mémorial pour le siècle XX


Il commence à Sarajevo pour s’achever à Pristina :
ça ne fait pas beaucoup de chemin
juste un détour par Oradour
une fleur sur Hisoshima.

Les hommes s’ennuient sur la Terre, il faut bien s’amuser un peu.
Un peu de femme un peu de guerre
du vin des larmes du sang
et l’on repart la coupe pleine.

Ronds de fumée sur Tréblinka ou ronds de cuir sur la Garonne.
Qu’elle est belle l’église en flammes
avec tous ces enfants dedans 

J’entends le hurlement des femmes.
On n’est plus au douzième siècle.
La barbarie, c’est aujourd’hui.

À Tokyo New-York ou Paris
les sans-papiers les sans-famille
hantent les rues de l’opulence.

La guerre est partout dans le monde, on tue les enfants par milliers.

Ceux qui survivent on les prépare
à devenir bourreaux demain.

Ainsi se perpétue le Monstre.

Il commence à Sarajevo pour s’achever à Pristina :
ça ne fait pas beaucoup de chemin
juste un détour par Oradour
une fleur sur Hiroshima. »


www.friches.org

Titre : Pas par quatre chemins

Auteur : Morgan Riet

illustrations de hervé Gouzerh

Éditeur : Donner à Voir

Année de parution : 2 021

Ce petit carré orangé s’ouvre sur un haïku de Santoka (1882/1940) :

qu’on soit joyeux

qu’on soit triste

les herbes poussent

J’aime bien ce rappel de l’indifférence du monde à nos petits soucis quotidiens, comme nos anniversaires ou les horaires des trains… Le temps qui passe, les nuages, une horloge, des enfants sous la pluie et la joie… Tout un quotidien saisi au vol dans une collection de haïkus qu’accompagnent les illustrations d’Hervé Gouzerh.

De la fragilité dans ces vers, de la tristesse ou plutôt de la mélancolie. Les jours passent, les bougies s’entassent, on voudrait, on est. On cueille ainsi des instants, les mains dans les poches et on se souvient d’une enfance cow-boy. Le présent est ainsi, toujours chevauchant l’enfance et le regard vers des rêves et des désirs de futurs.

Un petit carré à lire d’une traite puis à relire page à page ou bien en écho à sa propre aventure. Un bel objet à offrir comme tous les Donner à Voir.

http://www.donner-a-voir.net/


Mon miroir de la salle de bain

Auteur : Pierre Tilman

Éditeur : La Boucherie littéraire

Année de parution : 2 021

13€

il y a les jeux d’enfants face au miroir. J’y suis/j’y suis pas/coucou me revoilà… Il y a les petits matins rasoirs dentifrices peigne et les questions existentielles qui les accompagnent : est-ce que je serai président ? Où sont mes vingt ans ? Et toutes les autres… Ici Pierre Tilman s’interroge sur le miroir lui-même :

…Il ne m’était jamais venu à l’esprit
de regarder mon miroir
de la salle de bain
lorsque je ne suis pas devant lui.

Quand il est seul,
je ne sais ce qu’il fait.
Je me place biais

et je le regarde discrètement.

Tout au long de ces pages l’interrogation entre l’homme et le miroir de sa salle de bain. Derrière ces monologues se cachent nos questions rémanentes : qui suis-je ? Comment ça marche tout ça ? Et le temps qui modifie mon apparence jour après jour ?

Quelle perception de soi avait-on avant le miroir ? Le miroir est-il le reflet fidèle de ma réalité ? Comme le dit Pierre Tilman le reflet est sans vie ; rien ne pulse en lui, il ne produit rien. Alors ? 

Et le temps ? Quel est son rapport au temps ? Le reflet du présent. Sans passé. Sans futur. Un reflet d’un présent maintenant. Qui disparaît dès que l’on sort de l’écran. Le miroir et l’écran de nos ordinateurs ; qui renvoie quoi de soi ?

On plonge dans les jeux de miroirs au fil de la lecture. On se perd, comme un Narcisse amateur. On se reconnaît aussi dans les grimaces et les tentatives de dialogue avec son reflet. Finalement, le poème en explorant cet objet poli de la salle de bain nous renvoie à nous-mêmes aussi fidèlement qu’un écho. C’est une des voies de la poésie : mettre des mots sur ce qui n’en a pas. Ici simplement parce que trop ordinaire pour qu’on s’y arrête. En s’y arrêtant Pierre Tilman met des mots sur nos gestes, nos pensées ; il formule ce que l’on ressent, ce que l’on expérimente sans le nommer. Il nous enrichit. Merci !

Merci à l’éditeur de nous partager ces mots, ces réflexions, ces sourires.

Un ensemble de textes à jouer sur scène avec un ou plusieurs miroirs, un ou plusieurs acteurs ; ce serait amusant à tenter.

http://laboucherielitteraire.eklablog.fr/


Titre : Un bruit de bleu

Auteur : Louis Raoul

Éditeur : L’ail des ours

Année de parution : 2 021

Le premier mot du livre : « Chaleur »

L’été. Du Bleu. La mer. Le sable. L’été tout simplement.

Les mots glissent sur le papier abasourdis de chaleur. Ils chuchotent. Peinent à lever les lèvres. C’est l’été. Pas un souffle d’air. Chaleur. La nuit comme le jour. Des heures propices à la langueur. À la caresse à l’abri des persiennes à l’espagnolette.

Le temps passe.

« Je porte un manteau de pluie »

puis

« la neige
j’aurais alors
un manteau lourd d’étoiles
et j’aurais l’excuse
de tout ce blanc pour perdre mes mains. 
»

En toute saison l’auteur prend le temps d’écouter le monde pulser. De jouer sa partition en écho, en accord avec lui. Il écoute. Regarde. Sent. Caresse et goûte à tous les parfums des jours. 

« juste cet instant privilégié

d’avoir été dans la confidence

du monde. »

Les saisons se succèdent. La vie. Le temps. Des instants solitaires. Des instants partagés. Et le questionnement de la mort qui monte. L’apprivoiser avec quelques mots. Sauvegarder des instants avec quelques poèmes. Approfondir le silence…

« On pourrait

avant de partir

écouter une dernière fois

le vent dans le feuillage

on pourrait

laisser là

nos os

pour voyager plus léger

et l’on attendrait

l’une de ces nuits

où la lune

ouvre un chemin sur la mer »

On est dans cette poésie intimiste qui cherche à résonner avec la Terre et le mystère de la création. On dirait facilement aujourd’hui un poème zen mais ce serait ne rien dire de ce travail sur soi, de cette écoute. De ces moments où l’auteur va puiser quelques mots dans un des puits de l’univers. Quelques mots vivants pour vivre à son tour et comme le disait Guillevic « un peu plus haut que possible ». (Il est possible qu’à un mot près la citation ne soit pas exactement exacte mais l’essentiel est dit, n’est-ce pas ?).


Titre : les heures creusent

Auteur : Christophe Sanchez

Éditeur : éditions du Cygne

Année de parution : 2 021

J’aime bien ce titre et son jeu. Les heures vides, les heures creuses, les heures qui creusent notre présence au monde. Je pense aux règles de vie monastiques dont le but est de permettre ce creusement, d’approfondir cette présence au monde. Dans la solitude et la répétition de l’emploi du temps. Ici, ces heures creuses sont les huit heures traditionnellement vouées au travail. Elles nous creusent, nous vident mais aussi nous tiennent (plus ou moins, ok je sais : c’est pas toujours amusant le boulot mais quand même ça donne du rythme aux jours. Combien de retraités s’emm… loin du boulot et toutes ces sortes de choses…).

Le travail c’est un open space, si j’ai bien suivi, dans une boite de transports en commun : régulation et surveillance du trafic. J’imagine plein d’écrans, de téléphones et le stress de la circulation, les pannes, les accidents mais aussi les moments où il ne se passe rien, où tout roule, tranquille.

Durant ces heures, l’auteur pense à écrire. Des réflexions, des saisis d’instants : la vie quoi, et tout simplement. Approfondir ainsi ces heures à priori loin du cahier d’écriture (ou autre) donne de la perspective au quotidien. Je suis convaincu depuis longtemps que le poète est à l’affût de poème caché juste à côté de lui.

On me demande souvent d’où me vient la fameuse inspiration… je réponds souvent que

Le poème est là

et que la mission du poète (jingle de mission impossible svp) est de le débusquer, de le mettre en mot. Le quotidien du travail, aussi répétitif et ennuyeux soit-il ( et ce n’est pas toujours le cas) recèle aussi des poèmes. Se mettre à cet affût, c’est un travail sur soi, une disponibilité à son humanité.

Ces poèmes partagent ainsi des moments de creusement, ils vont accompagner les lecteurs travailleurs, enrichir leurs vécus, donner un autre sens aux mots de la tribu. Vivre actif et non passif me semble un bel objectif au quotidien et en particulier durant ces heures « creuses/qui creusent ».

18h15

Près de nous

les quais de béton

où les trains crissent.

Plus loin,

les annonces en gare

par la voix d’un robot.

Entre deux,

l’attente d’une alerte

qui nous dira quoi écrire.

http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-heures-creusent.html

* Pudeur des brouillards, éditions de l’Amourier.


Titre : Maman, maman, j’ai rêvé de l’ours

Auteur : Angèle Casanova

Images : Jacques Cauda

Éditeur : Les éditions du Carnet d’or

Année de parution : 2 021

Un ensemble de textes qui commence dans un RER pris à Nation. L’autrice croise une jeune maman et sa petite fille. Ça se passe mal entre les deux, la mère gifle l’enfant. Et tout remonte. La perte de sa propre mère. Un accident. Le vide. La quête de compréhension. L’apprivoisement de cette nouvelle vie.

De texte en texte on suit ainsi le cheminement de ce qu’on appelle génériquement le travail de deuil. C’est un lent cheminement. Une longue patience. 

Un livre poignant qui saura accompagner ceux ou celles qui sont confrontés à la perte.

Les éditions du Carnet d’or est une jeune maison d’édition associative créée en 2020. On suivra son évolution livre à livre.

https://leseditionsducarnetdor.cargo.site/


ALBUM

Titre : Adi de Boutanga

Auteur : Alain Serge Dzotap

Illustrations : Marc Daniau

Éditeur : Albin Michel jeunesse

Année de parution : 2 019

Un album grand format dans lequel texte et illustrations sont mis à l’honneur. On y entre avec chaleur. La chaleur de la palette de Marc Daniau bien accordée au pays où se déroule la vie d’Adi : le Cameroun.

C’est l’histoire d’une petite fille qui grandit. Une petite fille heureuse. École. Amies et amis. Jeux et rires. Comme tant d’autres petites filles dans le monde.

Seulement ici : à treize ans les filles quittent l’enfance. L’enfance et l’école. Selon la tradition, l’oncle cherche un mari à sa nièce. Des questions de prestige, de dot plus que d’amour. D’ailleurs Adi ne veut pas de l’homme auquel son oncle l’a promise. Elle veut son amoureux. Elle veut continuer à apprendre.

Pour échapper à son destin son père la conduit à Boutanga. À Boutanga, un couple franco-camerounais a ouvert un foyer école pour les filles qui s’opposent au mariage forcé et veulent continuer l’école ; garder leur liberté de choisir leur vie.

Ce livre brûle d’actualité. Combien de jeunes filles arrêtent l’école contre leur gré ? Combien sont concernées par le mariage forcé ? et pas qu’au Cameroun ; il suffit de regarder l’actualité pour comprendre que toute liberté est fragile.

Un livre à réfléchir en famille, en classe ou ailleurs. Un livre libérateur de paroles. Un livre pour grandir.

Une partie des droits d’auteur d’Alain Serge Dzotap est versée à la Fondation Gacha pour l’aider dans sa mission humanitaire.

https://www.albin-michel.fr/ouvrages/adi-de-boutanga-9782751107337


ROMAN

Titre : Terrienne

Auteur : Jean-Claude Mourlevat

Éditeur : Gallimard jeunesse

Année de parution : 2 021

Les mondes parallèles… Un incontournable de la SF. Un de plus direz-vous ! Et alors : l’essentiel est que cela fonctionne et là pour le coup ça fonctionne bien. Anne passe de l’autre côté. Plusieurs fois. Seule puis avec quelqu’un. Dans ce monde parallèle, elle mènera la mission qu’elle s’est fixée. Elle trouvera de l’aide. En dire plus ce serait enlever les éléments de surprise qui donnent toute leur saveur au récit. 

Je l’ai lu d’une traite. Complètement captivé. Un livre à lire dès la fin du primaire et au-delà bien sûr. Il n’y a pas de péremption d’âge pour un livre comme celui-ci. Comme dans tous les autres de Mourlevat.

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Pole-Fiction/Terrienne


Titre : Les aventures de Balthazar Fox

Auteur : Pascal Brissy

Éditeur : Auzou

Année de parution : 2 019

Les trois tomes des avnetures de Balthazar Fox sont réusnis dans cette belle édition. Balthazar est un garçon ordinaire ou presque : il cache une queue de renard sous ses habits. Joli mais encombrant et surtout secret.

Tout bascule lorsqu’il effectue par hasard son premier passage vers l’autre monde. Un monde parallèle peuplé d’animaux guerriers et dotés de la parole. Balthazar est un des rares à pouvoir passer d’un monde à l’autre et influer sur cet autre monde.

Ces aventures, il va les partager avec une renarde mystérieuse, un drôle de chacal et un ours sans peur. Des épreuves, un destin hors du commun. 

J’ai passé un moment bien agréable en sa compagnie et recommande la lecture de ces aventures dès 10ans, voire avant.

https://www.auzou.fr/accueil/les-aventures-de-balthazar-fox-integrale-tomes-1-a-3


©Patrick Joquel

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Deux écrivains à la loupe

Daniel & Dominique ILEA

https://www.blackheraldpress.com/queneauetcioran-jeanpierrelongre

Deux écrivains à la loupe*

Dès la première phrase de son essai comparatif, Jean-Pierre Longre annonce une espèce de balancement dialectique : « Lorsque je lis Cioran, je pense souvent à Queneau, et lorsque je lis Queneau, je pense parfois à Cioran ».

Dans la foulée, on apprend que ces deux-là n’ont jamais eu « de relations suivies » (ni de correspondance, non plus) mais que – détail intéressant – Queneau, en tant que lecteur des premiers manuscrits de Cioran chez Gallimard, a veillé sur ses débuts ; c’était donc un vrai connaisseur de son œuvre, alors que l’on ignore si la réciproque était valable…

Qu’importe ! L’essentiel, ici, c’est cette sensation (quasi proustienne) de revécu, de relu – de proche parenté – que Jean-Pierre Longre ressent à la lecture des deux auteurs, à première vue si différents.

Mais, que peut-il bien les unir ? S’agirait-il de ce jeu de l’intertextualité assidûment pratiqué des deux côtés ? Si, cela aussi, certes, mais ce serait trop peu pour tout expliquer – et puis, ce procédé-là, ils le partagent avec mille autres écrivains du XXe siècle !

De fait, le comparatiste amoureux mettra au point un autre type d’approche (à la fois, si l’on veut, thématique, stylistique, psychologique, métaphysique) : suivre le fil rouge des obsessions qui, souterrainement, « travaillent » les deux œuvres.

Exemple : « le pessimisme radical mâtiné de fatalisme ironique », « entre certains textes de Précis de décomposition comme ‘Variations sur la mort’ et quelques poèmes de L’Instant fatal comme ‘Si la vie s’en va’, ou encore entre ‘Je crains pas ça tellement’ et quelques passages de ‘Paléontologie’ (Le mauvais Démiurge) ».

Or, paradoxalement (ou plutôt naturellement, cf. au susmentionné mouvement dialectique), les deux auront aussi en partage la jovialité, tant le fou rire que le fameux « pleurire » de Queneau – lequel, chez Cioran, vire au « cynisme » qui « débouche sur une forme de burlesque tenant à la fois du comique de situation et des écarts de langage ».

Pour eux, il y a donc « abolition de la distance entre trivialité et gravité ». L’essayiste avance même l’hypothèse tentante que l’« on pourrait sans doute analyser Précis de décomposition et d’autres recueils sous l’angle du ‘pleurire’ quenien » (son parfait correspondant en roumain, râsu-plânsu, tenu pour un trait du caractère des Roumains de toujours, l’est d’autant plus celui d’un Cioran, masochiste hors pair).

Saisissant, également, le parallèle entre le roman Dimanche de la vie de Queneau (avec son épigraphe hégélien d’Alexandre Kojève) et « Les Dimanches de la vie » (du Précis…) !

Chez les deux, on diagnostique une « quête de la quiétude spirituelle et du non-désir », jusqu’à souhaiter la perte du Moi : « S’évaporer, perdre son nom et son identité (comme Trouscaillon dans Zazie dans le métro) […] ». Voici Cioran, « au début de La Tentation d’exister » : « ‘On périt toujours par le moi qu’on assume : porter un nom c’est revendiquer un mode exact d’effondrement’ ».

De ces hantises queniennes-cioraniennes, il y en a beaucoup d’autres : pratiquer tour à tour la thèse et l’antithèse (sans jamais de synthèse), « le pour et le contre », mais aussi – et surtout – cultiver le doute, poussé jusqu’au paroxysme chez Cioran.

Là, on comprend mieux que tous deux soient volontiers des « penseurs fragmentaires » ; cependant, une différence subsiste : « Il semble que le roman quenien ait cet avantage sur l’aphorisme cioranien de laisser la porte ouverte sur des solutions aux impasses existentielles. Sans effacer le doute ». (Le bémol final rééquilibre un peu la balance…)

Une autre dissemblance au sein de leur ressemblance : bien qu’ils aient « l’humeur plutôt joyeuse », « on rit plus ouvertement en lisant Queneau qu’en lisant Cioran ». Humeur joyeuse issue peut-être même de leur « sentiment de mal-être », « d’étrangeté », de « l’atopia » – en somme (ajouterait-on), de leur mélancolie ; et, là-dessus, on pourrait invoquer la dialectique kierkegaardienne : « Le mélancolique a plus qu’un autre le sens de l’humour », et : « Le sceptique a souvent le plus de sens religieux » (« Diapsalmata », dans Ou bien… Ou bien…). Les deux « ne sont pas vraiment philosophes, mais écrivains » – recte des « losophes » (Jean-Pierre Martin dixit).

On aura aussi droit au dessert : un plongeon dans « l’exercice littéraire » de nos compères, Exercices de style de Queneau et Exercices d’admiration de Cioran, où il y a « […] comme une mise en scène du langage, une théâtralisation plus ou moins consciente des mots, ‘masque et aveu’, voilement et dévoilement méthodique de la langue. Et aussi écriture quasiment musicale […] ».

Mais, pourquoi le titre : Richesses de l’incertitude ? Parce que : « Avec des certitudes, point de style […] » (Cioran, Syllogismes de l’amertume).

Voilà comment Jean-Pierre Longre aura « élucidé la question pour mieux s’en débarrasser », d’une manière réjouissante – pour lui-même comme pour nous autres lecteurs !

Mai 2020.

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*. Cf. Jean-Pierre LONGRE, Richesses de l’incertitude. Queneau et Cioran / The Riches of Uncertainty. Queneau and Cioran, édition bilingue, traduit du français par Rosemary LLOYD, Black Herald Press, Paris-London, 2020.