Jean-Charles Dorge, Les sabots dans la masure, (ouvrage bilingue franco-russe), Éditeur Conseil des Poètes et Paroliers, S.A.P.F. , Préface de Valéry Dvoïnikov, Dessin de couverture Anne-Marie Weyers, format 15×21 – 99 pages, 4ème trimestre 2022.

Une chronique de Michel Bénard

Jean-Charles Dorge, Les sabots dans la masure, (ouvrage bilingue franco-russe), Éditeur Conseil des Poètes et Paroliers, S.A.P.F. , Préface de Valéry Dvoïnikov, Dessin de couverture Anne-Marie Weyers, format 15×21 – 99 pages, 4ème trimestre 2022.


Des rires de jeunesse, des jambes de femmes,

Des regards de douceur, des rencontres d’amis,

Puis l’amour, puis la vie…/…  JCD.

Le poème liminaire du dernier ouvrage de Jean-Charles Dorge – Les sabots dans la masure – est annonciateur et s’offre à nous telle une explosion d’amour, une révélation, un éblouissement intérieur ; une femme en devient soudain la révélation : Elena ! 

Ce recueil est traduit en russe, preuve d’un bel éclectisme, d’une volonté d’unité et d’ouverture intelligente en ces temps – hélas ! – où nous sommes encore confrontés à l’ignorance, l’obscurantisme et où nous avons tristement tendance à faire des amalgames entre une quête profondément humaniste et les dissonances de l’histoire.  

Les poètes, les artistes, les créateurs ne sont pas responsables des errances incertaines, douteuses et dangereuses générées  par l’avidité inextinguible  de leurs dirigeants.

Installons donc notre campement dans le pays de la poésie où «Les champs d’orge parfument l’air de Paris» !

Jean-Charles Dorge n’est pas loin, dans son expression pastorale, de nous faire songer au grand penseur et poète Philéas Lebesgue, auteur de Mes semailles. 

La symbolique du sabot nous situe dans un espace où flotte une certaine rêverie nostalgique, les vibrations du temps passé serti de regrets. La note est donnée : « Les cœurs dansent dans les sabots… ». Le ton s’impose, la plume du poète amorce un retour sur la mémoire où le vin de la joie enveloppe de ses brumes les rêves. « Des pipes fument…/…on rit, on trinque, on chante…/… ».

Voici un ouvrage attachant, qui sent bon le terroir, la terre fraîchement labourée, les blés moissonnés sous le soleil d’été, la senteur des foins coupés et les odeurs d’antan, celle du bon pain de campagne, du lard fumé, du pot au feu au coin de la cuisinière en fonte.

Les poèmes, de factures diverses, évoluent au rythme de la vie : des rires d’enfants, des femmes aux belles jambes et robes affriolantes, des larmes de joie, de peine et d’amour. Le poète se met en observance et chaque bribe du quotidien nourrit et alimente son moulin à poèmes.

Voici aussi qu’il se fait parisien et place ses pas dans les empreintes des grands ainés du passé, où flottent toujours leurs ombres à la Closerie des Lilas. Bonheur pour le lecteur de croiser les scènes de vie au fil d’un chemin de hasard, de rencontrer des artistes, des badauds, de regarder passer les bateaux sur la Seine, de s’enivrer des parfums de femmes, que le poète observe d’une terrasse de café ; le tout noyé dans les effluves des rues. Que serait Paris sans ses         

« putains noires  ou blondes  montrant leurs jambes vagabondes …/… où coule une odeur de pas perdus » ?!   

Dans ses errances rêveuses, le poète nous gratifie d’une petite balade poético-géographique, nous entraînant du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest : Picardie, Alsace, Provence… .

Il est bon, parfois, de retourner sur les pas de l’enfance, de retrouver les jeux avec les copains, les premières petites amoureuses et les odeurs de confitures.  

Certains poèmes plus légers respirent et jouent avec les échantillons de nos existences. D’autres sont  plus graves, solennels ; ils aimeraient voir un monde plus sage et responsable, plus apaisé ; ils souhaiteraient voir sécher les larmes et enterrer les armes.

Ils ne portent plus de sabots, ou – pour le folklore – à la fête du village, mais le constat est flagrant : les paysans, aujourd’hui, s’absentent de leurs terres en raison des charges pléthoriques, des endettements forcés, des impôts suicidaires, sans parler des normes crucifiantes, du réchauffement de la planète. Cependant le poète voit juste car le paysan est bien le seul à être

« nécessaire au futur du vivant, lui seul peut obliger les menteurs à se taire, il fabrique le vrai quand ils sèment dans le vent ».

Oui,

« il faut urgemment revenir à la terre ! ».       

Les parfums de la terre seraient inexistants s’ils ne se mêlaient pas à ceux de la mer, des algues et du sel, qui passent comme un rêve d’écume.

Vivre, vivre est le leitmotiv du poète, constatant que nous sommes bien trop confiants et que nous ne nous méfions pas assez du temps, qui, silencieusement, avance sournoisement en défiant le tic-tac et faisant bonne figure, jusqu’à nous retrouver face au miroir des illusions, où il ne reste dans la mémoire que les traces d’une sonate d’enfance.

L’évidence nous rattrape : combien même le poète se ferait-il voyant, il ne peut pas tout voir, en particulier dans le cœur bien souvent trop noir de l’homme.

Gageons alors que la poésie demeure encore l’ultime moyen de l’illuminer !


©Michel Bénard.

Lauréat de l’Académie française.

Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

Malcolm de Chazal, une pensée multidimensionnelle et transdisciplinaire.

Malcolm de Chazal, une pensée multidimensionnelle et transdisciplinaire.

Par Michel Bénard

« L’art n’a pas de pays, n’a pas de frontières. À mon sens, l’art est la seule chose qui peut créer l’humanisme transcendant et qui nous fait découvrir l’ultime sens du sacré.» 


Malcolm de Chazal. 

                                                                                                                      

Jeanne Gerval Arouff, « Pour MALCOM De Chazal l’essentiel monolithe. », Préface Dana Shishmanian, Facsimilés, documents et illustrations divers, Format 14 ½ X 20 ½, Nombre de pages 377, Impression Repro Rapid – Béziers – 2022 – 


Ces bien modestes lignes ne sont que les fragiles reflets d’un hommage rendu à Jeanne Gerval Arouff pour sa remarquable étude : « Pour MALCOLM de Chazal l’essentiel monolithe. » Cet ouvrage publié en 2022 est toute la résonnance d’une vie de reconnaissance et d’admiration. Car l’auteure découvre ce grand esprit universel vers 23 ans alors qu’elle était encore étudiante. 

Je ne reprendrai pas ce qui a déjà été écrit brillamment par la poétesse, écrivaine et essayiste Dana Shishmanian, dans la préface du livre, tout simplement je me laisserai porter par mon ressenti au fil de ma lecture, au rythme de l’esprit et du cœur.

Malcolm de Chazal est un personnage singulier, insaisissable et cependant tellement attachant d’idéal et de passion.

Quelle plus belle preuve d’admiration et de respect puisse démontrer une artiste à ce génie qui est une référence, un guide intellectuel et spirituel, sinon lui consacrer un livre de haute tenue, c’est exactement ce que fit Jeanne Gerval Arouff pour ce penseur mauricien hors normes, défiant toute logique, le philosophe, le poète, le peintre tardif mais étonnant. Malcolm de Chazal, qui pense avoir « trouvé le fil d’universalité… le Principe-Homme », est en quelque sorte un chercheur d’Absolu, un esprit mutant, considéré comme un excentrique sur son île mauricienne et reconnu en France par des écrivains, penseurs et artistes tels que Jean Dubuffet, André Gide, Léopold Sédar Senghor, Jean Paulhan, André Breton, Gaston Chaissac, Jean-Marie G. Le Clézio, Olivier Poivre d’Arvor, etc. etc.     

Esprit d’exception, Malcolm de Chaza, est tout à fait conscient que toutes les choses qui sont les plus importantes pour l’humanité, passent le plus souvent totalement inaperçues. Cependant il n’en démordra jamais : « La poésie seule peut sortir l’humanité de l’abîme où elle se trouve car elle est la seule puissance rédemptrice ayant seule la clé de tout. » « Créer est le seul domaine où il faut se déposséder pour s’enrichir. » La poésie doit demeurer abordable et s’ouvrir sur le cœur.

Malcolm de Chazal dans l’esprit du philosophe Swedenborg croit au principe de « L’homme universel », c’est son côté anthropique, mais il écrit : « L’homme a été fait à l’image de Dieu. » Et il poursuit dans le même élan : « La nature a été faite à l’image de l’homme…/… ». Petite objection à ce propos, il me semble plutôt que ce sont les hommes qui ont créé une image de Dieu, pour servir et justifier en toute bonne conscience, leurs actions ou exactions.

Le parcours de le vie intellectuelle de Malcolm de Chazal fut très marqué par la pensée du philosophe mystique Swedenborg. Ainsi il voit en l’homme la mesure de toute chose, sorte de mètre étalon, c’est la mesure de la connaissance. Ici la priorité est donnée aux sensations. Dans l’œuvre de Malcolm de Chazal le dépouillement particulièrement n’est jamais bien loin, il touche une sorte de nudité divinisée et cosmique qui engendre l’idée du sexe sacral. Ce qui est perceptible dans son œuvre majeure – Sens plastique – où il traverse une période mystique tout à fait significative, dont l’idéal est en fait une volonté d’humanisation de l’art. Poète épris du « Grand Tout », il rêve d’accéder aux noces mystiques, ce qui me conduit à Saint Jean de la Croix. Par ce principe théorique il est très proche de la philosophie zen. Il est fasciné par l’idée du « Grand Œuvre. » Penseur, artiste multidisciplinaire d’une grande ampleur, son œuvre demande une approche progressive. Il possède une vision androgyne fondée sur le principe d’une unité masculin-féminin. Le principe d’un monde global n’est jamais très loin.  

Malcolm de Chazal se marginalisa dès son enfance, il portait déjà en lui un besoin de solitude afin de mieux se plonger dans la source créative. L’idée de poésie est la partie dominante dans son œuvre, il va chercher les matériaux de ses poèmes dans une sorte de jardin intérieur épuré, une piste dans le désert, un refuge aux pieds des météores. Il faut bien comprendre que notre penseur était en avance dans bien des domaines, ce qui l’isole encore un peu plus. Adulé, contesté, admiré, dénigré, il n’en était pas moins pour autant une espèce de réformateur, un novateur de la pensée, passant d’un mysticisme libéré à un panthéisme régénérant.

Il attirait l’attention sur les méfaits d’une modernité incontrôlée devenant la pire pollution de la société contemporaine. Convenez, que nous sommes ici confrontés à un petit parfum prémonitoire. 

Sans doute Malcolm de Chazal devait-il se sentir limité, un peu à l’étroit dans ses disciplines initiales, la philosophie, la littérature et la poésie etc., alors il lui vint comme un défi le besoin viscéral de pratiquer les arts graphiques, de faire parler lignes, volumes et couleurs. Tout à son honneur, il n’eut jamais de prétention quant à l’art pictural et reconnaissait volontiers son manque de formation, d’ailleurs ne disait-il pas : « En peinture, il ne me fut pas donné d’avoir des professeurs, d’où ma qualité d’autodidacte. » Aujourd’hui si nous devions situer l’œuvre peinte de Malcolm de Chazal, il serait placé parmi les peintres dits singuliers, naïfs ou art brut, nous pourrions aussi songer au mouvement COBRA, d’ailleurs ce n’est pas tout à fait par hasard qu’il se rapprocha de Gaston Chaissac et Jean Dubuffet, précurseur de ces mouvements à contre-courant. Malcolm de Chazal se rapproche d’un art épuré, simplifié, il veut pouvoir peindre comme les enfants, simplement, sans calcul, naturellement, loin de toutes formes esthétiques. Sa conception est une recherche de la peinture-poèmes, du poème-images. Pour lui ce qui est considéré comme un crayonnage enfantin est l’apogée de l’expression libre. Par cette vision « naïve » il y voit un art qui s’ouvre vers l’universel dont les images surgissent de l’inconscient : « Par la couleur j’ai le verbe immédiat. » Vous constaterez que la poésie est toujours présente. Retourner au jardin de l’enfance pour peindre comme un enfant et fermer les yeux pour éclairer les étoiles, tel était le rêve intérieur de Malcolm de Chazal, créer des images nouvelles, une effervescence stylistique et chromatique différente. 

Néanmoins, si la peinture occupe désormais beaucoup de place dans le champ de ses nombreuses activités, la philosophie reprendra ses droits, afin de rester un homme droit et debout. Il reste cependant prudent, voire distant envers les erreurs philosophiques. La réflexion philosophique conduit irrémédiablement sur des chemins constellés d’hypothèses, qui demandent à être confirmées. Le vide des choses peut vite devenir le plein du cœur et le sens de la vie ne serait-il pas tout simplement rattaché à « La poétique de la rêverie », pour reprendre le théoricien de la poésie de l’imaginaire, Gaston Bachelard. C’est aussi l’idée du retour à l’être androgyne, forme première, voire biblique de l’humanité. C’est la symbolique fusionnelle du conscient et de l’inconscient, de l’intellect et de l’imaginaire, de la raison et de l’intuition. Tout est là, ici je retrouve le grand principe de Nietzsche : « Retourner à l’état androgyne pour renaître – HOMME TOTAL – » l’homme fondu dans le grand TOUT. 

Malcolm de Chazal, poète, est un merveilleux créateur d’images et je retiens ici deux extraits significatifs : 

« La mer avait ouvert ses cuisses et on sentait l’odeur des algues. »

ou encore : 

« Prends-moi nue dit la fleur au soleil avant que la nuit ne me ferme les cuisses. »  

Malcolm de Chazal est ébloui par l’alchimie permanente les métamorphoses universelles. Parmi ses référents je ne peux pas écarter Krisnamurti, ce grand réformateur de la pensée qui nous invitait à nous méfier des philosophies trop excessives et des religions trop dogmatiques, qui ne peuvent que conduire au sectarisme et à l’obscurantisme : «  La vérité est un pays sans chemin ».

Sous forme de conclusion car Malcolm de Chazal est une sorte de massif montagneux à multiples faces dont l’ascension est d’une haute et dangereuse difficulté. Personnage singulier jusqu’à l’extrême, honnête envers lui-même, il avait une aversion pour les honneurs et distinctions qu’il écartait royalement. Dans sa préface de « La vie derrière les choses » Olivier Poivre d’Arvor écrivit : « Il a eu le tort et la grandeur de n’être point commerçant de ses visions. » Mais il avait cette conscience profonde que : « La seule ivresse du poète est l’inspiration. »

Il y aurait tant et tant à écrire, à dire sur un homme à l’esprit kaléidoscopique, à la pensée tentaculaire, cependant je conclurai ici en rendant hommage à celle qui fut son rayonnement, son alter égo, car il est impossible de ne pas louer la clairvoyance de Jeanne Gerval Arouff, artiste également, peintre, sculpteure, et femme de lettres, qui fut comme une sorte de troisième œil pour Malcolm de Chazal. Comme nous le savons les femmes particulièrement possèdent une sorte de sixième sens, des ressentis intuitifs et des visions prémonitoires, les femmes ont cette notion de l’avenir et dans cette perspective, Jeanne Gerval Arouff pressentira le destin d’exception de Malcolm de Chazal. Elle lui consacrera une grande partie de sa vie, et elle vient de publier avec brio un ouvrage qui est une incontournable somme, d’informations, de réflexions, de témoignages : « Pour MALCOLM de Chazal l’essentiel monolithe ». Ouvrage visionnaire, objectif, lucide et pertinent qui nous donne la preuve, si besoin était, que seule une femme écrivaine et artiste est capable d’une telle preuve de compréhension et dévouement. 

©Michel Bénard. 

Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire,  Edition L’Harmattan. Collection -Accent tonique- Poésie. Novembre 2021.

Une chronique de Michel Bénard

Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire,  Edition L’Harmattan, Collection -Accent tonique- Poésie. Novembre 2021, Format 13 ½ X 21 ½.  Nombre de pages 96.

Préface et traduction du roumain Dana Shishmanian.

Illustrations : 1ère de couverture. Jean Delville. Orphée mort. Huile sur toile 189
4ème de couverture: Autoportrait 1981 

Comme tous les poètes, philosophes, écrivains, épris de liberté et de la défense des droits de l’homme, Ara Alexandre Shishmanian a connu les persécutions de la terrible police politique roumaine, sombre époque du communisme sous le joug implacable de Nicolae Ceausescu. Précautions impératives de survie, il lui fallut quitter son pays.    

Cependant, la philosophie, l’histoire des religions, la poésie, lui permirent de maintenir la tête hors de l’eau et de poursuivre son chemin de vie intellectuelle par des publications, colloques, conférences, en de nombreux pays. Sous l’égide de l’ INALCO il organise à Paris le colloque international d’histoire des religions « Psychanodia.»   

Aujourd’hui je découvre un de ses derniers recueils « Orphée lunaire. » Il s’agit ici d’une œuvre reposant sur le socle des hautes traditions, mais très éclectique et ouverte à la modernité, à la vision de son temps où l’esprit de l’immense, penseur, philosophe et écrivain roumain Mircea Eliade véritable référant n’est jamais bien loin.

L’œuvre d’Ara Alexandre Shishmanian révèle une poésie qu’il ne faut pas forcer, qui impose d’être lue en filigrane et dans laquelle nous devons nous laisser porter, lâcher prise pour être transporté par notre imaginaire et les images qui y naissent. 

Proche de l’esprit cistercien, notre poète a besoin de rigueur, de sobriété, de dépouillement, dans cette crise de modernité en total étiolement, une nécessité s’impose à lui, la renaissance des mythes fondateurs et le retour au sacré dans la ligne conductrice de Mircea Eliade dont la vison gnoséologique, fit de lui un restaurateur et fondateur de l’histoire contemporaine des religions. 

A ce propos d’un retour au sacré, je serai tenté d’en associer l’œuvre d’un immense artiste roumain, Silviu Oravitzan, dont l’œuvre côtoie la transcendance.    

Le poète porte en lui tout le chaos du monde, il en subit les variations, comme une secousse dans le cœur et une déchirure dans l’âme. Il place sur l’abécédaire de son orgue à senteurs, toutes le nuances qui le conduiront au parfum de l’âme, celui que l’on voudrait absolu, proche du Divin. C’est une poésie qui impose la réflexion et s’estompe dans l’ombre d’Orphée. 

Ara Alexandre Shishmanian compose des poèmes qui prennent la forme d’un requiem. Il porte un regard sur notre société en sa folie un peu comme son compatriote le grand peintre Corneliu Baba. D’ailleurs ne nous rapprochons nous pas ici de « L’éloge de la folie » d’Erasme.

Notre poète est dans l’observance de l’humanité et voit les dangers de la folie des hommes, dont nous sommes actuellement au cœur, il y voit une sorte de tsunami en haillons, des anges anxieux, des rêves crucifiés. Le poète a parfois ce sentiment d’être perdu, d’être en situation d’absence, alors il se met en quête des valeurs fondamentales oubliées : « …/…mon indifférence vomit le désert de l’exode où j’ai grandi…/… »

Toujours très délicat que de vouloir poser un regard sur la poésie d’un philosophe, de surcroît un gnostique où le béotien se heurte le plus souvent à la barrière de la connaissance.

Il est vrai que l’œuvre d’Ara Alexandre Shishmanian peut paraitre parfois quelque peu hermétique, cependant, il faut savoir doucement en franchir le seuil et s’en imprégner. 

Le mythe d’Orphée est le fil d’argent de ce recueil, dont l’auteur voit en la poésie un rayonnement universel, un chemin de vie qui pourrait améliorer la destinée humaine, où tout est fugitif, temporaire, fragile et évanescent.    

Par la pensée orphique, qui fut également début XXème siècle un mouvement artistique cher à Apollinaire, notre poète tente lui aussi, d’ouvrir les portes du mystère, sans doute est-ce la raison pour laquelle il use de formules alchimiques et place dans son athanor l’alphabet de la connaissance, pour peut-être y transmuter le poème d’or. 

La poésie est un énigmatique voyage, : « …/… je fabrique des barques à traverser le Styx…/… » une périlleuse traversée qui n’est pas sans nous évoquer l’œuvre fameuse d’Arnold Böcklin « L’ile des morts».

En compagnie de la poésie d’Ara Alexandre Shishmanian, nous traversons des espaces dignes du plus pur surréalisme où : « Les chiens se dessinent tout seuls en disparaissant ../… » Ce qui d’ailleurs me fait songer au film surréaliste de Luis Buñuel : « Le chien andalou. »

Par la poésie notre poète, transforme les mains jointes en coupe sacrée, pour y préserver le sang de la vérité et pourquoi pas métaphoriquement celui du Graal. Il s’interroge sur lui-même au risque de se perdre de nouveau, car après une chute avec les « …/…avalanches ténébreuses des soleils » il est toujours délicat de remonter vers la lumière face aux « …/…avalanches des ombres avec leur noir lent » qu’on boit « en des coupes extatiques ».

Ara Alexandre Shishmanian, fait le constat lucide de notre société où nous ne percevons qu’une sorte de chaos permanent, les leçons des expériences passées ne servant à rien : « Rien n’est plus près du néant qui l’illusion…/… » 

Le poète éveillé, initié, oscille entre l’espérance personnelle et l’aliénation où se profile le spectre de la pensée unique 

Le constat est irrévocable, pertinent et amer, le fil d’espoir attribué à l’homme est ténu ! 

La poésie d’Ara Alexandre Shishmanian nous entraine dans un tourbillon d’images rivalisant avec l’insolite : « …/… l’invisible assassine les mirages…/… »

Par le sourire de son intimité, Ariane serait-elle la passeuse du mystère des syllabes, la porteuse d’espoir au sourire enjôleur, celle pour qui le poète prend conscience que l’amour ne doit pas se faire pesanteur, mais bien au contraire devenir un état de grâce. : « Un souvenir qui caresse les cheveux. »

©Michel Bénard.   

Claude Luezior, Un Ancien Testament déluge de violence, Liminaire et illustration de couverture de l’auteur, Editions – Librairie-Galerie Racine – Paris- VI -ème, Format 13 x 21 ½, Nombre de pages 158.

Une chronique de Michel Bénard

Claude Luezior, Un Ancien Testament déluge de violence, Liminaire et illustration de couverture de l’auteur, Editions – Librairie-Galerie Racine – Paris- VI -ème, Format 13 x 21 ½, Nombre de pages 158.


Cet ouvrage récent du Claude Luezior « Un Ancien Testament déluge de violence » est sans doute dans sa longue bibliographie une de ses œuvres la plus révélatrice, mais également la plus lucide et à n’en pas douter la plus incisive. 

L’Ancien Testament ! Nous le savions, mais c’est pour le moins sidérant, car au-delà de toutes ces horreurs divines, il s’agit bien parait-il d’un « bon Dieu » d’amour et de compassion. Cependant les révélations donnent froid dans le dos.

Il est des livres dits Sacrés ou Saints qu’il vaut mieux ne pas mettre entre les mains de certaines personnes fragiles ou avides de pouvoir, ce qui pourrait leur donner de très mauvaises idées, car, de par leurs penchants naturels, ils n’ont vraiment pas besoin de conseils douteux ou mal interprétés.

Quant à prêter serment ou jurer sur la Bible cela peut apparaitre comme une insoutenable hypocrisie et un mensonge éhonté. 

Au travers de son ouvrage « Un Ancien Testament déluge de violence » Claude Luezior ne porte aucun jugement, simplement il se place en simple observateur. Belle clairvoyance sur ces plaintes mortifères ayant poussé sur un terreau dénaturé.

Claude Luezior soulève et remet en question les aspects majeurs des livres Saints ou Sacrés, censés nous oindre des huiles de leurs sages paroles ou aphorismes, alors que le plus fréquemment ce n’est qu’un déferlement de violence, de haine, de vengeance, d’intolérance, bien évidemment le tout brodé par les fils de l’ignorance. 

Claude Luezior ne fait que souligner les points sensibles et les excès des religions, des controverses, des révélations aveugles et primaires, des drames oubliés ou détournés par les absurdités de certaines lois dites divines.    

La légende perdure, Dieu créa l’homme ! Mais à n’en pas douter il semblerait que ce soit plutôt l’homme qui créa Dieu ! Mais à qui adresser la plainte pour cette supercherie ? Cet Ancien Testament était déjà la base fondamentale de La Commedia dell Arte. Même les enfants auraient du mal à cautionner ces bouffonneries. Mensonges, délations, trahisons, incestes, sodomies, toute la panoplie du genre humain de la plus méprisable espèce.

Ici, le souffle divin n’est guère porteur d’amour, il dispense des senteurs de génocides, de terres brulées, de crimes contre l’humanité avant le nom, la grande farandole biblique s’organise, le tout cautionné par la sainte contribution des miracles inexpliqués autant qu’inexplicables.

Claude Luezior nous offre un ouvrage qui extirpe de l’ombre les esprits obtus en dénonçant les inepties des religions, sans parler des multiples duperies et arrangements des écritures apocryphes. Simple jeu de bon sens.

C’est à croire que l’histoire se renouvelle malgré l’expérience du passé et les dangers programmés. Les incohérences, les infantilisations, les grandes mascarades et bouffonneries prennent la dimension de la mise en scène biblique. Les absurdités sont pléthores.

Notre poète souligne ou ironise sur l’absurde kafkaïen des situations, les constats sont multiples et croustillants, il suffit de lire simplement cette démonstration biblique où carnages, guerres, génocides, lynchages, mise à mort ou ce besoin de juger sont toujours à l’honneur. Dieu en sa grande mansuétude est juste et bon, ses actes ne peuvent être remis en question ou gare ! Sans oublier que notre Dieu tout puissant a ses serviteurs zélés dans la lignée des Savonarole en autres où les buchers purificateurs ne sont jamais bien loin.

Inepties, controverses, aberrations sont de mises à chaque page du Saint Livre. Même sur le plan de la symbolique la plupart de ces préceptes bibliques, ne sont qu’interprétations des lois en fonction d’une cause ou d’une autre, l’ensemble se révélant être que d’inquiétantes incohérences.

Claude Luezior qui a le sens de l’humour, n’en a pas moins le sens du sacré, du mysticisme, se pose la question devant les épouvantables colères célestes : « Vous avez dit bon Dieu ? »

C’est sous cette éclairage courageux, lucide, critique, mais toujours objectif, que notre poète évoque tout le questionnement que peut soulever ce livre, ces livres prétendus Saints.

Mais avant de conclure, il me semble que tous les auteurs, traducteurs, exégètes et théologiens de tout ordre auraient dû consulter Erasme, auteur de l’ « Eloge de la folie » qui sans  doute aurait trouvé le remède et les aurait aidés à démêler tous ces imbroglios bibliques au risque lui-même d’être frappé par la colère divine.   

« Le nombre de fous est infini. » (Ecclésiaste 1, 15, selon la Vulgate.)

Un espoir cependant, tout à la fin de cet ouvrage qui comporte plus de 350 citations bibliques: Claude Luezior, qui ne prétend nullement être un théologien, distingue bien entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Perspective humaniste et de paix entre les peuples, au milieu de ces plaies d’Egypte et affres d’ailleurs : ce qui est rassurant, c’est que le premier à les avoir remis en perspective est un rebelle d’un nouveau genre, incarnation du pardon et de l’amour, le Nazaréen Jésus Christ.

Lisez ce livre « Un Ancien Testament déluge de violence » vous serez étonnés, voire bousculés dans vos convictions, mieux, d’accord ou pas d’accord avec les dits de Claude Luezior vous serez emportés dans la spirale d’une interrogation qui ne vous laissera pas insensibles.  

©Michel Bénard

Monique W. Labidoire – Voyelles bleues, consonnes noires –Editions ALCYONE – Collection Surya –Illustration : Encre de Silviane Arabo – Neige – Format 14×21 – Nombre de pages 86.

Une chronique de Michel Bénard

Monique W. Labidoire – Voyelles bleues, consonnes noires –Editions ALCYONE – Collection Surya –Illustration : Encre de Silviane Arabo – Neige –  Format 14×21 – Nombre de pages 86. 

Ponctué d’espace et de silence, c’est pourtant une longue histoire d’amitié et de poésie – nos regards portant dans la même direction – qui me relie à Monique W. Labidoire et c’est avec forte émotion et bonheur que je découvre aujourd’hui « Voyelles bleues, consonnes noires », le dernier né d’une déjà longue lignée, qui s’est nourri de toutes les graines d’expérience des ouvrages précédents. 

Les concessions ici ne sont pas de rigueur, car nous découvrons une poésie hors mode, à contre-courant qui n’a de cesse d’écarter les surplus et autres accessoires de la versification traditionnelle, afin de mieux retrouver la voie de l’émotion pure. 

Chez Monique W. Labidoire nous croisons de rares et belles images touchées par la grâce de l’insolite et de l’inattendu. C’est une écriture d’orfèvre de haute lignée, le verbe est riche, nourri des plus subtiles nuances de l’interrogation, mais aussi de l’affirmation. 

Notre poétesse prend la parole par la main, comme une compagne de route et la glisse dans sa besace pour en faire son viatique.

Il y a dans ce recueil une notion de pèlerinage fractionné de stations. C’est un langage qui nous étonne, nous surprend, il ne nous est en rien familier, mais nous offre cet intérêt où tout est remis en question, le mode de pensée est revisité. Monique W. Labidoire se détourne des reflexes, s’extirpe de la banalité et des sempiternels clichés du verbiage poétique commun. Elle détient l’esprit du guide qui ouvre des voies nouvelles, ou tout du moins autres, en restituant à la poésie son sens du sacré, notion qui actuellement a tendance à s’étioler :

 « Il est temps d’ancrer le chant au firmament des étoiles…/… »    

Afin de demeurer crédibles, nous devons considérer cette œuvre comme étant de la poésie de haute couture où les mots sont précieusement tissés et où le verbe est brodé de fil d’or.

Le temps passe, préludant la chute inévitable, cependant l’interrogation demeure face à l’inconnu et le poème en appelle au sens. Là où Arthur Rimbaud voyait des voyelles multicolores, Monique W. Labidoire les voit en bleu. Son langage est très singulier, personnalisé à ce point que le simple jeu musical de l’écriture signe le poème. Cette dernière demeure sensible et attentive à l’instant qui déclenche en elle une soif de désir et de plaisir. Elle cultive ce besoin impérieux de faire renaître la mémoire de son « maître » Eugène Guillevic, jamais elle ne manque l’occasion de le mentionner, de lui adresser un petit clin d’œil complice au-delà des nuages : « Le monde se résume/ Sans se réduire. » (1)

Langage riche et ciselé portant haut une poésie qui est un long chemin s’associant au destin, tout en donnant sens et forme à la vie. Une poésie qui parfois réveille une vision de l’ultime, qui interroge tout en écoutant au loin le glas qui résonne avec pour battant l’énigme des mots tissés à la vie.

Entre ces pages la poésie est vécue telle une expérience, une émancipation, une élévation possible de l’homme et de la parole où se profilent beaucoup de possibles, comme celui de prendre en plein cœur le nom « fraternité. »   

Néanmoins il arrive à notre amie de se sentir en perdition, de chercher sa route au cœur d’une croisée et de faire le point.

Monique W. Labidoire appartient à cette confrérie de poètes qui cherchent d’autres vibrations, d’autres sonorités, afin de s’extirper de la parole convenue. Elle cherche un renouvellement, un paysage vierge qui s’offrirait à sa plume toujours en quête d’audace et d’étonnement.

Sur la voie d’une authentique poésie, sans cesse son auteure est confrontée au questionnement des signes posés sur la page blanche où l’interrogation en arrive à perdre la raison et où le verbe se dénoue de sens.

Les authentiques poètes se font voyants et qui oserait en douter lorsque quelques mois avant le préoccupant épisode pandémique, notre amie écrivait :

« …/… marionnettes sans ressorts s’enfonçant dans les nouveaux bourbiers du monde, ce monde ruiné de ses richesses pillées par les barbares. »       

Par le poème, restituer la vie, fédérer  l’espérance, tel est le crédo de notre poétesse.

Au fil du temps, il arrive que le poème amasse mousse pour revenir vers son auteure en heure de gloire, en odeur de sainteté, tel le fils prodigue que le poète retiendra pour son œuvre.

« Ce jour, auprès de vous, le poème veut revenir. » 

Le poème invite à l’errance vers des paysages oubliés, il réveille des images enchantées, chargées de beauté, mais se heurte au mur de la mémoire et à la douleur récurrente.

« …/…toute cette mémoire de mots-images qui ont gambadé dans les campagnes…/… »  

« …/…et j’ensable mes souvenirs et mes morts sur la grève afin que le ressac les féconde. »

Ici certaines images se dissimulant dans les brouillards de la Shoah ne sont pas loin.

Le poème se fait gerbe florale en son jardin obscur et parmi de nombreux au titre de l’exception, je soulignerai un magnifique texte dédié à Alain Duault, poète, écrivain et musicologue de renom, qui n’est pas sans évoquer les voleurs de feu que sont les poètes chers à Arthur Rimbaud :

« …/…j’ai laissé entrer l’autre poète, mon frère, afin de partager le plus intime…/…les consonnes apatrides, les voyelles étrangères qui prennent sens dans le feu volé…/… »     

La poésie remonte toujours à une source que l’on croyait tarie, une étoile que l’on pensait éteinte et que l’on retrouve écumante ou brillante comme à l’origine.

« Au matin d’un nouveau monde y aura-t-il toujours un cœur palpitant au rythme des étoiles en quête du chemin ? »

Monique W. Labidoire a quelques velléités picturales en colorant ses voyelles en bleu, comme si elle souhaitait nous faire un petit rafraîchissement de printemps ! Mais qu’en sera-t-il demain ?

Le temps est venu de vous quitter et je ne saurais trop vous inviter à vous imprégner intimement de ce recueil, dont je n’ai plus qu’un mot à vous dire « rêvez ! » pour clore cette réflexion en partage avec Monique W. Labidoire en lui souhaitant que cette source se tarisse le plus tard possible et qu’elle veille encore longtemps sur la proue de la clairvoyante beauté.

Il ne vous reste plus qu’à retrouver les symboles et plus particulièrement les signes que cet ouvrage contient pour vous. Alors : 

« Voguer au ciel de traîne jusqu’à la définitive rencontre des goélands …/… » 

©Michel Bénard.

(1) Eugène Guillevic extrait de « Magnificat »