Barbara AUZOU, Francine HAMELIN, JE SUIS L’ENVOL, Livre d’artiste, Ubik-Art-Editions, 2024

Barbara AUZOU, Francine HAMELIN, JE SUIS L’ENVOL, Livre d’artiste, Ubik-Art-Editions, 2024


 À multiplier les « elle », l’envol ne peut que gagner en puissance et en délicatesse. Après la magnifique, élégante préface de Nicole HARDOUIN, elles sont deux : Barbara AUZOU et Francine HAMELIN, sur la même branche de l’arbre premier, celui de la création poétique pour un grand œuvre d’artiste à quatre ailes !

« Nous sommes d’avant les étoiles et nous y retournerons à faire pâlir les ténèbres, nous disait ailleurs Dominique Sampiero, notre corps pourrait marcher sur l’eau, le ciel, le silence même, s’il se souvenait du pays avant le pays »

Poètes et sculpteurs, eux, se souviennent de ce qu’André Dhôtel nomme  » le pays où l’on n’arrive jamais », ils l’empruntent bien avant l’âge de raison car, l’instinct le leur dit : seul le chemin de l’éternelle quête compte !

Retrouver la verticalité d’une présence dans le gisement de profundis de pierre d’albâtre et lui faire redécouvrir la lumière…Se souvenir que dans l’albâtre repose tout un gisant de coquilles d’éternité, paupières closes. 

Francine HAMELIN dans son Québec enneigé nous fait redécouvrir cette palpitation de vie en dormance dans les veines du passé…Ces sortes de présences sur le gisant de la pierre enfouie, il suffisait de les débusquer afin que le néant cesse d’entasser le néant.

Il y a tant d’in-fini à caresser pour les mains de l’artiste que le mot  »gésir » n’a plus son pesant de mort et redevient  »désir ».

« Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église… » Parole d’évangile ! Mais s’il s’agissait de la foi en Dieu, ici, il s’agit de la foi en la vie, en la beauté sans cesse renaissante, et surtout en la foi de cette présence créative que nous avons tous en dormance sans laquelle nous ne serions plus que cendre.  

Les titres des œuvres sculptées qui donnent le  »la » à la parole ailée de Barbara AUZOU, disent tout sur le sens de ce grand œuvre :

Vers les profondeurs – Esprit des neiges – Esprit des brumes – Petit esprit familier de la terre, de l’arbre, de l’aurore, des nuées, du soleil, de l’aigle… » 

Tout n’est qu’esprit s’élevant de la pierre blanche et tendre d’albâtre. 

Et voilà que ce Tout, caressé par cette plume magique devient quelque chose d’unique et de profondément humain, quelque chose de »très proche d’une élégance cardiaque »( page 11)

Les œuvres sont accompagnées par une musique de l’enfance des mots, d’une manière aussi forte, et avec autant de certitude que les impératives paroles de la chanson de Jean Jacques Goldman : « Envole-moi ! ». Cette puissante quête d’élévation n’a plus guère de secret pour une plume qui écrit : 

 « Je m’accroche au front des archipels…J’ai un oiseau à l’âme / qui mesure la vague éternelle »( page 35)

« J’ai si peu de goût pour le geste arrêté / dans les nirvanas du vide / pour la vie médusée aux lisières du sensible / que, toujours je convoque l’oiseau dans mon destin/ et sous ma peau( page 57)

Barbara AUZOU et Francine HAMELIN : un merveilleux pas de deux, un murmure d’abeilles unies, l’une sculptant avec amour les alvéoles du rêve et l’autre y déposant son miel.

 »JE SUIS L’ENVOL » : cette ruche d’éternité où chacun peut enfin sortir de la gangue du quotidien, se refaire une fraîcheur dans l’éternel et sidéral ricochet des mots et du geste poétiques : la vraie vie de vertige  »au-dessus d’un nid de coucou », un pied serti dans l’enfance !

 À une époque où tout n’est que vieille violence humaine ressurgissant du passé  »dans le reflux incessant des brutalités » : Lire « JE SUIS L’ENVOL » : ce livre d’artiste contenant 46 photos de touchantes, modernes et fortes sculptures d’albâtre de Francine HAMELIN et autant de poèmes magistraux  de Barbara AUZOU : Quel beau programme !

  »Aucun jour qui n’invente l’amour…  »c’est merveille comme nos corps / comme nos mains d’arbres affectueux / n’y trouvent jamais leur fin’‘( page 57)

Olivier DESSIBOURG, « L’OURS ET L’OURSIN », Fables, Illustration Debuhme, L’Harmattan -2024

Olivier DESSIBOURG, « L’OURS ET L’OURSIN », Fables, Illustration Debuhme, L’Harmattan – 2024


Une première de couverture aux couleurs très gaies et modernes, du genre BD de qualité créée par Debuhme, donne le ton du livre, grâce à ce groupe d’animaux  »humains » déroulant  un papier qui a tout l’air d’un long message hilarant.

TRENTE DEUX FABLES dont les protagonistes sont des animaux que l’auteur charge de nos défauts humains grâce à une fine verve humoristique telle que mille détails vous  »sautent au visage » au point de créer des éclats de rire à répétition…

« La mouche du coche », devient ici mouche qui prend la mouche et s’allie à toute la faune pour  »préparer un putsch  », de plus, le bruit court, qu’avec ses congénères elles  »mordaient le toutvenant, car au fond de leurs bouches avaient poussé des dents » ; un détail qui fait mouche oserons-nous dire ! Et d’ailleurs, le fameux chemin, montant, sablonneux  » de La Fontaine s’étend ici à toute la faune, et  il va falloir en découdre car de fil en aiguille c’est d’une guerre mondiale dont il va s’agir !

Et voilà comment d’une broutille naît une brouille  »sans foi ni honneur » qui fait boule de neige et finit en boulets de canons. Ce fablier est une mine de trésors ! On y trouve l’exemple positif de l’écureuil qui, d’un naturel rêveur, déposant ici et là des provisions permet une leçon :  »Quelques dons en sursis qui serviront aux autres » ( p 73)

 « La chèvre et la cigogne »( p 27) ridiculisent la  »bien-pensance » de fort comique manière, tant il est vrai que de nos jours on ne peut plus parler de  »différences » entre les hommes sans être traité de raciste.

 « Le chaton et la pie »( p 19) ; la pie folâtre et consumériste amasse des trésors que la foudre vise et détruit : conclusion ;  »Rien ne sert à nos biens d’être thésaurisés »

 « L’orang-outan »( p 15) et le pouvoir : magistrale démonstration qui illustre de façon radicale l’inévitable  »chute » brutale à tour de rôle des puissants et des tyrans !

TRENTE DEUX FABLES dont certaines absolument hilarantes et dont il faut ménager la surprise, je citerais d’ailleurs en rime avec  »surprise » : 

« Vous verrez, des idées, j’en ai plein mes valises » ( p 21)

Formidablement étudiée, la nature humaine, ici rendue grâce à une écriture classique mais exaltée par l’humour, devient un feu d’artifice qui vous éclaire un grand pan de ciel tel un miroir où, de façon inattendue, parfois vous vous reconnaissez…hilarante surprise !

 L’OURS ET L’OURSIN : 32 fables d‘Olivier DESSIBOURG, jeune écrivain né en 1984 à Fribourg (Suisse). Titulaire d’un master de l’enseignement privé, il exerce depuis 13 ans dans le primaire et le secondaire. Grand amateur d’histoire, de philosophie et de théâtre, ce jeune auteur s’est lancé avec bonheur dans l’écriture. 

Une oeuvre qui augure d’une suite riche en rebondissements !

Barbara AUZOU,GRAND COMME, Préface de Ile Eniger, Poèmes,éditions unicité.

Barbara AUZOU,GRAND COMME, Préface de Ile Eniger, Poèmes,éditions unicité.


Une sorte de murmuration d’oiseaux qui passe au-dessus d’un arbre, le premier sans doute de la création, telle se présente la sobre et belle illustration de couverture signée Francine Hamelin qui sait sculpter la poésie jusque dans le marbre.

GRAND COMME, dès ce titre ouvert on pense à l’enfant qui ne trouve encore les mots pour dire son amour :  »Je t’aime grand comme ça–, dit-il en écartant les bras, ou bien  »Je t’aime jusqu’à la lune » répète-t-il en élevant le bras vers le ciel. Barbara Auzou prouve par ce titre qu’elle garde pour la vie un appétit d’enfance à la fois neuf et sans limite :

 »nos yeux d’horizon ne sont jamais que l’intérêt infini que nous prenons à vivre » 

 Elle est partie prenante de ce cycle élevé, infini, et toujours neuf de la vie ; 

 »la lumière est venue de très loin et à pied / elle s’est installée dans nos silences alternés / dans nos rides

Oui, le temps passe, et parfois non sans dégâts de tous ordres, est-ce une raison pour ne parler que de déclin alors que tout vit et renaît sans cesse en ce Grand Tout qu’est le monde ? Les enfants qui vivent à fond l’instant pensent-ils à la déchéance, à la mort ?

 »Et vois comme on égale les dieux là parmi les arbres tapis d’enfance qui se partagent nos noyaux./ …et les étoiles qui dansent là-haut »

 »Pour vivre heureux vivons cachés » n’est pas le choix de Barbara Auzou ; pour elle, l’amour est inclus dans le cycle du monde au présent perpétuel avec, au jour le jour, et toutes les nuits, la quête de la joie à l’horizon :

 »C’est un envol les yeux ouverts qui a pris la dimension des choses regardées / enfin / et qui se tient loin du grand rouleau des peurs »

car, la poète le sait depuis la petite enfance :

  »La lumière est parfois quelque chose de plus que la lumière »

Si chez certains, les mots se multiplient, se salissent, se galvaudent et souffrent d’être une langue, chez Barbara ils ont gardé leur souffle premier, leur liberté native accompagnée de pauses d’écoute, tel le rossignol alternant musique et silence dans son chant d’harmonie qui s’élève au delà de la nuit :

un amour Grand comme un couchant qui vous transporte

Je n’ai jamais rien vu d’aussi inouï ni d’âme ni de corps

que ce soleil ce soir si tendrement mourant 

et notre silence passe au travers comme un oiseau tremblant

et me voilà confiante en d’autres espaces »

Ainsi nous sentons-nous à la lecture de ce recueil, comme l’oiseau ému, emplis de  »trouées d’enfance » et de  »lumière de première main » 

Il reviendra alors à chacun de relire ce recueil ainsi que son titre  »GRAND COMME », et de le mesurer à son idéal de vie personnel ; nul doute que le » rossignol  »de l’âme ne quitte la cage pour rejoindre l’immensité de la poésie, celle surtout qui élève et dont Barbara Auzou nous donne le la

Barbara AUZOU, TOUT AMOUR EST EPISTOLAIRE-Tome II, (Z4 éditions)


 Une centaine de lettres au jour le jour, voilà ce que comporte ce livre dont vient d’être édité le tome II :«  Tout amour est épistolaire » dont l’ensemble couvre la période de juin 2021 à juillet 2023. 

Nous conservons, ici, cette atmosphère vraie, liée à la terre, à la vérité du moment, à la lucidité, à la profondeur de vie qui caractérisent l’auteur, enseignante habituée à ne parler du passé que pour nourrir le présent et le futur de possible joie, et en aucun cas de se repaître de négatif. 

Soyons honnête ce qui caractérise souvent la lettre d’amour c’est l’expression du manque, sensation négative qui se traduit toujours par une plainte répétitive due à l’absence de l’être aimé. Deux chemins sont couramment employés par les écrivains : soit la déploration tout au long des pages, soit l’abondance de rappels de scènes d’amour, voire de sexe exacerbé, qui réjouissent le voyeur. Rien de tout cela ici. Aucune jérémiade. Bien au contraire :

 »Et moi, je sais que la vie me prendra par le col par le vent et par l’envie bien plus que par son halo de nostalgies » ( P.8)

L’auteur prend le parti du positif, aidée en cela par une profonde implantation dans la nature vivante et par le fait, sans doute, de côtoyer les enfants ( rappelons que Barbara Auzou est aussi enseignante de la langue française)

 »Tandis que la terre suture ses soifs je m’en vais vers les choses nourricières. C’est que j’ai à nourrir l’innombrable famille de nos sourires ( P.13)

Notons bien ce trait particulier à la poésie de Barbara Auzou : aller de l’avant et de façon positive tous les sens ouverts au monde qui l’entoure.Toutefois, cet amour vivant, que l’auteur salue au jour le jour, n’est jamais un prétexte pour oublier les réalités du monde. La lucidité s’impose à un écrivain enseignant qui a le sens des qualités républicaines, Barbara ne peut passer sous silence  » l’histoire d’un monde qui se croyait fort et paisible et qui réapprend la haine’… car …C’est l’histoire de valeurs qui se laissent bâillonner »( P.52)…Je retourne ce mardi battre le pavé plus loin que le chagrin…/…avec la même entièreté que je mets dans la poésie »(P.54)

La poésie de Barbara Auzou demeure positive quoiqu’il en soit du monde ; jamais elle n’oublie la beauté de la nature dans son immensité, car, pour elle

 »de la fréquentation du beau naît toujours une fleur »(P.64)

C’est ainsi que se présente ce livre, préfacé par Jean-Louis Thiar, un recueil tel   »un bouquet de tessitures sincères ».

L’amour dans la vie, jour après jour, et la vie sociale bien ancrée au sein de la vraie nature, voilà qui donne une force approchant le miracle :

 »et j’ai souri quand j’ai reconnu notre amour dans l’élégance d’un lys debout sur l’aurore »( P.82)

Merci à Barbara de nous apprendre que la correspondance d’amour peut être, non pas une complainte à épisodes, mais un tendre chemin vital plein de surprises poétiques !

Pierre Guérande, Rendez-nous les étés de notre âme suivi de Escales bretonnes -Ed.Panthéon 2024-Préface de Michel Ducobu – Illustration de couverture de Christiane Troch.


« Porteurs d’inachevé, en rupture avec leurs semblables, les poètes sont-ils ces êtres désignés qui tentent désespérément de traduire une langue rescapée du bannissement et que nous aurions héritée d’un inconscient originel? » (Claude Luezior- Au démêloir des heures)

                   Dans Rendez-nous les étés de notre âme, il s’agit bien sûr de cela puisque l’éternelle jeunesse nous échappe, mais nous la gardons en mémoire et c’est ce que Pierre Guérande va mettre en exergue dans ce recueil en décrivant de façon précise et sans longs discours ces élans d’enthousiasme vécus par tous en cette prime jeunesse qui nous semblait éternelle, ces élans vivants que nous pouvons convoquer et voir surgir à la moindre occasion :

 »Quand l’âme aiguisait son lexique / aux lèvres nues des lycéennes ( Ces étés-là.)

Pourtant les années s’écoulant appellent à la réflexion :

 »le zénith n’est jamais bien loin / en ces instants de pure extase » ;( L’oracle)

Mais pour un cœur de poète musicien comme celui de l’auteur, il est toujours temps d’admirer ce qui peut nous  »enchanter », comme la grâce d’un ballet où :

 »S’impose en vibrations ferventes / le choeur des tendres ballerines » (Vibrations)

Puis c’est le grand Stravinsky qui animera des scènes roses et bleues de Manet :

 »Tout un théâtre d’Arlequin / sonde les fonds marins des transes / parcourt les reins des comédiens /dans un concert de dissonances ( Pulcinella)

Allons ensuite faire un tour auprès des beautés du Louvre qui n’ont pas pris une ride, elles ?

 »Samothrace a perdu la tête, / les bras m’en tombent, dit Vénus / C’est assez dire que pour plaire / un certain manque ne nuit guère » ( Au Louvre )

                   Ainsi, nous voyons comment, avec un peu d’humour, il est élégant de parler du temps qui passe. N’est-ce pas plus salutaire que certaines tirades sur la vieillesse qui vous précipitent corps et âme dans la première flaque de désespoir ?

                  Suivront trois hommages à la Bretagne chère au cœur du poète Pierre Guérande :

La cathédrale Saint Corentin-Quimper où  »les regards éperdus dès le portail franchi font une haie d’honneur aux gisants gaéliques »

-Rivages gris des Cornouailles : »le rivage ne tient que par la grâce ultime des mouettes  filant sous l’averse d’argent »

-Baie des Trépassés: »On sent dans les cordages de notre âme passer le vent des Trépassés »

-Messianique :où le poète -musicien ( organiste, entre autres instruments) se fait peintre :

 »La mer affine ses efforts d’être un peu plus bleue chaque jour..sur des fonds Véronèse  »

                  Et voici enfin le merveilleux cadeau final inattendu, présenté avec humour :

 »Trois proses pour la route  » 

Tout d’abord, l’auteur s’émeut de  »l’étrange humanité des campagnes désertes »

Arrive alors l’étude d’un portrait de Rembrandt :  »La jeune fille aux boucles d’oreille’

Et enfin, comme en conclusion, les mots si savoureux du musicien , car comment parler musique sans la chantante langue italienne qui sert tout à la fois les joies du corps dans la danse, la transe amoureuse, et aussi celles de l’âme dans les paroles papales…

 »Les mots de la musique »

Appassionato…larghetto…agitato… scherzando…et con fuoco !

Pierre GUERANDE, une plume musicienne qui enchante par sa justesse, sa profondeur, son sens de l’humour élégant, et sa capacité à vous laisser un accord parfait en mémoire.