Traversées, N°107, 2024, II 232 pages, 1numéro: 15€, abonnement à 3 numéros: 30€.


Comme le rappelle Xavier Bordes, dans l’édito, la revue Traversées se consacre régulièrement à mettre en valeur la tâche difficile de la traduction en poésie. On ne saurait se satisfaire d’une traduction automatique car « les connotations sont la saveur du mot, ce à quoi il fait penser dans la culture d’un peuple. Et c’est de ce tissu allusif que jouent les poètes pour inventer la réalité (le ton poétique) de leurs univers et faire ressentir cela à leur collectivité, lecteurs et lectrices .»  Il serait dommage de voir « se dissiper l’essence proprement humaine des langages » à cause d’une traduction inadéquate ou robotisée.

Ce qui importe, nous explique Xavier Bordes, « c’est l’ambiance, le climat psychologique, la façon de sentir, de voir, de comprendre, de ne pas comprendre que propose un écrit ou une oeuvre. » Pour le poète et traducteur qu’il est, poésie et traduction sont des activités complémentaires, songeant en cela à l’oeuvre de Joë Bousquet « Traduit du silence ». On ne pourrait trouver meilleure formule pour résumer l’essentiel de l’activité poétique. On traduit le silence, on traduit depuis lui.

Avant d’entreprendre la lecture des poèmes, j’ai songé à mon désarroi face à des textes en latin qu’il me fallait traduire pour un examen, sentant bien que le sens de la phrase pouvait basculer à cause d’une allusion propre à l’univers de l’auteur ou à la nature même de la langue et qu’une traduction trop littérale ou au contraire trop éloignée risquait de faire disparaître. Sur ce fil tendu, il fallait donc avancer avec précaution comme si la vie en dépendait.

De ces années d’études, je garde un goût pour la justesse, la précision dans le choix des mots et des images mais aussi, j’apprécie l’exercice mental de lire le texte dans une langue et puis de découvrir ce qu’il est devenu dans une autre. Même dans le cas où je ne dispose d’aucune compétence. L’exercice révèle toujours la beauté du geste de traduire. Cela correspond à l’émouvant vertige que l’on ressent en regardant du haut de la colline que l’on vient d’escalader, tous les écueils et dangers que l’on a réussis à éviter. Cet instant précis d’une traduction aboutie nous révèle les profondeurs du langage.Traduire, c’est de la haute voltige. 

Sans la traduction, aurais-je pu sentir ce sentiment de révolte, cette blessure qui me force à regarder la solitude, la détresse, le désespoir presque chronique qui frappe l’homme dans « Dead End Street » « La rue sans issue » de Ray Davis, ou dans « Caroline says » « Caroline dit » de Lou Reed ?

Existe-t-il donc autant de blessures qu’on ne peut soigner car on ne veut surtout pas en entendre parler?

« Prenez garde citoyens! » « ! Cuidense ciudadanos! « nous crie Indran Airthanayagam  dénonçant les conditions de vie de ceux à qui l’on arrache la langue, la culture et la dignité en même temps. Il y a ce très beau texte « La fête des fantômes » au quel on ne peut répondre car ce serait se résoudre à accepter l’inacceptable, s’acclimater à une situation de souffrance de l’autre.

Ton nom effacé surgit sur le bord de la route,
une route sans chemin ni véritable but,
sans le gaspillage de ce que tant de gens convoitent.

quelque chose de vide que l’on croit plein. 

Je reviens d’une fête de fantômes,
et aucun d’entre eux ne te ressemblait,
ils étaient tout de vengeance, de tristesse,
d’incompréhension, mais toi, tu es différente,
Il n’y a qu’une seule chose entre eux et entre toi,
qui n’ont qu’une seule chose en commun et où
ils se confondent par instant.
Et ce n’est pas vraiment une chose 

C’est une molécule d’ardeur et d’attention affable,
la chose vraiment commune entre les fantômes et toi: c’est moi »

La légèreté, la brièveté des courts poèmes de la poétesse Pirkko-Inkeri Tammen nous titillent avec délicatesse. On ne peut se satisfaire de l’ordinaire, la traduction transmet un désir de qualifier le quotidien, d’épurer le regard, la vision. Le message à transmettre est celui d’apprendre à regarder.

« Fine couche nuageuse
qui ne contenait pas une goutte de pluie
ne fait que passer. »

La poésie des autochtones d’Amérique ravive chez moi le désir de prendre le parti de tous les humains, là, ici et partout ailleurs sur la planète qui prônent une manière de vivre ne se basant pas sur le profit, le dépouillement de l’autre. Ils sont comme les témoins vivants d’un rêve, ils font exister l’espoir de sortir de l’impasse dans laquelle le monde capitaliste nous a plongé.  

Les poèmes dénoncent mais aussi proclament haut et fort qu’un autre monde existe, est possible. La traduction efface certaines frontières. 

Et puis l’on revient aux poèmes qui aiment, qui proposent un quotidien.  Parfois, le poème énonce ce à quoi la vie jamais ne nous prépare pas. Les mots nous tiennent debout, fixent un horizon. 

« La maison, les choses du quotidien,
le salon paisible
sous la lumière d’été
l’homme assis à table
qui parle joyeusement
le vêtement sur la chaise
mes mains sur la feuille de papier
le mot décédé
à côté du nom de mon fils.

 (Francesca Del Moro, traduit de l’italien par Irène Duboeuf) 

On découvre comment le monde las disparaît dans le brouillard, Il est des poètes qui passent d’une langue à l’autre, comme les oiseaux sautillent d’une branche à l’autre. 

Il est des langues qui me font prendre conscience de ce qui se perd dans les limbes lorsqu’on essaye de traduire. Une langue qu’il ne me faut pas traduire pour la comprendre, la sentir: la langue néerlandaise. Sa complexité raisonne comme une évidence. Il n’existe pas d’équivalence qui reprenne toutes les connotations, les sous-entendus de celle qui est ma langue paternelle.

Ce numéro invite son lecteur à mesurer, apprécier sous bien des aspects le travail de traduction. Il suppose bien des qualités aux traducteurs et poètes qui ne se limitent pas à de simples connaissances techniques, il suppose une vision humaniste du monde, une éthique, un savoir aimer. Il rappelle à qui veut l’entendre que l’on ne traduit pas du silence en passant forcément par les mots. Monique Voz et Pauline Le Roy choisissent parfois la peinture comme d’autres choisissent la musique. Tous les auteurs de ce numéro pointe un abîme, un seuil, un ciel, une franche, un horizon et il est merveilleux de pouvoir s’en émouvoir dans une langue, la langue poétique. 

 Une carte de voeux


   Le philosophe (et anthropologue) Michel Guérin – né en 1946 – divisait le geste humain en quatre grandes catégories : le geste du travail (faire), le geste de donner (échanger, confier), le geste d’écrire (de marquer des signes), et celui, enfin, de danser (de mouvoir l’harmonieuse liberté d’un corps). Voilà que recevant, il y a quelques jours, cette carte de voeux du graveur Marc Granier, saisi par sa belle complétude, je sens qu’elle conjugue ou conjoint ces quatre gestes : d’un seul envoi, Granier fait, il donne, il inscrit et il « danse » (en tout cas, il fait surgir, en image, les plis rythmiques et les traits de présence autonome du monde). Avec la sobre et énigmatique puissance d’un talent qui semble – comme un démiurge – nous résumer l’univers : on évide ici ou là une planche (ici, enduite d’huile de lin) pour en imprimer les reliefs obtenus; et voilà, devant nous, une « épreuve » du Gard cévenol en personne !

   Cette carte de voeux m’a touché, car les voeux illustrés sont précis et fidèles : exactement comme cette image à la fois conduit rigoureusement notre oeil sur elle et laisse tout loisir de conduire notre rêverie dans ce qu’elle suggère, ce qu’elle nous souhaite est à la fois de bénéficier (par chance) des quelques hasards heureux de l’année qui débute, et de forger (par discernement et ardeur) nos appuis privilégiés et nos accès personnels en elle. Comme la production même de son image l’indique, Marc Granier nous souhaite de savoir évider où il faut, marquer où l’on peut, nous faire voir à nous-même autant qu’on peut … le paysage (et en réalité, le pays même que le temps forme) de l’opportunité qui s’ouvre de douze mois d’existence !

    Le monde qu’avait l’artiste devant lui a, bien sûr, trois dimensions; et, trois aussi, le monde où se tenaient alors son carnet, son appareil-photo (?) et son corps même. Les deux dimensions de cette image (comme de toute image) font alors penser à deux mondes (celui du regardé et celui du regardant) qui, adoptant une sorte de frontière commune en ce rectangle de carton, viennent ensemble y perdre une dimension, comme sacrifiant quelque chose l’un à l’autre : le monde vu vient nous livrer ses structures, et la conscience artiste se met en quelque sorte à plat pour nous. En ce miroir vivant, en cette sorte de reflet acté, en cette belle présence plane, l’oeil d’un peintre vient serrer la main du monde, et sa main à lui vient comme filtrer, écoper, épurer, retirer sélectivement ou célébrer souverainement les lueurs du monde. Granier pose et place ainsi (en lui choisissant respectivement un support et un endroit) devant nous, la figure sensible et sensée d’une perfection habitable. Un philosophe traduirait le voeu que ce discret et résolu graveur nous formule : Bon et bel être-au-monde ! 

   J’aime ce paysage. Une sorte d’arche m’y invite à m’éloigner par elle, ou à revenir – selon ma fantaisie – depuis le fond des collines, jusqu’au premier plan (et ses dalles de schiste ?) rejoindre mon oeil même. Ce petit pan de région est fait exactement de blanc et noir entrelardés, comme un « négatif » du regard de Dieu. C’est une image à la fois rationnelle et concrète; rationnelle parce qu’elle suit (et restitue méthodiquement) les lignes de force du paysage, elle nous représente les relations à l’oeuvre dans ces éléments et ces textures pour qu’ils sachent former réalité ensemble ; et concrète, parce que cette représentation de l’intimité dynamique du monde est sans mots, ni icônes, ni algorithmes : tout nous est rendu présent comme ce tout est, là-bas, présent à lui-même.

   L’oeil touche ainsi directement les causes, les cachettes, la chair et à la fois le vestiaire, du monde. Saint-André de Majencoules prend pour guide une main de graveur, qui paraît nous dire : « Visitez-moi, car on ne sait jamais … ».

   En 2024, advienne que pourrons ! Merci, Marc Granier.

Poètes de l’amitié – Poètes sans frontières

LES ACTIVITES BENEVOLES DE L’ASSOCIATION LES POETES DE L’AMITIE  – POETES SANS FRONTIERES DEPUIS 1974


–          Publication de 194 numéros de la revue de poésie Florilège

–          Plus de 7348 auteurs publiés gratuitement

–          5259 ouvrages critiqués ou recensés 

–          92 recueils de poètes édités gratuitement en 500 exemplaires

–          Plus d’une centaine de recueil édités dans ses collections entre 1974 et 1990

–          2589 spectacles en France, En Europe et au Québec

–          4121 lectures dans les bibliothèques, Hôpitaux, écoles, MJC, foyers, dans la rue

–          2 spectacles pour récoltés des fonds pour opérer des enfants à l’étranger

–          3 ouvrages d’auteurs édités à titre posthume aux frais de l’association

–          72 salons du livre en France

–          Plus d’une centaine d’anthologies de poésie éditées au fil des années

–          Création de 2 prix d’édition en poésie pour éditer les auteurs gratuitement

–          639 réunions de travail ou colloques autour de la poésie

–          37 expositions de poésie, peinture et divers arts contemporains

–          1 comité de lecture composé de 7 personnes pour la sélection des textes par votes

–          Commission pour aider les auteurs à ne pas éditer à compte d’auteur

–          8754 coupures de presse 

–          Les adhérents ont accès aux comptes recettes et dépenses sur rendez-vous

–          Organisation des colis de Noel pour les défavorisés de l’association

–          Création de 1980 à 1990 de SOS AMITIE EN POESIE 24 H / 24 H pour éviter le suicide

–          Agrément Ministériel pour intervenir dans les écoles

L’association a reçu en 2014 le trophée de l’association la plus dynamique de la Côte d’Or par le Ministère de la Jeunesse et des Sports et de la vie Associative.

Son président Stephen BLANCHARD, a reçu la médaille d’or de ce même Ministère pour 40 ans de bénévolat ainsi que la médaille de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres du Ministère de la Culture après la parution de 25 recueils de poésie. Chaque année, un prix de poésie dont le tirage est de 500 exemplaires récompense un poète.

Prix de poésie Yolaine et Stephen BLANCHARD


le nouveau site  : http://poetesdelamitie.blog4ever.com/

Imprécations Nocturnes de Grégory Rateau a remporté le prix Renée Vivien 2023.

L’Académie Renée Vivien: présentation

Le prix Renée Vivien


« Cette marche forcée de l’homme vers l’homme vous prend corps et âme. Il y a tellement de souffle qui balaie ces vers que l’on a le sien coupé. »

« Beau texte mêlant l’urbain, l’aventure et l’amour. »

« La lumière est là, souvent plaquée par une lucidité nocturne. »

« Un véritable style. Un univers personnel. Un recueil dense, une écriture libre et maîtrisée. »

« Enthousiasmante humeur noire. Un auteur à part entière. »

« Poésie magnifique, flamboyante. Très organique, sensorielle. Tournée vers l’intérieur tout en étant à l’écoute du dehors, de l’autre, des autres. Écho de tant de vies brisées. Le quotidien magnifié. Le poète maudit qui en joue, n’est pas dupe de sa mise en scène… mais il reste la force d’un monde tissé dans la poésie et sa désespérance. Pas un poème sans au moins une fulgurance ! »


Tu l’as écrit si souvent

dans des récits minuscules

et aujourd’hui qu’elle se présente enfin à toi

tu feins de ne pas la reconnaître

la coucher là, frivole malgré sa gravité

pour mieux la repousser

terre vaine

l’eau du puits stagne depuis l’enfance

seuls les rocs ruissellent encore

entre deux averses 

quand le soleil n’est plus de cire

tu ne veux voir personne

seulement la cendre de tes cigarillos 

qui enlumine ton visage de vieux bonze

la littérature te fuit et pourtant

il ne reste qu’elle pour te sourire


Grégory Rateau

Né en 1984 à Drancy, Grégory Rateau vit aujourd’hui en Roumanie où il dirige un média et se consacre à l’écriture. Il est l’auteur d’un roman, Noir de soleil (sélectionné au Prix France-Liban et au Prix Ulysse du premier roman 2020) et d’un premier recueil, Conspiration du réel. Ses poèmes circulent dans des anthologies et dans une trentaine de revues en Europe. Grégory Rateau a été publié par la Revue Traversées, N°102.


Lire ou relire la chronique de Dominique Boudou à propos du livre Imprécations Nocturnes de Grégory Rateau pour la Revue Traversées: cliquez Ici