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Le Prix Rimbaud 2024 de la Maison de poésie a été décerné à Grégory Rateau pour Le Pays incertain à la Rumeur libre éditions.
Le Prix Rimbaud 2024 de la Maison de poésie a été décerné à Grégory Rateau pour Le Pays incertain à la Rumeur libre éditions. Dédié à la jeune création poétique, tous les ans, il était décerné à un jeune poète de 18 à 25 ans, mais a désormais évolué, saluant l’aspect novateur d’une œuvre.
« Une gerbe incandescente que l’on attendait depuis Rimbaud, Vaché, Desnos, Jouffroy et Borer. » Sylvestre Clancier, président de la Maison de poésie.
La remise du prix aura lieu le 5 décembre à la Maison de Poésie, 11 bis rue Ballu 75009 Paris de 18H à 20H (à l’Hôtel Blémont).
(Préface Alain Roussel)
Loin des gesticulations littéraires et des célébrations de salon, il y a encore aujourd’hui une poésie qui sent le soufre, qui brûle la pensée et les nerfs, qui vous jette, haletant et hagard, sur des chemins inconnus où l’on marche avec « des sacs remplis de colère » et dont parfois, mentalement ou physiquement, on ne revient pas, tels Nerval, Crevel, Duprey, Bosc, Rodanski, Artaud, Prevel.
Ces « suicidés de la société » n’écrivent pas pour écrire, mais pour ouvrir des brèches dans l’être et dans la vie, avec le couteau du désespoir et de la révolte. Souvent, on les rejette comme des pestiférés. On ne les entend pas. On ne les écoute pas. Il est vrai qu’ils ne parlent pas pour l’audience et les honneurs, mais pour quelques-uns, poètes et lecteurs qui forment ainsi une « société secrète de l’écriture », comme l’écrivait naguère le regretté Alain Jouffroy.
Si Grégory Rateau fait référence et rend hommage à Jacques Prevel, poète largement méconnu, c’est dans l’esprit d’un compagnonnage posthume. Se reconnaissant des affinités, l’impression d’être lui aussi un « paria de naissance », il entremêle au fil des textes son destin au sien. Il y a ce même constat, implacable : la vie n’est pas la vie, du moins elle n’est pas ce qu’elle devrait être. Et il y a cette impuissance à pouvoir la changer, Rimbaud l’avait si bien compris. Que reste -t-il aux désœuvrés de l’existence ? Les paradis artificiels, l’alcool, qui aident à fuir pendant quelques heures. Et puis il y a la poésie qui, à défaut de transformer le monde, a le pouvoir de révolutionner le regard. C’est cette voie qu’arpente Grégory Rateau. Il peut y exprimer sa compassion pour les damnés baptisés par la poisse, sa colère contre tous ces rois vaniteux de la culture, assis sans le savoir sur des trônes de paille, sa rage, sa révolte et sa soif absolue. Désespéré ? Certes ! Mais un homme qui crie son désespoir dans une société à bout de souffle est un homme vivant parmi les morts.
Voici quelques extraits :
Je suis de retour :
Revisitant les plis de ma ville, sans amertume le visage égaré derrière des lunettes noires comme Léaud avant moi. Orphelin des bistrots, Je vois l’ami de loin mais il passe son tour, prend mon souvenir dans ses bras. Sortant du bar, une goutte me tombe sur le crâne, la piqûre du baptême, les mêmes trottoirs, brouhaha de poèmes. Sur les boulevards entre deux trenchs, Miles coule un jazz. La nuit remonte des catacombes, les trottoirs se vident, ma renaissance est complète.
Tes trop polar ! me lance le vieux pouet pouet, la main rongée, battant fièrement la mesure sur son comptoir.
Je lui réponds :
Compagnon
j’ai trop longtemps traîné
ma rancune dans les périphéries
comme tu traînes aujourd’hui ton membre fantôme
j’ai ourdi des sabotages pour brûler mon avenir
redistribuer l’échec
nourrir encore et toujours ma rancœur
des ennemis sans visage que je voyais partout
masques de Bacchus la panse remplie de soleil
jouant l’éternité pour quelques bulles
avec une aptitude à vivre là où je n’avais que mes rimes
même les yeux fermés, ils étaient là
identiques à mon propre reflet et usant de mon passé
pour tuer en moi tout héroïsme
En remontant les quais, je les vois alignés, ces bouts luisants, couchés dans l’ombre satisfaite bien à l’abri des divins monuments. Certains s’étirent en faisant le dos rond, d’autres prennent des poses antiques, bouclettes courbées sur la brise. Des cadenas scellent des promesses sans suite. Panoramiques à la volée, essaim qui déborde dans un long Chorus d’ascenseur. Ces êtres si bien assortis, si cliniquement accordés, à bonne distance de leurs autres moitiés : les moins que zéro des lignes périphériques attendent toujours, en bordure des villes.
Ils ont beau les parquer sur les hauteurs, les endormir à coup de poudre du bonheur, impossible d’étouffer plus longtemps leur aigreur.
Nous y sommes ! de l’autre côté du périph’, restons bien droits mes frères, fidèles à notre poisse jusqu’au soufflet final, la non-éclaircie de trop. Il faut s’armer de patience ! même les bouquinistes vendent d’autres camelotes que la nôtre, noyant dans la Seine les derniers rêves de nos mères. Qu’ils s’approchent de plus près, qu’ils s’exposent jusqu’à la jugulaire. En attendant ce jour, roucoulons sagement notre lave :
Pris dans le même traquenard
la bouche pendante
ils sont légions à ne plus rien voir
ni pouvoir goûter à la brise du soir
repliés dans des caves aux rétines livides
la même fréquence des abîmes
dans une communion muette
avatars de ce moi égaré sur les routes du non-lieu
sans la moindre possibilité de se retenir à l’instant
leur main encore bien réelle
tendue vers un contre-ciel
Éric Chassefière, Penser l’infini, Diptyque de la fleur profonde, Éditions Raphaël de Surtis, mars 2024, 100 pages, 19€
Une chronique de Lieven Callant
Éric Chassefière, Penser l’infini, Diptyque de la fleur profonde, Éditions Raphaël de Surtis, mars 2024, 100 pages, 19€
« Le diptyque est un ensemble composé de deux unités distinctes qui entretiennent une correspondance. » En effet, « Penser l’infini » comporte deux parties: Premier infini, la voie profonde et Deuxième infini, la voie élevée. Le poète nous propose d’emprunter à tour de rôle, deux voies. L’une se réfère à l’ombre, à la pénombre, à l’absence de lumière, de bruit; L’autre se rapporte à la lueur, la lumière, au ciel, aux astres, à l’espace, à la voix. Qu’on ne confonde pas, le poète ne propose pas une vision binaire où s’opposent des contraires mais nous suggère qu’il est difficile de déterminer la frontière sur laquelle se pose la poésie. Car c’est par la poésie que l’on pense ici, l’infini. L’écriture est ombre, trace, la lecture devrait devenir lumière, clarté, évidence. La poésie prend sa source en une zone infiniment ténue. Les mots ne peuvent donc que déborder. Même si l’on se limite à quelques figures de style, à quelques évocations, qu’on trie au tamis fin.
Éric Chassefière le sait. Pourtant, il tente sa chance, choisit de se poser en lisière du monde, de rester sur le seuil, d’ouvrir porte ou fenêtre, d’attendre sur le balcon. D’intégrer l’infime différence entre l’espace intérieur de la chambre où l’on écrit, d’où l’on contemple et l’espace extérieur réservé au jardin, à l’arbre, à la faune et aux éléments. Vent, souffle, battements d’ailes, cris, chants d’oiseaux ou soupirs de feuille, de fleur. D’où provient le jour, la nuit? De quel infini? Distingue-t-on encore le songe, le rêve, de la réalité qui devrait nous servir de socle.
La fleur profonde quelle est-elle? Notre âme, son souffle, sa respiration ou le fruit de notre réflexion? La fleur profonde, une ombre ou le dessein concret et merveilleux d’un être vivant? Sa profondeur se limite-t-elle à cet instant bref où l’on perçoit une sorte de matérialité. Saveur, goût, sensation, émotion. L’amour prend corps, « fait visage » refait surface.
Par les nombreuses citations qui vont suivre, j’espère marquer la progression du poète, comment il construit son univers, son infini et le pense grâce au langage poétique qu’il construit peu à peu.
« la lampe et le livre chacun miroir de l’autre
pour que la nuit soit de pure intériorité
il aime au seuil du matin quand ici s’ouvre sur ici. » P18
À partir d’un seuil, l’auteur observe, contemple, se positionne, cherche à être.
« nulle autre profondeur que le dégradé de la lumière à l’ombre » p24
« mots qu’il faut dire avec les lèvres
comme on embrasse » P27
« faire jardin de la pensée » P29
L’auteur construit ses propres expressions comme « faire visage » ou « faire jardin ».
« Il se sent bien là à chanter le temps
adossé à la pénombre de sa mémoire »P29
« Habiter doucement les mots
la fleur d’encre des mots sur la page
entendre murmurer les mots
dans l’ombre mouvante du feuillage
sentir comme la figure en est légère au souffle
comme naît le poème de cette légèreté
comme il suffit de peu pour en dissiper le sens » P42
« La fleur d’encre » désigne ici le résultat d’un processus, une finalité en soi, l’écriture sous son aspect matériel et fait naturellement allusion à la sensibilité, la sensualité qu’elle matérialise et qui peut si facilement se dissiper.
« On se tient là dans ce pur vacillement de l’instant »P44
Dans la deuxième partie du livre, le cheminement de l’auteur se mesure à ce qu’il implique: travail sur soi et solitude. Il faut se délester pour atteindre « cette hauteurs des sens » et « se laisser respirer au gré des mots » P59.
« Vivre ainsi à la hauteur de sa solitude »
(…)
écrire pour alléger le corps
écrire comme le chemin se perd » P57
« Il aime cette hauteur des sens
ce bruissement du monde qui s’élève
ce roucoulement dans l’infini
(…)
« Quelques pas du piano au balcon
de la pénombre de la musique
à la lumière du silence
le soir le ciel s’éclaire
(…)
Limpide ciel du soir P62
À la « fleur d’encre » s’ajoute la notion de la « fleur qui s’ouvre ». Le poète et le musicien s’accordent pour désigner le plein que l’un et l’autre recherchent, le fruit par ce qu’il n’est pas encore. L’avant poème et le silence, la trace écrite et l’absence de musique.
« que toucher avec les mots c’est offrir l’instant
que le silence est une fleur qui s’ouvre » p76
« n’être que pour être »
« sentir comme la vie est équilibre » P78
L’équilibre est plus que sensible, délicat, de lui dépend la vie, mais ne se résume pas en une position acquise pour toujours. La difficulté est bien là, il nous faut penser l’infini sans en avoir les moyens. S’inventer un langage nous force à observer nos propres limites. Ces mêmes limites nous informent sommairement sur ce qu’est l’infini. Une fleur profonde, une ombre, une lisière un « scintillement de l’obscur »?
« Il se tient là au seuil de lui-même »
« il se sent bien là dans la paix des limites P82
« suspendu à sa vie
arrêté en plein vol entre mémoire et devenir »P83
« ouvrir la fenêtre pour ouvrir la nuit
ouvrir la voix au scintillement de l’obscur » P85
Le projet poétique qu’ouvre ce livre sensible, juste, discret, revendique une sobriété intelligente. De réflexion en réflexion comme dans un jeu de deux miroirs qui semblent reproduire leur propre image à l’infini. La bordure c’est l’ici, le maintenant, la fenêtre d’où je regarde. C’est ce livre comme point de départ, l’image qu’il me renvoie est un poème, dans un autre poème, dans un autre poème, ….
© Lieven Callant
Le N°108 – 2024 – III
Alexandra Shahrezaie – L’orage Vénitien


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