Une chronique de Arnaud Delcorte
Henri Michel Yéré, Polo kouman Polo parle, écrit en nouchi et en français, Éditions d’en bas, Lausanne, 80 pages, 12 euros.
Un soir on s’en gabassait de plages
Orage était dans ciel fatigué
Ils nous ont pas djah, donc on va casser papos
Ils pensaient on était comme zinzin dans la rue
Nous on s’en gabassait des plages
Or c’est maga-tapé son latchô qui est là
Un livre surprenant, parole du cœur et des profondeurs, où le français grave, ciselé fait écho au nouchi, vernaculaire de la rue Abidjanaise. Polo nous parle et nous emmène là dans un poème en quatre temps (Polo parle / les vérités de Demain / L’affrontement / Résolution) qui pose la question existentielle du présent et de l’avenir d’un jeune Ivoirien au 21ème siècle. Entre folie des bulldozers, travail bon marché, chemin bouché malgré les études, humiliations mais aussi espoirs. L’histoire d’un Ivoirien, oui, mais à l’écho universel.
Mon gbayement gâte / mon tchapali on dirait bas-fond
(Mon cri s’est perdu/ ma langue est une tranchée)
Ce qui frappe le plus c’est la langue, la beauté musicale et l’inventivité du nouchi pour qui ne le pratique pas, empruntant assez au Français pour qu’un francophone d’ailleurs puisse un peu s’y dépatouiller. Le lyrisme de la version française épouse et renforce la puissance évocatrice du propos.
Nous avons survécu pour porter témoignage
Nous laissions croire avec nos airs d’épouvantails
Que nous tournions le dos aux plages
Ce choc ou parfois cette imbrication des langues pose la question de l’identité et de l’acculturation et, loin d’y soulever un problème, l’auteur nous donne plutôt à entrevoir, sans l’imposer, ce tissage des langues et des cultures comme une richesse de dimensions de l’être humain. Dans la dernière partie du recueil, Résolution, il semblerait même qu’une porosité s’installe entre le nouchi et sa traduction : les langues en vases communicants, unies comme une arme ou un rêve contre les oppressions (c’est dans la langue là je vais te soulever / pour faire concours de légèreté avec nuages).
Au-delà des turpitudes et des périls identifiés du monde moderne, Henri-Michel Yéré plonge aux racines, racines crues, coupées des ancêtres désormais aphones, mais racines imaginaires et cependant bien présentes car ingérées à notre insu dès le sein de la mère, dès son ventre même. Racines-voix qui nous tiennent debout face à demain. Polo parle et cette voix est enlacement, vérité ou invective. Verbe.
Vous qui dites que je gamme pas en français-là : mon hoba-hoba perce les murs !
Avec Polo, Yéré nous dit que ce verbe, qui fut au commencement, qu’il soit nouchi ou français, anglais, créole ou farsi, sera toujours véhicule de nos traversées, boussole de nos devenirs. Meilleur gage de liberté.
Polo kouman (Polo parle) est précédé d’une lumineuse préface de Marina Skalova.


Bonsoir,
Non pas « en rouchi » (dialecte de la région de Valenciennes), mais en « nouchi » (parler abidjanais)…
Cordialement Patryck Froissart
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