Le murmure des nuages, dans une cuisine, Thierry Radière, éditions Émoticourt, Paris 2016

Chronique de Lieven Callant

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Le murmure des nuages, dans une cuisine, Thierry Radière, éditions Émoticourt, Paris 2016

Le murmure est avant tout celui de Miri, une petite fille atteinte de mucoviscidose qui deux fois par jour doit être soignée par l’inhalation d’une solution médicamenteuse. La machine munie d’un compresseur doit être minutieusement stérilisée avant d’être utilisée. « La vapeur entre dans les bronches et ressort par le nez. » Miri doit essayer de garder le plus longtemps possible le nuage de vapeur dans ses poumons. Les séances se font dans la cuisine de la maison familiale, les murs sont jaunes. Partout ailleurs, ils sont remplis de dessins.

L’enfant accepte les traitements avec force, lucidité. La maladie ne fait qu’inter-rompre ses jeux, postposer les promenades, les sorties prévues. Des spectacles de théâtre inventés et joués par Miri agencent autrement l’espace et le temps entre les traitements.

Le murmure est aussi celui d’un papa pour sa fille. Un message, une missive qui passe au dessus de nos têtes à l’instar des nuages. Pourvu qu’ils suspendent le plus longtemps possible les pluies noires. C’est du moins le souhait qu’en tant que lecteur je fais. Car si la maladie est une menace permanente, si elle impose qu’on mesure le temps, un seul mot suffit à Thierry Radière pour l’évoquer. Il n’est pas question qu’elle s’impose à l’ensemble des phrases. Les mots de Thierry Radière ont le pouvoir de congédier la maladie. S’il murmure, c’est pour parler à Miri, convoquer avec doigté: souvenirs, sensations, émotions et espérances. Les mots ne servent qu’à évoquer l’amour, la vie. Au dehors si la tempête fait rage, si les médecins convoquent l’espoir au moyen de statistiques, de chiffres, la maison avec sa cuisine se transforme en bateau bravant les épreuves, avalant les nuages trop lourds, créant la place pour un voyage qui va « être spécial ».

Thierry Radière signe ici un livre pudique et sensible, un tableau intime presque silencieux où une couleur solaire malgré tout domine les ciels nuageux. Comment parler de la mort, comment penser à ce qui menace bien plus fortement que nous-même l’enfant à laquelle nous voulons surtout donner la vie? Comment conjurer cette cruelle fatalité? Thierry Radière décide courageusement de ne pas le faire et ne consacre aucune phrase à la souffrance, à la maladie, à la mort. Lui céder le terrain des mots et de la poésie se serait trahir la vie. Trahir l’amour.

©Lieven Callant

 

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Si je reviens sans cesse, Thierry Radière, paroles de poètes, Jacques Flament Éditions, 2014, 87 pages, 12€.

Chronique de Lieven Callant

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Si je reviens sans cesse, Thierry Radière, paroles de poètes, Jacques Flament Éditions, 2014, 87 pages, 12€.

« Si je reviens sans cesse » est à la fois la réponse et la question que posent dans ce recueil les poèmes de Thierry Radière. En effet, écrire n’est-ce pas continuellement revenir sur ses pas, recueillir les souvenirs les plus récurrents qui construisent un homme depuis sa plus petite enfance jusqu’à la minute qu’il vient à peine de vivre? N’est-ce pas revivre au travers des mots? N’est-ce pas toujours intercaler entre les phrases les fantômes qui nous hantent perpétuellement afin de réinventer l’instant présent?
« Si je reviens sans cesse » titre et début du poème qui partage le livre en deux parties précise au lecteur que sa lecture n’est pas qu’un cheminement de page en page mais également une progression dans les temps que l’auteur tente de partager avec lui. Souvenirs communs, Idées fantomatiques qui habitent le quotidien et finissent par le façonner en poèmes. Le poète, l’homme jouent en permanence sur les mots, avec les objets qu’ils désignent, avec les métaphores que les phrases voyagent d’un espace à un autre.
« Si je reviens sans cesse » évoque aussi le tour de manège que la vie opère avec nous. Elle nous étourdit et nous transporte loin de nous-même mais c’est toujours autour du même axe que nous tournons. Aurions-nous fait du surplace? Nos voyages nous emmènent-ils vraiment au large, à la découverte de l’autre et de son autre monde?
« Si je reviens sans cesse » est sans doute pour me rappeler que le poète est un sisyphe, un homme qu’un même travail apparemment inutile obsède, un travail impossible à parfaire et que pourtant quotidiennement il recommence avec les mêmes élans, les mêmes espoirs, la même naïveté enfantine.
Les textes de Thierry Radière sont une plongée dans l’écriture au quotidien comme un rite salvateur qui fait de chaque jour qui naît l’occasion d’en réveiller un autre plus lumineux ou plus sombre, plus lointain ou plus proche. C’est aussi la prise de conscience que notre vie n’est rien de plus qu’une ritournelle, qu’un refrain ramène toujours à son point de départ.

« le voyage est un simulacre
intérieur de départ:
il me ramène à la même
majuscule écrite dans une
vie antérieure où mes nerfs
s’accrochaient aux branches
pour faire de la balançoire
à mon impatience raide
comme une morte »

Thierry Radière est un auteur de Traversées. Vous pouvez aussi le lire sur son blog et suivre ses actualités sur sa page Facebook.

Poèmes extraits d’un recueil inédit

©Lieven Callant

 

Thierry Radière, Poèmes géographiques, Le pédalo ivre, collection poésie, octobre 2015, 98 pages, 10€.

Thierry Radière, Poèmes géographiques, Le pédalo ivre, collection poésie, octobre 2015, 98 pages, 10€.

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Poèmes géographiques, au pluriel. Pourtant ma lecture m’a laissé l’impression d’un unique et long poème se lisant dans un seul et même puissant élan. Aucune virgule, seuls quelques points ponctuent le rythme de l’histoire, des histoires, vies qui se nouent et se dénouent entre les Ardennes et les Landes, entre passés et présents.

Thierry Radière grâce à la fluidité de ses textes, au naturel et à la sincérité de son style partage avec son lecteur ses géographies, ces endroits où le souvenir s’arrête pour interpeller parfois de questions insolubles la personne qu’incessamment nous tentons de construire.

Au fur et à mesure, à la manière des flux et des ondes qui font et défont une rivière, les phrases inventent leurs propres temps de pause. Nids dans lesquels la vie couve notre âme, points de repères nécessaires à la progression. Au milieu de la phrase, entre les mots liés les uns aux autres surgit un temps d’arrêt infime. Là où on ne l’attend pas, la respiration du poète et celle du lecteur s’installent le temps d’une étincelle. Subtilement, le poème instaure les lieux de vérité. Le poème se démultiplie sous l’effet des voyages dans le temps, dans l’espace que rendent toujours possible nos facultés aux rêves, à l’écriture.

Penser c’est voyager, c’est visiter ces lieux multiples qui finissent par ne plus exister que dans nos souvenirs, dans notre esprit avec la même ferveur qu’une réalité tangible et quotidienne. Les poèmes géographiques comme autant d’étapes intermédiaires dans une vie permettent la progression. L’écriture de notre vie ne passe pas que par l’abandon et l’oubli bien au contraire elle se construit grâce à la belle et sensible acceptation de ce qui nous arrive. La poésie en ses multiples lieux et aussi ceux de nos enfances, grâce à ses géographies, ses différents visages nous permet d’exister. D’être là quelque part finalement pas si loin que ça de l’enfant, de l’adolescent que nous n’avons peut-être jamais cessé d’être.

Voici quelques fragments choisis au fil de ma lecture, je ne résiste pas au plaisir de les partager afin susciter d’autres lectures des Poèmes géographiques de Thierry Radière.

« Un jour quand ils seront partis

ou que le temps aura effacé

les routes du passé dans ton coeur

alors tu pourras y revenir

sans craindre de tomber nez à nez

avec les monstres bien pensants. »

·

« nous nous reconnaissons

dans les mêmes mots qui nous vont si bien »

·

« Nous sentions notre existence

sortir de la terre et s’exposer

au soleil(…) »

·

« nos coeurs comme des chatons

abandonnés donnaient de gentils

coups de pattes au moindre

mouvement de feuille devant leurs yeux.

Dans les Landes on aurait envie

de revenir avec la mer dans son lit

et de laisser les vagues faire leur travail

avec nos rêves juste le temps d’une soirée. »

·

Thierry Radière fait partie des auteurs de Traversées puisque ses textes paraîtront dans le numéro de décembre.

Le pédalo ivre, collection poésie, Maison d’édition.

©Lieven Callant

Juste envie de souligner, Thierry Radière, La Porte, 2015

Une chronique de Lieven Callant

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  • Juste envie de souligner, Thierry Radière, La Porte, 2015

Souligner, c’est ce que j’aime faire lorsque je lis. Comme il me plaît de revenir sur les mots, sur la phrase qui se démarquent du texte comme pour à nouveau me révéler ce que j’estimais essentiellement beau. Et lorsqu’on se remémore un rêve, qu’on fait ressortir les morts de leurs tombeaux, lorsqu’on parle avec des fantômes, le temps se charge soudainement de souligner nos rides, d’appuyer nos regards de cernes bleutés. Tout semble provenir de l’azur.

Souligner c’est comme insister. Accorder aux moindres choses une attention particulière, accorder sa personne à l’instant comme on accorde un instrument. Souligner le silence pour qu’il nous parle.

Parfois, la poésie se présente comme ce trait qui appuie la vie, la révèle avec une pudeur suave. Parfois la poésie nous fait signe et l’ombre qui la suit, l’écriture, nous fait retrouver la lumière.

« Juste envie de souligner » de Thierry Radière est une invitation sensible à souligner. Un de ces moments intimes et intenses, brefs et légers. La poésie est à l’instar de ce recueil, le partage d’un secret, d’un sentiment intense qui rend au lecteur indéterminé et que tant d’auteurs semblent oublier une part d’humanité, une part honnête et respectueuse de l’individualité. Ainsi, le poème de Thierry Radière tout en se rapprochant de ce que nous sommes, dans le doute, dans la crainte, dans ce qui risque de nous perdre nous fait prendre conscience d’une racine commune que nous partageons tous, la vie. Simple et quotidienne, mystérieuse et porteuse de questions sans réponse.

Le petit format, la belle qualité de l’impression, la simple et délicate reliure qui vous fait découvrir au cœur du recueil le nœud interrogateur d’un fin cordon blanc, tout dans ce petit livre participe à vous faire croire que vous avez entre les mains une petite perle. Je vous invite donc à mon tour à prendre contact avec l’auteur qui pour une somme dérisoire vous enverra une clé magique qui sous la forme d’un poème vous ouvrira une porte, La porte. Un moment d’enchantement qui vous ravira.

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©Lieven Callant