Sur les traces de Sintra, textes et photographies de Muriel CARMINATI, liminaire de Richard Rognet, éditions Traversées, sept. 2024, ISBN : 978-2-931077-11-5
Le titre intrigue quelque peu, comme si une formidable créature était venue se réfugier sur ces collines portugaises, avec ses traits mauresques, ses pans éclectiques, sa scène coloniale, ses catacombes culinaires, ses cheminées en pain de sucre…
Le liminaire de Richard Rognet, tel un premier chapitre qui interpelle et tutoie l’autrice, est intense, brillant, pour le moins original. Intitulé Visites à Muriel Carminati, il dénote une proximité poétique de bon aloi : ce recueil n’est, de facto, pas un opuscule présentant cette cité-palais mais bien la découverte intérieure de la poétesse qui passe en ces lieux.
Pour avoir visité Sintra de manière superficielle, en touriste pressé, j’ai redécouvert cet endroit sur les lignes magiques de la poésie qui s’exprime ici avec l’efflorescence des pierres, une subjectivité assumée, le regard du merveilleux. Le pas non systématique, non historique du pèlerin s’enlace alors au détail qui prend toute sa place sur la rétine…
d’un bond de biche
on passe ensuite de maintes scènes religieuses édifiantes en diable
à l’exotisme d’une feria
et aux brumes des paysages romantiques
bientôt la baignoire art déco d’un gris très chic
écoute le babil coloré des vitraux tout en géométrie (…)
À l’instar d’azulejos, les photographies, de par leur cadrage et leur choix naturaliste, apportent une fraîcheur bienvenue.
Ce jeu de piste avec les fées, ces quelques heures au Paradis donnent la mesure d’une fascination pour des formes et des architectures qui nous font penser à Antoni Gaudi.
ses créneaux gris soulignent
la ligne de crête
qui la nuit se mue en
serpent brillant
incendiant le sommet de la colline
Déambulation ou art de vivre à travers les siècles où maints peuples et générations ont apporté leur signature singulière au pied d’une nature en profusion, en un salon de musique, un patio ou une rotonde, tout en respectant l’accord des silences.
Muriel Carminati, Sur les traces de Sintra, illustrations de couverture et des pages intérieures Muriel Carminati, Éditions Traversées, 120 pages, 20€, septembre 2024.
Muriel Carminati entame un voyage qui n’est pas seulement celui de parcourir joyeusement la ville de Sintra classée par L’Unesco au Patrimoine Culturel de L’Humanité au titre de paysage culturel.
Sintra est située dans la province de l’Estrémadure, au pied et sur le versant nord de la Serra de Sintra, une étroite chaîne verdoyante aux sommets granitiques qui s’allonge entre Lisbonne et la côte de l’Atlantique. La Serra de Sintra forme une barrière montagneuse (point culminant à la Cruz Alta : 529 m) sur laquelle se condensent les pluies venues de l’océan atlantique. Le climat exceptionnel de cette région favorise la présence d’une végétation dense et riche en espèces au cœur d’un parc national classé par l’UNESCO. À juste titre, Byron l’avait surnommé le « Glorieux Eden ». source Wikipédia
Ce livre est comme un jeu de piste, l’auteur marque les chemins de petits cailloux blancs: les poèmes. À chaque étape, on en apprend plus sur le lieu savamment décrit : le palais national, le parc municipal, le château des Maures, le palais de la Pena, le couvent des Capucins, le palais de Regaleira, le Château de Seteais, le palais de Monserrate.
Au-delà des indices, des traces, l’auteur invite surtout son lecteur à s’éloigner des chemins tout tracés, de se laisser le temps et de s’offrir l’espace pour voir les choses autrement. La poète va par les chemins de traverse, entre par la petite porte et est toujours prête à s’ouvrir à de nouvelles découvertes: moeurs humaines, habitudes animales, floraisons ordinaires ou extraordinaires. Rien ne l’éloigne, tout est toujours à portée du coeur et de l’émotion forte, sincère, juste.
Thuya d’exception
Frêle myrmidon que je suis je te salue ô cèdre rouge d’Occident
tes branches basses piquent vers le sol et s’y enracinent pour mieux remonter jusqu’au ciel en larges et franches coudées
tu t’élances insoucieux du genre humain candélabre géant chargé d’accueillir les étoiles
va je patienterais bien jusqu’à ce soir pour pouvoir admirer ce spectacle! — P74
Comme nous le suggère le dernier poème du recueil ou le texte d’entrée écrit par Richard Rognet, il n’est peut-être pas si facile de trouver sa voie, d’écrire depuis le lieu qui nous est cher, nous importe car il renferme en lui, un temps, un souvenir particulier, la conscience d’avoir découvert une beauté indicible que s’efforce d’exprimer le poème.
Au jeu de l’oie, les joueurs lancent le dé et franchissent toutes les cases d’un chemin qui serpente sur le tableau. Parfois on avance, parfois on recule ou on est projeté vers l’avant. Le premier arrivé remporte la partie. Sensé représenter la vie, la destinée, ce jeu ne nous explique pas ce que l’on perd à vouloir arriver avant tous les autres. Les poèmes de Muriel Carminati ne doivent rien au hasard mais révèlent ce qu’il y a de délicieux à ne pas suivre les règles du jeu mais à en imaginer des nouvelles, plus humaines, plus astucieuses et audacieuses. Se perdre au milieu de nulle part, se retrouver en marchant sans peur de s’ apercevoir que la voie sans issue propose aussi une manière de s’inventer et de s’inviter au coeur des choses.
« je m’égare dans les sentiers sans issue qui s’amusent à disparaître soudain parmi des brassées de fleurs. » P98
« rebroussant chemin je surprends deux dragons ruisselants encore ceinturés de nénuphars émergeant des tréfonds pattes écartées pour empêcher une fontaine de toute tentation de babillage » P99
« On s’attarde dans les ruines d’une abbaye en plein corps-à-corps avec un figuier étrangleur et l’on médite sur ce qui mit fin à l’Âge d’or et nous précipita dans le Temps ce grand démolisseur. » P110
Le regard de la poète est plein de tendresse, d’humour, de dérision. Il y a dans cette écriture une sorte de légèreté. Rien ne pèse et il ne nous coûte rien de se laisser emporter sur les traces de Sintra. Les promeneurs solitaires comprendrons facilement qu’il est des lieux qui poussent à la rêverie plus que d’autres. Découvrons-les au fond de nous, creusons, creusons…de nombreuse photographies prises par l’auteur étayent sa démarche poétique.