Denis Emorine, Foudroyer le soleil/ Fulminare  il sole. Poèmes/ Poesie. Traduits par Giuliano Ladolfi. Traduzione  Giuliano Ladolfi,  Giuliano Ladolfi editore, 2022, 122 p.

Une chronique de Sonia Elvireanu

Denis Emorine, Foudroyer le soleil/ Fulminare  il sole. Poèmes/ Poesie. Traduits par Giuliano Ladolfi. Traduzione  Giuliano Ladolfi,  Giuliano Ladolfi editore, 2022, 122 p.

Pourrait-il trouver un refuge contre la force dévastatrice d’une obsession qui l’empêche de jouir de la vie, ce poète hanté, à l’identité brisée par une histoire douloureuse ayant  glissé la mort dans son destin ? Au moins il essaie de le faire sans réussir vraiment à s’en libérer.

Tout l’univers poétique de Denis Emorine est imprégné de souffrance, du sentiment de l’exil ressenti au fond de lui-même, même s’il n’est pas un exilé. Il l’est intérieurement par le jeu cruel du destin de ses parents, une blessure infligée à jamais depuis son enfance par l’Histoire. Cela justifie la plus cruelle de ses obsessions , « la mort vient de l’Est », qui ne le quittera pas au fil de sa vie, thème récurrent dans ses poèmes, de même que certains motifs  liés : la forêt de bouleaux, la femme russe, le petit enfant, la femme brune aux yeux bleus (sa mère).

Dans ce recueil, la mort est en arrière-plan, une présence qui flotte dans sa mémoire outragée, la toile de fond des poèmes sur laquelle le poète aimerait « sculpter le visage de l’amour » qu’il conjure comme unique refuge. C’est pourquoi la Femme revient au premier-plan de ses poèmes, source éternelle d’amour et chance de guérir. Ce sont les femmes de sa vie: sa bien-aimée Anne Virginie, sa mère aux yeux bleus, présence impalpable et constante dans ces poèmes, et celles croisées par hasard, toutes appelées à consoler et à faire oublier l’obscurité meurtrière ; mais aussi la femme russe sous ses multiples visages réels ou imaginaires, porteuse d’un message de douleur et d’exil :  Natacha Rostova, comme Olga dans Romances pour Olga.

Le poète leur dédie ses « poèmes égarés aux carrefours du monde », lui-même un égaré dans le « labyrinthe surgi du passé » qui trouble sa vie, rend impuissant même l’amour fidèle de la femme restée à côté de lui pour le comprendre, le protéger contre les fantômes qui hantent son cerveau dont les yeux bleus de sa mère et le petit enfant souffrant sont prégnants. Lui-même se voit « une ombre parmi d’autres », ceux emportés par la guerre. L’image du petit enfant, « planté aux carrefours de la mémoire » traverse comme un fil rouge tous ses poèmes. C’est l’un des visages de l’exil, puis vient celui de l’adulte et de l’écriture: « mots qui trahissent les proscrits du monde », car les mots sont trop faibles pour parler de la cruauté du réel. L’écriture même a pour Denis Emorine le goût amer de l’exil intérieur, la barrière qu’il ne peut pas franchir : « la barrière est en toi », « écrire a le goût de l’exil depuis si longtemps ».

Si puissant qu’il soit, le mot perd sa force, impuissant devant la mort: « Que vaut la parole/ si fertile soit-elle/ face à la mort/  Est-il si difficile/ de scier les branches du monde/  avant de se jeter dans le vide ?

« L’Est est en feu » devient leitmotiv tout comme « La mort vient de l’Est » de ses recueils. Reprise, la phrase rend plus fort le cri de désespoir de celui qui ne peut pas oublier, car la blessure se rouvre, brûle telle la flamme de la guerre rallumée à l’Est pour faucher d’autres vies. « Alors que la guerre me rejoint nuits et jours », « je me sentais perdu », seul, abandonné n’ayant que les mots pour combattre les fantômes de la mort gravée en lui : « je me sens abandonné/  je murmure les mêmes mots/ dans les ruines de ma vie ».

Le poète aimerait bien sortir vainqueur de ce combat harcelant, mais « comment fondre l’obscurité/ sans se briser », « Pourquoi ces traînées de sang qui tardent tant à renier la terre/ stagnent-elles dans ma tête »? se demande-t-il impuissant.

Que peut-on opposer à la hantise de la mort sinon l’amour, sa force que le poète ne cesse d’appeler au secours du tréfonds de son âme brisée pour cicatriser sa blessure et guérir ? Hélas, son souvenir est si fort que « Tout est à détruire, même l’amour », l’amour fidèle de la femme de sa vie, la seule à le comprendre et protéger.

Entre interrogations et confessions, le désespoir du poète se fait chemin incessant : « Je sais que souvent/  je suis au bord de la folie / quand tu es loin d’ ici/  J’ignore si/  la vie nous aura transportés/  ailleurs/  le petit pantin que je suis/s’agite en vain/  lorsqu’il est seul/  privé de ton amour / alors /dès que le vent d’est ébouriffe mes idées/  je vois ton visage et/ la beauté de tes yeux/  qui irriguent ma vie/ et je hais les mots/  de trahir ce que je ressens/  en trompant la mort » // J’ai trop souvent l’air perdu/ en essayant de trouver mon salut/  hors des forêts sans fin/ il me faut la forêt de tes bras/  pour sortir des gouffres que j’ai imaginés/ je ne veux pas t’aimer de loin/ Mon amour/  mon amour/  chaque mot déposé au creux de toi/ m’éloigne des forêts/ sans / issue ».

Aucun refuge, ni même l’amour ne saurait effacer de la mémoire le souvenir de l’Est meurtrier tel un cauchemar : « Il n’y a pas d’autres chemins/mais je l’ignore pour l’instant/ À force de me tourner vers l’Est/ j’ai perdu le sommeil/  Les voix de l’exil m’ont rejoint/  je les sens tout contre moi/ leur souffle chaud/et comme une morsure à mon cou/ embrasent même le ciel ».

Le poète rejoint le cortège des exilés de l’Histoire par l’histoire tragique de ses parents. Son identité brisée entre l’Est et l’Ouest depuis son enfance ne cesse de troubler sa vie, son amour, car il ne réussit pas au fil des années à se réconcilier avec son passé douloureux.

L’écriture même s’avère impuissante : « je suis orphelin des mots qui m’ont trahi », « Trop de douleur /s’échappe de la terre/  tandis que je m’enfonce/ toujours plus/  dans le brouillard des mots/  je n’arrive pas à regarder/  la lumière du soleil/  Il s’est en allé un jour de reniement/  entre l’Est et l’Ouest »

Pourrait-il foudroyer le soleil noir de l’Est, celui de la mort, le faire disparaître de sa mémoire ? Au moins pour ce recueil, la réponse est là, dans le texte :« Tes doigts ne se poseront plus/ sur le clavier du piano/ Tu ne sais plus faire chanter/  les partitions de la vie/  Ton amour s’en rend compte/  alors que tu chemines les pieds nus/  dans quelque forêt du passé/ sans espoir de revoir/ la lumière de la page ».

L’Est est pour Denis Emorine la Russie, « ce pays glacé », maculé de sang, avec le fantôme de son père et la douleur de sa jeune mère qui traverse tous ses poèmes : «  À chaque carrefour du monde/  j’ai toujours peur de rencontrer/  une femme brune aux yeux bleus/  qui m’apportera peut-être en souriant/  l’odeur de la mort/  Je suis tombé un jour d’innocence/  sur les marches de l’Histoire/  je ne suis pas sûr de m’être relevé/  vraiment ».

Mais ce sont aussi les grands poètes russes, ses exilés, ses forêts sombres qui lui donnent le frisson de la mort. Il ne cesse de condamner la guerre et en même temps de rendre hommage à la grande culture russe qu’il rejoint par les racines slaves de ses ancêtres.

Recueil interrogatif en forme de confession, Foudroyer le soleil est descente dans l’abîme du soi, dans le labyrinthe d’une mémoire outragée par l’Histoire, mais aussi requiem pour l’Est par ses leitmotivs, sa voix grave, la musicalité et la fluidité des poèmes sans titre, sans ponctuation, écrits selon le principe héraclitien panta rhei.                  

©Sonia Elvireanu

Gérard le Goff, La raison des absents, Éditions Stellamaris, 2022.

Une chronique de Sonia Elvireanu

Gérard le Goff, La raison des absents, Éditions Stellamaris, 2022.


Après Argam, un roman très complexe en tant que structure narrative où le réel et le fantastique se côtoient dans une intrigue difficile à démêler, Gérard le Goff nous propose La raison des absents.

C’est un roman moins compliqué que le précédent, écrit à la première personne, focalisé sur l’histoire du personnage narrateur, Étienne Hauteville. Dans Argam, le romancier fait preuve d’une imagination débordante pour créer le côté fantastique du récit. Dans La raison des absents, la vision est réaliste, cependant son attraction pour l’inconnu et le mystère  transparaît dans le penchant rêveur de son personnage.

Gérard le Goff met à l’œuvre son talent pour raconter et décrire dans une fiction où le présent et le passé se mêlent pour nous faire comprendre leur réciprocité , que la vie elle-même ne suit qu’un modèle préexistant comme toute chose d’ailleurs. Il fait preuve d’un exceptionnel esprit d’observation, dévoilé dans ses remarquables descriptions de lieux (villes, hôtels, plages) et de gens. Il regarde à la manière de Balzac tout ce qu’il voit, attentif au moindre détail du réel. 

En effet, le romancier s’avère un véritable peintre de l’atmosphère de la station balnéaire avec son fourmillement de vacanciers en saison estivale et la monotonie automnale et hivernale des plages, rues, hôtels, cafés, désertés après le départ des villégiateurs. On pourrait croire d’après la minutie de la description à la peinture de lieux bien connus par l’auteur mais, comme on ne connaît pas sa biographie, on se garde d’avancer l’idée d’une possible autofiction. De toute évidence, l’auteur excelle dans la description, réussit à rendre à merveille des scènes panoramiques aussi bien que d’autres plus intimes.  

Le romancier retrace la vie d’Étienne Hauteville, le personnage narrateur qui évoque sa vie à Balmore où il s’installe suite à une lettre reçue de son oncle Bértrand pour occuper un emploi dans une compagnie d’assurances. Le roman commence juste par l’abandon d’une ville connue pour une autre inconnue où se trouve le poste recommandé. Très fin observateur de la réalité, le romancier parsème la narration de multiples descriptions pour rendre la couleur locale et faire le portrait de ses personnages. La perspective panoramique sur les paysages, villes, hôtels, brasseries, plages, vus de l’extérieur, alterne avec le premier plan des pièces de la compagnie d’assurances, des hôtels, des cafés, vus de près, dans leur ambiance intérieure.

Débarqué à Balmore, le narrateur observe les édifices et les gens de la place de la gare avec l’étonnement du déjà-vu. Ce lieu lui semble familier et va provoquer chez lui le surgissement des souvenirs. Il a la sensation de se retrouver dans le décor de Sandre, sa ville natale, de voir une reconstitution de celle-ci, malgré l’apparence de prospérité de Balmore s’opposant à la vétusté de Sandre. 

Mirage optique, clin d’œil de la mémoire qui lui délivre des souvenirs à la manière de Proust (lieu, musique)? 

La mémoire s’interpose dans la perception de la ville inconnue qu’il parcourt. Plusieurs lieux lui semblent pareils à ceux de son enfance. L’impression de répétition (bâtiments, gens, atmosphère) lui donne un sentiment d’angoisse, renforcé par la conscience qu’ « aux souvenirs précis succédaient des séquences irréalistes ». Le personnage se retrouve simultanément en des lieux et des temps différents sous l’injonction de la mémoire, dans une sorte d’irréalité de l’espace qui se découvre à lui.

Accueilli par son patron, monsieur Favre, il observe aussitôt l’atmosphère monotone et ennuyeuse de son lieu de travail : les pièces où s’entassent les meubles et les dossiers poussiéreux, conscient du manque de perspective d’une telle condition qui rend captif, anonyme tout employé.

 Obsédé par la ressemblance entre les deux villes, Sandre et Balmore, Étienne Hauteville commence à explorer le nouvel espace où les lieux lui rappellent ceux de son enfance. Il se rend compte que les deux villes sont des stations balnéaires où l’atmosphère, les bâtiments, les occupations, les villégiateurs sont pareils. Esprit contemplatif et très fin observateur, il décrit lieux et gens de loin ou de prêt, même une vieille peinture à l’aspect de caricature mythologique.

Le narrateur retrace de mémoire l’histoire de sa famille (grands-parents, parents), la sienne aussi. Il nous donne aussi son portrait fait par son instituteur : un enfant un peu rêveur, singulier, sans amis, indifférent à tout, asocial. Au collège il se nourrit de livres d’aventures et vit dans l’univers imaginaire de ses lectures. 

Il se distingue du modèle familial et provoque l’incompréhension de ses parents. 

Le récit de sa vie à Balmore alterne avec celui de sa famille à Sandre. 

Le lecteur suit donc en parallèle le passé du personnage, reconstitué par ses souvenirs, et le présent, à savoir le quotidien d’un simple employé. Etienne Hauteville emménage dans un appartement loué chez un cordonnier, qui lui rappelle son grand-père maternel. En racontant la vie de ses parents et la sienne, le narrateur commente ses multiples identités à différentes étapes de sa vie. Enfant esseulé, taciturne, apathique, indifférent à son entourage, bizarre pour tous, y compris sa famille, dès ses classes primaires. Collégien maussade, fermé, fuyant toute forme de vie sociale ou familiale, un misanthrope, mais intéressé aux livres d’aventures, vivant dans l’imaginaire. Puis, lycéen tout aussi apathique mais qui découvre tout de même le côté divertissant de la vie. 

Amoureux, cependant, qui fera d’Hélène son élue, partageant un certain temps avec elle l’illusion de la passion, elle qui sera le seul témoin de ses territoires de songe. Étudiant sans volonté, enfin, sans aucun appétit pour les études et l’existence réelle. Il se tient toujours en marge de la réalité sociale, n’ayant aucun idéal, attiré par le côté énigmatique des lieux déserts qu’il explore, en tant qu’enfant comme en tant qu’adulte. 

Le narrateur ne nous cache rien concernant sa vie de débauche suite au renoncement aux études supérieures pour partir « sur des routes insupçonneées », après deux drames survenus dans sa famille (la maladie et le décès de sa mère, le suicide de son père, tombé dans une léthargie maladive après la perte de sa femme). Il mène une existence déréglée par l’alcool, le manque de sommeil, les maux de tête, l’épuisement, la fréquentation d’une bande de cambrioleurs. Il découvre ainsi un autre aspect de son altérité. C’est son oncle, soucieux de son destin, qui met fin à cette étape déplorable de sa vie en lui proposant le poste dans la compagnie d’assurances de Balmore, réinstaurant l’ordre dans sa vie. 

Son emploi règle sa vie monotone avec la sensation que le temps passe inutilement, car il n’aime pas vraiment son travail. Cependant il s’acquitte honorablement de ses tâches quotidiennes. Mais sa vie sera bientôt troublée, déréglée par sa rencontre avec un pianiste russe, qui mène une vie de bohême, et avec une inconnue fascinante qui gravite dans son entourage. Le romancier nous présente ces deux personnages : le pianiste avec sa vie nocturne dans les boîtes et Laura, une journaliste de guerre, tous les deux avec une riche expérience de voyageurs et issus de milieux sociaux différents. Le narrateur n’est pas lui non plus étranger à ce type de vie, il se souvient de ses errances de jeune homme dans les grandes villes françaises.

Amoureux, Étienne Hauteville perd la tête et entame une liaison frénétique avec Laura. Il partage difficilement son temps entre son travail le jour et ses excès la nuit. Comme il se tient à distance de ses collègues, l’un d’entre eux, le comptable, le surveille pour le discréditer aux yeux de son patron et lui faire un rapport malveillant qui mène à son licenciement.

Le personnage vacille entre un monde trop réel et un autre irréel, celui du rêve, de sa fantaisie, attiré par le côté inconnu, énigmatique de la vie, exploité à merveille dans son premier roman, Argam. Le personnage narrateur voit le réel comme un spectacle de théâtre. Il peint avec finesse et plaisir des scènes, tel un peintre qui rend sur sa toile le mouvement, l’agitation, la rumeur des gens sur la plage, dans les rues, dans les bars, mais aussi les décors : paysages flous ou intérieurs de villas, restaurants, bars. Il vit dans le réel comme dans un décor irréel, car il ne se sent pas à l’aise dans le social, ni dans une ville balnéaire avec le bourdonnement de la foule de touristes qui l’envahit en été. 

Le roman finit par une scène qui rappelle le commencement. Le personnage quitte la ville de Balmore pour une destination qu’il ne dévoile pas au lecteur. Il apprend par la suite la mort de Laura au cours d’un reportage concernant une quelconque guerre, par accident, en lisant un vieux journal, tout comme il avait appris le décès d’Hélène dans un accident de voiture. Les deux femmes tant aimées, qui auraient pu décider du cours de sa vie, ne sont plus que des souvenirs. Le destin a suivi son cours pour lui faire finalement comprendre que « les absents ont raison », d’où le titre du roman. 

Des mots en italique au fil du roman suggèrent le côté mystérieux de la vie, la perception de l’auteur qui s’introduit ainsi dans le texte pour inciter ses lecteurs à réfléchir sur les perspectives différentes de l’existence : la vie prise au sérieux ou la vie comme jeu au gré des circonstances qui mènent le jeu.

La raison des absents est un livre sur l’identité /l’altérité du personnage. Pourrait-on oser entrevoir derrière le personnage, en quelque sorte, l’auteur même ? Et dans les descriptions et l’atmosphère du roman une fresque de la vie dans les stations balnéaires ? À chaque lecteur sa perspective de percevoir le roman.                                

©Sonia Elvireanu

Sonia Elvireanu, Ensoleillements au cœur du silence, Edition bilingue français / italien, Collection Zaffiro Poesia © 2022 éditions Giuliano Ladolfi, Borgomanero, Italie, 264 pages

Une chronique de Gérard Le Goff

Sonia Elvireanu, Ensoleillements au cœur du silence, Edition bilingue français / italien, Collection Zaffiro Poesia © 2022 éditions Giuliano Ladolfi, Borgomanero, Italie, 264 pages, ISBN 978-88-6644-621-7


Nota : les parties du texte en italiques sont des extraits du livre de Sonia Elvireanu.

Dans ses deux recueils précédents: Le souffle du ciel et Le chant de la mer à l’ombre du héron cendré, Sonia Elvireanu entretenait un dialogue permanent avec un être sans identité qui s’incarnait dans les éléments, avec qui elle communiquait par le truchement des plus subtiles manifestations de la nature. Un dialogue rédigé au présent comme pour conjurer le sort ou ignorer le temps qui passe mais ne répare rien.

Il en va de même avec ce nouvel opus. Mais que l’on ne s’y trompe pas : ces concordances revendiquées coexistent avec d’incessantes variations,  comme il en va de la mer et du ciel pour qui sait contempler leurs métamorphoses au fil des jours.

Dans cet ouvrage, d’emblée, le titre intrigue : Ensoleillements au cœur du silence. Cet intitulé contient deux termes a priori antithétiques. Le mot « ensoleillements » se rapporte à la lumière et concerne le sens de la vue ; le nom « silence » exprime l’absence de tout son et intéresse le sens de l’ouïe. L’emploi de tels signifiants n’apparaît pas évident parce qu’il n’établit pas une relation de cause à effet entre les deux sens précités. Ce choix semble plutôt indiquer que le poète va devoir et vouloir se placer en retrait (le silence s’impose comme la dimension de l’intériorité) et, dans le même temps, se doter d’une vision supranaturelle pour mieux appréhender cet autre qui semble parcourir pour toujours l’univers visible et invisible (à l’instar du regard particulier qu’adopta Rimbaud pour ses Illuminations).

Le poème d’ouverture, Les voix, déroule une thématique qui va irriguer l’ensemble de l’ouvrage. Deux voix se mêlent entre ciel et terre : l’une descend quand l’autre s’élève. La céleste révèle une langue sacrée et immémoriale ; la terrestre en fait émerger une nouvelle qui peut ne pas être comprise. Ces voix rituelles cependant se répondent et composent même une harmonie (une fugue de Bach, précise l’auteur). Quant à l’évocation du songe de Jacob —  cette vision d’une échelle miraculeuse qui permet aux anges d’effectuer leurs incessantes navettes entre le divin et le séculier — ne souligne-t-elle pas la revendication assumée d’une transcendance et l’aspiration de l’humain à l’élévation ? […] la voix du Poète s’élève comme une offrande, l’autre descend d’un Sommet invisible, toutes les deux en parfaite communion. (Les voix).

Une fois confirmée cette conception mystique de l’existence, l’auteur, à l’écart du monde (l’isolement est ici symbolisé par l’insularité), reprend son dialogue interrompu : Je me suis retirée dans la solitude  pour être près de toi / te chercher et te parler […] / pour voir avec les yeux du ciel  le monde quand je reviens, son éblouissant scintillement […] (Bénédiction).

Avec l’usage de ce pronom personnel à la deuxième personne du singulier (ce « tu » qui parfois se fond avec un « je » dans un « on » qui désignerait ainsi un couple), on retrouve la singulière démarche qui présidait aux ouvrages précédents, à savoir cette adresse permanente à l’absent. Au disparu, pourrions-nous risquer. Le texte intitulé : Tu n’étais pas fantasme l’indique clairement (le terme « fantasme » dérive du même étymon que « fantôme ») : je sentais ta présence,  je ne t’apercevais pas, / mais je savais que tu existais quelque part au-delà des voiles de ma vie.

Celui qui ne saurait être un spectre se personnifie tantôt en nomade revenu de lointaines contrées : je ne me rappelle que de ton visage de voyageur des pays chauds, la lueur de ton regard qui a troublé en un instant mon âme pétrifiée. (Tu n’étais pas fantasme). Tantôt en improbable pèlerin s’aidant d’un bâton de marche : […] l’homme / aux cheveux blancs de lune, en habits blancs et légers, appuyé sur sa canne. (Le sentier). Ou encore se mue en une figure christique qui ferait son entrée dans une Jérusalem dépeuplée et vouée au silence: Tu es seul sur un âne, en chemin à Jérusalem, ton mystère s’accomplit dans la Piéta de fleurs / qui brûlent en arc-en-ciel ce Dimanche des Rameaux. (Dimanche des Rameaux silencieux). Parfois, c’est le poète qui part à la recherche de l’en-allé : Je marche parfois sur tes traces, / je suis avec crainte le sentier de tes pas, aux senteurs d’herbes en été […] (La magie du crépuscule).

Il ne s’agit pas non plus d’égrener des souvenirs. Le lecteur a même parfois l’impression que cette vie en couple a été rêvée plus que vécue. Il s’agit de forger la langue qui va monter au ciel. Et cette parole ne peut qu’être poétique.

Pour Sonia Elvireanu la poésie est d’abord évocation / invocation du monde. Nous utilisons à dessein deux termes qui appartiennent respectivement au vocabulaire de la magie (une évocation est un appel à comparaître adressé à un esprit) et à celui de la religion (invoquer c’est implorer une divinité) car le langage poétique — seul — permet à l’auteur de convier l’absent (comme le fit Orphée descendu aux enfers) afin de communier au cours d’une célébration sensorielle et mystique de la nature et — enfin — pour partager l’élévation espérée.

Pour créer les conditions nécessaires à l’émergence de cette langue exigeante (qui peut paraître obscure), l’auteur opte pour le dérèglement des sens. Dès lors, la perception de l’univers ne relève plus seulement du sensoriel mais s’accompagne de saisissements inédits. Le poète les décrit en faisant usage de formules contrastées pour mieux rendre compte de ces visions simultanées, dans lesquelles les modalités se superposent sans pourtant se contredire : […] les brumes violacées de mon océan deviennent arbres aux tréfonds, / leurs cimes percent les eaux et racontent;  sur le rivage de mon île, je parle / avec la solitude de dedans mon ciel […] (Sur le sable de mon île). Ce qui lui permet d’accéder à un niveau de conscience insoupçonné : les mondes que l’on ne voit pas, / le miracle où tu grandis chaque jour. (Faire parler le silence). Quitte à utiliser un oxymore qui renforce le dire.

Sonia Elvireanu illustre sa démarche de mystérieuses correspondances empruntées aux mythes païens comme au christianisme. De nombreuses références religieuses jalonnent en effet ce recueil. Certaines sont directes : nous avons déjà cité plus haut l’entrée de Jésus à Jérusalem. D’autres procèdent par symboles. Par exemple, l’allusion à la myrrhe, l’une des offrandes des mages à Bethléem. Dans l’ancienne Egypte, cette substance était utilisée pour la momification ; les Grecs la mêlaient à leur vin. A la fois parfum et remède dans l’histoire, la myrrhe, dans ces poèmes, semble qualifier et sublimer le langage en révélant son pouvoir à la fois salvateur et réconfortant (La myrrhe des mots). Référence (réitérée) au figuier, pour autre exemple. Cet arbre vénéré, dont les feuilles vêtirent Adam et Eve chassés du jardin d’Eden, objet d’une parabole du Christ sur la fécondité et le renouveau, devient sous la plume de Sonia Elvireanu le porteur de fruits propices à la création du verbe : […] les figues parfumées reposent sur ma feuille blanche. (Le figuier). Mais aussi des références mythiques. Allusion directe à Sappho, poète de l’amour — s’il en fût — et îlienne, de surcroît. Mention d’un rare mirage de mer (Le désert bleu), désigné par un italianisme : « fata morgana », dénomination familière du cycle arthurien, puisque Morgane est l’une des fées les plus célèbres de Brocéliande.

Le discours s’agrémente de nombreux autres éléments, non pour construire et affirmer une méthode mais bien plutôt pour restituer l’extrême complexité du monde et, en parallèle, souligner notre difficulté d’être et d’admettre, notre capacité, en somme, à envisager une sérénité — « malgré tout ». Le mot « élément » peut être compris au sens premier du terme : l’eau, le feu, la terre, l’air. Mais les allégories font aussi allusion aux manifestations des règnes animal, végétal et minéral. Les représentations de fleurs, d’herbe et d’arbres, tels les motifs d’une peinture pastorale, fonctionnent comme les métaphores des cycles des saisons, du temps qui passe. Les images récurrentes de fleurs de pommier et de papillons blancs suggèrent à la fois la légèreté, la pureté et la promesse de lendemains enchanteurs : […] au coeur de l’ensoleillement, essaims de blancs papillons. (Ensoleillements). Les échanges entre l’humain et son environnement sont constants. Dans ce contexte, les perceptions sensorielles s’avèrent d’autant plus intenses qu’elles contribuent à sublimer le projet initial du poète : Un jour viendra où nous serons un seul ciel, mon ciel confondu au tien, / ce n’est qu’un rêve peut-être / ou un instant si réel que l’on prend pour le rêve […] (Un rêve peut-être).

Mais l’époque n’est guère propice à l’harmonie. Jusqu’à présent, les séquences composant le recueil trouvaient toutes leur point d’ancrage sur une île, dans une campagne, un désert ou à flanc de montagne.  Il est édifiant de constater que Sonia Elvireanu commence à parler de la ville lorsqu’elle fait allusion à la peste noire qui semble vouloir anéantir la l’humanité : […] un germe perfide hante le monde et nous ravage […] (Le froid). Et : La ville est pleine de masques blancs, sans costumes de carnaval, des ombres étranges échappées de l’hôpital […] (Le carnaval avec son unique masque). Le silence perçu à l’initiale comme un refuge devient insupportable limite : Le cortège de masques, / des paroles écrasées contre les murs, / le silence se heurte au pavé, le souvenir aux cils de brume, / comme la nuit accrochée au rivage. (Seul le silence). Toute vie semble s’être retirée de l’univers. La plus belle saison de l’an vire au cauchemar : Nous entrons dans un étrange été, au gémissement sourd de vie volée, / les silences nous meurtrissent, / comme sous de lourdes pluies les blés pourrissent, / le souffle s’étouffe sous un tissu-souillure arboré dans le monde comme une blessure […] (Le sentier fleuri).

Toutefois, comme dans les deux recueils précédents, Sonia Elvireanu se refuse au désespoir. Il existe toujours une possibilité poétique de vivre « malgré tout ». Atteindre le Point de feu : le point où le rêve est le vif et le vif est le rêve. Et aboutir : afin que le temps ne nous déchire plus, et que l’amour anéantisse les ténèbres. (Prière).

Au final, une telle somme peut décontenancer le lecteur qui se trouve confronté à tant de possibilités d’interprétations qu’il va hésiter, revenir sans doute sur tel ou tel poème, tenter des liens entre telle ou telle thématique, sans parvenir toutefois à épuiser la richesse du volume. Comme l’écrit, avec justesse, Giuliano Ladolfi dans sa préface : « […] les souvenirs et les espoirs revivent dans la dimension consciente et inconsciente et créent ce magma qu’aucun type d’analyse ne parvient à rationaliser complètement. »

On pourra confronter ses idées avec les intentions qui animent l’acte d’écrire chez Sonia Elvireanu en se reportant à un entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret pour la revue le Littéraire. A la question posée : « Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ? », elle répondait : « La vision du monde qui aimerait faire comprendre le lien homme-nature, le principe universel de l’harmonie qui devrait régner partout au monde. »

Une bien belle ambition…

© janvier 2022 Gérard Le Goff

Yves Namur, N’être que ça, Éditions Lettres vives, 2021, 16 euros.

Une chronique de Sonia Elvireanu

Yves Namur, N’être que ça, Éditions Lettres vives, 2021, 16 euros.

« Voir c’est peut-être marcher dans le dedans de soi, marcher vers l’impensable » 

N’être que ça, un livre d’essais d’environ 100 pages, en format de poche, invite les lecteurs à plonger dans les réflexions d’Yves Namur, de prendre part à son questionnement, à sa quête incessante. De quoi ? Peut-être d’un livre qui dit tout, qui contient tout de la vie et de la mort, l’Oeuvre de Mallarmé,  peut-être :

« Il m’arrive de penser que c’est un livre que je cherche désespérément. Un livre ou tout serait dit […]. Un livre qui contiendrait tout, jusqu’à l’histoire de ma mort prochaine ».

L’auteur  met sur les pages ses pensées, ses sensations, ses interrogations sur la vie et la mort, sur les choses que l’on voit autour de nous, les oiseaux, les fleurs, le ciel, les arbres, un petit jardin, ce micro-univers qui nous parle dans son langage à lui et nous donne des leçons de vie. Il faut réapprendre à regarder, à voir, nous dit-il par la voix d’Édmond Jabès d’Aely: « Le regard n’est pas le savoir, mais la porte. Voir, c’est ouvrir une porte ». 

En effet, Yves Namur est à l’écoute des voix qui appellent d’un livre, du soi, des choses, de la nature, des mots, les voix du visible et de l’invisible qui construisent son chemin de réflexion, une naissance, car « écrire c’est naître » pour lui.

Regarder c’est aussi naître, s’ouvrir au monde, voir les choses vivre naturellement, n’être que vie, et se demander si l’homme ne pourrait cesser de chercher le savoir et d’être tout simplement un peu de vie, tel un oiseau, une fleur, n’être que trace de l’éphémère. Cependant il n’arrête pas d’interroger, de questionner la naissance, la vie, la mort, les choses, les mots, dans une suite d’interrogations sans réponse et de réflexions dans une lettre adressée à un inconnu ou tout simplement à soi-même pour entretenir l’apparence d’un dialogue.  Il imagine parfois une réplique de son interlocuteur, son (auto)portrait ironique,  maintenant ainsi la dynamique d’une réflexion communiquée à l’autre. 

Sa réflexion infatigable se nourrit à la fois de son regard face au réel et du livresque. Il cite souvent ses écrivains préférés, s’interrogeant sur l’une de leur phrase ou sur un mot, telle « la lampe éteinte qui allume encore » de Juarroz. Parfois il raconte une histoire ou cite un passage de la Bible. Il passe avec aisance du livresque au réel, regardant un merle, un mésange, un rouge-gorge ou une rose, un tas de feuilles qui lui inspirent aussitôt une interrogation, une réflexion.

Une chose qu’on regarde est « porte de vie et porte de paroles », « une porte de questions ». Celui qui regarde est « pèlerin sans chemin », car « voir c’est peut-être marcher dans le dedans de soi, marcher vers l’impensable », « regarder l’envers des choses, l’envers de l’aile ».

Il interroge les mots : naître, être, mort, ange, vide, silence, solitude, prière, rose, Dieu, écrire etc. Pour lui « écrire c’est naître », « naître et être » n’est qu’une seule vocable, c’est « ajouter du poids à mon ignorance, du trouble à ma langue ». Écrire c’est participer à la vie, être trace du vécu, le livre « un urne funéraire », « ce qu’on garde de l’autre dans sa mémoire ».

Le regard d’Yves Namur, son questionnement infatigable va du visible vers l’invisible, de l’être vers le non-être, de la  vérite vers la non-vérité, du sens vers le non-sens. C’est un regard qui s’ouvre sur le réel, étant à la fois interrogation des formes de l’être et quête du non-être.

« Le paradis est dans l’œil de celui qui regarde ». Voici une invitation à voir autrement que par la raison, de sentir la beauté naturelle de tout ce qui existe tout simplement, de regarder les choses dans leur simplicité, les interrogeant cependant pour apprendre de leur silence et de leur lumière à « n’être que ça, une trace de silence » (Yves Namur), car « seules les traces font rêver » (René Char).

©Sonia Elvireanu

MICHEL HERLAND – Tropiques suivi de Miserere -sonnets. Ed. Ars Longa, 2020, 133 p. – Prix Naji Naaman 2020.

Chronique de Sonia Elvireanu

MICHEL HERLAND – Tropiques suivi de Miserere –sonnets. (Bilingue : Tropice urmat de Miserere.) Traduit en roumain et postfacé par Sonia Elvireanu, préface de Jean-Noël Chrisment. (Ed. Ars Longa, 2020, 133 p. – Prix Naji Naaman 2020, Liban)

Un souffle de mélancolie s’exhale des poèmes de Michel Herland du recueil bilingue Tropiques suivi de Miserere/ Tropice urmat de Miserere, inspirés par le paysage tropical, en même temps que la nostalgie d’une époque surannée à laquelle il emprunte fréquemment la forme du sonnet, comme une musique d’un temps révolu. 

L’exotique et l’érotique se conjuguent en une sorte de duo provocateur, comme nous aiguillonne la beauté sauvage de visions rappelant certains poèmes de Baudelaire. Le paysage tropical, ses couleurs fascinantes et ses senteurs enivrantes excitent la sensualité du poète qui s’abandonne à une passion troublante pour sa noire déesse. La douceur de l’air, quand ce n’est pas la torpeur torride ou la moiteur humide des forêts, fait s’épanouir en la mystérieuse femme d’ébène un archétype qui hante les mythes et les littératures du monde.

La femme qui envoûte Michel Herland prend cependant de multiples visages : ceux d’Ève, d’Aphrodite, incarnation de la beauté et de la sensualité, de Laure de Pétrarque, d’une jeune fille diaphane et innocente, d’une femme frivole et sensuelle, habituée des fêtes galantes, objet du désir et des plaisirs, d’une touchante femme-enfant, d’une beauté noire, sauvage et mystérieuse, d’une femme raffinée et inaccessible, d’une fille du désert. Quelle que soit la forme sous laquelle elle s’incarne, la muse de Michel Herland est toujours une sorte de déesse qui ensorcelle par sa beauté.

Rêve ou passion, accomplissement ou déception, admiration ou dédain, innocence ou dépravation, sensualité délicate ou obscène, toutes les variantes de l’amour et des sentiments se manifestent dans ces poèmes.

Il y a chez Michel Herland de la désinvolture, voire du plaisir, à évoquer la séduction et le désir, ce qui nous renvoie à l’hédonisme du XVIIIe siècle, si ce n’est à l’amour courtois. Est-ce la nostalgie du libertinage savant de ces temps jadis, d’un art de séduire oublié que le poète aimerait ressusciter ? Ou est-ce la beauté sauvage et troublante des paysages exotiques découverts par les romantiques ? Les deux certainement. Le choix du sonnet, la musique des vers renvoient d’emblée à l’atmosphère des fêtes galantes d’autrefois.

Si les vers rappellent parfois Verlaine, les paysages et les personnages de Michel Herland, malgré leur charme mystérieux, ont une troublante réalité grâce à la précision des détails. Ainsi dans certains poèmes, les toponymes permettent-ils de situer précisément le décor des Caraïbes où le poète est désormais installé.

L’art de rimer et d’évoquer la passion sont remarquables chez Michel Herland, poète marqué par l’harmonie classique comme en témoigne sa prédilection pour le sonnet. Le lecteur découvre avec surprise en lui un poète raffiné, qui s’assume à l’écart du postmodernisme dont se réclame la poésie du XXIe siècle. Comme s’il voulait prouver que rien n’est jamais démodé en art, que l’on peut faire renaître d’anciennes formes, les mettre au service d’une sensibilité actuelle. 

L’exotisme et l’érotisme de Tropiques s’opposent au triste et au sordide qui dominent dans Miserere, intégré dans le même recueil. Les misères de la vie (pauvreté, souffrance, chagrins, dégradation, perversion, vieillesse, solitude) sont évoquées par une mosaïque d’images souvent hideuses, voire abjectes de la ville. Ainsi, au charme envoûtant du paysage tropical s’oppose brutalement un espace repoussant, ses maux et ses vices. Les plaies du monde contemporain sont peintes sans fard dans des poèmes comme Migrations ou La fureur est tombée sur la ville écarlate. Là éclate la révolte du poète contre la condition humaine et les injustices ; sa plume se fait aigre et la poésie tourne à la satire sociale. 

Conclure le recueil par la figure du poète est éminemment symbolique. Le poète est plus que quiconque sensible à toutes les beautés, toutes les laideurs du monde. C’est donc à lui qu’il revient de les raconter.

                                                                © Sonia Elvireanu