Stéphanie Hochet, L’animal et son biographe, Rivages, février 2017 ; (191 pages 18€)

Chronique de Nadine Doyen

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Stéphanie Hochet, L’animal et son biographe, Rivages, février 2017 ; (191 pages 18€)


Les organisateurs de rencontres littéraires ne manquent pas d’imagination. L’été, ce sont les nocturnes littéraires, festivals, écrivains en bord de mer, lectures sous l’arbre.

La narratrice, double de Stéphanie Hochet, est conviée à l’animation culturelle de campings : « littérature en tongs » dans le Lot.

Rencontrer un public, c’est toujours une inconnue. Ne redoute-t-elle pas d’« être une curiosité » ? Encore plus quand il s’agit de vacanciers. Parfois c’est l’hébergement qui est inattendu.

Le séjour de la narratrice s’avère ponctué de surprises sur ces deux plans.

Elle constate que la salle devant la recevoir pour sa première conférence n’a pas été préparée, et se retrouve laissée en plan par le bibliothécaire. Occasion pour l’écrivaine de deviser sur ce type de vacances en camping 4 étoiles.Nouvelle source d’angoisse : le public clairsemé.

On se souvient des « lectrices procureures » avec lesquelles L’écrivain national de Serge Joncour doit composer. L’auteure, elle aussi, a droit à se faire épingler par une lectrice agressive, virulente, se réclamant de Dolto.

Les échanges avec le bibliothécaire, puis avec le libraire mettent en lumière la façon dont leur catalogue est contrôlé, ne cachant pas d’ éventuelles censures ou pressions pour ne pas mettre tel ouvrage sur un étal. Et de découvrir qu’elle-même a été boycottée dépasse son entendement et la laisse perplexe, révoltée.

Au terme du deuxième soir, l’auteure/autrice se retrouve hébergée chez un étrange couple, dans une maison isolée, « dans une campagne tordue ». Si le paysage extérieur l’aimante, ses découvertes dans une des pièces l’intriguent. Même si elle ne souffre pas de nomophobie, une peur insidieuse s’installe qui va aller crescendo, quand elle réalise qu’elle ne peut joindre personne, qu’elle ne pourra pas assurer la suite de son contrat. Mais comment se fait-il que l’on ne s’inquiète pas de son absence ? Sa tentative de rallier Cahors à vélo est un fiasco.

Très vite la figure du maire de Marnas devient omniprésente. L’écrivain national nous a familiarisé avec les coulisses du métier d’écrivain, dont les discours du maire à subir. Ici Vincent Charnot, dynamique, impliqué, dévoile ses multiples facettes.

Il devient l’homme providentiel quand la narratrice est en perdition en pleine campagne.

Toutefois, l’épisode des mensurations intrigue. Le maire voudrait-il lui offrir un T.shirt avec en effigie

le totem du bourg : « la bête sublime devenue spirituelle » ?

On peut s’interroger sur son rapport à la lecture, puisqu’il n’achète que les livres primés, « recouverts du prestigieux bandeau rouge », pour les cadeaux de Noël.

Stéphanie Hochet analyse avec maestria son art de la manipulation, de la séduction, son charisme, son appétence pour le pouvoir, son besoin de briller, d’avoir un projet culturel inédit, innovant, mirobolant, mais machiavélique pour celle qui va être prise à son piège. Ainsi, il pourra se targuer d’avoir réintroduit l’aurochs.

Il rappelle étrangement un autre politique quand la narratrice souligne son souci de l’apparence, d’où l’achat de « costumes bien coupés, hors de prix » !

A son actif, Charnot a offert à sa ville cet exceptionnel Musée des Espèces, d’une richesse rare, inspiré par Le Musée de la Chasse de Paris. Fier de ce patrimoine, il le fait visiter à ses convives, une nuit, après un repas bien arrosé. L’accès par des ruelles sombres, décor idéal pour Simenon, fait craindre les mauvaises rencontres, mais l’auteure « rassurée d’être entourée, se sent « en confiance ».

Toutefois, mieux vaut ne pas être claustrophobe, certaines salles n’ayant qu’ un éclairage tamisé. Le malaise s’empare de la narratrice qui cherche à s’échapper en vain, après avoir été choquée par ce qu’elle a vu. Grosse frayeur et scène hallucinante quand elle se retrouve questionnée par une voix anonyme, au milieu d’« hommes plastinés ». Depuis, on la sent sur le qui vive, redoutant de subir le même sort qu’eux.

Mais quelle est cette idée audacieuse, gardée sous le manteau, à laquelle tous les administrés adhérent déjà ? Va-t-elle faire une émule de plus, à savoir l’auteure en résidence ? Le lecteur a une longueur d’avance, car, lui il sait ce que Charnot attend de son écrivaine pour immortaliser l’aurochs que des éleveurs réintroduisent !

Stéphanie Hochet décline une magnifique apologie de l’aurochs, ce « dieu-animal » vénéré par nos ancêtres et relève avec panache et lyrisme le défi littéraire imposé.

Celle-ci n’oppose plus de résistance quand il la convie à la partie de chasse, ayant toujours en mémoire la possibilité d’une « punition » au cas où elle se défilerait.

Elle décrypte avec lucidité son manque de répartie : « Parfois l’écriture vous déconnecte de la réalité ». Elle montre comment on peut être vampirisé, hanté nuit et jour par un tel exaltant sujet. L’écriture, comme un combat terre à terre.

Voilà notre héroïne, Diane chasseresse, prédatrice, comme soumise aux désirs de ce « duce », qui prend goût à leurs sorties dominicales. Elle s’étonne d’être mue par un « plaisir suspect », une allégresse, « une excitation inconnue », loin de « l’empathie douloureuse des premières fois ».

Stéphanie Hochet, à travers la narratrice met en exergue la part animale, cette « licence de sauvagerie » qui dort en chacun de nous.

Son « background d’angliciste » se retrouve dans sa référence à Lady Macbeth, quand elle se rend compte que ses mains sont souillées par le sang de l’animal.

On le retrouve avec les références au Loch Ness.

En filigrane, l’auteure aborde le droit d’auteur, l’usurpation de la propriété littéraire.

Elle traduit avec subtilité les sentiments éprouvés au moment où on est dépossédé de son manuscrit. Comment ne pas être indignée d’entendre le maire lire son Testament de l’aurochs, de le voir s’approprier « ce manifeste de la divinité animale » et récolter les applaudissements, sans citer l’auteure, pourtant remarquable chantre de l’aurochs. Scène comique, car le texte est si puissant qu’à la lecture, le maire, en phase avec le sujet, est en passe de se métamorphoser en aurochs : « Son buste se meut d’avant en arrière », « sa voix animale ensorcelle » par son « jeu d’acteur prodigieux ».

La narratrice, consciente d’avoir été abusée, prépare sa vengeance. Ses sentiments pour le maire oscille d’un extrême à l’autre selon les circonstances. Elle ne manque pas de lui renvoyer « que les œuvres d’art appartiennent à ceux qui s’en saisissent ». Stéphanie Hochet ne vise-t-elle pas à dénoncer toutes ces sommités qui pondent des livres, commis par un nègre ?

A-t-elle, comme elle le pense, « trouvé le moyen de sortir du labyrinthe où sévit le Minotaure » ? Va-t-elle réussir à se libérer de « ce bourbier », de son emprise ?

La peur de se voir liquidée, trucidée la tenaille. Le suspense, à son paroxysme, nous tient en haleine jusqu’à l’épilogue.

L’auteure livre un dénouement époustouflant, qui rappelle cette réflexion d’Amélie Nothomb : « écrire est dangereux et on y risque sa vie ».

Le lecteur sort secoué, et on serait tenté d’affirmer que Charnot a en effet « mis sur les rails son meilleur roman ». L’écriture cinématographique déroule une multitude d’images saisissantes. Travelling sur les routes rehaussant la beauté des paysages, pour les scènes de chasse. Gros plans sur l’héroïne qui traduisent toutes ses émotions : en larmes, pétrifiée, déboussolée,en colère, inquiète, estomaquée, médusée, fascinée, ébahie de voir un aurochs « en chair et os ».

Focus sur la romancière, soit rivée à sa table, en pleine création, soit arpentant « les chemins pierreux, longeant les bocages ». Zoom sur cette « créature incarnant la puissance », la virilité, « quasi méphistophélique », redevenue un mythe.

Récit scandé par les battements du coeur, les galops, les cabrioles, les coups de feu, les hurlements de douleur, la course éperdue de la bête traquée, la chute du corps, « les bruits terrorisants » de la forêt, le timbre rauque du maire.

Dans ce roman sidérant, Stéphanie Hochet montre comment la fiction permet d’endosser une identité à l’opposé de ses convictions. On connaît son engagement militant pour la cause animale alors que c’est une Diane chasseresse que l’on croise dans la forêt, qui sait manier une arme comme dans Pétronille !

Si certains lecteurs, conquis par Stéphanie Hochet, veulent acheter d’autres ouvrages, ne demandez pas à votre libraire : L’éloge du ragondin mais L’éloge du chat !

L’anagramme que Perry Salkow a forgée pour le Minotaure : « Mérita un olé », convient parfaitement pour l’aurochs qui inspira Stéphanie Hochet. En effet ce roman, un tantinet autobiographique pour la première partie, se déguste comme un thriller.

Vous aimez ces animaux préhistoriques immortalisés par les peintures rupestres de Lascaux, vous aimez les frissons, alors aventurez-vous dans le dédale de ce « roman dérangeant » qu’Amélie Nothomb qualifie de pépite et Christine Ferniot de « bestiaire hitchcockien ».

© Nadine Doyen

Stéphanie Hochet, Un roman anglais ; Rivages

Chronique de Nadine Doyen

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Stéphanie Hochet, Un roman anglais ; Rivages (17€ – 170 pages)

Le titre Un roman anglais ne pouvait que s’imposer vu les nombreuses références littéraires à des auteurs britanniques et le lieu où se déroule le récit qui débute en 1917 et couvre quatre années de conflit, pour s’achever en 1940, sous Churchill.

Stéphanie Hochet campe ses personnages Outre Manche, dans le Sussex, sur fond de la première guerre. Occasion de rendre hommage aux femmes britanniques, qui furent « actives et fiables » durant « cette période de chaos », et de rappeler le combat des suffragettes pour obtenir le droit de vote. En filigrane, l’auteur pointe l’absurdité de la guerre, ses dégâts collatéraux, les paysages dévastés (Les Flandres, « région sacralisée pour sa beauté par Menling, Van Eyck » qui n’est plus que « champs de boue ») et le syndrome post traumatique pour ceux qui en reviennent.

Le lecteur découvre les protagonistes,tel un tableau de « conversation piece ». On pénètre dans l’intimité d’un couple, milieu bourgeois : Edward, horloger à Londres et son épouse Anna Whig, traductrice , assistés de leurs deux employées de maison. Rituel du « 5’o’clock tea », dans leur « Home sweet home », « coupé du monde ».

L’auteure aborde le séisme que fut l’accouchement pour Anna : « l’atroce souffrance », le baby blues post natal. De quel amour, Anna pourra-t-elle draper son fils, elle, qui n’ a pas connu les étreintes maternelles ? Sera-t-il fusionnel ?En parallèle, la narratrice autopsie, avec lucidité, en profondeur la relation conjugale et s’interroge : Edward comprend-t-il « le fonctionnement des femmes » ? Puis, elle décrypte la relation triangulaire, une fois George entré  à leur service, en tant que baby-sitter. Un prénom n’est-il pas « comme une bande-annonce du destin » ? (1) Anne imagine donc, « une personnalité hors du commun », à l’instar de George Eliot, qui « a en elle des aspects mâle et femelle », « une forme de génie ».

Passée la surprise que le garde d’enfant s’avère être un homme, Anna reconnaît ses qualités, son don de capter l’attention de Jack. Elle constate la complicité qui le lie à l’enfant. Il est pour « le sphinx de trois ans » un « pôle d’attraction et de merveilles ». Il aura su apprivoiser le fils et la mère, fascinée par sa voix, au « débit mélodieux », « sa douceur », son magnétisme et sa fibre maternelle rare. George, avec son miracle magique pour calmer Jack, jouit de son ascendance sur Edward, le père du « faon curieux », ce qui crée de la tension au sein du couple.

Stéphanie Hochet restitue à merveille l’étonnement du bambin, tout comme ses colères, sa façon de repousser le père. Elle sait décrire les émotions qui se lisent sur un visage ou qui affectent un corps (peur panique de sentir un homme la suivre).

Avec autant de subtilité, elle distille les indices qui vont conduire au délitement du couple (un mari absent, absorbé par sa passion pour son métier). Edward ne comprend pas la peur d’Anna qui voit planer en permanence le danger sur son cousin John. Il ne supporte pas plus de la voir réconfortée par George que d’être témoin, après le dîner de leur rituel d’échanges littéraires dont il se sent exclu. Comment admettre d’être relégué « à la troisième place dans l’affection de son fils » ?

Pour mieux saisir ce qui fait le sujet tabou de la guerre, la romancière insère deux lettres, l’une de réclamation et d’indignation signée Anna, l’autre contenant une révélation choc. Un texte à forte intensité, qui explique peut-être les violents accès de colère de l’héroïne ou ses tremblements auxquels George assiste impuissant.

Le deuxième choc émotionnel la rend « vidée », fracassée, murée dans le silence, réalisant qu’elle perd celui qui était son garde-fou : « La mort comme une accélération du vieillissement ».

Le récit est placé sous l’égide de Virginia Woolf et d ‘Emily Dickinson, que George a beaucoup lu, visant à montrer le rôle lénifiant de la poésie, en particulier en période de guerre. La poésie ne permet-elle pas « de dire ce qui pèse dans la poitrine », « une façon de s’enfuir » ? Mais peut-elle être comprise par son interlocuteur dont on ignore l’identité, s’interroge Anna, perplexe. Dans cette longue conversation, George revisite son enfance, évoque le sort des « enfants des pauvres », envoyés travailler dans les mines. Il montre l’importance d’accéder à l’instruction. Il se déleste d’un incident qui le taraude, se sentant coupable.

A son tour Anna fait défiler son enfance, « l’ombre des parents », évoque l’éducation réservée à son frère Valentin, « le privilégié en vertu de son sexe ».

On la suit dans son glissement vers une nouvelle Anna, ivre de liberté, désireuse de « rompre avec l’épouse et la mère comme on quitte un corset », sur « le chemin des disparus », à la mode japonaise. Peut-elle abandonner son fils sans remords ?

Dans ce roman, Stéphanie Hochet balaye les grandes étapes de la vie de ses protagonistes de la naissance à la mort, pratiquant la litote, « l’understatement ».

Elle s’intéresse à la façon dont Anna s’accommode de l’absence, du manque, exsude « la pulsion maternelle » et fait face au deuil. Trouvera-t-elle la force de la résilience, au cours de ses marches dans la campagne anglaise ? Réussira-t-elle à « forcer son corps à oublier » ? N’a-t-elle pas déjà retrouvé l’envie de rire ?

Le temps est décliné sous toutes ses formes (time, tempo, tic-tac, « L’heure approchait. Son heure. », « les minutes passent, m’écrasent »), le temps qui efface, panse les plaies, enseigne la patience. Toutefois « la culpabilité de la mère demeure ».

L’épilogue scelle le destin tragique de Jack, engagé dans la RAF.

La violence (les pulsions meurtrières d’Anna, le cataclysme du Blitz) et la poésie (« Observer les gouttes de pluie sur les vitres ».) cohabitent de façon inégale.

L’auteure met en évidence la société britannique de l’époque. Les mineurs dont « les petites maisons identiques, alignées », en briques, de ces villes du nord rappellent le décor du film « Billy Eliott ». Décor contrastant avec les universités, « endroits coupés du  reste du monde » ou avec les paysages des « falaises blanchâtres » des côtes du Sussex. Avec l’avènement des « voitures motorisées », que seuls des happy few peuvent s’offrir, comme L’Albion, Edward promet à son fils une sortie automobile. Retrouvera-t-il la complicité qui lui manque avec le « petit d’homme » ?

Les références de la littérature anglaise  sont pléthore. Des titres : Wuthering heights, Le portrait de Dorian Gray. Des auteurs : Dickens, Shakespeare, Conrad, Defoe, D.H. Lawrence…), mais qui s’en étonnerait puisque Stéphanie Hochet, alias Pétronille, en est une spécialiste en littérature élisabéthaine, comme Amélie Nothomb le révèle dans son roman éponyme. On songe à Beckett, quand le mari Edward, paniqué, fait les cent pas sur un quai de gare devenue déserte.

Stéphanie Hochet livre une exploration  très fouillée de la psychologie humaine avec le portrait d’Anna, jeune mère, hantée par l’absence de son cousin soldat, en proie à une angoisse viscérale, troublée par la présence de George qui l’éloigne de son mari. La partie solaire réside dans la focale centrée sur le duo attendrissant George/Jack.

La romancière signe un récit bouleversant, mâtiné d’un «  British touch » indéniable, servi par une puissante et dynamique écriture cinématographique.

(1) : in « La tête de l’emploi » de David Foenkinos, J’ai Lu

 

Nadine DOYEN