Martine Rouhart, L’inconnu dans le jardin, récit, éditions Bleu d’encre, préface de Michel Joiret (2023, 51 pages, 12 euros)

Une chronique de Patrick Devaux

Martine Rouhart, L’inconnu dans le jardin, récit, éditions Bleu d’encre, préface de Michel Joiret (2023, 51 pages, 12 euros)


Martine serait-elle devenue un peu son chat à scruter à travers la nuit une présence diffuse appuyée sur le tronc d’un de ses grands arbres ?

Il y a quelque chose de « l’Ange de l’Inspiration » de Rembrandt dans les faits évoqués entre rêve et sommeil où prime le mystère.

Qui donc s’aventure ainsi à « infiltrer son royaume » ?

Le jardin de l’auteure lui est précieux et l’habite totalement et peut-être est-ce une sorte de dédoublement de la personnalité qui se manifeste, d’une certaine façon, ici.

Ayant longtemps fréquenté « Les fantômes de Théodore » (titre d’un de ses romans), Martine ne s’effraie pas d’une présence supplémentaire et va plutôt à sa rencontre tandis que, qui fréquente l’ombre, peut avoir cette impression « d’avoir raté un rendez-vous » quand se lève le matin, l’auteure retournant à sa tâche d’écriture en évoquant l’œuvre elle-même, tournant alors le dos au jardin mais avec un souffle accompagnateur par-dessus son épaule. 

J’ai songé au « Horla » de Maupassant quand la présence mange le temps libre et prend possession des heures et presque du corps : « On se promène à deux dans les forêts de sapins et des champs de bruyère, parfois on dort même ensemble », le récit faisant cependant appel à l’apaisement, contrairement au récit du grand écrivain.

L’occasion est belle pour appréhender l’acte créatif : « J’écris, rature, nuance dans des variations infinies. J’écris avec ce vibrant fragile qui tente de trouver les mots justes ».

L’écriture est-elle une façon de « dénouer tous les vertiges à l’intérieur de soi » tandis que la stabilité de la personne elle-même se suffirait de la présence d’un arbre : « Je pense qu’il suffirait d’un arbre au milieu de rien pour ne pas se sentir perdue » ? 

La question globale du récit reste sérieuse entre « morceaux de vie » et « reflets ». Pour s’y retrouver la réponse est parfois dans les mots et l’inventivité de l’auteure éprise du souffle poétique : le sien et celui de son mystérieux jardin où s’invite une ombre qui, peut-être, comme dans « Les fantômes de Théodore », lui rappelle quelqu’un.

Les franches illustrations très graphiques de Christian Arjonilla accompagnent le récit, semblant évoquer, en symbiose avec l’auteure, le visage représenté dans un inachèvement choisi laissant autant de portes ouvertes à définir l’apparition suggérée.

©Patrick Devaux 

Cali, Cavale ça veut dire s’échapper, Récit aux éditions du Cherche Midi, ISBN978-2-7491-6146-4, avril 2019.

Chronique d”Alain Fleitour


Cali, Cavale ça veut dire s’échapper, Récit  aux éditions du Cherche Midi, ISBN978-2-7491-6146-4, avril 2019.

S’identifier à un regard, que Cali scrute chaque soir, essayer d’en percevoir toute la puissance, toute la subtilité, épuiser toutes les façons de s’en faire un allié, ce regard a quelque chose de magique, de singulier, ce regard est différent de ceux de ses copains.

C’est le regard étrange et pénétrant, qui ne ressemble à aucun autre, c’est le regard de Joe Strummer son idole le chanteur des Clash. 

“Non c’est pas celui-là, écoute moi, il faut regarder beaucoup plus loin, fermer légèrement les paupières, et ne plus bouger, alors là quand il est bien en place, ce regard de Joe met en déroute une salle comble de spectateurs sous hypnose.”

Cette obsession Cali s’en pénètre sur cette affiche des Clash. Dans ce livre témoignage, « Cavale, ça veut dire s’échapper, » patiemment il construit son rêve de jeune adolescent de 15 ans, il n’y a pas de temps à perdre pour sa bande de copains, chacun a sa technique, son truc, sa mèche pour allumer le coeur des filles, les filles qui tournent, et qui tournent encore à rendre ses potes triomphants ou désespérés.

Elle s’appelle Louise ou Fabienne, le coeur s’enflamme pour un rien.

Louise a ajouté, « à ce soir ». Là, c’est moi qui marchait sur l’eau. Je suis sûr qu’elle m’a regardé m’éloigner.

Puis vient Sylvia et sans elle le récit n’aurait pas eu la même saveur. Elle n’est peut-être pas la plus belle mais elle sait bien embrasser et pour un gamin de 15 ans le nirvana n’est jamais loin des lèvres rouges des filles.

Mais s’il y a Sylvia et le coeur battant, il y aura de plus en plus le groupe des copains, leurs corps battant aux rythmes des Clash, des Bérruriers Noirs, des Rats Sulfatés, de la Souris Déglinguée. Mais la crête sur le crâne porté comme Fernand ou Alec ne suffit pas pour faire de la musique Punk.

Un groupe Punk c’est le choix d’un nom pourri, un nom aussi pourri que sa musique, un nom à faire frémir les filles, sinon c’est un désastre annoncé.

Leur nom pourri ne vivra pas longtemps, exit les Lutins Verts officiellement acté par le proviseur, le groupe P.A se dressera au lycée Charles Renouvier, défiant le protale du lycée, en une ultime provocation juste pour épater les filles, leur premier et dernier concert du groupe avant leur expulsion, vociférant j’en…le protale du lycée. 

Les émotions enserre les anecdotes lycéennes, maman affleure de page en page avec un mot, un flash, un trouble, car l’enfant y pense sans cesse, parfois c’est le père qui émerge de sa souffrance ; quand Cali page 161 écrit, « pendant quelques secondes, papa s’en était sorti, n’était plus le noyé qui descendait vertigineusement. »

Cette adolescence de Cali est un journal intime tenu au jour le jour, cadencé par l’évolution de sa relation avec Fabienne, « celle à qui Cali », a avoué un amour chaste et éternel. N’est-ce pas aussi un roman sur l’adolescence raconté de l’intérieur, extravagant et impudique, sensible et intraitable. 

Ma lecture est plus audacieuse, je le vois tel un brouillon, car sans spontanéité impossible d’exprimer Sylvia ou d’autres rencontres. Dans ce faux brouillon sans tabou le récit est construit, il va du regard de Strummer page 13 à celui de Cali page 202, son regard se porte au loin, « Là-bas, on va là-bas tout au bout, là-bas. »

Entre ces deux regards il crée un scénario en trois temps, moi, les filles, les copains, et le récit tourne pour monter de marche en marche, de moi, aux filles, puis aux copains, au sommet d’un phare pour voir au loin très loin.

« Tu sais pourquoi on est heureux ? Parce qu’on sait fabriquer des rêves.. ».p 185 

J’ai été conquis par l’humour qui se dégage de ses blagues de potache, la dérision qui l’accompagne, et que résume : « en tentant d’expliquer, c’est comme essayer d’attraper la mer avec un filet ». J’ai été bluffé par l’enthousiasme de ses potes Alec, Nico, ou Fernand, des figures, aux gueules d’atmosphère.

Ces cocasseries liées à l’émotion vivace de Cali, se fondent en des scènes poétiques, « la vie s’enfuyait entre mes doigts et je roulais à contresens » ou « j’allais seul jusqu’à la grotte des amoureux avec ma coupe de rat, au-dessus du village et je chantais comme ça en yaourt des onomatopées en franglais ».

Un fin romancier est né, il en a les mots, les rêves, la drôlerie, il faut que son regard continue de le porter loin, très loin.

©Alain Fleitour

Jérôme Garcin, le syndrome Garcin, Gallimard, Récit, ISBN : 2070130622, 1 décembre 2017.

Chronique de Alain Fleitour

Jérôme Garcin, le syndrome Garcin, Gallimard, Récit, ISBN : 2070130622,  1 décembre 2017.


« J’écoute le silence du médecin, écrira Jérôme Garcin page139, le silence de Paul Launay, qui a consacré des pages à la découverte de la mort pour un enfant, à la perte d’un frère, au langage et à la séparation violente des jumeaux, mais qui laissera sa femme dire ce qu’il est incapable de dire.


Par erreur, ou au détour d’une confidence, Jérôme Garcin fait parler Pam et dévoile  le mutisme de la douleur, le drame qui fissure encore l’âme de celui qui est Paul Launay, le médecin le mieux qualifié pour alléger le poids du deuil chez l’enfant, non à le surmonter, mais juste pour l’évoquer.
C’est Pam encore qui explique à l’enfant de 10 ans, combien le décès de son frère l’a meurtri.
Jérôme Garcin se tait, ou du moins, il ne parle qu’à la 3ème personne.


Le syndrome Garcin est là, douloureux, impalpable, il est un mélange d’angoisse et de désinvolture, il est là dans la négation du drame, dans cette façon de se blinder et de se taire, jusqu’au moment où les parents de Jérôme Garcin, faute de le comprendre, traduiront parfois cette froideur en égoïsme. Jérôme, était-il insensible, peut-être que l’auteur s’en souviens, de cette incapacité d’aimer comme si l’enfant avait perdu l’élan du cœur.



« Pam me raconte le garçon que j’ai été
dans les mois qui ont suivi la mort d’O1ivier,
me décrit très précisément ma détresse,
ma sidération, mon repliement,
de feindre d’ignorer le drame
qui m’a métamorphosé
au seuil de mes six ans. »



Mais le conteur Jérôme Garcin n’en reste pas là, et sur cette page 138, Pam se confie, elle lui montre soudain, « celui que, avec autant d’amour que d’anxiété, elle n’a cessé d’observer et de materner, mais que j’ignore- ou que je veux ignorer- avoir été. »


La réponse à cette incontournable question ; pourquoi cette famille a tout donné à la médecine ? Elle se trouve page 9 . « Au commencement était l’homme et sa souffrance, en face se trouvaient son semblable et sa compassion. Toute la médecine est partie de là ( séance inaugurale par Raymond Garcin en 1954 ) ».


Raymond Garcin aura trouvé les mots, pour expliquer ce goût de soigner, dans une indisposition naturelle à se mettre en avant, en choisissant de venir en aide aux souffrants, et d’entrer dans les ordres de la compassion.

Cette retenue, cette humilité se traduira par la lecture de tous les écrivains qui cherchent à combattre les fléaux, au lieu de scruter l’horizon pour débusquer les boucs émissaires.
Il lira Albert Camus et sa fougue à combattre, à résister aux grandes épidémies par le travail et la raison.


Jérôme Garcin écrit dans ce livre l’essentiel, notre destin à tous, dans une langue simple fluide, pleine de fantaisie, oh combien lucide. Ce ne sont pas des chapelets de titres qui défilent, mais une lignée de personnalités, de déterminations, de pratiques qui se situent entre la profession et l’ordination.


Il y a dans le style Garcin celui qui s’amuse, taquine, se cache et celui qui monte en selle pour vilipender tel rustre ou telle funeste logique. Je finirai par trouver dans la prose de ce grand lecteur, du d’Ormesson avec une pointe de Desproges.



© Alain Fleitour

Claire Fourier, Radieuse – Une croisière en Adriatique, récit, Éditions de la Différence (224 pages – 17€)

Chronique de Nadine Doyen

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Claire Fourier, Radieuse – Une croisière en Adriatique, récit, Éditions de la Différence (224 pages – 17€)


Besoin de changer d’air ? De s’émerveiller ? Claire Fourier propose à son lecteur d’embarquer avec elle. Comment ne pas succomber à une telle invitation au voyage !

Mais voyage-t-on pour changer d’air ou « pour le retrouver dans un cadre différent » ?

Claire Fourier n’a pas à se poser la question, puisqu’elle est la lauréate du Prix de la ville de Vannes pour son talent. Mais, encore habitée par son expérience de solitude et de méditation (qu’elle raconte dans « Dieu m’étonnera toujours »), la narratrice redoute cette croisière en Adriatique, qui n’est pas sa destination rêvée et où on ne peut éviter la promiscuité. Elle, « une femme du Nord », c’est la Baltique qui l’aimante, Rügen, ne serait-ce que pour se croire dans un tableau de Caspar David Friedrich et retrouver son héros « Hermann » des Silences de la guerre (livre qui lui a valu la croisière) Ce qui explique que son départ soit teinté de déception et sa réaction un rien provocatrice : souhaiter le crash de l’avion.

Claire Fourier anticipe les escales culturelles où les hordes de touristes convergeront tous vers les mêmes sites touristiques. Elle a bien l’intention de fausser parfois compagnie au groupe pour se fondre aux autochtones et mieux observer « les gens ». « Les gens » que Raymond Depardon capte en photos, Claire Fourier les approche, leur parle, les questionne et en brosse des portraits fidèles, pittoresques. Elle se révèle une subtile portraitiste de ce microcosme que forme la meute des croisiéristes. Elle radiographie ce melting-pot sans complaisance.

Rien ne lui échappe, visages, propos, silhouettes, postures…

La narration, datée comme un journal de bord, débute au 15 août, Jour J-1.

Le 16 août, elle s’envole avec son mari pour Venise, port d’embarquement.

Celui-ci va donc subir la mauvaise humeur de Radieuse, prénom temporaire qu’il lui attribue par ironie, le temps de la croisière. Car comme tous les Français, Radieuse « râle » et ne peut s’empêcher de comparer la Chartreuse où elle se retira un été et ce bateau, « puce des mers » où il faut s’adapter à la promiscuité.

La croisière est ponctuée de six escales, le long de la côte dalmate. Radieuse nous fait partager la vie à bord (repas, conférences, danses, spectacles, farniente, soins du corps) et participer à une pléthore de visites. Elle distille un rappel historique très détaillé pour chacun des lieux, souvent associé à un écrivain (le Monténégro/Loti). Elle mitraille en mots les paysages qui défilent, Split, « ahurissant patchwork », puis Korčula, « la ville où serait né Marco Polo ». On apprend que Dubrovnik, « la perle de l’Adriatique », doit son nom aux chênes qui couvraient autrefois la montagne. Hvar est « un petit Saint-Tropez ».

La narration est construite en mettant en exergue les contrastes.

Les merveilles des musées, la richesse des églises, des tableaux de Titien, d’une Vierge noire qui la « cloue sur un banc ». Le drapé d’un « manteau bleu doublé de vert, étoiles brodées » convoque le « génial couturier » Galliano pour Radieuse.

Une Crucifixion lui rappelle le retable de Grünewald, une Piéta la plonge dans l’extase, et, à côté, « la laideur de la foule », « ces corps flasques, adipeux ».

Gros plan sur la guide, Iljana, « Snoopy », qui porte un tee-shirt à l’effigie du Beagle de Charlie Brown, un « canon à mots », « une oriflamme », une « comtesse vénitienne » qui fascine Radieuse au point d’en brosser un portrait dithyrambique. Puis gros plan sur « une jeune trisomique » hurlant ou la vendeuse de lavande.

Claire Fourier dépeint de magnifiques variations de la mer, de jour, au soleil couchant, de nuit, offrant une gamme de couleurs (cuivre rouge, pourpre). Radieuse, de son balcon, « en peignoir blanc », s’abîme dans la contemplation des « reflets lunaires », donne un « baiser aux étoiles », quand elle ne lit pas. Que lit-elle ? Thomas Mann, Michaux.

Claire Fourier entrecoupe son récit par des évocations de Moby Dick

de Melville, et le ponctue ici et là de citations de Goethe, Mallarmé, Yeats, Montherlant, Camus.

En « glaneuse de Dieu », « panthéiste », « mystique », elle apostrophe les cieux, développe une réflexion philosophique sur Dieu, sur la vie, le bonheur et le voyage. Elle nous livre de multiples interrogations, dont l’une résume les autres :

« Peut-on regarder quelqu’un avec insistance sans se mettre à l’aimer ? »

Elle glisse une parenthèse sur les liens dans un couple, ne cachant l’érosion de l’amour : « Parler à mon compagnon de quarante ans revient à parler toute seule. »

Un mot revient souvent : humain. Un autre mot résonne : « Vide », l’auteur soulignant ainsi « l’errance des masses humaines ». Des mots étrangers émaillent les conversations ou descriptions. D’un pays à l’autre, Radieuse compare les sonorités. « La langue italienne est une berceuse ». À Dubrovnik, « nom raboteux, malsonnant », « rien de doux, ni d’avenant », « la langue croate, un jeu d’osselets ».

On perçoit un air de Schubert, « le cri rauque d’un oiseau de mer », un orchestre qui répète, une chorale, « le chuintement de l’eau qui grignote les quais », « Tic !Tac! C’est le temps que fend le navire ».

Tous nos sens sont mis en éveil, comme Radieuse qui veut « tout caresser ».

À Perast, décrit(e) par Larbaud « comme une petite boîte de bois peint » nous parvient « un parfum de rose venu on ne sait d’où ». Senteurs, couleurs du marché de Hvar ou des loups en devantures à Venise. La croisiériste Radieuse arrive à nous faire percevoir le tangage, entendre les vagues qui claquent, la mer qui « jappe ». On vogue, danse, file ou s’attarde. À bord, on chante, caquette, on rit fort. « Les matelots briquent ». La « pouliche » Iljana » virevolte, s’amuse, fait de l’esprit, fédère « son troupeau » et le séduit. La narratrice déambule, arpente les ruelles, « furète », Pierre mitraille avec son appareil photo.

La variété du vocabulaire donne un rythme alerte, fougueux, à

l’image de Radieuse.

Claire Fourier déploie un style singulier, avec des phrases elliptiques : « M’est avis que… », « Me plaît l’homme… », apportant de la nervosité. Elle recourt à deux niveaux de langue : relâché (« Laisse béton », « Bon sang », « Cela me casse »), châtié (« les écailles d’or frétillent sur l’eau de jade », « La mer fourmille de confettis dorés »). On retrouve avec joie sa plume qui combine poésie, érudition, érotisme, sensualité, autodérision et humour. Elle jongle avec les mots : « Ne jasons pas, jazzons ! ».

On entend la voix de l’auteur qui dénonce ce tourisme de masse et fuit « cette ménagerie humaine », ce « troupeau burlesque ». Mais n’aspirent-ils pas tous à la même quête : « changer d’air », leitmotiv du récit ? Revenue à Venise, Radieuse, « atrabilaire », peste contre ces « bétaillères, ces « navires à huit étages qui déversent leur « zoo humain » et défigurent « le port de la Sérénissime ».

Pierre invite Radieuse à lui confier son ressenti avant de quitter « Venise-la-mélodieuse », le 23 août. Elle s’interroge sur l’art de voyager : n’est-ce-pas « le retour qui donne un sens au voyage » ? N’avons-nous pas tous constaté aussi qu’« il faut en passer par le présent insatisfaisant pour arriver au souvenir réjouissant » ?

Vive la « revenance » ! On retrouve Claire Fourier, coquette, et qui préfère « porter la beauté sur elle » plutôt que la voir sous vitrine, au musée. Claire Fourier nous aurait-elle convertis au hygge ? (1)

Radieux, ravi, ressourcé, revigoré est ainsi le lecteur qui, comme Ulysse, a fait un voyage enrichissant, alliant culture, spiritualité et fantaisie grâce à la rayonnante Radieuse.

« Il n’est de voyage que de marche vers les hommes », nous dit finalement Radieuse, après avoir au long de ses pages noué au petit point, ou au point de croix, observation, contemplation et réflexion.

Futurs lecteurs, autorisez-vous à larguer les amarres.

©Nadine Doyen


(1) : Hugge : une nouvelle façon de penser le bonheur, venue du Danemark, prônant les plaisirs simples, un mode de vie rassurant, qui a

Dominique Noguez Une année qui commence bien – récit – Flammarion

RENTREE LITTERAIRE

 

  • Dominique Noguez Une année qui commence bien – récit – Flammarion (384 pages – 20€)

    Dominique Noguez Une année qui commence bien – récit – Flammarion

Dans ce récit confession, Dominique Noguez ne compte pas seulement les heures heureuses. Si l’auteur se décrit comme timide, enfant, ici il se livre sans ambages.

Toutefois il a beaucoup tergiversé avant de combler son « retard de sincérité ».

Il craignait de raviver de vieilles plaies, n’ayant pas le goût pour l’exhibitionnisme.

Colette, son amie libraire l’encouragea à « s’alléger du poids du secret ».

Son « précieux journal », qu’il considère comme « un rival » ou « un guide », lui a permis de ressusciter des moments plus flous dans sa mémoire, 15 ans après.

Il peut en exhumer des faits, comme « les crans d’une crémaillère qui empêchent la retombée dans l’oubli ». Qu’en est-il de Cette année (1994) qui commence bien?

 

L’auteur évoque ses nombreuses conquêtes( « Je couchottai ») jusqu’à son coup de foudre pour Cyril qui deviendra « la grande affaire de sa vie ».Il revient sur cette rencontre déterminante, lors d’un colloque, en 1993. Il succombe devant ce visage angélique, « sa beauté, son sourire, ses cheveux… », « ses yeux « une inondation de bleu clair ». Mais n’était-il pas « un archange diabolique »? Son attirance qui tourne à l’obsession. Il en dresse un portrait dithyrambique. Comment ne pas être sous l’emprise de ce « grand pourvoyeur d’espérances », au « rayonnement exceptionnel », à l’ « intelligence rare »? Il retrace ses lents progrès dans l’apprivoisement de l’autre. Dominique Noguez a recours à des termes de tauromachie ( faena, talanquère) pour décrire les phases d’approche avant d’en arriver aux étreintes sulfureuses et à la nudité. Le séjour au Japon fut irrigué par « un fleuve de tristesse » en raison de leur séparation. L’éloignement inspirera des lettres enflammées, empreintes de lyrisme. Quant à l’aveu de Cyril: « Tu me manques… », peut-il être perçu comme sincère? Tout comme son « je t’aime, tu sais ».

La vie de Dom sera ponctuée d’attentes, de « traversées du désert », d’espoir, de retrouvailles, de sorties communes ( opéra, théâtre,dîners) et même de voyages en Asie, à Rome. Mais la complexité de la personnalité de Cyril, son humeur versatile conduisent soit à une oaristys soit à l’évitement, puis à « un véritable gouffre ».

 

Ces liaisons vont faire endurer au narrateur les affres de la jalousie et le broyer. Il va accumuler déceptions,frustrations, humiliations,infidélité, lapins,reproches, avanies pour quelques miettes de bonheur. Cette passion, vécue de façon intense, fut pour le narrateur « un bouleversement du tout ». Ne vaut-il pas mieux souffrir d’avoir aimé que de souffrir de n’avoir jamais aimé? On admire le stoïcisme à toute épreuve du narrateur,sa persévérance aveugle , sa abnégation. On compatit à son sort ( devenu « Sisyphe encombré de son rocher »), toutefois, il a su puiser dans la musique son effet lénifiant et tirer de cette expérience de cinq ans sa force de résilience. Il positive pour être sorti « grandi par ces turbulences » et se considère « guéri de l’amour », tel un chat échaudé. Ce récit agira comme « un brasero en hiver ».

 

Dominique Noguez met aussi les hommes à nu dans son récit et nous livre une exposition Masculin/Masculin bien personnelle. Il sait peindre la nudité des corps, ceux qu’il déshabille, ceux qu’il a côtoyés dans les douches ou dans les «  sentõ», ceux qu’il a admirés , aimés, convoités. La «  vague du désir » sans cesse en éveil.

Il confie qu’avec le Sumo, il a découvert « l’émoi érotique suscité par ces montagnes de chair ». Il est fasciné par la beauté des corps, aimanté par la plastique des éphèbes.

Il revisite avec sensualité sa première expérience au hammam où Cyril , véritable « musicien du corps, compose une symphonie de voluptés efficaces ».

 

Dominique Noguez décline un hymne à la beauté, « une misère » pour Cyril, objet de trop de convoitises et lui-même « gourmands de contacts humains ». L’auteur apporte une note d’exotisme avec le rituel des sumos , une touche de poésie avec la magnificence des paysages printaniers et met en lumière le savoir-vivre des japonais.

 

L’auteur nous offre une galerie de portraits fouillés dont celui de son « Radiguet », qui causa son éblouissement ou d’un bel Antillais, « à dreadlocks », aux « lèvres pulpeuses ». Quant à son auto portrait , il opte pour l’auto dérision, ayant le recul suffisant sur son fiasco intime. Il croque avec humour le néophyte qui avait oublié serviette et maillot pour aller au hammam et avec lucidité celui qui n’aura « connu l’amour dans toute sa plénitude que par les livres ».

 

Pour ce qui est du style, Dominique Noguez séduit par sa haute teneur. On pourrait reprendre ce que Cyril avait eu l’occasion de lui reprocher pour Les Martagons à savoir la pratique d’ « un certain élitisme » et l’emploi « des mots rares »( oaristys).

On découvre leur différend sur ce roman, Cyril s’opposant à ce qu’il lui soit dédié.

 

Les références littéraires ( listées à la fin) sont légion et nous conduisent à Cocteau, Reverdy, Bobin. Dominique Noguez, le philosophe, glisse des réflexions se référant à Descartes . Il livre une analyse de la dépendance amoureuse. Il explore en profondeur la fulgurance d’une passion aveugle et destructrice qui a changé le cours de son existence. Il porte un regard critique sur le métier de trader de son bienaimé, « un loup à peine déguisé en agneau ». Il dresse une fresque de lieux interlopes mythiques ( Le Palace, Le Privilège) et il renvoie un miroir de la vie littéraire des années 90 (soirées privées ou à la Maison des écrivains où l’on croise Sollers, Houellebecq) , époque où l’on communiquait par fax et encore d’une cabine téléphonique.

 

 

Dominique Noguez signe un récit ample, douloureusement sentimental, à la veine autobiographique, dans lequel le mot désir a souvent rimé avec souffrance, plaintes avec plaisir et dont le bilan se résume à « des lambeaux d’amour ». On peut subodorer que l’auteur a dû se faire violence pour ce coming out sincère, qu’il compare au « supplice de Marsyas ». Un roman , empreint de nostalgie,d’autant plus touchant.

©Nadine Doyen