JACQUES ANCET – LES TRAVAUX DE L’INFIME (Ed. ÉRÈS, Coll. PO&PSY in extenso.)

les travaux de l'infime -Jacques Ancet

JACQUES ANCET – LES TRAVAUX DE L’INFIME (Ed. ÉRÈS, Coll. PO&PSY in extenso.)

Jacques Ancet, poète et traducteur notoire, se trahit ici, au sens noble du terme, avec ce beau petit livre intitulé Les travaux de l’infime : de fait, ce n’est un petit livre que par la dimension (approximativement in-18 raisin). Il s’agit quant à son contenu d’une grande quête de l’invisible. Une quête de mon point de vue véritablement métaphysique. Jacques Ancet exerce sa langue poétique à détecter les micro-failles, parfois inidentifiables, ou fictives, hypothétiques, de sa réalité intime, pour leur faire trahir «le rien qui nous traverse». Il s’exerce de la sorte à tenter d’identifier un minimum d’ordre dans le mystère de notre présence au monde, obligeant son poème à un regard décalé qui pour le lecteur est toujours une riche expérience. Évidemment, la poésie se ressource ici au fondement de sa magie, un discours qui est indistinct, sans le dire, d’un discours quasi-religieux. Non pas au sens où le poète se voudrait prophète mais au sens où il serait à l’affût, de ces détails infimes par lesquels la divinité, quelle qu’elle soit, pourrait se manifester comme par distraction, comme si l’être humain était si peu perspicace, si peu attentif, qu’il ne détecterait pas ces négligences, ces cohérences insolites ou, au contraire, ces incohérences banales qu’un regard pénétrant peut constater dans l’agencement du réel. Ainsi le livre de Jacques Ancet, comme un bréviaire (laïque) de poche, nous prend par la main qui feuillette et par l’esprit qui lit, au long d’un itinéraire intérieur initiatique, destiné, à travers une beauté de la langue transmise (et l’on reconnaît là le traducteur, car le livre pourrait s’intituler «traduit de l’infime») et une calme humilité, à nous introduire à l’éternité. C’est à travers des oxymores tels que cette formule «Rien ces mots prononcés, qui un instant pourtant disent que ce n’est pas rien.» – un livre ascétique, tout entier rédigé «pour ne pas finir», ce qui est le titre de la section finale du recueil. Un livre promis pour les lecteurs de poésie à une fréquentation quotidienne et rafraîchissante de l’éther poétique.

©Xavier Bordes

Lumière des jours
Le site Web de Jacques Ancet

AU PLUS PRÈS de Philippe LEUCKX

    AU PLUS PRÈS de Philippe LEUCKX

  • AU PLUS PRÈS de Philippe LEUCKX (éditions du Cygne)

A l’encre des étoiles

Dans Au plus près, Philippe Leuckx trempe sa plume dans la braise et le sang. 

« Langue raisin de feu »

« J’écris où je me brûle »

Il allume au tison de l’enfance des feux de mots qui éclairent nos histoires intimes.

Entre éveil des sensations et « sommeil des possibles », au-delà des pertes (de saisons, d’êtres chers), « entre passé devenir », le poète épingle des visages pris dans la lumière des réverbères, des visages comme des villes, présents en leur absence dans le temps de leurs rues, de leurs rides.

Le poète dit à sa façon comment vivre chichement en se contentant « du peu qui coule sang frisson », d’une paume à défaut d’une étreinte, d’une lueur tombée d’un soleil. En gardant, pour l’accueil des ferveurs, le froid qui a provoqué le frisson, la chaleur couleur de fièvre…

Sans perdre de vue le jour,  à gagner « à la sueur des arbres » pour « à la pleine lumière /rameuter [les] souches », car c’est la nuit (de l’effroi ? chère à Pascal Quignard) que le travail du père se fait :

Mais le père ne se cache pas

S’il vient au jardin

C’est de nuit 

Ramasser ses étoiles

Et caresser le rouge

Des cerises

En effleurant sa bouche

D’aube. 

Chez Leuckx, les choses sont duales, comme en un duel permanent, dialectique, s’échangeant face claire et obscure, force et faiblesse, poids et légèreté…

Contradictions apparentes, dépassées, converties en métaphores.

Ce recueil livre aussi un art poétique.

Le temps fuit mais c’est dans le temps qu’on demeure ; le corps bat et le cœur gronde ; l’ombre naît de la lumière qui se découpe sur le sombre… « L’heure pèse sur la vitre » même si « l’heure est douce »… La poésie naît de ces rapprochements inédits entre les qualités insoupçonnées des objets au sens large, que seul le poète voit, sent et rend. Averti de la  volatilité de la parole, il cadre au plus près des mots ses modèles pour en livrer de neuves images.

La poésie de Leuckx est aussi consolation, comme chez Lautréamont ou François Jacqmin.

Ecrire au plus près… des paupières, le regard ; de l’enfance, le père ; de la peau, le poème ; du ciel, les étoiles ; du jardin, la terre ; du murmure, le silence ; du visage, l’autre, toujours.

Au plus près, ce sont 49 brèves épiphanies à déchiffrer à la flamme d’une vie, « trop tard » et à l’ombre, « pour toujours égaré ».

Philippe Leuckx écrit à l’encre des étoiles dans les replis du jour, les sentiers soustraits à la lumière, où se perdent des hommes mus par un besoin de plus d’humanité.

C’est la langue

Qu’on nettoie à grandes eaux

Une chambre s’allume

Dans le cœur

Tout le reste est d’encre

Sombre. 

©Eric Allard