Ara Alexandre Shishmanian, Oniriques, Editions PHOS 2025.

Ara Alexandre Shishmanian, Oniriques, Editions PHOS 2025, Préface et Traduction Ara Alexandre Shishmanian et Dana Shishmanian, Préface Dana Shishmanian, Illustration de 1ere de couverture Victor Brauner, Format 14 ½ X 21, Nombre de pages 154.


Au-delà de ses méandres et arcanes nous pouvons comprendre « qu’il nous reste à survivre en réinventant l’écriture. » C’est exactement sur cette voie que s’engage le poète insolite et singulier, Ara Alexandre Shishmanian.

« Oniriques » ce nouvel ouvrage qu’il nous présente aujourd’hui ne trahit pas son titre, c’est un véritable chant intuitiste, surréaliste qui nous entraîne en des dédales déroutants où le lecteur risque parfois de s’égarer.

Ara Alexandre Shishmanian nous propose une œuvre qui vient de loin, au-delà d’un contexte poststalinien où l’onirisme comme l’hédonisme non conforme au parti étaient proscrits. C’est bien cette contrainte qui a donné en partie toute sa force à l’écriture de notre narrateur.

Un poète a toujours besoin de rêve, le simple fait de choisir une œuvre de l’artiste surréaliste Victor Brauner en première de couverture en dit long sur l’intention de l’auteur. Voici une écriture poétique qui brise les codes en nous transportant dans un espace se situant entre le profane et le sacré. La touche mystique n’est pas loin. Cette œuvre contient une musique syncrétique, mélange ou fusion des pensées et des religions.

Ara Alexandre Shishmanian est un brillant intellectuel qui nous guide sur des chemins singuliers auxquels nous n’avons pas toujours accès. L’écriture est des plus personnelles déroutant souvent le lecteur, c’est le règne de la métaphore, du symbole, du paradoxe. Le chemin est incertain, alambiqué, où les plus intrigantes rencontres sont toujours possibles. Avec cette écriture nous oscillons entre une réalité indéniable et une note surréelle sous-jacente qui donne tout son piment à l’écriture. « J’écris en rêve un livre que je ne comprends pas. » Ici en cet espace intemporel, le fou, le clown, le chaman peuvent se croiser et faire ensemble une partie du chemin de vie. Cette vie souvent se révèle être une déchirure permanente entre les cendres et les larmes.  

Voyage étrange, surprenant et pourtant poétique où l’auteur lui-même s’étonne, ce qui n’est pas sans nous rappeler un certain « Je, est un autre » cher à Arthur Rimbaud.

Au travers de son transport poétique Ara Alexandre Shishmanian franchit le Stix et rejoint les enfants innocents qui jouent parmi les cercueils blancs. Le monde des hommes est tellement frelaté que l’insolite est toujours au rendez-vous.

Indéniablement nous traversons des espaces d’authentiques puretés poétiques, nous y croisons des diamants ciselés, notre poète est à sa façon une sorte d’orfèvre, qui joue avec les contradictions, les contreformes. L’étrange est dominant, j’imagine bien dans mes fantasmes, Ara Alexandre Shishmanian comme sage ou gourou alchimiste parmi ses cornues.

Non, ne cherchez pas la ponctuation, car ici aussi notre narrateur se lance un défi, il réinvente un langage, une écriture, une vision hors norme où le temps se fait jour et ténèbre, poussière d’or, chandelle ou squelette. 

Dans cette poésie nous avançons à pas comptés, prudemment, car nous risquons vite de nous égarer, pour nous retrouver dans une situation inextricable où l’absurde côtoie la raison.

Oserai-je dire que la poésie de notre scribe est hiéroglyphique, je m’interroge ! « J’étais – mais je ne voyais pas – j’étais – » Tel le polyèdre, la poésie ici est porteuse de nombreuses facettes énigmatiques, elle est un exil où il faut savoir prendre le risque de franchir des labyrinthes, de défier les Cerbères de l’univers. Le voyage au cœur de la pensée « schishmanienne » est à la fois helléniste et dantesque, notre poète compose et construit des images étranges de notre monde préoccupant et incertain, mais néanmoins il n’a de cesse de croire encore et toujours à l’amour.

Cette œuvre singulière nous plonge dans l’absurde de notre société dite « humaine » mais qui pourrait aussi très bien s’associer aux travaux des adeptes de l’école de l’Oulipo chère à son fondateur Raymond Queneau, à Georges Perec membre majeur du mouvement etc.

Ara Alexandre Shishmanian est un poète qui joue de la dérision, de l’absurde, il aimerait s’envoler avec des anges verts, des chimères et des fantômes sortis de la fabrique, mais néanmoins il use de formules rassurantes telles « des flammes tiennent les oiseaux des hauteurs dans leurs mains » ou encore « barques esseulées – simples images – pareilles aux anges d’un tableau – » « une feuille de crépuscule géant parsemée d’étoiles. » 

Notre poète érige son codex, son langage, sa propre expression, qui nous bousculent et nous déroutent tout en nous offrant d’étonnantes fleurs inconnues. Par la magie du verbe Ara Alexandre Shishmanian va jusqu’au transfert de lui-même, au dédoublement, sorte de phénomène d’ubiquité.

Il faut bien se séparer, alors je conclurai sur cette citation personnelle : « Il ne suffit pas à la poésie d’être sincère, elle se doit surtout d’être libre ! »

Malcolm de Chazal, une pensée multidimensionnelle et transdisciplinaire.

Malcolm de Chazal, une pensée multidimensionnelle et transdisciplinaire.

Par Michel Bénard

« L’art n’a pas de pays, n’a pas de frontières. À mon sens, l’art est la seule chose qui peut créer l’humanisme transcendant et qui nous fait découvrir l’ultime sens du sacré.» 


Malcolm de Chazal. 

                                                                                                                      

Jeanne Gerval Arouff, « Pour MALCOM De Chazal l’essentiel monolithe. », Préface Dana Shishmanian, Facsimilés, documents et illustrations divers, Format 14 ½ X 20 ½, Nombre de pages 377, Impression Repro Rapid – Béziers – 2022 – 


Ces bien modestes lignes ne sont que les fragiles reflets d’un hommage rendu à Jeanne Gerval Arouff pour sa remarquable étude : « Pour MALCOLM de Chazal l’essentiel monolithe. » Cet ouvrage publié en 2022 est toute la résonnance d’une vie de reconnaissance et d’admiration. Car l’auteure découvre ce grand esprit universel vers 23 ans alors qu’elle était encore étudiante. 

Je ne reprendrai pas ce qui a déjà été écrit brillamment par la poétesse, écrivaine et essayiste Dana Shishmanian, dans la préface du livre, tout simplement je me laisserai porter par mon ressenti au fil de ma lecture, au rythme de l’esprit et du cœur.

Malcolm de Chazal est un personnage singulier, insaisissable et cependant tellement attachant d’idéal et de passion.

Quelle plus belle preuve d’admiration et de respect puisse démontrer une artiste à ce génie qui est une référence, un guide intellectuel et spirituel, sinon lui consacrer un livre de haute tenue, c’est exactement ce que fit Jeanne Gerval Arouff pour ce penseur mauricien hors normes, défiant toute logique, le philosophe, le poète, le peintre tardif mais étonnant. Malcolm de Chazal, qui pense avoir « trouvé le fil d’universalité… le Principe-Homme », est en quelque sorte un chercheur d’Absolu, un esprit mutant, considéré comme un excentrique sur son île mauricienne et reconnu en France par des écrivains, penseurs et artistes tels que Jean Dubuffet, André Gide, Léopold Sédar Senghor, Jean Paulhan, André Breton, Gaston Chaissac, Jean-Marie G. Le Clézio, Olivier Poivre d’Arvor, etc. etc.     

Esprit d’exception, Malcolm de Chaza, est tout à fait conscient que toutes les choses qui sont les plus importantes pour l’humanité, passent le plus souvent totalement inaperçues. Cependant il n’en démordra jamais : « La poésie seule peut sortir l’humanité de l’abîme où elle se trouve car elle est la seule puissance rédemptrice ayant seule la clé de tout. » « Créer est le seul domaine où il faut se déposséder pour s’enrichir. » La poésie doit demeurer abordable et s’ouvrir sur le cœur.

Malcolm de Chazal dans l’esprit du philosophe Swedenborg croit au principe de « L’homme universel », c’est son côté anthropique, mais il écrit : « L’homme a été fait à l’image de Dieu. » Et il poursuit dans le même élan : « La nature a été faite à l’image de l’homme…/… ». Petite objection à ce propos, il me semble plutôt que ce sont les hommes qui ont créé une image de Dieu, pour servir et justifier en toute bonne conscience, leurs actions ou exactions.

Le parcours de le vie intellectuelle de Malcolm de Chazal fut très marqué par la pensée du philosophe mystique Swedenborg. Ainsi il voit en l’homme la mesure de toute chose, sorte de mètre étalon, c’est la mesure de la connaissance. Ici la priorité est donnée aux sensations. Dans l’œuvre de Malcolm de Chazal le dépouillement particulièrement n’est jamais bien loin, il touche une sorte de nudité divinisée et cosmique qui engendre l’idée du sexe sacral. Ce qui est perceptible dans son œuvre majeure – Sens plastique – où il traverse une période mystique tout à fait significative, dont l’idéal est en fait une volonté d’humanisation de l’art. Poète épris du « Grand Tout », il rêve d’accéder aux noces mystiques, ce qui me conduit à Saint Jean de la Croix. Par ce principe théorique il est très proche de la philosophie zen. Il est fasciné par l’idée du « Grand Œuvre. » Penseur, artiste multidisciplinaire d’une grande ampleur, son œuvre demande une approche progressive. Il possède une vision androgyne fondée sur le principe d’une unité masculin-féminin. Le principe d’un monde global n’est jamais très loin.  

Malcolm de Chazal se marginalisa dès son enfance, il portait déjà en lui un besoin de solitude afin de mieux se plonger dans la source créative. L’idée de poésie est la partie dominante dans son œuvre, il va chercher les matériaux de ses poèmes dans une sorte de jardin intérieur épuré, une piste dans le désert, un refuge aux pieds des météores. Il faut bien comprendre que notre penseur était en avance dans bien des domaines, ce qui l’isole encore un peu plus. Adulé, contesté, admiré, dénigré, il n’en était pas moins pour autant une espèce de réformateur, un novateur de la pensée, passant d’un mysticisme libéré à un panthéisme régénérant.

Il attirait l’attention sur les méfaits d’une modernité incontrôlée devenant la pire pollution de la société contemporaine. Convenez, que nous sommes ici confrontés à un petit parfum prémonitoire. 

Sans doute Malcolm de Chazal devait-il se sentir limité, un peu à l’étroit dans ses disciplines initiales, la philosophie, la littérature et la poésie etc., alors il lui vint comme un défi le besoin viscéral de pratiquer les arts graphiques, de faire parler lignes, volumes et couleurs. Tout à son honneur, il n’eut jamais de prétention quant à l’art pictural et reconnaissait volontiers son manque de formation, d’ailleurs ne disait-il pas : « En peinture, il ne me fut pas donné d’avoir des professeurs, d’où ma qualité d’autodidacte. » Aujourd’hui si nous devions situer l’œuvre peinte de Malcolm de Chazal, il serait placé parmi les peintres dits singuliers, naïfs ou art brut, nous pourrions aussi songer au mouvement COBRA, d’ailleurs ce n’est pas tout à fait par hasard qu’il se rapprocha de Gaston Chaissac et Jean Dubuffet, précurseur de ces mouvements à contre-courant. Malcolm de Chazal se rapproche d’un art épuré, simplifié, il veut pouvoir peindre comme les enfants, simplement, sans calcul, naturellement, loin de toutes formes esthétiques. Sa conception est une recherche de la peinture-poèmes, du poème-images. Pour lui ce qui est considéré comme un crayonnage enfantin est l’apogée de l’expression libre. Par cette vision « naïve » il y voit un art qui s’ouvre vers l’universel dont les images surgissent de l’inconscient : « Par la couleur j’ai le verbe immédiat. » Vous constaterez que la poésie est toujours présente. Retourner au jardin de l’enfance pour peindre comme un enfant et fermer les yeux pour éclairer les étoiles, tel était le rêve intérieur de Malcolm de Chazal, créer des images nouvelles, une effervescence stylistique et chromatique différente. 

Néanmoins, si la peinture occupe désormais beaucoup de place dans le champ de ses nombreuses activités, la philosophie reprendra ses droits, afin de rester un homme droit et debout. Il reste cependant prudent, voire distant envers les erreurs philosophiques. La réflexion philosophique conduit irrémédiablement sur des chemins constellés d’hypothèses, qui demandent à être confirmées. Le vide des choses peut vite devenir le plein du cœur et le sens de la vie ne serait-il pas tout simplement rattaché à « La poétique de la rêverie », pour reprendre le théoricien de la poésie de l’imaginaire, Gaston Bachelard. C’est aussi l’idée du retour à l’être androgyne, forme première, voire biblique de l’humanité. C’est la symbolique fusionnelle du conscient et de l’inconscient, de l’intellect et de l’imaginaire, de la raison et de l’intuition. Tout est là, ici je retrouve le grand principe de Nietzsche : « Retourner à l’état androgyne pour renaître – HOMME TOTAL – » l’homme fondu dans le grand TOUT. 

Malcolm de Chazal, poète, est un merveilleux créateur d’images et je retiens ici deux extraits significatifs : 

« La mer avait ouvert ses cuisses et on sentait l’odeur des algues. »

ou encore : 

« Prends-moi nue dit la fleur au soleil avant que la nuit ne me ferme les cuisses. »  

Malcolm de Chazal est ébloui par l’alchimie permanente les métamorphoses universelles. Parmi ses référents je ne peux pas écarter Krisnamurti, ce grand réformateur de la pensée qui nous invitait à nous méfier des philosophies trop excessives et des religions trop dogmatiques, qui ne peuvent que conduire au sectarisme et à l’obscurantisme : «  La vérité est un pays sans chemin ».

Sous forme de conclusion car Malcolm de Chazal est une sorte de massif montagneux à multiples faces dont l’ascension est d’une haute et dangereuse difficulté. Personnage singulier jusqu’à l’extrême, honnête envers lui-même, il avait une aversion pour les honneurs et distinctions qu’il écartait royalement. Dans sa préface de « La vie derrière les choses » Olivier Poivre d’Arvor écrivit : « Il a eu le tort et la grandeur de n’être point commerçant de ses visions. » Mais il avait cette conscience profonde que : « La seule ivresse du poète est l’inspiration. »

Il y aurait tant et tant à écrire, à dire sur un homme à l’esprit kaléidoscopique, à la pensée tentaculaire, cependant je conclurai ici en rendant hommage à celle qui fut son rayonnement, son alter égo, car il est impossible de ne pas louer la clairvoyance de Jeanne Gerval Arouff, artiste également, peintre, sculpteure, et femme de lettres, qui fut comme une sorte de troisième œil pour Malcolm de Chazal. Comme nous le savons les femmes particulièrement possèdent une sorte de sixième sens, des ressentis intuitifs et des visions prémonitoires, les femmes ont cette notion de l’avenir et dans cette perspective, Jeanne Gerval Arouff pressentira le destin d’exception de Malcolm de Chazal. Elle lui consacrera une grande partie de sa vie, et elle vient de publier avec brio un ouvrage qui est une incontournable somme, d’informations, de réflexions, de témoignages : « Pour MALCOLM de Chazal l’essentiel monolithe ». Ouvrage visionnaire, objectif, lucide et pertinent qui nous donne la preuve, si besoin était, que seule une femme écrivaine et artiste est capable d’une telle preuve de compréhension et dévouement. 

©Michel Bénard.