Voici quelques articles à propos de Méandres de Salvatore Gucciardo

Les Amis de Thalie N° 85 2015
Chronique de Xavier Bordes

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LE JOUR COMMENCE – Jacques Ancet (Poèmes – Ed. Tarabuste, Coll. Reprises).
Un certain nombre de poètes contemporains ont la prédilection de poursuivre la (respectable) tradition du lyrisme, inaugurée par Sappho six cents ans avant notre ère. Cette forme de poésie à mon sens présente trois caractéristiques principales qui me conviennent fort bien :
1) On n’y abandonne pas la beauté de la formulation et des images.
2) On n’y a pas renoncé à l’expression simple des sentiments, l’amour venant en premier lieu, que ce soit d’une personne, ou du monde à travers elle.
3) Une dose de mystère irréductible, mais naturel, spontanément ressenti, plane en arrière-plan du poème, et incite au rêve… Qui est bien l’un des plus magnifiques agréments de la vie.
Telle se présente à nous dès les premiers recueils, ici réédités, la poésie de Jacques Ancet, premiers recueils dont un certain nombre, recomposés et organisés forment la matière des 195 pages de ce livre intitulé « Le jour commence », qui nous montre combien était déjà mûrie, originale dans le naturel de ses métaphores, profonde dans son regard sur la vie, la poésie commençante du jeune Ancet – laissant présager la longue œuvre qui suivrait.
Lorsque je parle de poésie lyrique, aujourd’hui les lecteurs facilement imaginent romantisme, exagération, mièvrerie, comme si ces caractères étaient indissociables de tout ce qui a rapport à la belle expression des sentiments que la vie inspire aux auteurs lyriques. Comme si cette forme d’expression était incompatible avec une vision réaliste des choses. Si l’on y regarde de près, il y a beaucoup de réalisme efficace et simple chez un poète aussi délaissé aujourd’hui que Lamartine, dont l’oeuvre mériterait d’être réévaluée. En tout cas, en ce qui concerne Jacques Ancet, rien de mièvre, rien d’exagéré, rien d’enflé au sens romantique du terme. C’est une poésie dont le lyrisme serre de près la vision du monde propre à l’auteur, s’attachant au petit comme au grand, mettant des phrases rythmées et nettes sur les événements du quotidien sans leur ôter ni leur joie et leur lumière, « l’incroyable beauté des choses » ni éventuellement leur tragique, « l’éphémère parfum d’un monde qui s’en va ». Je tire ces deux citations de la partie centrale du livre « Courbe du temps » dont je ne peux me retenir, pour résumer la voix de Jacques Ancet de donner ici un poème qui en est la synthèse :
quand le regard devient regard
la main s’arrête un peu
comme pour écouter
la lumière à quatre heures
est l’or déclinant d’un fruit
le ciel plus pur encore
que celui de l’enfance cachée
dans le vert tremblement des poires
sous l’arbre s’incline une tête
selon la courbe de sa vie
vivre vivre blessure lente comme neige
J’aime fort cette voix de jeune homme, qui n’élude pas la blessure de vivre, non plus que ce qu’offre de beauté ce vivre. Il y a dans la poésie d’Ancet jeune des souvenirs imperceptibles de Jaccottet, de Follain (qu’il place en exergue d’une section du livre), d’André du Bouchet, totalement assimilés, et qui sont le tremplin d’un poète neuf dans les vers duquel, avec une égale intensité d’écriture, l’émotion « tombe juste » et renouvelle incessamment la richesse d’un univers humblement magnifique, lequel suscite le profond plaisir de lire, une méditation insistante, couplée à l’admiration du lecteur que je suis et que j’ai l’espoir, par cette note, de faire partager. La poésie moderne n’est pas affaire absconse de spécialiste, elle peut être simplement touchante, intelligente et belle, ouverte à tous : celle de Jacques Ancet, dont Traversées a publié naguère un bouquet d’inédits, en est la merveilleuse illustration.
©Xavier Bordes
DÉPRESSIONS, le chemin des poètes Anthologie de poèmes (Ed. L’Harmattan – témoignages poétiques.) de Bruno Rostain.
Voici un livre simple, original, passionnant et singulier. Un psy qui aime la poésie s’intéresse à la façon dont les poètes à travers la littérature française ont exprimé, et ainsi tenté d’alléger avec des réussites variables leurs souffrances, leur sentiment tragique de la vie* selon les mots de Miguel de Unamuno lorsqu’il avait vingt ans. Bruno Rostain est psychiatre, psychothérapeute, et a longtemps exercé dans le service public. Il est de ceux qui ont cultivé l’étude de la littérature et de l’histoire pour approcher, en complément de l’observation clinique, la réalité psychique de l’être humain, et son livre reflète avec netteté, poèmes commentés à l’appui, la façon dont se présente cet état d’âme si moderne en apparence qu’est la dépression – ou plutôt, que sont les dépressions, car elles se présentent sous diverses formes. Ce qui est spécialement intéressant dans ce livre est qu’il conjugue les vertus d’une anthologie poétique personnelle sur le thème en question, mais qu’il s’accompagne également d’analyses scientifiques pertinentes (dans les limites évidemment de ce qu’on appelle « sciences humaines »), concernant les états de conscience et la personnalité dont chaque poème est le miroir, et de surcroît d’un lexique clair, de réflexions tout à fait accessibles au profane. Il s’ensuit que l’on se retrouve face à un ouvrage qui associe les charmes de la poésie et celui d’une initiation aisée à ce phénomène mental que sont les dépressions diverses, lesquelles forment un ensemble assez flou pour nos contemporains non spécialisés. C’est donc la première fois à ma connaissance qu’un livre fait dialoguer la logique qui diagnostique et la fantaisie qui poétise. Raisons pour laquelle en ce qui me concerne, je lui ai trouvé un fort intérêt, à la fois de lecture littéraire, comme occasion d’y « réviser » nombre de poèmes fameux, et de curiosité en quelque sorte thérapeutique, en ce sens qu’il n’est jamais indifférent de surprendre le fonctionnement mental de certaines périodes dans la vie de poètes célèbres ou moins célèbres, dont le choix des poèmes joue à la fois le rôle de miroir et de loupe. Notons que le parcours se fait par thèmes, sous quatre grandes rubriques, et non par chronologie de l’histoire des lettres. Ainsi voisinent de façon frappante des auteurs que l’on ne rapproche pas d’ordinaire, Louise Labé, Paul Eluard ou Leconte de Lisle y peuvent fort bien être côte à côte, se répondant de poèmes en poèmes. Bref, un livre que je recommande vivement à tous ceux que les rapports entre poésie et états mentaux intéressent !
©Xavier Bordes
Chronique de Jean-Paul Gavard-Perret
Eugène Savitzkaya, À la cyprine, Editions de Minuit, poèmes, 2015, 104 p, 11,50 €, Fraudeur, roman, Editions de Minuit, 2015, 168 p. 14,50€.
Savitzkaya ne manque ni de cœur, ni d’émotion. Mais il ne les porte pas en sautoir littéraire. Après son premier roman publié il y a plus de trente ans aux Editions de Minuit, l’auteur y fait retour aujourd’hui en deux textes (un roman, un recueil poétique) fulgurants. Le vivant est là dans ses miasmes et ses atomes. Dans un amas de feuillage, sur une chaise vide dans des ruches aux ombres vertes. L’auteur « parie » sur la tendre indifférence du monde et des ordres (non humains) qui le peuple : « Que l’eau sourde noire du fleuve / gagne la blondeur des sables / qu’elle abreuve de vase et de pierres / que pullulent protozoaires / dans l’humide et fourmis / dans le sec gâteau de terre ». Et qu’importe si la source « ne dit mot / du secret et la citerne ». L’essentiel est déjà dit. Et qu’importe si comme son fraudeur il faut tricher afin d’affronter sa propre existence. Peu d’écrivains ont le courage de le dire. La vie n’est pourtant qu’une suite de compromis avec soi-même. Exit la mécanique humaine – sinon pour en souligner les « nécessaires » dysfonctionnements afin que l’homme puisse survivre. D’où l’énergie particulière d’une écriture qui dérive loin du logos mais près des yeux et du cœur. Assis ou marcheur, l’auteur est un spectateur du réel et non de ses farces et fables humaines. Aimant aimer, jamais éloigné de la sève, Savitzkaya reste un écrivain à part. Fini les roucoulades amoureuses. Aux mots de têtes, l’auteur préfère ceux des bêtes. Elles offrent à ras de terre des moments incroyables, des moments qu’on oublie de vivre et que la littérature « générale » ignore superbement. Maquillant tout d’un sourire, l’auteur ignore nos dieux. Ce jeu est plus sérieux qu’on croit. Il fait la part au vide et conjure les hasards. L’envers des nombres et des mots contenus dans chaque page entretiennent autant l’ignorance qu’un savoir par les multiples hypnoses qu’un tel « propos » engage. La création trouve soudain un rôle inédit. Contre l’empâtement du logos surgit une volte-face qui « formule » l’endroit d’une inspiration opposée à la numérisation d’une écriture machinale.
©Jean-Paul Gavard-Perret
Créé avec l’accord de sa famille pour prolonger l’œuvre et la démarche de Paul Quéré, poète, critique et peintre, fondateur des revues Ecriterres et Le Nouvel Ecriterres, le prix sera décerné tous les 2 ans et distinguera un poète partageant la démarche, les valeurs et les qualités qu’il défendait.
Les auteurs peuvent faire acte de candidature du 1er janvier au 15 février 2015 inclus au moyen du formulaire en annexe du règlement ci-joint, à faire parvenir à : editionssauvages@orange.fr .
Le lauréat sera récompensé par l’édition à compte d’éditeur de 100 exemplaires d’un ouvrage de poésie dans la collection Ecriterres créée à cet effet, du nom de la revue fondée et animée par Paul Quéré.
Les membres du jury pour la session 2015-2016 sont : Bernard Berrou, Louis Bertholom, Marie-Josée Christien, Bruno Geneste et Ariane Mathieu.
Règlement et fiche de candidature à demander par courriel : editionssauvages@orange.fr
ou à télécharger ici : Règlement du prix et fiche de candidature