Le dernier enfant, Philippe Besson  –  Julliard (19€ -206 pages) ; Janvier 2021

Chronique de Nadine Doyen

Le dernier enfant, Philippe Besson  –  Julliard (19€ -206 pages) ; Janvier 2021

Philippe Besson avait dédié La maison atlantique « à la mémoire de son père, un homme admirable ». Il nous touche de nouveau en destinant cette fois son dernier roman à sa mère. En  exergue, une définition de la maison familiale par Marguerite Duras et quelques paroles de Léo Ferrer autour des voix que l’on oublie ! 

En ouverture, l’auteur zoome sur « l’oeuvre » de la mère, tel un tableau de nature morte  représentant une table de petit déjeuner. Pourquoi tant de cérémonial ?

C’est le dimanche où le couple va installer son fils Théo à 40 km de là, c’est une rupture des habitudes, le dernier breakfast qui marque l’envol du fils cadet. 

Juste avant on a suivi le ballet des gestes, tout en plongeant dans les pensées de la mère.

Dès les premières pages on cerne les protagonistes. Patrick, un père ferme, autoritaire, qui ne veut pas confier un volant, ni au fils (qui vient d’avoir le permis), ni à sa femme ! 

D’ailleurs pour lui, « les mères aiment trop leur fils ». Il brosse le portrait d’une famille modeste qui a dû et su se contenter « d’un bonheur simple, frugal, un bonheur du quotidien », comme « une maison bien tenue, une pelouse impeccable, un bac de géraniums sur le rebord de la fenêtre ».

Le trajet rappelle à Théo leurs vacances d’été en caravane, les seules que les parents pouvaient s’offrir… « être ensemble, les uns avec les autres, les uns sur les autres, tout partager ». 

Séjourner en camping trahissait une certaine précarité économique. 

Théo se souvient de la promiscuité pour le couchage, devant « dormir avec sa sœur dans un lit rabattable ». Il détaille/passe en revue leur rituel de cette période. C’était l’apprentissage du monde  et de la liberté : « les gamins avaient le droit de faire un saut à l’Escale ».Il y avait la plage, la mer. (Voir la couverture du livre.) Rendre les trois enfants heureux était une nécessité pour le père.

L’installation se déroule comme un minuscule inventaire. L’auteur focalise notre attention sur chaque objet, chacun ayant sa propre histoire, son passé : l’ordinateur,la console, la guitare,quelques affiches… Le dernier est un cadeau de sa mère : un cadre contenant une photo familiale, ainsi elle est sûre que Théo pensera à eux. 

Ce fils montre une addiction au portable et pratique le phubbing (1), ce que la mère désapprouve.

« Elle, elle n’est pas esclave de ce petit boîtier ridicule ». On devine son besoin de savoir avec qui  son cadet communique, se sentant exclue. Il est également techno-dépendant de son ordinateur, y passant jusqu’à six heures par jour, l’écrivain souligne combien cet objet devient le compagnon quotidien, comme «  une prothèse » de Théo. Sa mère déplorait de le voir asservi, elle qui aurait tant préféré qu’il s’intéresse au jardin, à ses fleurs, qu’il participe à la conversation.

Au cours de la manipulation des cartons, le regard de la mère accroche la cicatrice au bas du dos de Théo. Flashback sur les circonstances de l’accident. Pour certains, le 11 novembre convoque une tragédie, pour les parents de Théo, c’est le 21 novembre, qu’ils ont tremblé, craint le pire. Rien de plus anxiogène d’attendre une bonne heure à tourner en rond, à paniquer avant que le chirurgien vienne les rassurer.

On perçoit l’admiration d’Anne-Marie pour son époux doué d’ « un sens pratique », mais empoté à exprimer ses sentiments lors de leurs premiers flirts, et encore pudique maintenant pour lui déposer un baiser. Et si « La froideur des pères engendrait l’extrême sensibilité des fils » ? 

L’installation terminée à midi, ils prennent un dernier repas au restaurant, réplique d’ un « diner américain », occasion pour la mère de se remémorer leur dernière sortie, qui ne semble pas avoir marqué les hommes ! Pour alimenter la conversation, Théo les interroge sur leur rencontre. Le père n’est pas enclin à de telles confessions, mais la mère se livre aux révélations qui ont de quoi déboussoler leur rejeton, qui apprend ainsi qu’il était un accident (!) et que les fins de mois leur étaient plus difficiles. Dans son monologue intérieur, elle se remet en question sur le plan éducation. 

La serveuse s’offusque du peu de galanterie du père qui passe sa commande en premier, ce qui apparaît normal pour cette famille, mais n’était-ce pas « une question de génération » ? Anne-Marie trouve qu’à présent les jeunes sont davantage sensibilisés à l’égalité homme/femme.

Le lecteur ne sera pas surpris que Théo remarque les affiches de James Dean. Philippe Besson a décliné sa passion pour cet acteur dans un de ses romans : Vivre vite .

Avec un mari taiseux, Anne-Marie anticipe le vide, redoute la séparation, des repas sans paroles.

Ce couple fait penser aux personnages des tableaux de Hopper, à certains de David Hockney ou même à ceux photographiés par Martin Parr. Des scènes sans paroles où l’ennui transpire. 

Quand on entend la voix de Patrick, c’est qu’il s’énerve. Il peste de ne pas pouvoir trouver à se garer, il s’emporte contre l’armoire Ikéa dont le montage lui résiste. On imagine ce genre de scènes croquées par Sempé ! Pourtant, trente années sans se quereller, un exploit. Du solide.

Quant à la voix de la mère, elle rappelle celle qui demande à son fils d’arrêter ses mensonges, dans un roman précédent de Philippe Besson ! N’est-ce pas à cette femme qu’il répond par ce livre ?

L’émotion saisit le lecteur devant cette mère poule, proche de la « dislocation », quand l’heure des adieux approche. Le père arbore sa réserve naturelle, alors que son épouse a besoin d’une dernière étreinte avec « son splendide enfant ». Et de compter sur leurs échanges téléphoniques. Toutefois la mère n’aura pas manqué de lui rappeler ses obligations familiales. Comment échapper à cette emprise maternelle ? Théo saura avancer un bobard, trouver un compromis pour éviter les tensions.

« Anne-Marie déteste les querelles, elle n’est pas du genre bagarreur ». On l’imagine volontiers, envoyant un texto avec une injonction nouvelle : «Pense à moi quelquefois ». Cette scène de séparation fait écho à celle entre Paul et le narrateur, restituée dans Diner à Montréal

L’intensité du malaise de cette femme  désemparée va crescendo au cours du trajet de retour. 

Les termes employés pour en rendre compte sont puissants : « peine immanquable, chagrin phénoménal, foudroiement, vacillement, oppression, vertige… ». La dépression la guette. La reprise de son travail de caissière, dès le lendemain, sera-t-elle salutaire ? Pourra-t-elle compter sur Patrick ? Ses amies ou sa voisine Françoise, l’épauleront-elles ? On tremble pour l’héroïne quand elle part faire une promenade en direction de la rivière, d’autant plus que l’écrivain a, un jour, reconnu qu’il y avait beaucoup de noyades dans ses romans. Ne dévoilons pas l’épilogue.

« Quand les enfants partent/Ils sont dans nos pensées/Nos rêves/Nos cauchemars », confie Thierry Radière dans son recueil Entre midi et minuit.

En neuf séquences, Philippe Besson montre le tsunami que provoque chez une mère le départ du chouchou de la fratrie. Aussi douloureux qu’un deuil, il faut survivre à cet éloignement. Un récit ponctué de souvenirs heureux où l’auteur rend en filigrane un hommage touchant aux mères.

Un roman d’introspection, centré sur l’amour maternel, aux accents autobiographiques, qui touche à l’universel. Chacun reconnaîtra un proche, que ce soit dans les portraits des parents ou de l’ado.

Le romancier se glisse avec brio dans la peau d’une femme, d’une mère dévastée, car confrontée au syndrome du nid vide. Un talent déjà remarqué auparavant, et aussi une plume délicate et sensible.

(1) : Phubbing : le fait d’ignorer l’autre, trop absorbé par son téléphone ! 

© Nadine Doyen

Philippe Besson, Dîner à Montréal, roman, Julliard, (191 pages -19€), Avril 2019

Chronique de Nadine Doyen

Philippe Besson, Dîner à Montréal, roman, Julliard, (191 pages -19€), Avril 2019


Les écrivains qui optent pour une fin ouverte à leur roman sont souvent sollicités pour en connaître la suite. Rares sont ceux qui y répondent.

Philippe Besson, lui, a choisi de nous dévoiler ce qui s’est passé après cette rencontre inopinée avec Paul, son ex-amant, 18 ans plus tard, à Montréal.

Dans le chapitre d’ouverture, Philippe Besson rappelle les faits relatifs à son précédent roman : « Un certain Paul Darrigrand », donc pas de fossé à craindre pour le lecteur novice qui se plongera dans le tome final de la trilogie.

Résumons les circonstances et ses liens avec Paul.

En 1989, (il a vingt ans) : un coup de foudre entre deux adolescents étudiants.

Une liaison clandestine puisque Paul était marié. Séparation. Plus de contact.

En 2007, retrouvailles lors d’une signature en librairie à Montréal ! Trouble et audace de Philippe Besson de proposer de façon impromptue de « souper » ensemble alors que ses hôtes avaient prévu des « agapes officielles ».

Antoine, le nouveau compagnon de l’écrivain, de tout juste vingt ans, accepte d’emblée de l’accompagner. Il se réjouit même de partager ce repas en tête à tête, tout excité « d’être aux premières loges ».

La couverture du livre donne le ton intimiste avec ces bougies, « la lumière tamisée ». Cette configuration est propice aux aveux. 

Quant à la présence d’Isabelle, elle était incertaine, « compte tenu du passé ». 

Après l’évocation de leurs parcours respectifs, la conversation dérive sur cette nécessité d’écrire. Paul cherche à savoir quel déclic a conduit Philippe Besson à l’écriture, « qui isole et retranche ».

Ce dernier remonte à la genèse de son premier roman, confessant que deux critères y ont contribué : l’éloignement et la séparation. D’ailleurs dans une interview récente, il souligne la corrélation entre écriture et séparation : « La souffrance et les chagrins d’amour rendent l’écriture très fertile ». Et on peut en faire de la beauté. Il ne cache pas au lecteur ses états d’âme après la rupture  avec Paul : « triste, abattu, irascible, renfrogné, mélancolique » et lui, « le survivant d’une hécatombe », revient sur le vide laissé par ses disparus qui ne cessent de le  hanter.

Dans ce roman, il donne sa vision du métier d’écrivain tout en reconnaissant que « l’on écrit avec ce que l’on a vécu, ce qui nous a traversé ». Pour lui, « la vie ne peut pas faire un livre, mais la vie réécrite ça peut en faire un ». 

On pourrait citer le roman de Philippe Vilain « Un matin d’hiver » qui est l’exemple même de la retranscription d’une histoire vraie, en procédant à un travail de recomposition et «  d’ensecrètement ».

Philippe Besson, qui pourtant aime parler de ses publications sur les ondes, semble en revanche hostile à les voir « dépecer » comme des « rats de laboratoire ».

Quand la conversation parfois dérape et que la tension est palpable, l’un d’entre eux dévie vers un autre sujet. Ainsi Isabelle parle de leur fils, s’enquiert de la santé de l’auteur. Antoine vient aussi à la rescousse, mais maladroitement quand il veut évoquer le seul livre qu’il connaît : « Un garçon d’Italie ».

Comme l’entracte au théâtre, il y a une pause où deux protagonistes sortent fumer, laissant en tête à tête ceux qui se sont aimés.

Leur dialogue est un moment phare, car ils se lâchent, ils ouvrent les vannes, se dévisagent. Ils convoquent leurs souvenirs (On savait que ça arriverait.), émettent des regrets, se questionnent parfois avec aplomb (What if?), se dévoilent et s’adonnent à « une danse de la divulgation ». Le manque « qui ronge et tord le ventre » sans « tuer le sentiment » est évoqué.

Paul formule enfin son sentiment passé : « j’étais amoureux ». Un aveu que le narrateur a attendu en vain quand il avait vingt ans. Comme ces mots murmurés sont « fabuleux, sensationnels » ! « Ils ont la texture d’un baume, ils apaisent la brûlure ».

Est-elle préméditée, cette sortie d’Isabelle qu’Antoine suit dans la foulée ou est-ce juste le besoin irrépressible de tout fumeur ? Eux aussi conversent, la teneur de leurs échanges sera restituée par Antoine plus tard. Suspense !

Cet intermède permet d’apaiser la tension, de sortir du malaise qui s’était glissé entre les quatre protagonistes. Il est tard, « il est temps de rentrer » , l’heure de se quitter. Se reverront-ils ? Souhaitent-ils  d’ailleurs se revoir ? Et Philippe Besson de faire le triste constat de voir sa vie « tenir en à peine trois heures » ! 

Le romancier met en exergue le rôle joué par les lieux. Pour lui, « ils sont des liens et notre mémoire » et ils le façonnent. Certains de ses livres sont nés « du souvenir d’un endroit. Les images sont indélébiles, les sensations intactes », comme « l’éblouissement devant Florence, sa langueur à Lisbonne, son effroi à Shanghai. ». La métamorphose de Bordeaux lui a ravi ses souvenirs de jeunesse : « il n’en reste plus de trace », les coups de pelleteuse ont tout englouti.

On note par contre le pouvoir mystificateur de l’écriture.

Nous avons dû être nombreux à croire que Philippe Besson connaissait les Ardennes, la Cornouaille comme sa poche, alors qu’il reconnaît n’avoir jamais arpenté ces régions avant de commettre les livres. N’est-ce pas le talent de l’écrivain de rendre son récit crédible ?

Si certains auteurs ont pour marque de fabrique des notes de bas de pages, Philippe Besson a une propension pour des mots ou phrases en italique quand il veut donner plus de valeur au sens : « Il y a prescription. », «  pas grand-chose ». Le mot « sentiment » renvoie au roman précédent (1) où le narrateur confie à Nadine son attachement à Paul:« Nous avions un sentiment ». Ou encore le « je suis bien ici » prononcé par Paul après un moment parfait, devenu depuis « un souvenir déchirant ».

Autre constante, le romancier distille ses précisions, un détail, en aparté, entre parenthèses, créant une proximité avec son lecteur. Il nous fait entendre ses pensées intérieures et imagine celles des autres interlocuteurs.

Philippe Besson décline également un florilège des titres de ses livres parus, aiguisant la curiosité de ceux qui veulent approfondir son œuvre.

Une attitude du narrateur frappe le lecteur : son obéissance. Il obéit à l’ami qui l’a incité à envoyer son manuscrit. Dans les romans précédents, c’est l’élève de primaire obéissant au père instituteur, c’est le fils obéissant qui poursuit ses études pour satisfaire ses parents. Et ici il se plie à ses obligations : rencontre de journalistes, puis signature en librairie. Il obéit ! 

Le lecteur est privilégié car l’écrivain nous gratifie de confidences supplémentaires en nous restituant ce qu’il n’a pas dit, ce qu’il aurait pu ajouter. On ne se lasse pas de son écriture d’où jaillissent multiples interrogations, boutades et métaphores ! Mais gardons en mémoire « qu’il ne faut pas prendre les livres au pied de la lettre, on en rajoute pour émouvoir » ! 

Quant au narrateur, il a l’art de terminer ses romans par une phrase marquante. Que penser de l’injonction de Paul délivrée par texto, en pleine nuit ?! On imagine aisément le trouble que ce message a dû provoquer. 

Philippe Besson, romancier mais aussi dramaturge, met en scène « un quatuor»  inattendu, animé par les joutes verbales que se lancent les deux anciens amants devant leurs partenaires estomaqués, mais aussi ponctué de silences quand le trouble s’installe. Une pièce en trois mouvements : « Avant, pendant, après » leur tête à tête où l’humour et la sensualité affleurent. Un huis clos ardent.

L’auteur y revisite ses amours compliquées (avec des êtres ambivalents), se livre à une introspection toujours avec la même honnêteté et une pointe de nostalgie. Un bilan de la quarantaine libérateur, à l’heure de la maturité !  

(1) Un certain Paul Darrigrand de Philippe Besson, éditions Julliard

© Nadine Doyen

Un personnage de roman, Philippe Besson, Julliard ; Août 2017 (247 pages – 18€)

Chronique de Nadine Doyen

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Un personnage de roman, Philippe Besson, Julliard ; Août 2017 (247 pages – 18€)


Philippe Besson fait un pas de côté avec cet ouvrage relatant les coulisses d’une campagne présidentielle. Le tableau de la couverture n’est pas un Hopper, mais un Monet : Rue Saint-Denis, fête du 30 juin 1878 : une foule en liesse, tout un symbole.
Pourquoi le romancier s’est-il intéressé à Emmanuel Macron ?
Il s’avère qu’ils se connaissent déjà depuis quelques années, se fréquentent.
Il voit en lui une carrure de président tout en ayant des doutes pour le final.
Mais aussi un personnage romanesque cherchant d’ailleurs un référent littéraire.
Il va décrypter la figure de ce « météore », « une anomalie hypermnésique » qui emprunta le nom « En Marche » à Saint Exupéry.
En ouverture, Philippe Besson revient sur la genèse de ce roman, projet accepté par l’intéressé. Un gage de confiance puisqu’ « aucune relecture » n’est exigée.
Le récit débute le 30 août 2016, date marquante pour Emmanuel M. puisque jour où il démissionne.On assiste à une vraie mise en scène théâtrale : un bateau blanc, à son bord un homme déterminé, « avec la lettre », qui part vers l’Élysée.
L’auteur insère un autoportrait d ‘Emmanuel M. qu’il décrypte en mettant en balance ce qui peut être un atout et ce qui peut nuire. Il nous montre de multiples facettes (du « sale gosse » au « courtisé »), mais conclut par ce côté paradoxal, impénétrable, comme « un sphinx version Mitterrand », « coffre-fort cadenassé ».
Il recueille aussi les confidences de sa photographe attitrée « Soazig », de sa mère croisée à Bercy. Il en distille d’autres glanées au cours de l’avant campagne.
Le rapporteur dissèque la période avant dépôt de candidature. Il souligne le suspense qui perdurera jusqu’à l’annonce officielle le 16 novembre 2016.
Comme le couple est indissociable, Philippe Besson qui a plus d’affinités avec Brigitte M. livre également son portrait, texte de commande pour un magazine.
Il évoque sa famille, la rencontre avec cet élève brillant qui devient son mari. Puis souligne tout ce qu’ils ont dû surmonter (presse malveillante, des opposants qui prédisent son échec, la rumeur d’homosexualité). Comme le rappelle Gaspar Glanzer « la politique est un sport de combat » ! Des joutes électorales à affronter dans un milieu qui brasse la violence verbale, mais pas que (« férocité, acrimonie »).
La complicité entre Brigitte et Philippe Besson est frappante par leurs échanges téléphoniques, quasi quotidiens, surtout lors « d’avis de tempête ». On devine les craintes de Brigitte jugulées par l’auteur d’ Arrête avec tes mensonges (2).
Roman dont elle a trouvé « les mots justes et coupants ».
On découvre les personnalités de tous ceux amenés à entourer le candidat, à oeuvrer dans l’ombre, les deals passés avec d’autres. Puis les soutiens de sommités.
Si Philippe B donne des conseils, félicite, encourage, il tacle aussi, il ne se prive pas de montrer son désaccord, comme pour le choix du titre du livre à paraître d’Emmanuel M. « Revolution ». Il l’épingle pour des paroles maladroites, un discours trop long, creux. Il lui rapporte les propos de proches : « Il a intérêt à rectifier, s’il veut que ça marche ». Il brocarde les médias qui cherchent le buzz en recevant le candidat tout comme les propos délétères de certains éditorialistes.
Quand la coupe est pleine, « l’attaqué », « le gourou sans programme » fait entendre sa voix aux détracteurs virulents.
Philippe Besson soumet moult questions au candidat, à « la dimension christique », « visage de la Pietà » , « considéré comme le métèque en politique », le faisant se projeter à l’assemblée et face aux grands (Trump et Poutine). Force de constater qu’il a toujours la parade pour lui répondre,qu’il aimante, galvanise, séduit les foules, suscite l’espoir et l’admiration de Ph.B.
Toutefois un danger se profile avec Marine Le Pen. D’où la nécessité de ne pas faiblir et présenter un programme fort.
On suit Emmanuel M. dans ses déplacements en France et Outre-mer, à l’étranger. Une escapade privée à Lisbonne, début 2017, que le couple romantique a certainement faite, sur les traces du roman Les passants de Lisbonne. (1)
Ce qui ressort de ces entretiens avec Philippe Besson ce sont les connaissances encyclopédiques d’Emmanuel Macron, d’où la pléthore de références dans cet ouvrage. Citons celle de Camus : « Oui, j’ai une patrie : la langue française ».
Au final, le portraitiste montre « un homme singulier, qui reste énigmatique » avec une certaine opacité, placidité. Il s’attarde sur sa poignée de main, son regard !
A l’aube des deux tours, l’effervescence règne au QG, ce sont briefings, débriefings, débats télévisés, période dont chacun se souvient qui signe « la déliquescence des partis qui structuraient la vie politique depuis cinquante ans » et la victoire d ‘E.M.
On peut entonner Nina Simone : « It’s a new dawn, it’s a new day, it’s a new life ».
Finie « la vie de corsaire », finie l’exultation, place à « la solennité, la gravité, la rareté » pour celui qui est maintenant le plus jeune président de la République. Fin de l’aventure pour notre narrateur qui a pour reliques de ce « long compagnonnage » ses carnets noirs empilés, truffés de notes, de paroles « griffonnées à la hâte, avec le souci de ne pas les déformer »!
En filigrane on devine Philippe Besson, « le garçon sensible », qui glisse une pensée pour ses disparus :dédiant cet opus à sa grand-mère, et imaginant comment son père aurait jugé cette campagne.Donquichottesque ?! On retrouve l’écrivain proche de son lecteur qui nous adresse un aparté : « Que je vous dise.. », dans lequel il explique son besoin de distance « avec les soubresauts de la politique ».
On entend la discrète voix de S. qui juge cette campagne chronophage, confisquant leurs moments privilégiés à eux deux.
Dans ces miscellanées de Philippe Besson, sont regroupés des articles publiés dans la presse ou dans des magazines, des SMS,des bribes de conversations plus intimes où l’on sent le rôle de catalyseur, voire de modérateur, joué par le romancier. S’y glisse son ressenti, en aparté. A savoir qu’il est parfois « périlleux d’écrire des livres » !
Un récit qui court du 30 août 2016 au 14 mai 2017 et relate le parcours d’un homme ambitieux et déterminé, en marche vers le pouvoir, vers l’Élysée, ce Graal convoité, avec tous les obstacles, les déconvenues à endosser, les rumeurs à contrecarrer.
Neuf mois qui tissent la complicité entre le futur président, et Philippe Besson, « le conteur de ses faits et gestes » et ont permis de lâcher quelques confidences.
Un témoignage éclairant de ce moment historique hors norme, qui a « turbulé le système » qui fera date. Un pas de côté réussi, impartial, sans complaisance.
Une expérience unique et mémorable que l’auteur nous a fait vivre avec intensité.

Nadine DOYEN


(1) : Les passants de Lisbonne de Philippe Besson Julliard janvier 2016
(2) : Arrête avec tes mensonges de Philippe Besson Julliard janvier 2017

Philippe Besson, Patient Zéro, Le premier malade du sida ; Illustrateur Lorenzo Mattotti ; Incipit (12€, 100 pages)

Chronique de Nadine Doyen

 

ob_6f3254_patient-zeroPhilippe Besson, Patient Zéro, Le premier malade du sida ; Illustrateur Lorenzo Mattotti ; Incipit (12€, 100 pages)


 

Philippe Besson, dans la lignée de cette collection, remonte aux origines du sida, cette « calamité mondiale » aux dramatiques conséquences, qui « résiste et défie ».

Il y conjugue expérience personnelle et sources documentaires très étayées.

Cet opus montre combien furent longs les tâtonnements avant que le virus soit identifié en 1983 et que les traitements suivent. Pendant ce temps, on émet des suppositions quant aux lieux de propagation.Un biologiste déclare que « Haïti a été le tremplin pour le virus ». L’auteur énumère tous les cas suspects dont la doctoresse danoise Grethe Rask qui contracta peut-être la maladie en travaillant au Zaïre.

Puis 1976, année du bicentenaire des USA, voit converger des matelots du monde entier. Leurs vies de débauche sont supposées en corrélation avec les maladies contractées, « sarcome de Kaposi », cancer de la peau, pneumonie.

Le cas de Gaëtan Dugas, coiffeur québécois, retient l’attention, d’autant que reconverti en steward, il voyage et fréquente des bars gays, les boîtes disco. Les années 70 correspondent au « flower power des hippies » et à la libération sexuelle.

Le steward « multiplie ses partenaires ».

Mais en 1977, « les traitements se révèlent tous inefficaces ». L’hécatombe a de quoi alarmer. Certains malades tardent à faire leur coming out, comme Rock Hudson.

Le 5 juin 1981, « le cancer gay » est identifié par le Centre d’Atlanta, désigné en 1982 par le sigle AIDS, traduit en France par SIDA.

En 1984, Gaëtan est catalogué « patient O », c’est à dire « out of California », puis devient « le patient zéro », « pestiféré », que l’on évite. Sa conduite irresponsable interpelle. En réalité, il est « le patient zéro de la visibilité ».

La population est méfiante, trop de rumeurs circulent quant à la propagation du virus. La presse s’empare du sujet et le livre « à la vindicte populaire ». La société américaine est dominée par le capitalisme, le « mépris pour les faibles et les minoritaires ». La maladie est considérée comme « une sanction divine » pour « ces pêcheurs, ces dégénérés ». Il est noté que le président Reagan, « au cours des six années qui suivent le début de la crise », oblitère le mot sida. Il devient « le mal d’une génération ». La vie sexuelle se fera dès 1985 « sous le sigle de la gravité et de la prudence », « marquée du sceau de l’inquiétude ».

En 1992, le film Les nuits fauves incarné par Cyril Collard devient culte.

L’auteur évoque une scène poignante du film Philadelphia où ceux qui restent, les fracassés, vont devoir vivre avec leurs disparus. Et on retrouve Philippe Besson de La maison Atlantique qui « découvre l’endurance et la persévérance » afin de « passer de la douleur brute à la douceur fragile ». Lui aussi a dû faire face à la « béance de l’absence ». Il nous touche par sa fidélité à leur mémoire, confiant « leur rendre visite régulièrement ».

On referme cet opus, étranglé par l’émotion. Philippe Besson livre un récit éclairant sur cette maladie, qui rappelle la nécessité de « sortir couvert » comme le martèlent toutes les associations qui font campagne contre le VIH et le festival Solildays.

©Nadine Doyen

 

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Philippe Besson, Vivre vite, Roman, Julliard (238 pages – 18€).

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  • Philippe Besson, Vivre vite, Roman, Julliard (238 pages – 18€).

Après La maison Atlantique, c’est Outre- Atlantique que Philippe Besson nous embarque sur les traces de son héros : James Dean. L’auteur a choisi la forme chorale pour dérouler cette exo-fiction.

La photo de la couverture « convoque » le lecteur. Ce visage, très photogénique, rayonne, irradie et hypnotise par « la puissance de son regard », ce « quelque chose de lumineux et de violent ». Mais que sait-on vraiment de cette icône ?

La citation en exergue résume, avec une violence implacable, le destin de cette « étoile » qui passa « comme une comète ».

Le roman s’ouvre sur une page magnifique, l’image attendrissante d’un couple attendant son premier enfant, du père caressant un ventre.

Ce qui est inattendu, c’est que Philippe Besson donne la parole aux disparus dont la mère et son fils. Les confidences n’en sont que plus poignantes.

La mère relate la malédiction qui semble peser sur la famille, et ses atermoiements quand elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable. Faut-il cacher la vérité ou non ? Quelle est la solution la moins dramatique pour Jimmy ?

De toute évidence, être orphelin si jeune, à neuf ans, causa un traumatisme qui le hante à jamais. Et Jimmy de nous rappeler qu’une mère, c’est irremplaçable. On pense à la douleur que W.H Auden éprouva dans les mêmes circonstances. N’est-ce pas « un monde qui s’écroule et l’enfance qui disparaît avec celle qui l’a fait naître ? ».

Il comprend que « c’est fini de ces deux ailes qui le portaient depuis toujours, ces deux ailes qui lui donnaient ce surcroît d ‘assurance » et se terre dans son mutisme, lui, le « sentimental ».Le manque l’habite, c’est en fini de leurs rires, leur complicité.

Jimmy reconnaît sa dette envers la gent féminine. Plusieurs femmes se révèlent importantes dans sa vie, « faites pour être des prothèses ». Celle qui l’enfanta. Celle qui le recueille et l’élève comme son fils. Celle qui le prend sous son aile et lui enseigne les rudiments de l’art dramatique : Adeline, qui a compris sa fragilité, a su mettre en exergue son talent, et tel un mentor, le stimule et l’encourage. Il croise sur un tournage Liz Taylor qui souhaite protéger « ce rebelle au cœur tendre », suite à ses confidences. Julie Harris est chargée de « tempérer ses ardeurs ».

Le dramaturge, Tennessee Williams, venu voir « ce gamin » prometteur, à la « beauté à couper le souffle », découvre un acteur qui dégage « une énergie sexuelle ».

Son professeur Gene Owen ne remarque pas de suite cet étudiant en droit, gauche, « l’air d’un oiseau tombé du nid », mais son interprétation du « prince danois » l’impressionne par son jeu différent, et il décèle en lui « comme du diamant brut ».

Le portrait se reconstitue comme un puzzle pour le lecteur. Souvent redondant, car tous le perçoivent de même. «Un enfant plein de vitalité », « débordant d’énergie ». Ses lunettes le rendent « sexy ». On devine une relation fusionnelle avec sa mère, elle qui l’a initié à des loisirs comme la danse, les chansons, l’art dramatique, le violon, ce que son père réprouvait, privilégiant le sport. Ne l’a-t- on pas accusée de cultiver chez Jimmy sa différence ? De l’élever comme si c’était une fille ? N’est-ce pas elle qui déclencha, puis encouragea son « désir irrésistible de faire l’acteur » ? N’est-ce pas sa mère qui aspirait à voir « de la lumière dans son visage » ?

Jimmy passait pour « un élève appliqué, sérieux, consciencieux », mais il était victime de moqueries, à cause de son accent, de sa « dégaine de paysan ».

Après la disparition de sa mère, il ne supporte pas que son entourage lui manifeste un débordement de compassion. Sa métamorphose, elle s’opère chez son oncle et sa tante Ortense, qui joue la mère de substitution et défend son frère, le père de Jimmy en ce qui concerne sa décision de le lui confier. Ce couple nous confronte au mode de vie des Quakers dont il fait partie. A 14 ans, il doit assumer sa singularité.

Sa passion pour la conduite (tracteur, moto, voiture), il l’a acquise chez les Winslow.

A 18 ans, son échec professionnel forge son caractère. Si certains sont sauvés par l’écriture, Jimmy, lui, trouve son échappatoire dans la lecture et le théâtre.

Natalie Wood égrène ses souvenirs. Elle a retenu de lui « sa solitude, sa sauvagerie ». Elle connut James sur un tournage et découvrit sa générosité ainsi que sa timidité.

Plus tard, « le binoclard » prend sa revanche. Quant à lui, il se présente sans complaisance : « difficile », reconnaît ses pulsions meurtrières. Ne s’était-il pas révélé bipolaire, balançant « en permanence entre l’excitation et l’abattement » ?

Sa vie amoureuse se révèle compliquée, erratique. Son look magnétique fascine. Il multiplie les aventures, succombe aux coups de foudre. Il se laisse séduire par Elisabeth Mc Pherson, son professeur, liaison éphémère qui le révèle : « un amant pressé et maladroit ». La relation avec le pasteur « un peu trop tendre » est ambiguë. Puis, il se montre attiré par les hommes, mais ceux qui « passent dans son lit », il les « chasse au petit matin ». Quant à l’acteur Sal Mineo, il le trouve trop jeune.

A son actif, trois films et des relations pas faciles avec l’équipe des films. Pour le réalisateur George Stevens, James Dean était « un type instable, ingérable », mais incandescent, il « crevait l’écran ».Imprévisible, il donne aussi du « fil à retordre » à Elie Kazan, à cause de ses « errances nocturnes » arrosées. Il lui cause la peur de sa vie, en acceptant une virée à moto. Quant à Rock Hudson, il lui reproche « sa désinvolture », « son arrogance insupportable », « sa suffisance ».

Le récit est ponctué de phrases qui marquent la rupture brutale et rappellent que cette icône n’échappa pas à son destin tragique. Il y a cette phrase, quasi prémonitoire, de Jimmy conjurant la mort devant des cercueils : « Dennis, il faut rire de tout. Et de la mort, en premier » qui prend une résonance particulière après l’accident.

L’avant-dernière voix, celle du chauffard, révolte, à la lecture de ses hésitations.

Une voix d’ outre- tombe clôt le récit, celle de James Dean qui nous livre la phrase , tenue secrète, qu’il chuchota à sa mère, devant son cercueil après avoir vu, en flashback, défiler des images marquantes de sa courte existence de 24 années.

Dans cette biographie romancée, Philippe Besson nous plonge dans « l’Amérique de la fin des années 40, pudibonde et corsetée », «  cette grande nation », qui « n’est rien d’autre qu’une mère monstrueuse, qui dévore ses enfants, une putain de mère maquerelle qui brûle ses gagneuses et ses idoles ».

On suit les déménagements de la famille Dean, qui nous fait voyager de l’Indiana et « ses plaines interminables du Midwest, les hivers froids », à La Californie « pays écrasé de chaleur, connu pour ses plages bondées et sa décadence ».

Puis c’est ce retour à la ferme, chez l’oncle. Plus tard, la découverte de New York, des années 50 : « un choc », «Tellement gigantesque » et les lieux de tournages : Mendocino et ses « demeures en bois blanc », son « port de pêche préservé ».

On sillonne l’Amérique à bord du Zéphyr ou de l’express luxueux qu’est le Twentieth Century limited. Les paysages défilent, évoquent parfois des tableaux de Hopper, peintre de prédilection de l’auteur. Par exemple le décor « des fils électriques au-dessus des rues » ou des cafés ou bars bruyants, enfumés.

Tout comme son héros, Philippe Besson partage cette fascination pour l’Italie, Michel-Ange et la beauté masculine dans l’art.

Philippe Besson a le don de savoir se glisser dans la peau d’une femme et de nous émouvoir quand il filme l’émouvant adieu, « furtif et déchirant », d’une mère à son fils, se résumant à leurs regards et des mains étreintes. Ou encore quand la caméra suit cet enfant qui, en cachette, la nuit, va « pleurer sur sa tombe ». A travers son héros, l’auteur montre que les drames du passé, on peut les estomper mais on ne les efface pas.

L’auteur met en exergue l’ascension d’une idole vers la gloire, le désir de reconnaissance et sa dévorante ambition, une fois sous les feux de la rampe.

Le buzz que les médias génèrent autour de cette « beauté crépusculaire » le rend « ivre de son image jusqu’à l’euphorie ». Dans son besoin de brûler la vie par les deux bouts, dans ce tourbillon, cette ivresse de la vitesse, on pense à Françoise Sagan et ses virées en voiture. On subodore que Philippe Besson s’est fait plaisir, en revisitant la vie de cette figure mythique, à la carrière météorite, au seuil des 60 ans de sa disparition. N’avait-il pas des posters qui tapissaient les murs de sa chambre ?

Un roman qui invite à revoir les films mettant en scène James Dean, cet enfant terrible du cinéma, une personnalité aux multiples facettes, dévoilées, tour à tour, par ceux qui l’ont éduqué, côtoyé, aimé, fait tourner, adulé et vénéré.

©Nadine Doyen