LE SECRET, Laurent Schmitt ; Éd. Odile Jacob, Paris, 2017

Chronique de Claude LueziorLE SECRET L Schmitt Odile Jacob

LE SECRET, Laurent Schmitt ; Éd. Odile Jacob, Paris, 2017


Ce livre, émaillé d’exemples concrets et de témoignages, relève d’une démarche psychiatrique mais également d’un éclairage profondément humaniste. L’auteur y fait preuve d’une hauteur de vue peu commune, d’une grande culture et d’un don pédagogique que nous avions déjà remarqué dans ses précédents ouvrages, Du temps pour soi et Le bal des ego. On ne lâche pas ces pages dont les chapitres biens structurés s’enchaînent les uns aux autres avec une belle fluidité. Kaléidoscope de secrets, vecteurs de puissance dans l’Histoire, depuis les Grands-Prêtres de religions anciennes jusqu’à certains bureaux ovales. Sombres officines et sociétés secrètes, souvent élitistes, complotistes, voire criminelles.

Sur le plan individuel, Laurent Schmitt aborde par la suite ces secrets qui forgent notre personnalité, ceux de l’inconscient, des rêves mais aussi leur fonction dans la constitution de la personnalité, la séduction, l’amour. La toxicité des secrets dans des liaisons, dans certaines constellations familiales ou dans telle ou telle maladie psychique est une évidence. La protection que le secret assure vis-à-vis de notre singularité et de notre individualité n’en est pas moins importante.

Bien qu’ils puissent être toxiques dans des liaisons, dans certaines constellations familiales ou dans telle ou telle maladie psychique.

Le secret est donc pluriel. Il est, à l’heure actuelle, crûment mis en cause, par l’impératif de la transparence qui peut s’ériger en un contrôle suprême des big data ou en injonctions totalitaires où disparaît la vie privée aux dépends d’une forme d’Inquisition, de vengeances répandues de manière virale et de dénonciations anonymes.

Parfois assimilé au mensonge, à la dissimulation ou à la rouerie, le secret peut néanmoins protéger la personne par ses rêveries, en un jardin secret, véritable soupape de l’imaginaire, voire intelligence relationnelle. Il crée un espace intime où la personne reste un sujet à ses propres yeux (…) et se différence d’autrui. Il est alors tuteur de résilience, noyau dur de nous même. Dans la dernière section de son livre, Les secrets indispensables à notre survie, à savoir, dans son dernier chapitre, Éloge malicieux du secret, Laurent Schmitt donne la métaphore d’un état de jachère, d’un arrêt sur l’image, de points de suspension de notre fonctionnement psychique. Il évoque avec tendresse l’aptitude d’émerveillement du ravi, personnage solitaire et énigmatique des santons de Provence. Et l’auteur de citer par ailleurs Saint-Exupéry, Rilke, Prévert.

Préserver son intimité revient à savoir ne pas tout dire, à maintenir des zones de discrétion, à savoir refuser de participer à tous les réseaux sociaux. Ainsi, le secret, au-delà de certains aspects noirs dans nos relations de pouvoir avec les autres et dans des manipulations sociales indues, est en fait, sur le plan personnel, un élément constitutif de notre liberté et de notre individualité. En d’autres termes, une pierre d’angle de nos libertés fondamentales.

Cet essai est une véritable réflexion en profondeur, à l’heure de l’espionnage industriel, de la téléréalité, du voyeurisme ambiant et de moteurs de recherche manipulés par un ou plusieurs big brothers qui nous veulent du bien…

©Claude Luezior

Sylvie Vauclair, Claude-Samuel Lévine, La Nouvelle Musique des Sphères, À l’écoute des étoiles, Odile Jacob, 2013, 179 p, 22,90€

Chronique de Lieven Callant

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Sylvie Vauclair, Claude-Samuel Lévine, La Nouvelle Musique des Sphères, À l’écoute des étoiles, Odile Jacob, 2013, 179 p, 22,90€


Sylvie Vauclair, astrophysicienne à l’institut de recherche en astrophysique et en planétologie à Toulouse, commence par retracer l’histoire et l’évolution des connaissances en astrophysique depuis l’antiquité jusqu’à aujourd’hui, en marquant quelques étapes importantes.

Les philosophes de l’antiquité ne connaissaient du ciel étoilé et de l’espace que ce qu’on pouvait observer à l’œil nu. Pour les anciens grecs, le monde céleste ne semblait comporter que des sphères. La terre était fixe et au centre du monde, sept planètes tournaient autour d’elle et compte tenu de leur distance à la terre étaient rangées dans l’ordre suivant: Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne ( ordre repris pour les sept jours de la semaine).

La musique englobait tous les arts des muses ainsi que les sciences et avait donc un sens bien plus large qu’aujourd’hui.
« Tout était unifié. L’art des sons et l’harmonie céleste pouvaient se comprendre et s’interpréter ensemble, en symbiose d’une manière mathématique.  Une étude approfondie des intervalles musicaux permettait de les classer d’une manière particulière selon un schéma parallèle à l’ordre des astres qui tournaient autour de la terre. C’était magique! Il suffisait d’attribuer à chacune des sphères célestes une note de musique et le ciel devenait le siège d’un concert perpétuel dans l’harmonie du monde. La musique des sphères étaient née et s’est enracinée, à un tel point que toute perfection est devenue un dogme chez de nombreux philosophes. » p9

« La musique et le cosmos représentaient conjointement l’élévation de l’âme humaine, dans un monde réglé de manière parfaite par l’arithmétique et la théorie des nombres » p40

« La tradition ancienne de musique des sphères avait pour but la description de la perfection du monde. Perfection du cosmos, selon un ordre immuable et harmonieux, et perfection de la musique, selon l’organisation des sons fondamentaux le long du corde vibrante. Cette perfection s’organisait selon la théorie des nombres, élaborée par Pythagore et les pythagoriciens supposée rendre compte de l’univers. » p41

La réalité se moque bien du souci de perfection des hommes. Cela n’avait sans doute pas échappé aux anciens grecs.

Nous savons que la musique n’est pas un phénomène mathématique comme le pensaient les anciens grecs, la musique est un phénomène physique, c’est une onde qui contrairement à la lumière ne peut se déplacer dans le vide.

Par conséquent, aucun son provenant des astres ne peut nous atteindre. Pourtant, nous savons que les étoiles vibrent et sont de véritables caisses de résonance. Les astronomes n’écoutent pas le ciel, ils observent les ondes électromagnétiques qui arrivent des étoiles ou des autres objets célestes. Ce sont des ondes qui voyagent à la vitesse de la lumière et n’ont donc rien à voir avec les ondes sonores.

« Il n’y a donc aucune relation entre cette vraie  musique des sphères et celle bien connue de l’Antiquité, généralement attribuée aux pythagoriciens, et reprise ensuite par de nombreux philosophes. » P22.

« La grosse sphère gazeuse que nous appelons « Soleil » est soumise à des ondes acoustiques internes, c-à-d des ondes sonores exactement comme les caisses de résonances de nos instruments de musique. Les ondes sonores ne peuvent se propager et restent donc piégées à l’intérieur de la sphère en se réfléchissant sur la limite de leur zone de propagation. Cette limite, qui correspond à l’atmosphère solaire subit en conséquence des oscillations régulières que les astronomes ont la possibilité d’observer en utilisant des techniques appropriées. » P112

« La résonance individuelle des grosses sphères gazeuses est une réalité physique. Il s’agit pour les astrophysiciens, d’une dimension nouvelle dans l’étude des étoiles, donnant accès à une très grande précision sur leur masse, leur âge, leur composition chimique, etc. (…) Il est tout à fait possible de transposer les harmoniques stellaires observées pour composer de la musique audible. c’est ainsi, par transposition rigoureuse utilisant un nombres d’octaves suffisant que nous pouvons reconnaître la résonance en sol dièse de notre soleil ». p 23.

Voilà, brièvement expliqué tout le propos de ce livre qui nous plonge au centre de recherches et d’observations passionnantes concernant les astres.

L’intérêt de ce livre est qu’il donne matière aux rêves que je ne peux m’empêcher de faire lorsque comme mes ancêtres j’observe le ciel étoilé à l’œil nu. Il rappelle les théories qui ont effleurées l’esprit humain pour tenter d’expliquer le cosmos et chercher une réponse à cette question: Quelle est ma place au sein d’un univers qui n’a pas de centre et qui est en continuelle expansion?

La découverte et l’étude récente des exoplanètes confirment qu’il existe une infinité de planètes semblables à la nôtre. Depuis toujours l’observation du ciel permet à l’homme de remettre en question le poids de son existence, d’élaborer des théories qui répondent à ses besoins et l’invitent continuellement à entrevoir les sources incontrôlables qui ont donné naissance à la poésie.

Entreprendre ce voyage à la fois musical, et scientifique ne peut être que bénéfique à ceux qui questionnent les arts, leurs propres pratiques poétiques. Les natures changeantes et les conceptions esthétisantes ne se basent pas forcément sur la réalité physique du monde dans lequel les œuvres prennent pieds. Entre cette réalité et celle que notre imagination forge,on devine qu’il reste une faille. On devine que toujours quelque chose nous échappe, n’est pas perçu, n’est pas encore découvert. La nature réelle n’a rien de parfait. Pourtant, les désirs de l’homme tendent inévitablement vers la perfection. Mais quelle est-elle cette perfection?
Écrire n’est peut-être finalement qu’une exploration au cœur même de l’imperfection et de la réalité? Cet impossible statut que je confère à la poésie en lui attribuant des lois, des fonctions ne serait là que pour me rassurer et penser que ma quête n’est pas qu’absurde et inutile.
Parfois je me dis que non seulement pour pouvoir continuer à écrire, il me faut lire ce que d’autres poètes écrivent mais il est tout aussi indispensable que je me tienne au courant des découvertes majeures de la science afin de pouvoir construire une réalité poétique qui puisse jouir d’une quelconque légitimité. Serais-je ainsi plus juste, plus lucide?

Heureusement, il existe des chercheurs et des artistes qui rendent compte avec précision et clarté des travaux parfois très complexes à la pointe des connaissances scientifiques actuelles. Sylvie Vauclair et Claude-Samuel Lévine font partie de ceux là.

On peut podcaster l’émission de France Culture consacré à ce thème ici

©Lieven Callant