Nicole Hardouin – « Lilith, l’amour d’une maudite. »

Une chronique de Michel Bénard


Recension : Nicole Hardouin« Lilith, l’amour d’une maudite. » 
Illustration Colette Klein « Magnétisme » 
Préface d’Alain Duault.
Editions – Librairie-Galerie Racine-Paris
Format 21,5X13. Nombre de pages 75.
I.S.B.N. : 978-2-243-04536-9 


Sur l’ample voie poétique de Nicole Hardouin, cet ouvrage « Lilith, l’amour d’une maudite » dernier né d’une belle série m’apparaît tel un point d’orgue au cœur de l’œuvre de notre amie.  

D’emblée, les nuances sont données, les couleurs sont choisies, ce seront celles d’une femme revendiquant à la face de « dieu » où plus précisément de son sujet Adam, son insoumission, sa liberté, son droit identitaire. C’est l’hymne d’une femme qui ne doit rien à personne. Son cœur, son corps lui appartiennent jusqu’au désir sublime de pouvoir exulter, jouir, quand et comme bon lui semble.  

Lilith ou Nicole Hardouin, les deux fusionnent ne formant qu’une, le mythe, la poétique confortent la femme réelle, l’imaginaire se fond à la chair, le désir à l’amertume, le baume d’amour et les blessures des non-dits. De connotation sulfureuse le succube conduit à succomber. Mais notre poétesse ne « …/…caresse-t-elle pas la licence de tous les 

possibles …/… »    

Dans sa magistrale et pertinente préface, Alain Duault le souligne judicieusement : « …/…la femme poète, la femme qui jette sur le monde un regard fatal. » Il évoque aussi la flambeuse des « corps ruisselants. » Ce qui d’ailleurs n’est pas sans me faire songer à l’une des dernières œuvres d’Henry Rougier « Ruisselante » véritable plaidoyer à l’amour.  

Nicole Hardouin porte haut l’étendard d’un féminisme raisonné, de bon sens et clairvoyant qui dénonce les féminicides, loin des exaltations de certaines intégristes féministes des plus nuisibles à la cause qu’elles prétendent défendre. 

Ce recueil est un noble combat sous-jacent pour une vraie justice équitable et comme tous les combats justifiés, il est une somme de pardon et d’amour. 

Toutefois très méfiante des amours de l’homme, Lilith se livre nue aux caresses de l’eau et à la tendresse de la nature, jusqu’à l’insolente utopie, jusqu’à l’orgasme des désirs inassouvis.

L’amour dont rêvent Lilith et son alter ego touche à la démesure, c’est un corps à corps, un duel fantasque. Indépendante et libre, l’éternelle première ne croque pas la pomme, mais les pommes : « Je croque les pommes à pleines dents. » 

Poème passion, poème fusion, poème imposant son rythme, sa cadence où les corps sont soumis à des spasmes incendiaires et débordants. Notre poétesse se jumelle à son héroïne, nous livre son mépris des scribes responsables des écritures apocryphes ayant falsifié l’histoire. Oui les écritures mentent, élaborées qu’elles sont au service dominant des hommes, cette race se voulant supérieure, mais n’ayant sa place que dans la bauge. Elle dénonce la manière dont l’histoire, au travers de ses rapporteurs, occulta l’origine de la femme première, signes des rejets qui marquèrent les fondations de toute une société. Femmes, ignorées, écartées, diminuées, exploitées, mais qui c’est indéniable, imposeront l’appel à leurs droits jusqu’à la totale parité. Lilith c’est la rebelle, l’insoumise, celle qui défie les hommes et transgresse leurs interdits, celle qui bannira toujours les pouvoirs que se sont attribués les hommes reléguant la femme à un rang subalterne. Lilith devrait servir de symbole de liberté, de respect, de justice à toutes les femmes du monde, afin de raboter les voix épineuses des suffisances masculines. 

« …/…casser les censures, embrocher les chimères du mâle. »

Si Lilith revendique sa liberté, elle soutient aussi son droit à l’amour. Elle avoue aimer partager son corps, sa chair et s’offrir dans l’abandon de ses outrances.

Tout est précaire, fragile, en équilibre dans ces luttes permanentes qui ne font aucune concession au détriment de la liberté. 

La femme ici reprend ses droits, rêve d’air embaumé, de ciel bleu, de lumière nouvelle, de rosée cristalline, mais elle a toujours soif d’amour, de frissons fusionnels, d’élans passionnels, et elle aspire surtout à l’équité et à l’authenticité.

« Faire l’amour comme les éclairs dans l’orage, comme les feuilles sous le vent, comme deux esquifs en perdition sous le regard de Méduse…/… »

La parole ici est forte, le verbe est haut, Lilith la rebelle n’hésiterait pas à briser les conventions, pour les mener à une sorte de sabbat avec les louves, les gorgones, les vouivres, les mélusines, et les amazones, toutes ces proscrites du jardin des hommes. Pour peu, elle se ferait incendiaire.

« Les sabbats poussent leurs enchères.» 

Pour les rousses brulées sous prétexte de sorcellerie, pour les blondes emmurées pour péché charnel et de fornication, pour les brunes soumises à la question pour tentation et haute trahison.

« Ma vengeance est à portée de langue. »    

Toute la panoplie mythologique du monde des ténèbres est inventoriée par Nicole Hardouin et c’est de sa plume que s’extirpe le venin vengeur au cœur des liturgies païennes.

Notre poétesse transgresse les lois du jardin premier, elle chevauche le vent pour reconquérir au plus vite sa place usurpée, elle s’insurge, provoque jusqu’à faire jouir les dragons dans une : « Nuit de lave, drap de suie. »  

Au travers de cette grande orgie salvatrice, nous croisons des scènes nocturnes quelque peu porteuses de senteurs de soufre, nuits sabbatiques, clandestines où notre poétesse s’offre tel un arc de chair tendue.  

Consciente du mal qui a été fomenté, Nicole Hardouin fait de sa confession une révélation en se refusant à tout compromis, elle veut demeurer l’autre… :

« Je suis l’anti-Eve, l’anti-Vierge, l’anti-Marie Madeleine et pourtant les cicatrices accumulées sur les corps : infibulation, excision, mutilations, indifférence, injustices, écorchures n’ont jamais été aussi vives que celles que j’ai pu imaginer sur les écailles du serpent. »  

Lilith est très certainement la synthèse de l’œuvre de Nicole Hardouin, la pierre angulaire qu’il fallait à l’édifice de sa poésie. 

Lilith marqua de son sceau les hommes au fer rouge afin que la mémoire ne puisse l’effacer :

« …/… l’homme se redécouvre, mais ne peut oublier Lilith. » 

Indéniablement Nicole Hardouin siamoise du personnage de Lilith, demeure une impénitente amoureuse, une inconditionnelle passionnée, assoiffée d’amour et de vérité authentique se mesurant à l’aune de la Parole de l’homme ! L’homme qui a failli, doit impérativement se racheter, effacer ses fautes et les confesser à la femme qui espère et attend sa renaissance.

Nicole Hardouin se fait mendiante de l’amour et croit encore découvrir un « Homme » dans cette cohorte aux instincts tribaux que sont les fils d’Adam. Mais ce désir demeure encore en suspension.

« Je ne porte jamais la crue rebelle de mes désirs inassouvis. »

Ici, il ne reste plus qu’à jeter les vieux masques de l’expiation au bucher et aux flammes rédemptrices.

Prendre la main de Lilith pour s’engager sur le chemin où la femme et l’homme vont enfin se reconnaître.

©Michel Bénard.