Jean-Louis Bernard, Au précaire du seuil, Cahiers du Loup bleu, éditions Les Lieux-Dits, 4e trimestre 2023.

« Arrivé à la fin de ce que tu dois savoir, tu es au seuil de ce que tu devras ressentir. » Khalil Gibran


C’est au précaire du seuil, lorsque l’équilibre vacille dans les songes avec quelques ombres déchues/ pour peindre l’attente que la raison devient un terrain sans grilles où le passé n’a plus d’âge.

L’auteur nous le souligne dans sa dédicace : c’est là que se font jour les meilleures connivences.

Aller au-delà est toujours dangereux, le dragon veille sur l’incertain de l’inaccessible, c’est pourtant dans l’incertitude du passage que les nuages/ à la verticale/ des rêves et des vents/ se hissent/ grêlés du noir/pour d’improbable voyages.

Quand les yeux de l’auteur s’embuent devant d’étroites solitudes, on ressent le cheminement inlassable de l’écrivain qui oscille entre mots de nuits/ mots de suie/ venus du premier mythe.

Dans ce recueil, derrière les failles de la pénombre, Jean Louis Bernard, en alchimiste du verbe, découd l’ourlet des étoiles et les mots de la nuit/ feront silence. L’auteur rôde dans la clairière des songes et de l’inadvenu, il y retient les effluves du souffle pour natter les inquiétudes/ aux battement fuyants/ du souvenir.

À la source de l’oubli, derrière le ferment des embruns s’organisent, dans la fragilité du moment, les libations du vent, dans lesquels le poète puise l’élan pour passer le seuil et ce dans une écriture rare, élégante, puissante gonflée de sève pour que le mot ultime/ traverse l’obscur/ jusqu’à disloquer/ le verbe.

Quoi que chacun fasse et même si le temps n’est qu’un clou/ sur la croix des songes on ne peut oublier ce proverbe indien :« unie à l’océan, la goutte d’eau demeure »

Ce nouveau recueil de J.L Bernard, dont le dessin est de Romuald Sum, nous fait songer à un livre d’heures où chaque mot, au regard de pluie et d’attente, est à deux pas des étoiles pour comprendre l’Invisible.

On en garde au fond de l’âme un nom pour une trace/ une trace pour le temps.

CLAUDE LUEZIOR, Au démêloir des heures, Librairie-Galerie Racine-Paris, 2023

Une chronique de  Nicole Hardouin

CLAUDE LUEZIOR, Au démêloir des heures, Librairie-Galerie Racine-Paris, 2023


Le titre original du dernier recueil de Luezior intrigue, interroge, les heures seraient-elles des fleurs aux invisibles crocs pour aiguiser les songes ?

Nous sommes esquifs, passagers clandestins, des lignes de l’auteur dont nous partageons les marées dans le troublant flou de ses branches ramifiées. Fatalement nous sommes amenés à nous poser ses questions : suis-je moi-même gibier/ charogne en sursis/ ou acteur insensé/ d’une fureur de vivre ?

Luezior, de cette écriture rare, précise qui fait de lui l’un des meilleurs poètes actuels, est semeur d’arcs en ciel pour aller loin dans l’énigme d’enclos mystérieux, dans un mal sacré, transe/ d’une folie petite/ qui ameute mes frusques, il sait donner aux mots la lumière d’un regard dans l’intimité de l’inaccessible en réveillant les campanules de ses heures endormies. 

Il démêle les secondes et les minutes sans se priver « de tempêter/ contre le temps qui passe, il cherche les mots qui illuminent, peut-être pour se plonger dans une alchimie d’où s’évaporent/ effluves/ et fumets/ velléités/nourricières, tout en sachant que l’imaginaire n‘est qu’une île lointaine sans possibilité d’accoster et que  nous ne sommes que les alpinistes du manque, c’est pourquoi dans le bivouac du désir émerge la fine morsure du devenir  rappelle-toi/ ce matin-là, pourtant/ les écailles de l’abondance/ étaient nées dans l’eau vive / où scintillait la source. 

Chez Luezior les avenues de songes, d’espoir, de doute sont lovés entre les pavements de l’aube où l’on passe de jacasseries/ vomissantes /obésité du mot/ et veules railleries/sans pudeur/ ni décence alors que sur la plage qui frisonne, / une torpeur d’anges/coud ses écumes fines.

Peut-être dans la plissure des rêves, au déclin du jour, en démêlant les heures, le présent se manifeste, l’âme déploie ses feuillets, palpe l’air, frémit et la soif a fait place/ à l’envoûtement / de foins prodigues / et de ferments/ se concentre/ l’ivresse des retrouvailles. C’est alors que, par temps de pleine lune, Luezior, envoie les freux et tous les oiseaux de la nuit sous nos pieds, combat de la couleur/ dans la grisaille, juste pour se gorger d’effervescences / vives.

 Les heures sont réaccordées, il est temps de déchiffrer un sourire/ l’encens d’une chevelure/ et le soleil de tes prunelle/ respirer nos convergences/ quand se déclinent/ les chuchotements aimés.

Avec ou sans heures, dans des nuits sans balise, où s’offrent les Dames Blanches sur d’orgiaques autels, il fait trembler Lucifer et agenouiller les licornes, Luezior cisaille avec humour les interdits, convoque l’insolence/ pour survivre dans le sillon fertile de l’imaginaire, ainsi il sait nous donner des éclats de lumière pour écrire sur les zébrures des orages quand se rebiffe nos chaînes. 

Nous ne saurions clore cette recension sans souligner le texte poétique de la quatrième de couverture rédigé par Alain Breton, ainsi que la toile étincelante du peintre Diana Rachmuth illustrant la première de couverture du Démêloir des heures.

 ©Nicole Hardouin

Claude LUEZIOR, Un Ancien Testament, déluge de violence, Éditions Librairie-Galerie Racine.

Chronique de Nicole Hardouin

Claude LUEZIOR, Un Ancien Testament, déluge de violence, Éditions Librairie-Galerie Racine, Paris, 4e trim. 2020, 168 p., ISBN : 9-78-2-2430-4831-5

       Au-delà d’un humour bienfaisant, ce livre est un cri aux frontières de notre humanité qui est parfois (souvent) décrite de manière monstrueuse dans l’Ancien Testament.

Ces pages peuvent générer une certaine remise en question de nos croyances toutes faites car la très sainte Bible, socle de notre civilisation judéo- chrétienne, est censée être belle, rassurante…

Or, en réalité, les textes d’avant le Christ sont souvent (mais pas toujours) une accumulation d’horreurs : à Sodome et Gomorrhe pas un seul juste, tous les habitants furent brûlés vifs : préfiguration d’Hiroshima. Et Luezior d’ajouter : et les enfants / et les bébés ?  Somme de crimes, d’holocaustes : l’invasion de Canaan, la destruction et le carnage à Jéricho (aux cours d’instruction religieuse, l’histoire des trompettes nous avait pourtant été décrite de manière si candide !)  

Barbarie : Vous avez laissé la vie à toutes ces femelles ! Maintenant tuez tout enfant mâle, tuez aussi toute femme ayant partagé la couche d’un homme. Et pourtant il est maintes fois répété que Yahvé est bon…  

Somme d’incestes, de trahisons, d’ostracismes, d’anathèmes.

Pour ce qui de la forme du présent livre, on retrouve toujours le style ciselé de l’auteur qui est un nautonier du mot. Luezior a cette langue rigoureuse, celle qui rend si proche de ce gris argent du matin, cher à L.R. des Forêts.

Quant au fond, il faut souligner la somme de citations, de recherches, de minutie que représente un tel ouvrage, travail de chartreux, mots rédigés à travers les tourments de l’ombre, respirations profondes.

L’auteur débarrasse les textes anciens de leur gangue pour en faire ressortir l’effroyable. Paradoxalement il sait malgré tout atténuer une partie de leur noirceur par son humour, par des réflexions inattendues : remarques burlesques, surtout en ce qui concerne la Genèse : Le sage Noé, charpentier amateur de son état, était tout à la fois zoologue et botaniste. Dans son arche, véritable cage à poulets, il enferma quelques millions d’espèces ! (…) Les baleines furent dispensées de figurer dans cette histoire pour raison de corpulence et les sardines ironisèrent sur le manque de place dans la boîte à Noé.

Autre sourire, après la faillite de la tour de Babel : Grammairien dans l’âme, le bon Yahvé fit de sorte qu’ils n’entendent plus le langage les uns des autres : désespoir des potaches du monde entier.

Disparités scripturales évidentes lorsqu’apparaît soudain un puissant hymne à l’amour dans  le Cantique des Cantiques : Tes deux seins sont comme deux faons, jumeaux d’une gazelle. Et Luezior de commenter : de quoi faire convulser une bonne douzaine de pères de l’Église, non ? Par ailleurs, l’auteur ne peut s’empêcher de poser une question intéressante : combien de livres bibliques ont-ils été écrits par des femmes ?

La vie se nourrit d’interrogations. L’auteur de ce livre précise que les exégètes démêlent le vrai du faux, la fable de la réalité, le symbolique du révélé. L’Ancien Testament est peint dans une plume trempée dans le Nil, le Tigre, l’Euphrate, le Jourdain, où l’on perçoit un Yahvé manichéen, cruel et jaloux : nous a-t-il fait à son image où l’avons-nous plutôt fait à la nôtre ? 

Il est impossible de ne pas souligner les similitudes entre l’Ancien Testament et notre monde actuel où se perpétuent des conflits au nom d’un Dieu unique sensé être l’alpha et l’oméga de l’humanité.

Et Luezior de conclure : ce qui est rassurant, c’est la présence, dans le Nouveau Testament, d’un rebelle d’un nouveau genre, incarnation du pardon, et de l’amour : le Nazaréen Jésus Christ.

L’Ancien Testament, déluge de violence est un recueil puissant, qui ne peut laisser personne indifférent : il atteste que nous ne sommes toujours que le refleurissement de nos cendres aussi bien dans la barbarie que dans l’amour.

© Nicole Hardouin