Mazarine Pingeot – Les invasions quotidiennes, une chronique de Nadine Doyen

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Mazarine Pingeot – Les invasions quotidiennes– roman-( 238 pages- 19€)

Les invasions quotidiennes, c’est d’abord un titre explicite, une couverture très éloquente qui donne le ton du roman de Mazarine Pingeot. L’héroïne arbore une mine déconfite. On la devine habitée par quelques figures tutélaires, des philosophes présents en toile de fond, avec qui il lui arrive de parler. Comme NAC, un perroquet bienveillant, tantôt un confident, tantôt un moteur, « en bon marionnettiste ».

Qui est donc cette narratrice? On subodore le double de la romancière.

Une femme proche de la quarantaine, à deux facettes puisque Joséphine pour les uns, Charlotte pour d’autres, en hommage à Charlotte Gainsbourg, avec qui elle dialogue.

Mazarine Pingeot nous fait suivre sur douze jours le quotidien de cette mère de famille, professeur et auteur jeunesse. Comment concilier le tout quand le mari dont elle a décidé de se séparer n’est pas très conciliant ? Joséphine, vraie tornade, nous embarque dans son marathon et nous livre un inventaire de ce qui fait de sa vie « un bordel ». Elle nous plonge dans ses pensées intérieures ( décryptage d’un texto).

On sent cette championne de la procrastination proche du burn out, surtout quand la présence de José génère des échanges violents, voire injurieux, ou qu’il envoie des messages comminatoires. Va-t-elle sombrer comme une « desperate housewife » devant toute la succession d’impondérables ou aura-t-elle la volonté de rebondir ?

Si elle est épaulée, conseillée par des amies, secondée pour du baby sitting, un homme complique sa vie, pollue son esprit même. La voilà aux prises avec l’amour, mais un amour conflictuel à cause des enfants, une entente cordiale qui s’est délitée.

Mais pour qui son coeur bat-il toujours?

Nul doute pour ses deux merveilleux bambins, qu’elle couve même quand ils dorment, tout en anticipant déjà le moment où ils voleront de leurs propres ailes.

Pour Martin…

Fraternité avec les voisins d’en-face qu’elle gratifie de signes, parfois plus.

Pour son frère et son père, avec qui elle entretient une grande complicité.

On devine des bribes autobiographiques, dans les souvenirs d’un voyage en Égypte ou dans l’évocation de Balou, ce labrador destiné à « combler une carence affective ».

Elle s’interroge quant à sa vie sentimentale ( Peut- elle imposer à ses enfants un beau- père?) avant que le lecteur soit le témoin d’une attirance réciproque entre elle et un nouvel élu. Mais ne déflorons pas ce cheminement amoureux.

Avec beaucoup d’auto dérision, Mazarine Pingeot nous offre des saynètes drôles, très théâtrales. Elle s’aventure dans la comédie et y réussit. Ainsi, elle ne risque pas de se voir coller une étiquette ou emprisonner dans un genre. On pense au ton léger de David Foenkinos dans cette façon de mettre en scène un personnage au bord du désastre, dans des situations désespérées, avec en prime l’humour. La scène du baiser ( « On ne triche pas avec un baiser. ») rappelle celui de La délicatesse.

En filigrane Mazarine Pingeot épingle la presse people dont elle même fut victime.

Elle déplore cette addiction à « ce réseau cancérigène », concède qu’elle nourrit parfois des espoirs « insensés ». Viserait-t-elle à tirer la sonnette d’alarme à l’encontre des pères quant à la pension alimentaire ou le partage des tâches?

Elle explore aussi la relation éditeur/auteur, la précarité. Elle souligne son vécu d’écrivain: les affres de la page blanche, le sacerdoce parfois des salons littéraires,

mais aussi l’émotion et la jubilation de rencontrer des élèves « revigorants », ou des lecteurs bienveillants. Elle pointe la rivalité qui peut naître dans un couple quand la notoriété de l’un fait de l’ombre à l’autre. D’où cette « muraille de Chine ».

Le récit se clôt de façon crépitante,flamboyante, en apothéose avec cette chavande improvisée, tel un feu de la St Jean. Une façon de brûler les oripeaux du passé.

Joséphine n’avait-elle pas raison de faire confiance au destin, comme Kaa le lui intimait? Mais qui aurait-elle enflammé ? Pour qui se consumerait-elle?

Au lecteur de consommer ce roman jubilatoire pour percer le mystère.

Mazarine Pingeot signe un dixième roman distrayant avec ses envolées burlesques, qui nous avale dans cette spirale au rythme d’enfer, sur fond mélodieux de Melody Nelson. Récit nourri de réflexions philosophiques et pourvoyeur de pensées positives.

Un renouveau lumineux pour l’héroïne.

©Nadine DOYEN

La Promesse d’Almache – Alain Dantinne – Plumes de coq ; Weyrich

Une chronique Nadine Doyen

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  • La Promesse d’Almache – Alain Dantinne – Plumes de coq ; Weyrich (200 pages -15€).

Tout d’abord, il me semble utile pour le lecteur de situer Almache. Un hameau dans un coin perdu de l’Ardenne profonde, « un croupion de terre wallonne », proche de Bouillon. Ce qui explique la « pauvreté culturelle » déplorée par les protagonistes.

Quelle est donc cette promesse? A qui est-elle destinée? De qui émane-t-elle?

Le narrateur remonte à l’historique de cette bâtisse, « ancien relais de chasseurs », « gentilhommière campagnarde », à son acquisition par Pierre et Dydie. Couple sans enfant, ce qui peut expliquer que Dydie reporte toute son affection sur son neveu, Arthur. La vie de ces bourlingueurs est évoquée depuis leur rencontre jusqu’au décès du mari. Tout bascule pour la veuve, plongée « dans une solitude forestière ».

Le narrateur explore la relation complexe entre un neveu et sa tante, liens d’autant plus intimes qu’elle manifeste le souhait de l’adopter, d’en faire son héritier putatif.

Qu’éprouvait-il pour elle? De l’amitié»? De la commisération?

Le narrateur décortique le parcours d’Arthur, l’obtention de ses diplômes, son poste d’enseignant. Son éloignement de ses géniteurs (dû à un père qui le considérait comme « un incapable, un déviant ») ne favorisa-t-il pas son rapprochement de sa tante? Une complicité se tisse. Plus en confiance, Arthur n’hésite pas à revendiquer sa différence, à faire son coming out, à s’épancher de façon directe, évoquant son tourisme sexuel, « les backroooms », quitte à choquer cette prude bourgeoise, mettant fin à ces questions indiscrètes de sa tante, qui tournait autour du sujet.

Dydie se montre tolérante, soucieuse de son bonheur, « avec une fille ou un garçon ». Il n’hésite plus à rendre visite à sa tante avec ses conquêtes du moment.

Il lui présentera donc Christophe, éphèbe à la « peau d’ange », aux « lèvres brûlantes qui n’ignoraient rien de la tendresse », Etienne, envers qui elle ressentit de la jalousie ». Il privilégiait les «  rencontres fugaces » mais intenses, refusant de se laisser phagocyter par la passion. Lucide, quand un fossé de vingt ans les séparait. Arthur ayant une oreille réceptive, pour sa tatie, celle-ci, à son tour se livre à des confidences, lui confessant de « délicieux égarements ».

La présence d’Arthur est si fréquente que cela va devenir une habitude, une nécessité.

Progressivement, il se retrouve piégé, aliéné, esclave des caprices de cette tante, qui au décès de son mari sombre dans la dépression, la mélancolie et s’installe dans l’immobilisme et l’oisiveté. Ses journées sont ponctuées par les rencontres de bridge, les visites du voisinage (personnages hauts en couleur, parfois parasites), et à l’occasion, par la préparation de repas festif.

Le tri de la pléthore d’ouvrages de la bibliothèque de l’oncle (où se côtoient Mauriac, Blondin, Matzneff, Marceau, Jules Roy…) génère chez Arthur une réflexion autour de la pérennité d’un livre, constatant l’aspect « «éphémère » de la littérature. Que garder pour sa tante ? Les écrits des féministes: Colette, Sagan, Beauvoir, Duras, s’imposaient, Redu étant la destination idéale pour les autres, mieux que le pilon.

On suit l’évolution de la santé de cette dépressive, et assiste impuissant à la déliquescence de son corps. Situation qui nécessite toute une logistique d’aides à domicile. Le narrateur ne nous épargne rien des rechutes de l’intranquille, des alertes

lors de ses hospitalisations, abordant la perte de l’autonomie et la déchéance liées à la vieillesse. La possibilité d’un « centre de revalidation » s’avère typiquement belge.

Alain Dantinne, à la plume caustique, ne manque pas de distiller une série de scènes cocasses: Arthur, victime des puces; l’incident des « chatteries » sous la table, lors d’une partie de bridge. La confection de la tête de veau, est décrite avec tant de détails, qu’on croirait suivre une séquence culinaire filmée. L’escapade dans les Hautes Alpes, chez Michel, où Arthur « trouvait son Patmos », une vraie odyssée.

Ces parenthèses apportent de la drôlerie, de la légèreté, l’humour enrobant le tragique.

Dans ce roman, Alain Dantinne focalise notre attention d’abord sur le couple, puis sur le duo tante/neveu, brossant deux portraits antinomiques, très vivants.

L’auteur excelle à affubler la tante de multiples noms: la douairière, la bourgeoise, l’hôtesse, la rombière, la bigote, selon les circonstances. Avec l’âge et la maladie, elle devient: La vieille sédentaire, la casanière, la vioque. Avec l’addiction à l’alcool, elle devient une « dipsomane ».

De même pour le neveu qui est tour à tour: chenapan, mécréant, baroudeur, une chiffe, un pantin. Malgré tous ces qualificatifs réducteurs, Arthur a engrangé une vaste connaissance littéraire. Féru de peinture, de Verlaine, Rimbaud, il nourrit un projet culturel exaltant , celui de métamorphoser l’hostellerie en «  Centre Paul Verlaine » et ainsi redynamiser les environs. Parviendra-t-il à le concrétiser ?

Pour pimenter la fin du roman, Alain Dantinne introduit un rebondissement déboussolant. Arthur tombe de Charybde en Scylla, tout comme le lecteur. Il encaisse le pot aux roses, cette trahison, tel « un uppercut ». Quand il réalise combien il a été floué, manipulé, il ne peut réprimer sa révolte, sa rage, son indignation, à l’encontre de cette complice: « Salope », « la sournoise ».

On tremble pour le héros, si dépité, quand il prend le volant avec l’idée de dire « Merde à la vie ».

Le lecteur, tout aussi abasourdi devant un tel dénouement, entre en empathie avec celui qui a fait montre de tant d’abnégation et de dévouement. N’a-t-il pas été perdu, « troué » par son excès de bonté, de gentillesse, de tendresse, de sentimentalisme?

Comment allait-il rebondir, remonter la pente? Grâce à son métier? Grâce à l’alcool, remède pour «  les âmes tristes »? Par ses voyages au bout du monde? Toujours est-il que se sentir libéré, « délivré », n’était-ce pas un immense soulagement, après « vingt ans de non-dits »?

Alain Dantinne signe un roman poignant, traversé par la littérature et la peinture et l’humour, mettant en scène un duo, dopé par «  la méthode champenoise ». Un huis clos familial dont l’épilogue si imprévisible, fait découvrir la perfidie des hommes.

Lecture d’autant plus bouleversante que cet ouvrage est dédié au regretté Alain Bertrand, à qui le no 65 de Traversées avait été consacré.

©Nadine Doyen