Monique Charles-Pichon, Louise ou Les mères intérieures, roman, L’Harmattan, 2024, 275 pages

Monique Charles-Pichon, Louise ou Les mères intérieures, roman, L’Harmattan, 2024, 275 pages


« Tout ce que j’écris, vois-le comme une trousse à outils, de secours, une pioche, des varias d’inquiétudes et d’amour où tu peux grappiller librement »

Les mères intérieures, ou « Les guerres intérieures » (roman de Valérie Tong Cuong), ou Les tourments …, Les espoirs … et tant d’autres à imaginer.

Monique Charles-Pichon nous emmène dans un roman hybride entre psychanalyse, philosophie, entre espoir et renoncement, désir et refoulement, attente et déception, …

C’est de toute façon aussi l’histoire d’un amour floué que nous décrit Louise dans son journal/manuscrit qu’elle intitulera Donner le jour.

Trois parties charpentent ce roman.

Louise, 1984

La maman de Marie, Louise, ne citera les intervenants – surtout ceux de sa famille, ses parents, ses grands-parents, ses marraines, sa fille … que par leur prénom. Elle ne dira jamais « papa », « maman »…

Elle vit avec Louis et a un désir absolu d’avoir un enfant. Pourquoi souhaite-t-on avoir un enfant ? Pour avoir un projet de vie, pour consolider son couple, pour partager ses acquis, pour servir de relais entre hier et demain … Pour tout cela et surtout par amour, pour la plupart d’entre nous, du moins je l’espère !

Louise et Louis, ça ne s’invente pas ! Louise va lui « faire un enfant dans le dos », comme dit l’expression, car de progéniture, Louis n’en veut pas. Mais notre héroïne cherche avant tout à garder son compagnon et c’est la seule alternative à laquelle elle songe.

Alors Louise imagine un dialogue avec son enfant à naître : elle sait d’ores et déjà qu’il s’agit d’une fille. Ce dialogue qui est en fait un monologue, puisque celle qui vit en elle ne peut lui répondre. Une forme de catharsis en quelque sorte qui lui permet de tenir bon et de se dire que Louis ne va pas la quitter, comme ça, sur un coup de tête. Elle dit à son enfant à naître celui qu’elle a été, lui décrit les passages difficiles qu’elle a connus et les personnages qui ont compté pour elle, disparus ou encore présents.

Marie 2020

Ici, c’est Marie qui prend le relais, à 35 ans, Louise avait cet âge quand Marie est née. La mère veut léguer à sa fille Les Volets bleus, maison de son enfance, où elle a été élevée par sa génitrice et ses deux marraines, Hélène et Joan.

« Je voudrais faire comme toi… écrire la suite de Donner le jour, ce pourrait être ça, un carnet de bord qui détecte les lignes de force du passé et du présent. »

« Le suicide et l’infanticide pour crier à Louis l’horreur de l’abandon, qu’il ne s’en remettre jamis. »

« Louis, je l’ai expulsé ».

Louise devenait folle car – en réalité – Louis l’avait quittée, abandonnée. Cette folie conduisit la mère presqu’au suicide et à l’infanticide ; ce que découvre avec horreur Marie, en lisant le second manuscrit tout raturé et qui chavire en tous sens : Lettres de l’abandon. Marie se rend compte que sa mère devenait dangereuse pour elle-même ainsi que pour sa fille.

3ème partie : Hélène, 2021

Psychanalyste et amie de nos deux protagonistes principales, Hélène va aider Marie à remonter la pente ; Joan aussi. Ses deux marraines, en somme ! Les amitiés vont remplacer les cellules défaillantes et Marie – elle aussi – va se décider d’écrire et ainsi aller à l’essentiel : avoir une vie à soi, un espace de liberté, un endroit « intérieur » où chacun se soulage grâce à l’autre et tente de comprendre et d’aider l’autre.

C’est un roman prenant de but en blanc où les amitiés indéfectibles qui consolident et rassurent, les lieux de vie pour comprendre, l’amour des animaux, le recueillement pour solitude et introspection, l’écriture comme salut … sont les éléments fondamentaux que l’autrice développe pour aider à continuer, malgré les remous, les contraintes et les obstacles qu’offrent les rencontres probables et improbables d’une vie trop ou trop peu remplie …

Et si ces amitiés ne consistaient seulement qu’en une « renaissance » pour chacune des héroïnes.

Un roman féministe peut-être, mais surtout intimiste sur la difficulté d’être mère, de le vouloir et surtout de le pouvoir.

Etre mère, c’est pour moi quelque chose de phénoménal. Moi-même, je ne me suis rendu compte de l’importance, la force et le courage d’une maman que lorsque mon épouse l’a été…

Monique Charles-Pichon, à travers ce roman à multiples clés, nous fait rentrer dans un monde de questionnements, où la trajectoire d’une vie peut dévier si on est seul à s’enfoncer dans ses propres délires ou être « rattrapée » si on peut compter sur des appuis solides.

Monique Charles-Pichon, On habiterait le monde, L’Harmattan Éditions, Collection témoignages poétiques, 176 pages, 18,50 €

Chronique de Lieven Callant

Monique Charles-Pichon, On habiterait le monde, L’Harmattan Éditions, Collection témoignages poétiques, 176 pages, 18,50 €


Sur la couverture, l’illustration réalisée par l’auteur nous montre un couple comme assis au bord du monde et le contemplant comme on contemple un paysage au delà de son horizon. En sur-impression, des mots mais aussi des plis, des rides, des lits de rivières, un entrelacement de chemins ou de racines se partagent l’espace et promènent le regard d’une dimension à une autre. Les teintes vont de l’ocre au jaune et créent une forme de lumière particulière, les deux personnages se soutiennent l’un l’autre dans ce qui ressemble à une lecture ou relecture de leurs vies réciproques.

Ce livre comporte plusieurs types d’écritures puisqu’il propose côte à côte dans la première partie poésie et prose et que la deuxième partie est un journal de bord, un carnet de route. Une longue réflexion de l’auteur sur les manières d’habiter le monde au regard de ses propres expériences personnelles mais aussi au travers de ses lectures diverses de philosophes, psychanalystes, écrivains ou poètes qui ont compté pour elle. L’avant propos tente une brève présentation par l’auteur de ses principales motivations à écrire ce livre.

« Jours et contre-jours » prend comme base de départ un tableau de Bonnard représentant une femme se baignant, une femme imprégnée de lumière, qui n’est pas sans faire songer à l’illustration de la couverture. L’auteur questionne le temps et l’idée d’appartenance à un univers fermé ou non comme peut l’être un tableau grâce à son cadre ou grâce à ce qu’il dévoile ou au contraire dérobe. 

Et moi qu’est-ce qui me fait rater le présent? qu’est-ce qui fait emprise et empreinte? Quand je piste la beauté, ses saillies, ses coups d’éclats, J’ai l’impression d’être dans le vif du présent. Mais qui sait? p37

Les poèmes convoquent le souvenir, la vie, les sensations, l’amour et la mélancolie, le rêve sans doute aussi et proposent aux lecteurs plusieurs manières d’habiter le monde, sans qu’aucune certitude finalement ne vienne jamais bloquer le processus d’être à soi-même, d’être et de devenir au monde. Le poème apparait tel qu’il s’écrit avec sa part de mystères non élucidés et puis sur l’autre page tel qu’il se traduit au jour éveillé. La mort, la fuite du temps, le souvenir tissent ainsi des liens imaginaires qui tentent d’élucider nos pourquoi et de répondre aux angoisses. Au besoin de croire se substitue le désir au contraire de se défaire d’une emprise. Pour répondre à la mélancolie, il y a la résilience qui est une sorte d’acceptation de soi et du chaos.

Chaque poème devient la pièce d’un puzzle à la dérive sur le magma de la vie.

Carnet de route égraine les jours, les semaines, les mois et parfois aussi de courtes absences. Le journal de bord commence le 1 décembre 2016 pour se terminer le 12 octobre 2017 et raconte l’aventure de l’écriture de ce livre et ce qu’il a exigé de l’auteur. Rompre certains mécanismes et schémas de penser, nouer ou dénouer les angoisses liées à l’existence et à la mort, séparer les parts de culpabilités dévorantes et inutiles d’une véritable remise en question de soi, renouer les liens défaits, défaire ceux qui nous privent de choisir ou masquent notre manque de lucidité. 

L’auteur interroge surtout celle qui écrit, ce qu’elle écrit et ce livre en devient le puissant témoignage. Elle revient sur sa vie de petite fille, d’adolescente, de jeune femme, de femme, de vieille femme avec pudeur et sous un angle constructif. Elle analyse donc son sentiment d’emprisonnement et de ses désirs d’en sortir, de vaincre une sorte de destinée, de dépasser un schéma pré-établi. Elle revient sur les choix qui l’ont forgée, sur l’importance de certains auteurs: Roger Caillois, René Char, Shengers ou Michaux et encore Borges et Winnicott. 

« Curieux comme ce carnet m’entraîne à chercher un fil d’Ariane à mon histoire », écrit-elle déjà le 5 décembre consciente qu’écrire est la voie d’excellence pour tenter d’habiter le monde autant de fois que possible au travers de nos multiples vies sans renoncer au désir de les élucider.

« Ce qui m’étonne toujours, inlassablement, ce sont les efforts que l’homme doit faire pour trouver sa place, faire sa niche, s’accoutumer à la cohabitation avec lui-même et avec le monde. Quelles que soient les histoires individuelles, il y a une rugosité, une désadaptation, une part d’étrangeté essentielle. Le monde garde une dimension de labyrinthe incernable et l’homme peut se sentir tellement à part dans la création qu’il se vit comme monstrueux ». 84

Finalement, le titre dans l’utilisation du temps conditionnel: on habiterait le monde, outre le fait qu’il s’interroge sur les manières de l’habiter, ce monde, de s’y arrimer, de s’efforcer à être à soi comme aux autres, il pose aussi la question du choix, d’un choix qui serait éventuellement de ne pas habiter ou de constater contre toute attende qu’on ne l’a pas assez habité. 

Semble se glisser entre les lignes et les discours, entre les raisonnements et les logiques, entre le langage, au delà des mots et des principes éthiques, moraux, philosophiques ou théologiques une voie nouvelle, une voie plus audacieuse, une des voies de l’écriture artistique: la poésie. Reste à déterminer ce que cela signifie, ce à quoi elle invite. Un chantier permanent de soi-même? Peut-on habiter poétiquement le monde? A quel prix (humainement parlant)?

©Lieven Callant