Barnabé Laye, poèmes, Franceleine Debellefontaine, sculptures, Le feu de nos empreintes, L’Harmattan, Agga.

 Épilogue

                                           « Le sculpteur redeviendra le médiateur de la Parole. » M.B 


Quand le sculpteur redevient le médiateur de la parole le geste du sculpteur pour Franceleine Debellefontaine est un acte de naissance, le mystère de la Parole pour le poète Barnabé Laye en est le souffle vital.

Dans « La Parole et le geste » réside toute une symbolique confirmant l’union du sculpteur et du poète. Il y a toujours une périlleuse ambiguïté de vouloir parler d’un poète, alors à plus juste raison si ce poète fusionne avec un sculpteur. Comme la poésie la sculpture est en quête de caresses, dont nous imaginons bien le poli du bronze ou de la pierre et le lustrage et affinage du vers. Ici lorsque l’on évoque la Parole, inévitablement on est saisi par le geste. La poésie et la sculpture sont très certainement deux modes de création parmi les plus anciens dans l’histoire de l’humanité. 

Barnabé Lay

L’alchimie est parfaite, nous effleurons la transmutation et de cette union hors du commun émergent des compostions ayant la densité de l’or. Le poète change déjà le souvenir en avenir, alors que le sculpteur cristallise la forme de la matière pour lui insuffler le miracle de l’éternité.

Ce recueil « La Parole et le geste » est une véritable mosaïque poétique, sorte d’azulejos de la pensée, les textes sont plus beaux, plus poignants les uns que les autres. Pour savoir s’en approcher nous avons le sublime à portée de main. Barnabé Laye appartient bien à cette catégorie rare de poètes élus pour enluminer l’humanité. Par l’envoûtement de leurs poésies ils se font médiums, apôtres de la révélation, protecteurs de la beauté.   

Barnabé Lay et Franceleine Debellefontaine

Franceleine Debellefontaine et Barnabé Laye ont fait de cet ouvrage un hymne d’amour. 

Au cœur des incendies et brûlures de la vie la poésie devient un baume bienfaisant.

Unité, est le mot clé, beauté, le principe imposé. Les volutes de pierre enivrent la musique de l’encre, l’écoute du silence s’impose.. Nous sommes en permanence tirés entre deux mondes qui pourtant ne forment qu’un, car si ce n’est pas le verbe qui se marie à la matière, c’est exactement l’inverse qui se produit 

Le poète, Barnabé Laye soulève une question majeure, que deviennent et où vont les paroles perdues ? Ne vous posez pas trop la question et laissez-vous transporter par le rêve, habitez la Parole, voyez dans le poème l’écume fragile et éphémère qui porte la vie.

Lorsque le poète se voit comme messager de la Parole perdue, le sculpteur se sent géniteur de l’œuvre pérenne. Il y a toujours chez le poète cette nécessité de retour aux racines mères et cette force palpable il va la chercher dans l’harmonie et l’équilibre des sculptures. Alors le poème donne sens à la sculpture. 

Ainsi au terme d’un long cheminement, d’incertaines errances, le poète poursuit son chemin de vérité et s’en retourne au silence en transmettant le fruit de sa Parole au geste du sculpteur, qui signe après signe, trace après trace va immortalisé dans le marbre le poème de la complicité.

Marc GUTLERNER – Poésies – & Carine GUTLERNER – Dessins – Editions L’Harmattan – aga –  format 21×29,7- nombre de pages 60 – 4 -ème trimestre 2023   


Voici quelques années déjà que je connais Carine Gutlerner. C’est au cours d’un récital en l’église Saint Merry que j’ai croisé son chemin. Signe prédestiné, le hasard n’existant pas ! À ce propos je me souviens d’une interprétation magistrale d’une certaine « Appassionata » de Beethoven, qui me laissa pantois. Je fus littéralement transporté, jusqu’aux larmes.

Au terme de ce récital je voulu absolument me procurer un ou plusieurs CD de Carine Gutlerner cette pianiste virtuose. Je n’ai pas résisté de lui dire combien son récital m’avait bouleversé et combien son jeu musical la métamorphosait, comme une sorte d’extase rayonnante, une transcendance, une illumination.

Pour connaitre la merveilleuse pianiste je ne connaissais pas la dessinatrice et plasticienne, car Carine Gutlerner est très discrète à ce propos..

Puis un jour je fus invité chez elle, véritable ilot de paix et de création. Ancienne maison de Django Reinhardt.  Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une œuvre graphique allant du format raisin au très grand format. L’œuvre était digne des meilleurs plasticiens. Puis j’ai découvert aussi son livre d’art où était représenté un certain nombre de ses œuvres.

Face à une semblable œuvre j’ai pris l’initiative de constituer un dossier pour le présenter au Cénacle européen des Arts et des lettres fondé par Léopold Sédar Senghor dont je suis vice-président, pour le prix Botticelli, qui lui a été attribué à la majorité. Mais revenons à notre recueil.

Je connaissais donc la pianiste, la compositrice, mais pas la dessinatrice, ce qui fut une révélation. Le trait puissant, précis, révèle toute la force intérieure de ses sujets qui sont le plus souvent des éléments humains en majorité des portraits, l’art de saisir l’âme et l’esprit subtil. Traduire l’indicible.

Ne vous attendez pas à des portraits de complaisance, ni des portraits mondains, mais plus précisément à des portraits de l’intime estompé, cri de l’intérieur poignant de vérité. Toutes les douleurs, tous les cris de l’humanité sont là, puissants comme le cri terrifiant d’Edvard Munch.

Mais le cri plus bouleversant encore, celui du silence de Zoran Music rescapé in extremis des camps de la mort. Cri mémoire, pour ceux qui comme Zoran Music le disait avec clairvoyance : « Nous ne sommes pas les derniers » car en effet, triste est de constater que l’histoire n’a pas de mémoire.

L’œuvre de Carine Gutlerner se veut témoignage, pas un plaidoyer, moins encore une litanie, mais simplement un rappel au bon sens, à l’humain, à la sagesse, comme pour dire : « Non ! Il ne faut pas que ça recommence, halte à l’infamie. »  

Au regard des circonstances actuelles, des bruits de bottes et du grognement des chars, il me semble qu’aujourd’hui cette précaution soit des plus judicieuses et des plus incertaines.

Attention prudence, lorsque l’obscurantisme revient, l’anéantissement n’est pas loin ! Les pogromes non plus. Un peuple faisant l’autodafé de ses livres, est un peuple en voie de disparition.

Cet ouvrage jumelé de Carine Gutlerner et de Marc Gutlerner est celui de deux artistes oscillant entre fusion et confrontation, opposition et confession. Deux esprits acérés, deux « flammes jumelles. »  

Nous sommes les témoins d’une fratrie des plus talentueuses où l’art, l’expression et la sensibilité sont à tous les degrés.

Bien que ne se considérant pas pour un poète, Marc Gutlerner avait une noble conception de la poésie qu’il portait en ses plus hautes cimes, tel un acte incarné ou sacralisé.

La poésie est pour lui une véritable incantation, dont nous n’aurions pas pu trouver mieux pour l’illustrer que les remarquables encres de chine de Carine Gutlerner s’offrant au monde bras ouverts dans l’accueil le plus intense du verbe. Signe imparable de la force absolue de ce duo lié dans la fraternité.

La vie est un grand spectacle, la commedia dell’arte, une foire aux vanités permanente, une insondable bouffonnerie dont Marc Gutlerner avait parfaitement conscience, lui dont l’esprit était tendu comme une corde de violon. Poète de l’extrême, artiste torturé : « qui pour l’art pourrait crever. » et pour qui : « chaque syllabe est un murmure du cœur. »      

Puisse ce jumelage graphique et poétique, vous faire prendre conscience que l’art c’est avant tout revendiquer son besoin d’amour, d’humanisme, c’est respecter la vie sous toutes ses facettes, c’est oser encore croire en l’homme, c’est tendre vers son devenir lumineux, loin des aveuglements sectaires, des régressions radicalisées et des ignorances obscurantistes.

« La poésie c’est ne plus subir l’hypocrisie. » Tel est le crédo de Carine et de Marc.

Malcolm de Chazal, une pensée multidimensionnelle et transdisciplinaire.

Malcolm de Chazal, une pensée multidimensionnelle et transdisciplinaire.

Par Michel Bénard

« L’art n’a pas de pays, n’a pas de frontières. À mon sens, l’art est la seule chose qui peut créer l’humanisme transcendant et qui nous fait découvrir l’ultime sens du sacré.» 


Malcolm de Chazal. 

                                                                                                                      

Jeanne Gerval Arouff, « Pour MALCOM De Chazal l’essentiel monolithe. », Préface Dana Shishmanian, Facsimilés, documents et illustrations divers, Format 14 ½ X 20 ½, Nombre de pages 377, Impression Repro Rapid – Béziers – 2022 – 


Ces bien modestes lignes ne sont que les fragiles reflets d’un hommage rendu à Jeanne Gerval Arouff pour sa remarquable étude : « Pour MALCOLM de Chazal l’essentiel monolithe. » Cet ouvrage publié en 2022 est toute la résonnance d’une vie de reconnaissance et d’admiration. Car l’auteure découvre ce grand esprit universel vers 23 ans alors qu’elle était encore étudiante. 

Je ne reprendrai pas ce qui a déjà été écrit brillamment par la poétesse, écrivaine et essayiste Dana Shishmanian, dans la préface du livre, tout simplement je me laisserai porter par mon ressenti au fil de ma lecture, au rythme de l’esprit et du cœur.

Malcolm de Chazal est un personnage singulier, insaisissable et cependant tellement attachant d’idéal et de passion.

Quelle plus belle preuve d’admiration et de respect puisse démontrer une artiste à ce génie qui est une référence, un guide intellectuel et spirituel, sinon lui consacrer un livre de haute tenue, c’est exactement ce que fit Jeanne Gerval Arouff pour ce penseur mauricien hors normes, défiant toute logique, le philosophe, le poète, le peintre tardif mais étonnant. Malcolm de Chazal, qui pense avoir « trouvé le fil d’universalité… le Principe-Homme », est en quelque sorte un chercheur d’Absolu, un esprit mutant, considéré comme un excentrique sur son île mauricienne et reconnu en France par des écrivains, penseurs et artistes tels que Jean Dubuffet, André Gide, Léopold Sédar Senghor, Jean Paulhan, André Breton, Gaston Chaissac, Jean-Marie G. Le Clézio, Olivier Poivre d’Arvor, etc. etc.     

Esprit d’exception, Malcolm de Chaza, est tout à fait conscient que toutes les choses qui sont les plus importantes pour l’humanité, passent le plus souvent totalement inaperçues. Cependant il n’en démordra jamais : « La poésie seule peut sortir l’humanité de l’abîme où elle se trouve car elle est la seule puissance rédemptrice ayant seule la clé de tout. » « Créer est le seul domaine où il faut se déposséder pour s’enrichir. » La poésie doit demeurer abordable et s’ouvrir sur le cœur.

Malcolm de Chazal dans l’esprit du philosophe Swedenborg croit au principe de « L’homme universel », c’est son côté anthropique, mais il écrit : « L’homme a été fait à l’image de Dieu. » Et il poursuit dans le même élan : « La nature a été faite à l’image de l’homme…/… ». Petite objection à ce propos, il me semble plutôt que ce sont les hommes qui ont créé une image de Dieu, pour servir et justifier en toute bonne conscience, leurs actions ou exactions.

Le parcours de le vie intellectuelle de Malcolm de Chazal fut très marqué par la pensée du philosophe mystique Swedenborg. Ainsi il voit en l’homme la mesure de toute chose, sorte de mètre étalon, c’est la mesure de la connaissance. Ici la priorité est donnée aux sensations. Dans l’œuvre de Malcolm de Chazal le dépouillement particulièrement n’est jamais bien loin, il touche une sorte de nudité divinisée et cosmique qui engendre l’idée du sexe sacral. Ce qui est perceptible dans son œuvre majeure – Sens plastique – où il traverse une période mystique tout à fait significative, dont l’idéal est en fait une volonté d’humanisation de l’art. Poète épris du « Grand Tout », il rêve d’accéder aux noces mystiques, ce qui me conduit à Saint Jean de la Croix. Par ce principe théorique il est très proche de la philosophie zen. Il est fasciné par l’idée du « Grand Œuvre. » Penseur, artiste multidisciplinaire d’une grande ampleur, son œuvre demande une approche progressive. Il possède une vision androgyne fondée sur le principe d’une unité masculin-féminin. Le principe d’un monde global n’est jamais très loin.  

Malcolm de Chazal se marginalisa dès son enfance, il portait déjà en lui un besoin de solitude afin de mieux se plonger dans la source créative. L’idée de poésie est la partie dominante dans son œuvre, il va chercher les matériaux de ses poèmes dans une sorte de jardin intérieur épuré, une piste dans le désert, un refuge aux pieds des météores. Il faut bien comprendre que notre penseur était en avance dans bien des domaines, ce qui l’isole encore un peu plus. Adulé, contesté, admiré, dénigré, il n’en était pas moins pour autant une espèce de réformateur, un novateur de la pensée, passant d’un mysticisme libéré à un panthéisme régénérant.

Il attirait l’attention sur les méfaits d’une modernité incontrôlée devenant la pire pollution de la société contemporaine. Convenez, que nous sommes ici confrontés à un petit parfum prémonitoire. 

Sans doute Malcolm de Chazal devait-il se sentir limité, un peu à l’étroit dans ses disciplines initiales, la philosophie, la littérature et la poésie etc., alors il lui vint comme un défi le besoin viscéral de pratiquer les arts graphiques, de faire parler lignes, volumes et couleurs. Tout à son honneur, il n’eut jamais de prétention quant à l’art pictural et reconnaissait volontiers son manque de formation, d’ailleurs ne disait-il pas : « En peinture, il ne me fut pas donné d’avoir des professeurs, d’où ma qualité d’autodidacte. » Aujourd’hui si nous devions situer l’œuvre peinte de Malcolm de Chazal, il serait placé parmi les peintres dits singuliers, naïfs ou art brut, nous pourrions aussi songer au mouvement COBRA, d’ailleurs ce n’est pas tout à fait par hasard qu’il se rapprocha de Gaston Chaissac et Jean Dubuffet, précurseur de ces mouvements à contre-courant. Malcolm de Chazal se rapproche d’un art épuré, simplifié, il veut pouvoir peindre comme les enfants, simplement, sans calcul, naturellement, loin de toutes formes esthétiques. Sa conception est une recherche de la peinture-poèmes, du poème-images. Pour lui ce qui est considéré comme un crayonnage enfantin est l’apogée de l’expression libre. Par cette vision « naïve » il y voit un art qui s’ouvre vers l’universel dont les images surgissent de l’inconscient : « Par la couleur j’ai le verbe immédiat. » Vous constaterez que la poésie est toujours présente. Retourner au jardin de l’enfance pour peindre comme un enfant et fermer les yeux pour éclairer les étoiles, tel était le rêve intérieur de Malcolm de Chazal, créer des images nouvelles, une effervescence stylistique et chromatique différente. 

Néanmoins, si la peinture occupe désormais beaucoup de place dans le champ de ses nombreuses activités, la philosophie reprendra ses droits, afin de rester un homme droit et debout. Il reste cependant prudent, voire distant envers les erreurs philosophiques. La réflexion philosophique conduit irrémédiablement sur des chemins constellés d’hypothèses, qui demandent à être confirmées. Le vide des choses peut vite devenir le plein du cœur et le sens de la vie ne serait-il pas tout simplement rattaché à « La poétique de la rêverie », pour reprendre le théoricien de la poésie de l’imaginaire, Gaston Bachelard. C’est aussi l’idée du retour à l’être androgyne, forme première, voire biblique de l’humanité. C’est la symbolique fusionnelle du conscient et de l’inconscient, de l’intellect et de l’imaginaire, de la raison et de l’intuition. Tout est là, ici je retrouve le grand principe de Nietzsche : « Retourner à l’état androgyne pour renaître – HOMME TOTAL – » l’homme fondu dans le grand TOUT. 

Malcolm de Chazal, poète, est un merveilleux créateur d’images et je retiens ici deux extraits significatifs : 

« La mer avait ouvert ses cuisses et on sentait l’odeur des algues. »

ou encore : 

« Prends-moi nue dit la fleur au soleil avant que la nuit ne me ferme les cuisses. »  

Malcolm de Chazal est ébloui par l’alchimie permanente les métamorphoses universelles. Parmi ses référents je ne peux pas écarter Krisnamurti, ce grand réformateur de la pensée qui nous invitait à nous méfier des philosophies trop excessives et des religions trop dogmatiques, qui ne peuvent que conduire au sectarisme et à l’obscurantisme : «  La vérité est un pays sans chemin ».

Sous forme de conclusion car Malcolm de Chazal est une sorte de massif montagneux à multiples faces dont l’ascension est d’une haute et dangereuse difficulté. Personnage singulier jusqu’à l’extrême, honnête envers lui-même, il avait une aversion pour les honneurs et distinctions qu’il écartait royalement. Dans sa préface de « La vie derrière les choses » Olivier Poivre d’Arvor écrivit : « Il a eu le tort et la grandeur de n’être point commerçant de ses visions. » Mais il avait cette conscience profonde que : « La seule ivresse du poète est l’inspiration. »

Il y aurait tant et tant à écrire, à dire sur un homme à l’esprit kaléidoscopique, à la pensée tentaculaire, cependant je conclurai ici en rendant hommage à celle qui fut son rayonnement, son alter égo, car il est impossible de ne pas louer la clairvoyance de Jeanne Gerval Arouff, artiste également, peintre, sculpteure, et femme de lettres, qui fut comme une sorte de troisième œil pour Malcolm de Chazal. Comme nous le savons les femmes particulièrement possèdent une sorte de sixième sens, des ressentis intuitifs et des visions prémonitoires, les femmes ont cette notion de l’avenir et dans cette perspective, Jeanne Gerval Arouff pressentira le destin d’exception de Malcolm de Chazal. Elle lui consacrera une grande partie de sa vie, et elle vient de publier avec brio un ouvrage qui est une incontournable somme, d’informations, de réflexions, de témoignages : « Pour MALCOLM de Chazal l’essentiel monolithe ». Ouvrage visionnaire, objectif, lucide et pertinent qui nous donne la preuve, si besoin était, que seule une femme écrivaine et artiste est capable d’une telle preuve de compréhension et dévouement. 

©Michel Bénard. 

Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire,  Edition L’Harmattan. Collection -Accent tonique- Poésie. Novembre 2021.

Une chronique de Michel Bénard

Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire,  Edition L’Harmattan, Collection -Accent tonique- Poésie. Novembre 2021, Format 13 ½ X 21 ½.  Nombre de pages 96.

Préface et traduction du roumain Dana Shishmanian.

Illustrations : 1ère de couverture. Jean Delville. Orphée mort. Huile sur toile 189
4ème de couverture: Autoportrait 1981 

Comme tous les poètes, philosophes, écrivains, épris de liberté et de la défense des droits de l’homme, Ara Alexandre Shishmanian a connu les persécutions de la terrible police politique roumaine, sombre époque du communisme sous le joug implacable de Nicolae Ceausescu. Précautions impératives de survie, il lui fallut quitter son pays.    

Cependant, la philosophie, l’histoire des religions, la poésie, lui permirent de maintenir la tête hors de l’eau et de poursuivre son chemin de vie intellectuelle par des publications, colloques, conférences, en de nombreux pays. Sous l’égide de l’ INALCO il organise à Paris le colloque international d’histoire des religions « Psychanodia.»   

Aujourd’hui je découvre un de ses derniers recueils « Orphée lunaire. » Il s’agit ici d’une œuvre reposant sur le socle des hautes traditions, mais très éclectique et ouverte à la modernité, à la vision de son temps où l’esprit de l’immense, penseur, philosophe et écrivain roumain Mircea Eliade véritable référant n’est jamais bien loin.

L’œuvre d’Ara Alexandre Shishmanian révèle une poésie qu’il ne faut pas forcer, qui impose d’être lue en filigrane et dans laquelle nous devons nous laisser porter, lâcher prise pour être transporté par notre imaginaire et les images qui y naissent. 

Proche de l’esprit cistercien, notre poète a besoin de rigueur, de sobriété, de dépouillement, dans cette crise de modernité en total étiolement, une nécessité s’impose à lui, la renaissance des mythes fondateurs et le retour au sacré dans la ligne conductrice de Mircea Eliade dont la vison gnoséologique, fit de lui un restaurateur et fondateur de l’histoire contemporaine des religions. 

A ce propos d’un retour au sacré, je serai tenté d’en associer l’œuvre d’un immense artiste roumain, Silviu Oravitzan, dont l’œuvre côtoie la transcendance.    

Le poète porte en lui tout le chaos du monde, il en subit les variations, comme une secousse dans le cœur et une déchirure dans l’âme. Il place sur l’abécédaire de son orgue à senteurs, toutes le nuances qui le conduiront au parfum de l’âme, celui que l’on voudrait absolu, proche du Divin. C’est une poésie qui impose la réflexion et s’estompe dans l’ombre d’Orphée. 

Ara Alexandre Shishmanian compose des poèmes qui prennent la forme d’un requiem. Il porte un regard sur notre société en sa folie un peu comme son compatriote le grand peintre Corneliu Baba. D’ailleurs ne nous rapprochons nous pas ici de « L’éloge de la folie » d’Erasme.

Notre poète est dans l’observance de l’humanité et voit les dangers de la folie des hommes, dont nous sommes actuellement au cœur, il y voit une sorte de tsunami en haillons, des anges anxieux, des rêves crucifiés. Le poète a parfois ce sentiment d’être perdu, d’être en situation d’absence, alors il se met en quête des valeurs fondamentales oubliées : « …/…mon indifférence vomit le désert de l’exode où j’ai grandi…/… »

Toujours très délicat que de vouloir poser un regard sur la poésie d’un philosophe, de surcroît un gnostique où le béotien se heurte le plus souvent à la barrière de la connaissance.

Il est vrai que l’œuvre d’Ara Alexandre Shishmanian peut paraitre parfois quelque peu hermétique, cependant, il faut savoir doucement en franchir le seuil et s’en imprégner. 

Le mythe d’Orphée est le fil d’argent de ce recueil, dont l’auteur voit en la poésie un rayonnement universel, un chemin de vie qui pourrait améliorer la destinée humaine, où tout est fugitif, temporaire, fragile et évanescent.    

Par la pensée orphique, qui fut également début XXème siècle un mouvement artistique cher à Apollinaire, notre poète tente lui aussi, d’ouvrir les portes du mystère, sans doute est-ce la raison pour laquelle il use de formules alchimiques et place dans son athanor l’alphabet de la connaissance, pour peut-être y transmuter le poème d’or. 

La poésie est un énigmatique voyage, : « …/… je fabrique des barques à traverser le Styx…/… » une périlleuse traversée qui n’est pas sans nous évoquer l’œuvre fameuse d’Arnold Böcklin « L’ile des morts».

En compagnie de la poésie d’Ara Alexandre Shishmanian, nous traversons des espaces dignes du plus pur surréalisme où : « Les chiens se dessinent tout seuls en disparaissant ../… » Ce qui d’ailleurs me fait songer au film surréaliste de Luis Buñuel : « Le chien andalou. »

Par la poésie notre poète, transforme les mains jointes en coupe sacrée, pour y préserver le sang de la vérité et pourquoi pas métaphoriquement celui du Graal. Il s’interroge sur lui-même au risque de se perdre de nouveau, car après une chute avec les « …/…avalanches ténébreuses des soleils » il est toujours délicat de remonter vers la lumière face aux « …/…avalanches des ombres avec leur noir lent » qu’on boit « en des coupes extatiques ».

Ara Alexandre Shishmanian, fait le constat lucide de notre société où nous ne percevons qu’une sorte de chaos permanent, les leçons des expériences passées ne servant à rien : « Rien n’est plus près du néant qui l’illusion…/… » 

Le poète éveillé, initié, oscille entre l’espérance personnelle et l’aliénation où se profile le spectre de la pensée unique 

Le constat est irrévocable, pertinent et amer, le fil d’espoir attribué à l’homme est ténu ! 

La poésie d’Ara Alexandre Shishmanian nous entraine dans un tourbillon d’images rivalisant avec l’insolite : « …/… l’invisible assassine les mirages…/… »

Par le sourire de son intimité, Ariane serait-elle la passeuse du mystère des syllabes, la porteuse d’espoir au sourire enjôleur, celle pour qui le poète prend conscience que l’amour ne doit pas se faire pesanteur, mais bien au contraire devenir un état de grâce. : « Un souvenir qui caresse les cheveux. »

©Michel Bénard.   

Claude Luezior, Un Ancien Testament déluge de violence, Liminaire et illustration de couverture de l’auteur, Editions – Librairie-Galerie Racine – Paris- VI -ème, Format 13 x 21 ½, Nombre de pages 158.

Une chronique de Michel Bénard

Claude Luezior, Un Ancien Testament déluge de violence, Liminaire et illustration de couverture de l’auteur, Editions – Librairie-Galerie Racine – Paris- VI -ème, Format 13 x 21 ½, Nombre de pages 158.


Cet ouvrage récent du Claude Luezior « Un Ancien Testament déluge de violence » est sans doute dans sa longue bibliographie une de ses œuvres la plus révélatrice, mais également la plus lucide et à n’en pas douter la plus incisive. 

L’Ancien Testament ! Nous le savions, mais c’est pour le moins sidérant, car au-delà de toutes ces horreurs divines, il s’agit bien parait-il d’un « bon Dieu » d’amour et de compassion. Cependant les révélations donnent froid dans le dos.

Il est des livres dits Sacrés ou Saints qu’il vaut mieux ne pas mettre entre les mains de certaines personnes fragiles ou avides de pouvoir, ce qui pourrait leur donner de très mauvaises idées, car, de par leurs penchants naturels, ils n’ont vraiment pas besoin de conseils douteux ou mal interprétés.

Quant à prêter serment ou jurer sur la Bible cela peut apparaitre comme une insoutenable hypocrisie et un mensonge éhonté. 

Au travers de son ouvrage « Un Ancien Testament déluge de violence » Claude Luezior ne porte aucun jugement, simplement il se place en simple observateur. Belle clairvoyance sur ces plaintes mortifères ayant poussé sur un terreau dénaturé.

Claude Luezior soulève et remet en question les aspects majeurs des livres Saints ou Sacrés, censés nous oindre des huiles de leurs sages paroles ou aphorismes, alors que le plus fréquemment ce n’est qu’un déferlement de violence, de haine, de vengeance, d’intolérance, bien évidemment le tout brodé par les fils de l’ignorance. 

Claude Luezior ne fait que souligner les points sensibles et les excès des religions, des controverses, des révélations aveugles et primaires, des drames oubliés ou détournés par les absurdités de certaines lois dites divines.    

La légende perdure, Dieu créa l’homme ! Mais à n’en pas douter il semblerait que ce soit plutôt l’homme qui créa Dieu ! Mais à qui adresser la plainte pour cette supercherie ? Cet Ancien Testament était déjà la base fondamentale de La Commedia dell Arte. Même les enfants auraient du mal à cautionner ces bouffonneries. Mensonges, délations, trahisons, incestes, sodomies, toute la panoplie du genre humain de la plus méprisable espèce.

Ici, le souffle divin n’est guère porteur d’amour, il dispense des senteurs de génocides, de terres brulées, de crimes contre l’humanité avant le nom, la grande farandole biblique s’organise, le tout cautionné par la sainte contribution des miracles inexpliqués autant qu’inexplicables.

Claude Luezior nous offre un ouvrage qui extirpe de l’ombre les esprits obtus en dénonçant les inepties des religions, sans parler des multiples duperies et arrangements des écritures apocryphes. Simple jeu de bon sens.

C’est à croire que l’histoire se renouvelle malgré l’expérience du passé et les dangers programmés. Les incohérences, les infantilisations, les grandes mascarades et bouffonneries prennent la dimension de la mise en scène biblique. Les absurdités sont pléthores.

Notre poète souligne ou ironise sur l’absurde kafkaïen des situations, les constats sont multiples et croustillants, il suffit de lire simplement cette démonstration biblique où carnages, guerres, génocides, lynchages, mise à mort ou ce besoin de juger sont toujours à l’honneur. Dieu en sa grande mansuétude est juste et bon, ses actes ne peuvent être remis en question ou gare ! Sans oublier que notre Dieu tout puissant a ses serviteurs zélés dans la lignée des Savonarole en autres où les buchers purificateurs ne sont jamais bien loin.

Inepties, controverses, aberrations sont de mises à chaque page du Saint Livre. Même sur le plan de la symbolique la plupart de ces préceptes bibliques, ne sont qu’interprétations des lois en fonction d’une cause ou d’une autre, l’ensemble se révélant être que d’inquiétantes incohérences.

Claude Luezior qui a le sens de l’humour, n’en a pas moins le sens du sacré, du mysticisme, se pose la question devant les épouvantables colères célestes : « Vous avez dit bon Dieu ? »

C’est sous cette éclairage courageux, lucide, critique, mais toujours objectif, que notre poète évoque tout le questionnement que peut soulever ce livre, ces livres prétendus Saints.

Mais avant de conclure, il me semble que tous les auteurs, traducteurs, exégètes et théologiens de tout ordre auraient dû consulter Erasme, auteur de l’ « Eloge de la folie » qui sans  doute aurait trouvé le remède et les aurait aidés à démêler tous ces imbroglios bibliques au risque lui-même d’être frappé par la colère divine.   

« Le nombre de fous est infini. » (Ecclésiaste 1, 15, selon la Vulgate.)

Un espoir cependant, tout à la fin de cet ouvrage qui comporte plus de 350 citations bibliques: Claude Luezior, qui ne prétend nullement être un théologien, distingue bien entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Perspective humaniste et de paix entre les peuples, au milieu de ces plaies d’Egypte et affres d’ailleurs : ce qui est rassurant, c’est que le premier à les avoir remis en perspective est un rebelle d’un nouveau genre, incarnation du pardon et de l’amour, le Nazaréen Jésus Christ.

Lisez ce livre « Un Ancien Testament déluge de violence » vous serez étonnés, voire bousculés dans vos convictions, mieux, d’accord ou pas d’accord avec les dits de Claude Luezior vous serez emportés dans la spirale d’une interrogation qui ne vous laissera pas insensibles.  

©Michel Bénard