Les notes de lectures de Georges CATHALO

Jean-Louis Massot : Séjours, là suivi de D’autres vies

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Depuis plus de 20 ans, Jean-Louis Massot taille sa route de poète et d’éditeur sans se soucier le moins du monde de l’écume des actualités dévorantes. Il écrit peu et publie encore moins depuis La sève des mots-cerise parue en 1994 ; dommage car ses écrits permettent de découvrir son univers humaniste et généreux. Pas de pitreries verbales ou de fioritures : il est ici question de présence au monde à travers un ancrage profond dans le quotidien. La première partie du recueil est consacrée à la disparition du père, père qui a laissé une demeure en ruine et un grand jardin « qu’il a nourri / saison après saison ». Il tentera de retrouver les gestes qui permettront de redonner vie à ce potager avant de retrouver d’autres vies et d’aller à la rencontre de ceux que l’on oublie, qu’ils soient chômeurs de la sidérurgie, vieux paysans abandonnés par un système destructeur ou encore errants des villes déshumanisées. L’essentiel est de «retenir /quelque chose / de ces instants-là », à la manière d’un G.L. Godeau à qui peut s’apparenter Massot dans cette émouvante approche des choses de la vie et de ces moments suspendus où les êtres se révèlent. On lira et on relira ces poèmes qui sont, comme l’écrit Daniel Simon dans sa préface, « des éclats dans le marbre ».

Jean-Louis Massot : Séjours, là suivi de D’autres vies (M.E.O. éd., 2013), 112 pages, 14 euros – Distribution : 33 Z.I. Du Bois-Imbert, 85280 La Ferrière ou contact@meo-edition.eu

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Frédérick Houdaer : Fire notice

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Si l’on excepte quelques points d’interrogation clairsemés, aucune ponctuation ne vient ralentir le rythme de ces poèmes alertes et nerveux. Tous ces fragments de vie volés au quotidien sont le reflet fidèle d’une époque improbable où l’imagination et la réalité flirtent sans pudeur. Oui, « la fin du monde / a bel et bien eu lieu / une fois / deux fois / dix fois / on a fini par ne plus y prêter attention ». Mais non, voyons, pas d’affolement, inutile de lire les consignes d’incendie car « libre à nous… /de redevenir des anges/ aucune justification ne nous sera demandée ». On suit l’auteur au fil de quelques projets saugrenus comme celui de se faire tatouer les titres de ses recueils sur l’épaule droite ou d’explorer internet pour tout savoir sur la déesse Athena. « Pas de quoi m’empêcher d’écrire » dit-il, même avec un voisin encombrant et bruyant. Houdaer écrit une poésie qui passe très bien à l’épreuve du gueuloir flaubertien : il y a un rythme interne et un tonus contagieux. Signalons enfin la belle et sobre réalisation de l’ouvrage ce qui complète agréablement le bonheur de lecture.

Frédérick Houdaer : Fire notice (Le Pont du Change éd., 2013), 72 pages, 12 euros – 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon ou lepontduchange@laposte.net

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Jacques Morin : Sans légende

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Jacques Morin se dit très sensible au terme de « no man’s land » (cf Décharge N°160, page 142), cette « frontière impossible entre éléments contraires ». L’on retrouve cette expression quatre à cinq fois au fil des pages de son nouveau livre terriblement émouvant. Il y est question d’une séparation difficilement acceptée et d’une quête volontairement obstinée. La première partie intitulée « Les encres de la nuit » regroupe des poèmes qui sont comme des bouteilles à la mer jetées par un Ulysse « rescapé du néant » mais qui va résister aux cauchemars et aux chants des sirènes. Dans « Sans légende », l’auteur hésite à dresser un bilan d’existence vécues en parallèle comme « deux monologues en bout de piste ». Pourtant, « à ressasser la douleur / on neutralise le temps » mais chacun « compacte son vide comme il peut » et le silence, carburant insidieux, continue d’alimenter une écriture résiliente. Dans le dernier ensemble de poèmes, Jacques Morin témoigne d’une sensibilité à fleur de peau et tient à témoigner sans pathos des désastres d’un monde violent et barbare en essayant « de garder la vérité de l’émotion ». Ces écrits servent de tremplin pour « passer à autre chose », de « ne plus regarder en arrière » et de quitter le no man’s land.

Jacques Morin : Sans légende (Rhubarbe éd., 2013), 128 pages, 12 euros -10 rue des Cassoirs – 89000 Auxerre ou editions.rhubarbe@laposte.net

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Thomas Vinau : Juste après la pluie

Thomas Vinau : « Juste après la pluie »

Surtout ne croyez pas ce jeune poète lorsqu’il écrit : « Je n’ai pas d’imagination » car c’est même le contraire que l’on peut constater au fil des pages ou quand on va musarder sur son blog intitulé : etc-iste. Il concède humblement être un « écririen » mais il sait repérer « des glaçons qui font l’amour » en souhaitant aller s’installer au Bhoutan ce drôle de royaume qui a instauré le Bonheur National Brut. Lui qui serait prêt à tout « pour consoler un enfant » reconnaît qu’il n’a jamais quitté ce territoire peuplé de peurs et ne se fait aucune illusion sur la marche du monde. A l’instar des enfants, il s’invente un monde où l’on croise « une minuscule / araignée trapue », des fourmis qui vagabondent ou encore « une mouche qui / s’accroche au mur » ou « qui se lèche les pieds ». Le poète serait donc celui « qui crache / son poème / dans la poussière / du sol », hibou farouche abandonnant sa pelote de réjection. N’hésitons pas à nous perdre dans cet univers étrange car c’est là que se trouve la vraie vie, « là toute simple / la vie qui clapote / à nos pieds », cette vie éclatée en milliards de miettes, puzzle improbable et mouvant, quelque chose d’indicible ou « quelque chose de poussière et de cendre / de murmure et d’oubli ».

Thomas Vinau : « Juste après la pluie » Alma éd., 2013) 288 pages, 17 euros – 9 rue C.Delavigne -75006 Paris ou c.argand@alma-editeur.fr

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Marlène Tissot : Sous les fleurs de la tapisserie

Marlène Tissot : Sous les fleurs de la tapisserie

Sobrement illustré par des compositions en noir et blanc de Somotho, cette nouvelle plaquette des éditions du Citron Gare s’inscrit dans la continuité des 3 ouvrages déjà parus à cette enseigne : soin particulier réservé au choix des auteurs et qualité irréprochable du fond et de la forme des recueils. Pour qui fréquente régulièrement les revues et surtout le blog « mon nuage », Marlène Tissot n’est pas une inconnue mais une jeune personne qui compte dans le paysage de la poésie actuelle. Dans l’univers absurde de la désillusion, elle ne laisse pas abuser par les mirages du consumérisme, ce « vide que chacun comble ». Alors que « tout le monde court / vers le rien savamment étiqueté », elle avance à son rythme, indifférente aux querelles de génération qui laissent souvent des « cicatrices indélébiles » à cause de « la petite cruauté des silences quotidiens ». Fort heureusement, l’imagination est là soutenue par le rêve, thème rémanent qui revient une bonne vingtaine de fois, sous différentes formes, thème dont l’auteur, avec prudence, se méfie même s’il permet de « s’autoriser les pensées les plus folles ».

Marlène Tissot : « Sous les fleurs de la tapisserie ». Le Citron Gare éd., 2013. 80 pages, 10 euros – 4 place Valladier – 57000 Metz ou p.maltaverne@orange.fr

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Gérard Bocholier : Le village emporté

Gérard Bocholier : Le village emporté

Si, comme le chantait Jean Ferrat, « nul ne guérit de son enfance», Gérard Bocholier y trouve de prodigieuses ressources pour continuer à se construire, «soumis comme tout le reste à l’ impitoyable force des choses». Cette suite d’une soixantaine de poèmes en prose, d’une terrible efficacité évocatrice, le relie à cette période fondatrice vécue dans un minuscule village d’Auvergne. Le liseur qu’il a toujours été reste posté sur des tertres ou sur des promontoires rimbaldiens. Il y retrouve de mémoire la vie rurale avec ses lourdes tâches quotidiennes, ses cérémonies religieuses ou ses travaux saisonniers. Il se tient à l’écart, suggère et devine quand « une main écarte le rideau, furtive, peut-être même un peu tremblante ». Le poète prend son temps, essaie de tenir à distance les émotions et la mélancolie car, depuis longtemps, les techniciens agricoles et les bruyantes machines ont remplacé les patients vendangeurs et les inusables outils. Et c’est toujours la mort, présente à chaque carrefour que l’on retrouve et qui accompagne tous les moments de l’existence quand « d’infimes tragédies éclatent près de nous, imprévisibles ». Ce livre est à lire et à relire, lentement, calmement, comme on déguste une leçon de sagesse et de vie.

Gérard Bocholier : « Le village emporté » (L’Arrière-Pays éd., 2013), 96 pages, 14 euros – 1 rue de Bennwihr – 32360 Jégun

©Georges CATHALO

J’emmerde… de Marlène Tissot, préface de Fabrice Marzuolo, éditions Gros Textes, 2014.

 

  • J’emmerde… de Marlène Tissot, préface de Fabrice Marzuolo, éditions Gros Textes, 2014. 90 pages, 6 €.

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J’emmerde… Déjà le titre a quelque chose de jouissif en soi, une petite revanche à lui tout seul, mais Marlène Tissot rajouterait certainement : j’emmerde la revanche et elle aurait bien raison. Ce recueil s’il vous tombe entre les mains, attention il colle et si vous l’ouvrez, juste histoire d’y jeter un œil, en attendant d’avoir le temps de le lire, vous saurez que déjà vous emmerdez « le temps de…. ». Ce sera de suite et maintenant, et vous ne le lâcherez pas tant que vous ne serez pas arrivés au bout, à la fin, avec ce magistral « j’emmerde les fins de moi difficiles »…

De ce recueil, on serait tenté de citer chacune des déclarations d’emmerde, chacune percutant le lecteur en trois phrases et un seul round. Aucune ne parait inutile, surfaite, et chaque lectrice-lecteur y trouvera forcément résonnance avec son ressenti propre, voire avec le sale…

J’emmerde l’équitation

On ne galope pas très loin

en étant à cheval

sur ses principes

Marlène Tissot a ce don qui ne cesse d’enchanter, ce don de la pirouette tout en emmerdant la pirouette. L’art du paradoxe, la nécessité surtout de la contradiction, écorchant au passage tout ce et ceux qui se voudrait ceci ou cela… Ne se prenant elle-même pas au sérieux (surtout pas, quel ennui !), elle a ainsi une intégrale liberté que bien des jaloux-jalouses pourraient lui envier.

J’emmerde la haute couture

Broder ce qui faut de dérision

sur le bord des jours

pour éviter qu’ils ne s’effilochent

Et sage avec ça… C’est-à-dire dotée d’une compréhension profonde et in-situ de la complexité et de la vanité humaine.

J’emmerde l’aqua-bonisme

Mettre les poissons dans un bocal

et les laisser nous regarder

tourner en rond

*

J’emmerde les proverbes

Quant on veut, on peut

mais quand on peut

souvent, on ne veut plus

Un mélange gouteux de désespoir et de jubilation…

J’emmerde les grands discours

Rester fidèle à cette petite voix

qui chante des berceuses

à nos terreurs

*

J’emmerde les courbes de croissance

En devenant adulte on ne grandit pas

on ne fait que rétrécir

notre aptitude à nous émerveiller

Avec une pointe d’acidité…

J’emmerde les évidences

Les choses parlent d’elles-mêmes

les gens aussi

assez souvent

Pour le plaisir, en guise d’amuse-bouche, comme on dit dans les restaurants qui n’osent pas dire amuse-gueule, voici donc quelques-unes des perles de ce recueil qu’il faudrait garder toujours en poche, un genre de spray antidépresseur, voire pour éloigner quelques emmerdeurs et emmerdeuses. Marlène pourrait rajouter : j’emmerde l’égalité des sexes, et elle aurait bien raison, car elle est basée sur de fausses données, il y en a toujours un qui finit avant l’autre.

J’emmerde le strip-tease intégral

Je préfère la vérité

débraillée

à la vérité nue

Mais trêve de….

J’emmerde les blablas

Les mots sont des adultes consentants

on peut les coucher là, l’un par-dessus l’autre

et leur faire dire ce que l’on veut

Procurez-vous vite ce livre et osez donc…

J’emmerde la chasse au trésor

Chercher

ce qu’il reste de bonté

en chacun de nous.

Parce qu’en plus l’éditeur fait partie de ces artisans fous du monde de l’édition indépendante qu’il faut absolument soutenir, et donc acheter ses livres.

Cathy Garcia

Une partie de ce recueil a été publié sous le même titre « J’emmerde… » dans le Mi(ni)crobe n°43, de la revue belge Microbe http://courttoujours.hautetfort.com/

260808513Marlène Tissot est venue au monde inopinément le 10 juin 1971. A cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu’il n’y avait pas de mode d’emploi. Sait dorénavant que c’est normal si elle n’y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu’elle a dix-ans-et-demi et capture des images depuis qu’elle a eu de quoi s’acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais sait mettre un pied devant l’autre et se brosser les dents. Écrira un jour l’odyssée du joueur de loto sur fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l’instant se consacrer à des sujets un peu moins osés.

Biblio :

Sous les fleurs de la tapisserie, éd. Le Citron gare, 2013.
Les Choses ordinaires, Kiss my Ass éd., 2013.
Buk You, collectif, éditions Gros Textes, 2013.
Je me souviens, c’est dimanche, éd. Asphodèle, coll. « Confettis », 2013.
Mailles à l’envers, éd. Lunatique, coll. « Roman », 2012.
Mes pieds nus dans tes vieux sabots bretons, éd. La Vachette alternative, coll. « 8pA6 », 2011.
Nos parcelles de terrains très très vagues, éd. Asphodèle, coll. « Minuscule », 2010.
Celui qui préférait respirer le parfum des fleurs, éd. La Vachette alternative, coll. « 8pA6 », 2010.

Son site : http://monnuage.free.fr/

Les éditions Gros Textes : http://grostextes.over-blog.com/