Giovanni Comisso, Au vent de l’Adriatique, Éditions Gallimard, 256 pages, mai 1990.

QUAND LA LITTÉRATURE CÉLÈBRE LA VIE DANS LES DÉCOMBRES DE LA GUERRE ET PASSE LES FRONTIÈRES : GIOVANNI COMISSO,  AU VENT DE L’ADRIATIQUE (1922) 


G. Comisso (1895-1969), né et mort à Trévise en Vénétie,  est un des plus grands écrivains italiens du XXème siècle. Il est l’auteur, entre autres, de romans et surtout de nouvelles largement autobiographiques et centrés sur sa région.

          Le recueil de nouvelles Au vent de l’Adriatique (paru en italien en 1928, en français en 1990, traduit par Marie-France Sidet aux éditions du Promeneur / Quai Voltaire, Paris, 248 p.), son livre le plus connu, devenu  un classique, nous montre, raconté à la première personne, Comisso en 1922, juste après une guerre mondiale qui aura duré sept ans en Italie et dans ses confins et juste avant la prise du pouvoir de Mussolini en octobre de la même année. Il rejoint alors sur leur voilier traditionnel (chioggiotto) les pêcheurs-contrebandiers de Chioggo près de Venise qui parlent comme lui le dialecte local et qui croisent dans le nord de l’Adriatique entre Italie et Yougoslavie. Ils y font du cabotage plus ou moins légal entre les deux pays et sont pirates à l’occasion. 

     Cependant, la guerre  a perturbé l’ordre naturel des paysages pourtant superbes et inviolés  jusque là de même qu’elle a porté atteinte à l’espace agricole par ses destructions et par le manque d’entretien de la terre suite aux saignées de la guerre mondiale.

EXTRAITS DE LA PREMIÈRE NOUVELLE, « ACCOSTAGE SUR UN RIVAGE DÉSERT » :  Ils accostent dans une rade où se trouve un fort pour y acheter du bois. « Quant à moi, tout à mon bonheur de mettre le pied sur une terre nouvelle, je partis à la découverte. Le fort était abandonné et peu attrayant à cause des terre-pleins lugubres, des barbelés rouillés et hostiles qui l’entouraient  des gros murs de pierre brute qui évoquaient la guerre et les pelotons d’exécution. À droite, au contraire, se trouvait un parc, plein d’arbres de toutes les espèces : des cèdres, des pins, des cyprès et des lauriers, disposés avec une harmonie merveilleuse. L’air chaud s’appesantissait sur cette verdure pleine d’arômes; à mon étonnement, je n’aperçus aucune villa. Je n’avais nulle envie d’emprunter l’allée de pins qui conduisait vers d’énormes piles de bois sec, d’où s’exhalait une forte senteur avivée par le soleil et le cri strident des cigales; mon seul désir était de pénétrer dans le parc au plus vite.

         De petites allées bordées de myrtilles coupaient de vigoureux buissons de lauriers, quelques grenadiers palpitaient dans le rouge de leurs fleurs, il y avait également de délicats rosiers, mais à chaque pas se dégageait comme une impression d’abandon. À mesure que j’avançais, les oiseaux se taisaient dans les branches les plus hautes. Dans le silence, le bruit de mes pas sur le gravier répondait au déferlement des vagues contre les falaises. (…) Le parc s’achevait un peu plus loin, devant des champs incroyables, d’une fertilité biblique, qui s’étendaient jusqu’aux collines boisées, et soudain l’envie me prit de les traverser pour éprouver le contact de l’herbe. Pas la moindre maison alentour, pas l’ombre d’un homme occupé aux travaux des champs. Les vignes basses, alignées sur une terre rouge, cachaient sous leurs feuilles bleuies par le sulfate de longues grappes pas encore mûres ; ailleurs, les blés fauves et parfaitement nets dressaient contre le ciel leurs épis serrés et immobiles. Je restai là à m’emplir les yeux de cette vision de terre promise (…) dans cette solitude que je considérais désormais comme mienne ». Des douaniers rudes et bagarreurs viendront rompre cette idylle.