Une chronique de Patrice Breno

Monique Bernier, Les hibiscus sont toujours en fleurs, roman, M.E.O., 2020, 190 pages.
2014 ! 20 ans après être partie précipitamment avec ses parents, Charlotte, 30 ans, revient au Rwanda, le pays des mille collines, pour savoir, pour obtenir des réponses aux questions qu’elle n’a jamais cessé de se poser. Pourquoi ses parents ont-ils refusé de lui parler du passé, se taisent et passent à autre chose ou s’irritent quand elle veut connaître les raisons de ce départ précipité ? Que s’est-il passé exactement, en dehors de ce qu’elle connaît par les media ? Charlotte au fur et à mesure de ses investigations découvrira que ses parents ont eu une attitude de fuite, peu glorieuse, en ne pensant qu’à sauver leur seule existence !
« Comme si le silence était synonyme d’oubli ! »
Nous suivons aussi Daniel qui, enfant rwandais, a grandi avec Charlotte, jusqu’au génocide de 1994. Ce parallèle entre Charlotte revenue pour chercher à comprendre et Daniel, emprisonné, parce qu’il a participé activement au massacre, contraint et forcé par des mensonges éhontés de son oncle.
Charlotte visitera un mémorial à Murambi, où 1800 corps mutilés, positionnés tels qu’ils ont été retrouvés, hurlent en silence leur douleur… et la douleur de tout un peuple. « Le Cri » de Munch, et certaines œuvres de Géricault et de Jérôme Bosch me reviennent en mémoire…
Daniel, dès qu’il sera sorti de prison, souhaiterait travailler dans un mémorial comme celui de Murambi. Une forme d’expiation ?
Des interrogations fusent continuellement et la « blanche » Charlotte et les « noirs » autochtones ne réagissent pas de la même façon. Pour les Rwandais, il faut tourner la page ! Pour Charlotte, c’est inconcevable cette horreur, comment concevoir une vie ordinaire après cela, mais elle a eu lieu, fin du XXe siècle ! L’homme est un loup pour l’homme ! Est-ce que les loups atteignent ce niveau de cruauté et d’inventivité : faire le mal pour le mal ?
Charlotte et Daniel parviendront-ils à se rencontrer, l’un comme l’autre accepteront-ils leur passé, les manquements, le passage d’un côté à l’autre du combat, les mensonges, le clivage entre blancs et noirs… ?
« Comment font-ils pour vivre ensemble, victimes et bourreaux mélangés ? »
« Y a-t-il une différence entre tuer et laisser tuer ? »
Le lecteur sent l’horreur affleurer continuellement. Comme pour toutes les guerres, comme lorsque l’homme fait preuve de cruauté, de lâcheté, l’effort de mémoire est important pour que nous puissions nous regarder dans la glace et dire à nos enfants : attention de ne pas rééditer les erreurs de l’Histoire. Plus jamais ça !
J’ai lu attentivement d’autres livres qui ont parlé des génocides au Congo et au Rwanda : « Muzungu », roman très bien documenté aussi de Martin Buysse ; « Congo », superbe essai de David van Reybrouck qui se base sur beaucoup de témoignages. Le roman de Monique Bernier est de la même veine ! Un livre tout en pudeur, mais qui ne cache rien des atrocités commises au Rwanda. A lire absolument !
Monique Bernier, psychologue, était au Rwanda en avril 1994, au début du génocide. Donc, elle connaît bien le contexte. « Les hibiscus sont toujours en fleurs » est son sixième roman. Parmi ses autres romans : chez L’Harmattan, « La magie du frangipanier » et ; aux éditions Eperonniers : « Le silence des collines », sont également consacrés au Rwanda ; chez Mon Petit Editeur : « Le bruit assourdissant des étoiles » ; à Académia : « Pardon Pauline ».
©Patrice Breno