Une chronique de Michel Herland
Lyonel Trouillot, Malséance, Atlantiques déchaînés, Selles-sur-Cher, 2023, 58 p., 10 €.
Je confesse délit d’incohérence et me soigne
en grattant tout masque jusqu’à l’os
le squelette ne ment jamais.
Lyonel Trouillot, né en 1956, est un romancier et poète haïtien qui enseigne la littérature à Port-au-Prince où il anime par ailleurs une association littéraire, « Atelier jeudi soir ». Auteur d’une imposante bibliographie, française et créole, ses romans en français sont publiés chez Actes-Sud depuis Thérèse en mille morceaux (2000). La poésie, comme l’on sait, s’édite moins facilement ; les recueils de Trouillot sont parus chez divers éditeurs en Haïti comme en France. Deux recueils, Moi/Mwen et Malséance, ont paru en 2023 chez Atlantiques déchaînés, jeune maison d’édition qui produit de beaux livres au format 11×21,4 cm. Depuis la récente disparition de Frankétienne (1936-2025), Trouillot fait désormais figure de doyen de la littérature haïtienne.
Malséance est un recueil bref – 32 pages de poèmes – mais que l’on peut dire tragique. Laurent Gaudé qui a donné la préface souligne l’importance chez Trouillot de la fraternité avec quelques grands auteurs : haïtiens comme Georges Castéra, Syto Cavé, René Philoctète et bien sûr Frankétienne ; français comme Rimbaud, Baudelaire, Michaux ; américains comme Russel Banks, Allen Ginsberg. Quant à Malséance, Gaudé y voit à juste titre un « recueil sur l’âge ». De fait, le spectre de la mort ne cesse de hanter ces pages.
Rue-de-L’enterrement
est-ce moi qu’on acclame
qui joue le rôle du mort
dernier rôle
et plus beau costume
moi qui marche sur le dos dans une cabane
en bois de chêne
suivi d’un cortège d’araignées
noires et blanches ?
On aura noté ce qui marque sans doute le plus dans la poésie de Trouillot, l’originalité de ses métaphores, la « cabane en bois de chêne », le « cortège d’araignées ».
La vie, l’espoir se déclinent au passé : j’ai aimé des Alices n’ayant pas eu accès au pays des merveilles […] la nuit je m’arrêtai pour écrire des chansons avec des inconnus et par elles j’adviens d’espérances humaines.
Quant à Haïti et ses volcans il sont assimilés à un bossu déjà moribond ; on lui rend les honneurs dûs à un pauvre fou.
Honneur à toi bossu petite île montagneuse qui va chercher de l’eau ta soif est bonne et s’il te faut mourir c’est dignement et sans blabla que les routes saluent la sagesse du fou qui pour ne rien demander porte sa tombe sur son dos.
Lucide, Trouillot ne pas compte sur les ONG pour améliorer la situation :
je viens d’un pays asphyxié tailladé
livré aux Colomb de banlieue qui viennent y doubler leur salaire
Seul le dernier poème marque un sursaut d’optimisme – le baiser n’est jamais volé / c’est l’absence de baisers qui vole aux lèvres un temps précieux – et un encouragement à la résistance.
j’aime le mot chemin
je le longe sans savoir
quel rite de passage tel un piège sur le bas-côté
me rappellera à chaque pas à mon devoir de dissidence.
Mais les malheurs d’Haïti sont si grands…

