Mercedes Deambrosis, Parfaite ! vu par Jacques Floret ; Les éditions du Chemin de fer (14 €).

Chronique de Nadine Doyen

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  • Mercedes Deambrosis, Parfaite ! vu par Jacques Floret ; Les éditions du Chemin de fer (14 €).

Le portrait de Parfaite est un vrai puzzle, qui se tisse bribes par bribes, au cours d’un constant aller- retour passé/présent, entrecoupé par des dialogues et des rires.

Qui est donc cette sexagénaire au corps si parfait, que les top models ont de quoi envier ? Une psychologue qui écouta ses patients durant trente ans.

Ce corps, rompu à une discipline stricte, elle le façonne, le sculpte, l’entretient « par respect des autres » et Jacques Valet l’habille et le déshabille avec grâce, lui confère un look glamour, respectant sa préférence pour les couleurs vives. Serait-elle également esclave du diktat de la mode ou des dernières tendances ?

Si Amélie Nothomb décline un hymne au champagne dans son dernier roman, Mercedes Deambrosis pratique le name dropping des marques de luxe, citant Gilles Lipovetsky : « Le luxe apaise ». Son héroïne, aux tenues sans faute de goût, intrigue les autres estivants qui la croisent dans cet hôtel trois étoiles. Mais en dépit de son nom, le Nirvana est loin d’être atteint pour cette vacancière pas comme les autres. Les descriptions de la piscine, de sa chambre laisseraient sous-entendre une publicité mensongère.

Certains cherchent à l’apprivoiser, par altruisme, devant sa solitude mais ne risque-t-elle pas de déclencher la jalousie de ces « hyènes vieillissantes » à trop les côtoyer ?

Ce séjour, « un coup de tête », n’était-il pas destiné à tourner la page, à solder une liaison peu épanouissante ? Son viatique désormais ? « Légèreté et zénitude ».

Qu’apprend-t-on sur cette protagoniste ? Peu, puisque son passé, elle vise à l’occulter. Correspondrait-il à des moments moins heureux ? La narratrice évoque ce compagnon que Parfaite voyait en pointillé, trop attachée à sa liberté. Quant à une « vague maladie qui lui impose un repos strict », ne serait-ce pas un alibi pour fuir ces « retraitées, volubiles, bruyantes » ? Parfaite n’est pas plus patiente avec le « gosse obèse » et ses pensées délétères choquent, tout comme son côté snob, arborant des accessoires de renom : cabas Longchamp, lunettes Prada.

Que penser d’une personne qui étale ainsi son aisance, en temps de crise ? Est-ce pour elle une arme de séduction ? Pourtant elle affiche volontairement une distance envers les autres touristes, malgré « un sourire affable ».

On la devine instable à envisager vivre à La Rochelle ou écrire.

Maintenant on la découvre boulimique de polars. Les livres seraient-ils devenus son refuge ? Son installation à Saint-Pierre l’isole un peu plus de ses amies.

La romancière ne manque pas d’humour, en particulier dans la dernière scène.

Elle souligne « l’a-culture » de ces estivants, qui revendiquent l’emploi d’un français correct alors que c’est l’ignorance qui les fourvoie. Ce « Je préfère ne pas » fait écho au « I would prefer not » de Bartleby.

La poésie s’invite dans l’évocation du décor marin : « La mer s’irise… », « s’est hérissée de vaguelettes.. », « les voiles saupoudrent les nuages de couleurs ».

Mercedes Déambrosis explore la passion mais aussi le délitement d’un couple qui avait pourtant choisi d’éviter « les affres du quotidien ». Elle s’interroge sur la finalité des voyages, brocarde ceux qui ne savent s’intégrer au pays. En féministe, elle pointe le regard des autres sur une femme qui voyage seule. Indirectement, l’auteur fait l’éloge des femmes mûres, ce qui rappelle une remarque d’Anaïs Nin : « De nos jours, une femme est jeune à 60 ans. » et le roman de Jean Chalon, intitulé  « Une jeune femme de 60 ans ». Un texte plein de promesses, pour celles qui sentent le temps les talonner, bannissent la nostalgie au profit du présent. Et si la littérature était la panacée ?

©Nadine Doyen