Joseph Bodson, L’hiver des prunelliers, une enfance à Soye, Éditions MicRomania, mai 2016, Belgique

Une chronique de Lieven Callant

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Joseph Bodson, L’hiver des prunelliers, une enfance à Soye, Éditions MicRomania, mai 2016, Belgique


Voici une très belle réédition bilingue français-Wallon (de la Basse-Sambre) d’un livre premièrement édité en 1991 chez Edico Namur.

Belle parce qu’il devient possible pour un lecteur tel que moi qui ne possède pas les connaissances linguistiques nécessaires de suivre mot à mot la naissance des sens dans cette langue méconnue qu’est le wallon et de lui réserver dans mon esprit une place pour ses saveurs particulières. Joseph Bodson parvient une fois encore grâce à son travail sur les deux langues à créer entre elles des liens de filiation, des liens d’amitiés bien vivants.

Ce livre m’a donc tout naturellement interpellée sur le travail de l’écriture. Écrire revient souvent à traduire, à assurer le passage d’une langue à une autre, d’un monde à un autre, à transposer ce que nous avons à l’esprit ou ce que nous avons vécu il y a fort longtemps. Couchée sur le papier, la vie se transforme comme si nous l’avions rêvée. Écrire c’est aussi se sou-venir, s’interroger sur soi et partir à la rencontre de possibles réponses.

Ce que j’aime particulièrement c’est observer les glissements de sens, les failles où s’installent ce qui ne peut jamais se traduire et se perd lors du travail de l’écriture malgré les nombreuses tentatives. J’aime repérer dans un texte une structure, une logique qui m’indique les voies (et les voix ) qui rythment le texte.

Difficile de distinguer ici quel texte est la traduction de l’autre, cette édition me permet d’imaginer que les deux écritures sont jumelles même si la version wallonne doit être née bien après la française. L’histoire, les histoires contées par Joseph Bodson ne semblent pas avoir choisi d’apparaître sous une forme et puis sous une autre naturellement. Les deux textes, les deux langues se regardent, l’une révélant les beautés de l’autre tout en créant une sorte de permanence, un jeu.

Joseph Bodson raconte l’histoire d’un pays, un pays de cailloux, jalonné de rivières, de forêts, de champs, de bosquets, de clairières, de monts et de vaux. Un pays habité par des rois car chaque personnage haut en cou-leurs est attachant et attaché à cette terre dans laquelle s’enracine la vie qui de toute manière portera ses fruits quels qu’ils soient. La vie est dure, injuste, intransigeante, cruelle, mais les rois de ce royaume sont capables de lui accorder une valeur presque charnelle souvent chaleureuse. Les portraits dressés par Joseph Bodson sont authentiquement humains, à la fois complexes et simples.

Ce pays est celui de l’enfance et des saisons, celui où l’auteur fut lui-même le roi de ce qui aujourd’hui s’accorde le nom de souvenir. Comment ne pas sentir interpellé par la vie des gens, la vie qui garde les stigmates des guerres grandes et petites?

Le titre du livre trouve une belle explication dans le dernier chapitre et confère à l’ensemble du livre une signification nouvelle qui nous rappelle à la réalité passée et présente. Les allées-venues d’un temps à un autre, d’un monde à un autre, d’une vérité à une autre sont multiples et permettent aux récits de quitter la sphère régionaliste et donc d’interpeller générations et populations différentes. Le Wallon assure sans doute cette transition réaliste.

On peut aussi se demander si l’auteur qui souvent s’adresse à son lecteur, n’écrit pas une lettre. La lettre qu’il n’a pu écrire à son père, aux siens, parents et amis du temps de son enfance. La lettre qui offre à la vie le merci qu’elle mérite malgré tout.

« Vous allez me demander ce qui passe, et ce qui demeure? Je ne pourrais vous répondre au juste. Si nous arrivions à le savoir, ce doit être comme les couleurs sur les ailes des papillons: si on les touche, elles disparaissent. »

C’est sur cette citation que je finirai cette chronique. Joseph Bodson ne nous confie pas uniquement ses souvenirs d’enfance, qu’il agrémente de photographies personnelles. Il nous offre d’agréables moments authentiques qui nous révèlent toute la particularité d’un petit bout de terre habité par des hommes, des femmes mais surtout des enfants. Cet endroit bien précis, dessiné sur une carte et qui incarne si bien la vie que nous menons, que nous avons menée ou dont nous avons rêvé porte un nom qui n’est peut-être pas que celui de Soye. On pourrait aussi l’appeler poésie tant s’y rassemblent des essences.

©Lieven Callant

Méandres/Salvatore Gucciardo ; préface de Joseph Bodson ; traduction italienne de Maria Teresa Epifani Furno ; illustrations de l’auteur ; Barry : Chloé des Lys, 2015

Chronique de Pierre SCHROVEN

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Méandres/Salvatore Gucciardo ; préface de Joseph Bodson ; traduction italienne de Maria Teresa Epifani Furno ; illustrations de l’auteur ;  Barry : Chloé des Lys, 2015

Rythmés par le souffle du cosmos, ces poèmes insolites voire mystérieux tentent de transmettre une vision lumineuse et joyeuse du monde ; mieux, ils fondent l’espoir dans le désespoir ambiant et mettent en joue une réalité dont le destin n’est écrit nulle part.

Au détour de chaque page, Gucciardo se risque aux frontières de l’inconnu, dissipe les certitudes du quotidien, traque ce que la vie dissimule et considère celle-ci dans son infinité ; bref, il cherche à percevoir le chant originel de l’univers pour renouveler sa vision du monde et dépasser l’ombre d’une vie sans cœur.

Méandres est une ode à la vie dans ce qu’elle a de merveilleux mais aussi de plus sauvage, mouvant et mystérieux …

 » L’image se détacha du miroir pour se ficher sur la statue d’opale. La mémoire venait de s’emmurer dans la texture du songe. Le regard se figea sur la masse immobile. Le frisson retentit. Les raisins de la colère éclaboussèrent la toile. La rupture était évidente et l’idéal fragilisé. La flamme était vivante malgré les rigueurs de l’hiver. La fée était là, au sommet de son trône. Elle me regarda de ses yeux protecteurs.

Vision féerique

Inspiration dorée

Tous les rêveurs

Sont des îles flottantes

L       Les arbres suspendus

Entre ciel et terre

Sont des poètes

En quête

D’absolu  »

©Pierre SCHROVEN

Conjurations de la mélancolie/Joseph Bodson ; Bruxelles : Le Non-dit, 2012

Joseph Bodson Photo de Renaud Van Buylaere

Joseph Bodson Photo de Renaud Van Buylaere

  • Conjurations de la mélancolie/Joseph Bodson ; Bruxelles : Le Non-dit, 2012

D’après Pierre Reverdy, cité dans le recueil, la poésie est dans ce qui n’est pas. Dans ce qui nous manque. Dans ce que nous voudrions qui fut. Elle est en nous à cause de ce que nous nesommes pas. Et précisément, dans ce recueil, Joseph Bodson poétise chaque parcelle du monde, interroge le mystère du vivant et respire avec son cœur les êtres et les choses qui fondent son quotidien. Pour Bodson, la poésie est expérience de soi et du monde, engagement de l’être tout entier voire épreuve de connaissance requérant aussi bien l’esprit que le cœur.

« La vie est-ce la vie est-ce la vie ou bien seulement

Au fond du jardin le rire du temps

La mort tout au fond qui nous attend la vie est-ce

Une caresse du vent ou bien

un péché de jeunesse ? »1

Car qu’on ne s’y trompe pas, « Conjurations de la mélancolie » n’est en rien un recueil faisant la part belle au spleen voire au désenchantement face au monde comme il va. En effet, dans ce livre, Bodson se range ostensiblement du côté des forces de la vie et nous fait don d’une poésie généreuse, pleine de tendresse et…d’exigence. Malgré ses craintes face à la fuite du temps qui efface et creuse des « rides » sur toute chose, le poète préfère évoquer les joies simples d’ici et célèbre au passage l’amour, la nature et les proches…De même, s’il consent à l’idée selon laquelle nous sommes matière d’énigme, complainte murmurée dans la pénombre d’un jardin oublié, le poète ne manque jamais au détour de chaque page, de célébrer la merveille d’être là(le sens de l’existence se résume à la simple joie d’exister, à la joie d’être soi-même et de s’exprimer à travers ses actions/Spinoza). On est ici en présence d’une poésie demeurant en prise directe avec le vécu d’un poète pour qui l’amitié, l’amour, le mystère, la passion et la fraternité sont indispensables pour maintenir la vie en vie.

« Car c’est pour lui, sans doute, que ce feu devait brûler. Pour ce regard dormant sous les paupières closes. Pour lui, qui n’a pas besoin de venir pour être présent. L’un est multiple en ses sentiers. Nous n’avons plus besoin de partir, nous le savons, à présent : ce qui s’en va, c’est ce qui demeure ».

Bref, le poète nous livre ici une parole « éveillée » qui touche nos sens, accueille la grâce et tente de découvrir derrière les moments de la vie quotidienne un mystère en suspens ; dans ce recueil, Joseph Bodson révèle toutes les présences qui germent dans le vide des jours et recherche une vérité, ici et maintenant, pour faire de chaque instant une lueur à vivre.

« Pour allumer un feu. Sensible et mystérieux. Celui qui dort en nous, et qui doit s’éveiller ».

 

©Pierre SCHROVEN