Benoît Lepecq, Exposition, Théâtre, Éditions de L’Harmattan, Mars 2021, ISBN : 978-2-343-22713-9,12 €

Une chronique de Hervé Martin

Benoît Lepecq, Exposition, Théâtre, Éditions de L’Harmattan, Mars 2021, ISBN : 978-2-343-22713-9,12 €


Benoît Lepecq est l’auteur plusieurs pièces de théâtre éditées par les éditions de l’Amandier, hélas aujourd’hui disparues. Il fait paraître aujourd’hui chez L’Harmattan sa sixième pièce, Exposition.

La « folie », cette marginalité mentale est un thème récurrent chez Benoît Lepecq. En témoignent les titres de ses précédentes œuvres théâtrales, Le Fou, Le Tarot du Fou où encore Lamenti autour du couple et artistes surréalistes Unica Zürn et Hans Bellmer, liés par une relation bien particulière. Ils sont à nouveau au cœur de ce livre.

Lors d’un vernissage consacré à la dessinatrice Unica Zürn dans le Paris des années soixante, quatre personnages se retrouvent dans un renfoncement en marge de l’exposition. Sont présents l’artiste elle-même et Hans Bellmer son mentor et compagnon, le docteur Ferdière psychiatre d’Unica et la journaliste et traductrice Ruth Henry. Ils se croisent, se rencontrent et conversent à l’écart de la salle d’exposition.

Dans une atmosphère électrique et les tensions de ces échanges Benoît Lepecq met en exergue les relations d’interdépendances et de conflits de ses personnages. Unica Zürn est-elle seulement cette « poupée », sujet modèle entre les mains de l’artiste Hans Bellmer ? Quels désirs ou volontés animent ces deux êtres qui sont respectivement sujet et maître, compagne et amant et pour Unica alternativement artiste et muse ? Quelle quête de jouissance, recherchée ou inconsciente et quelle volonté, animent le médecin dans sa relation à cette patiente, bien revêche aux traitements médicamenteux qu’il lui prescrit sous la menace d’un nouvel internement et d’électrochocs ?  Et que penser de Hans Bellmer que la journaliste Ruth Henry associe à son beau-père, un ancien membre du parti nazi qu’elle dépeint comme son potentiel violeur ? 

Dans cet après-guerre du nazisme, ces exilés qui ont quitté l’Allemagne tentent peut-être une réconciliation avec eux-mêmes pour retrouver des raisons d’exister. 

Avec ce texte Benoît Lepecq réhabilite Unica Zûrn dans sa position d’artiste dessinatrice et de poétesse en l’éloignant du seul rôle de « poupée » et de muse qu’on lui attribue.  Ce sujet qui aurait été uniquement aliéné aux désirs de Hans Bellmer et aux traitements de la médecine psychiatrique. 

© Hervé Martin

Philippe Mathy, Étreintes mystérieuses, Coll. Grand ours, Éditions L’ail des ours, 2020

Chronique d’Hervé Martin

Philippe Mathy, Étreintes mystérieuses, Coll. Grand ours, Éditions L’ail des ours, 2020


Ce petit livre est source de joies pour le lecteur. Composé au feu du regard et de la langue, il est né de la proximité qu’entretient Philippe Mathy avec la nature.

En guetteur sans but tel qu’il se définit, il puise sa poésie dans l’observation des paysages de campagne et des jardins qu’il fréquente assidûment, avec une vive attention aux arbres, aux oiseaux, aux bruissements de la nature et aux ciels qui les recouvrent.

Dans ces moments de quiétude, il est à l’affût de ravissements sonores ou visuels qui lui seront offerts.

Les peintures colorées de Sabine Lavaux-Michaëlis, couleurs automnales ou reflets de ciels accompagnent avec justesse les textes.

Le livre est composé en deux parties intimement liées. 

La première, sans titre, fait écho aux éclats de ce monde que le poète perçoit et révèle dans des proses poétiques à la fois sensibles, délicates et précises. 

La seconde, assez brève, intitulée au bord de l’encre, dit le désir qui anime le(s) poète(s) pour circonscrire, à jamais par les mots, ces émotions captées aux rivages du monde : ces étreintes mystérieuses.

Le lecteur comme au sein de la forge du poème, découvre ici la manifestation de la création  poétique.

Les poètes sont des révélateurs de beautés parfois invisibles. Philippe Mathy montre bien l’état qui naît en lui lorsqu’il est porté à la joie par une scène, un animal, un paysage… Saisi soudain, par ce que l’on nommait autrefois « l’inspiration ». On sait aujourd’hui que nul dieu n’inspire les poètes, si ce n’est leur sensibilité d’Être au monde.

Philippe Mathy est ainsi attentif aux moindres scintillements de lumières, qui percent l’ordinaire des jours.

«  Lumière rasante des beaux jours de novembre, douce et discrète sur les pierres des murs… »

C’est dans une attente sereine qu’il se laisse absorbé par l’univers(t) qui l’entoure. 

Ses mots puisent leurs sources aux paysages de la nature, aux feuillages des arbres ou aux successives lumières du jour. 

« Pourvu qu’on la veille, la lumière germera sous nos paupières. » 

Méditatif, il est comme un quêteur d’émotions, attentif aux moindres bruits, aux chants des oiseaux ou aux éclats de couleurs qui surgissent de l’apparente immobilité des paysages qu’il traverse.

« Une voix dans le silence. Chacune des syllabes frémit comme feuilles en automne, bercées par une brise légère. On ferme les yeux pour écouter ce qui se met à chanter plus loin que cette voix… »

Parfois l’instant vécu s’auréole d’une déception, devant l’échec de n’avoir pu saisir entièrement la joie qu’il recelait.

« La lumière est si belle et si nue qu’on rêve de lui donner la main pour s’avancer avec elle dans le jardin…/… Mais les couleurs vibrent au dehors, pas au-dedans. La transparence des vitres avoue des barreaux plus froids que l’acier ; le corps immobile ne sent monter en lui qu’un murmure de solitude. » 

Avec la voix du poète, c’est aussi l’enfance qui éclot dans le livre :

« J’ai dévalé le vallon, croisé quelques roches, quelques arbres, cueilli un chant d’oiseau, goûté au sourire du ciel bleu, ressuscité l’enfant sauvage d’autrefois. »

Ces moments fugaces puisés par les campagnes et les chemins la rappellent par bribes. Le poète retrouve alors la légèreté de l’enfance. Elle s’ouvre à lui avec cette faculté retrouvée d’accueillir les joies que les beautés de la nature procurent. 

« Étoile lointaine de l’enfance, sous quel regard berces-tu mon sommeil, pour apporter encore, après toutes ces années, tant de lumière à mes rêves ? ».

©Hervé Martin