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Anatomie de l’objet, Corine Chevarier ; Montréal : Les Herbes rouges, 2011
Corinne Chevarier est à la fois une comédienne Montréalaise reconnue et une poétesse aguerrie qui aime, comme elle se plait à le dire, « explorer l’intimité sous toutes ses formes ». C’est encore elle qui affirme : « j’aime explorer nos rapports avec l’inconscient, le fait de vieillir, la perte, le deuil, la féminité, tout ce qui se vit dans l’intimité ». Après Les recoins inquiets du corps et Dehors l’intime, ce recueil est son troisième publié aux Herbes rouges. Mais qu’on ne s’y trompe pas, Anatomie de l’objet n’a rien d’un journal intime tant la poétesse prend soin de prendre ses distances avec… elle-même (s’en aller de soi pour être avec soi ?!) et le sujet traité pour nous livrer une parole poétique vivante, touchante, fragile et authentique.
Çà parle aux arbres
verse la tendresse au milieu des chats
sous la galerie enfant aux rêves nourris de terre
il arrive que ça porte sa robe de vacances
sans le désir de frotter le corps
avec une brosse d’acier
qu’elle chante face aux champs desséchés
une bête mouillée de salive dans les bras
qu’elle demande pardon au peuplier
s’endorme entre les racines
le vent soulevant ses sept ans.
On est ici en présence d’une poésie nous transportant au pays d’une sensation qui n’a pas peur du feu qui parle en elle ; on est ici en présence d’une poésie prenant un malin plaisir à sonder les moindres recoins de la nature humaine ; on est ici en présence d’une poésie repoussant toujours plus loin les frontières de l’intime ; on est ici en présence d’une poésie évoquant ni plus ni moins l’essence même de l’amour (« aimer, c’est essentiellement vouloir être aimé », Lacan), de la nature imaginaire du moi(« le moi de l’homme n’est pas réductible à son identité vécue, Lacan) et du désir(« le désir est le moteur de la vie, la pierre angulaire de l’inconscient, Lacan).
Ainsi, on a beau rechercher tout ce qui est bon pour soi, tout ce qui compose bien avec sa propre nature, il arrive parfois que l’impensable voire l’abominable nous rattrape (entre naître, vieillir et mourir que de portes à ouvrir, à franchir et de fenêtres à interroger !). Et c’est précisément cela qui est évoqué dans ce livre traitant de sujets (enfance bafouée, piétinée, abusée…) que généralement notre hypocrisie et nos angoisses existentielles nous empêchent d’aborder avec lucidité et franchise. En tentant de voir le réel depuis la vérité de la chair, la poétesse nous laisse voir « l’invraisemblance des choses » certes mais nous invite également à ne plus vivre dans l’ignorance, la peur, le ressentiment voire la perfection impossible. Avec ce présent recueil, la citation de William Blake selon laquelle la poésie réunit le cœur, le corps, l’imagination et l’intelligence prend tout son sens tant le moindre mot n’hésite pas à « ouvrir les bras » pour serrer chaque misère du corps. En définitive, Anatomie de l’objet est un recueil d’une rare intensité qui à sa manière et, malgré la dureté de son ton voire de son propos, combat la mort vivante qui se représente à nous quotidiennement et ravive tant notre identité que notre présence au monde.
Je ne parviens pas à étaler la douleur sur mon assiette
ce torrent déborde des lèvres
les orteils dépassent d’un squelette en démolition
j’offre un bouquet de pissenlits
être une petite fille en retard
les doigts collants de sève
être une petite fille
◊Pierre SCHROVEN
