Éric Dubois, Nul ne sait l’ampleur, poèmes, éditions unicité, 2024, 45p 12€.

Éric Dubois, Nul ne sait l’ampleur, poèmes, éditions unicité, 2024, 45p 12€.


Si Pierre Kobel, dans la courte présentation de l’ouvrage, utilise le verbe « glaner » pour exprimer le geste poétique qui caractérise l’écriture d’Éric Dubois dans ce recueil, il n’oublie pas de préciser que le poète ne se limite pas à ramasser ici et là les mots ou les éléments de base à la construction d’un poème. S’opère dans ce recueil une sorte de petite magie, simple et essentielle qui rassemble les bribes en constellations rythmées. Comme si Éric Dubois jetait les dés et puis indiquait à ses lecteurs attentifs les corrélations entre les prospections. D’un heureux hasard naîtrait le poème? « Nul ne sait l’ampleur » Il existe bien quelque chose que le poète ne domine pas, il apprivoise, il improvise comme souvent la vie nous pousse à le faire.

Page 25 se glisse un indice pour répondre à l’énigme du titre du livre. Mais l’on sait déjà dès la première page qu’Éric Dubois a choisi le poignard mais disons que celui-ci n’a de tranchant que celui des mots. 

Écrire c’est faire d’oeuvre la vie mais aussi se confronter à l’impuissance des mots à dire l’essence de l’être, les tourments et les dérives.

Je partage avec la lumière
l’envie de me reposer
à l’ombre de quelque arbre
de porter au bout des bras
des fruits magiques
et des fleurs épiques

Mon étoile est morte
dans la galaxie que je convoitais

Écrire nous confronte aux illusions, aux désirs et à une inévitable insatisfaction semblable à celle qui se love au bout de l’amour. Le désir ne peut être assouvi sous peine de s’éteindre. Les frontières sont floues et incandescentes, des braises. 

Ma tête est un reposoir. Un écho pris de vertige.

Une flamme noir qui calcifie les oiseaux du
paradis.

(…)
Une flamme ocre dans les mouvements des ciels.

Nul mot à l’endroit
où saignent les larmes

Dans l’alcool, on cherche son « propre néant, la pitié d’autrui », on trouve « l’angoisse et au bout du compte »  on s’aperçoit que « le calcul est faux ». Impossible de mesurer l’ampleur. Quelque chose donc nous dépasse, nous échappe. 

De même qu’Éric Dubois ne cache pas qu’il a écrit ce livre alors qu’il était dépendant à l’alcool (il est redevenu sobre depuis), il ne fait pas de mystère sur le fait qu’il est schizophrène. Pour rompre les tabous autour de cette maladie, mais aussi pour affirmer qu’il existe plusieurs manières d’être au monde. L’écriture poétique peut être vue comme un remède, un baume mais aussi se comparer à une sorte d’ivresse, un état second qui nous éclaire ou nous rend extra-lucide. On n’en mesure pas non plus l’ampleur. 

Le poète Eric Dubois est également un peintre. En quelques mots, il campe une situation, un sentiment, une blessure, laisse ressurgir un souvenir, une sensation. Ce qu’il évoque ne se cache jamais derrière les mots ou les images. Parfois c’est dur, c’est irrévocable, sensuel, brut. Toujours sincère et juste.

Éric Dubois, Paris est une histoire d’amour, suivi de Le complexe de l’écrivain, éditions Unicités, 55 pages, 2022, 13€

Une chronique de Lieven Callant

Éric Dubois, Paris est une histoire d’amour, suivi de Le complexe de l’écrivain, éditions Unicités, 55 pages, 2022, 13€


Eric Dubois nous propose deux récits où l’on appréciera la limpidité lucide de son style, sa franchise, son humour et le désir de laisser le lecteur libre de voyager dans des lectures à plusieurs niveaux. 

Le premier récit est celui d’une rencontre entre un homme d’une cinquantaine d’années, le narrateur et d’une jeune étudiante à la terrasse d’un café. « Oser, c’est l’histoire de toute ma vie » glisse le narrateur dans son auto-portrait où il se demande dès les premières pages, s’il doit  « surjouer son personnage ». 

Il tombe amoureux même si cela lui apparaît être une « lubie ». La jeune femme lui a à peine adressé la parole, il ne connait d’abord que son prénom qui résonne comme celui de la traductrice Jesenská qui échangea avec Kafka des lettres passionnées : Milena. 

Le narrateur pourrait étrangement correspondre à Éric Dubois lui-même. L’auteur devient alors le personnage de ses histoires car la vie, la vraie est une histoire d’amour. Ce qui traverse ce premier récit et d’une manière plus générale l’écriture d’Éric Dubois est une force impalpable, une obsession fuyante qui ressemble au sentiment amoureux. 

« Je bous intérieurement, j’écris quelques mots, sur la nappe en papier, qui recouvre la grande table inutile de mon salon, des mots de colère et de désoeuvrement »P23

« On peut se perdre dans l’anonymat dans une ville tellement grande que ses tentacules peuvent vous étouffer et vous laisser mourrir dans une chambre de bonne ou sous des cartons, sur l’asphalte, dans la rue, invisibles. »P24

Pour ne pas sombrer le narrateur veut croire au destin d’une rencontre, veut croire à l’amour, à la folie du sentiment amoureux. L’auteur, succombe au désir d’écrire une histoire d’amour, amour d’écrire, amour des mots et de la phrase se superposant à l’autre. Cela répond à mon sens à cette question de la page 27: « Comment vivre avec une obsession? Comment vivre malgré elle? » 

Il faut dire aussi que le narrateur ne se reconnaît pas dans les gens de son âge « les cacagénaires » et se voit comme un « voyageur des âmes et des coeurs ». Pour l’ami et conseil, le narrateur « traverse une zone de turbulences, peut-être une dépression ». Il faudrait «ne retenir de la vie que l’ennui ». Alors que le narrateur et peut-être l’auteur cherche « à travers le miroir, l’autre, un autre que moi dans l’intensité lumineuse ». 

Le premier récit se termine en soulevant plus de questions qu’il ne donne de réponses et c’est bien là le grand art d’Éric Dubois: suggérer, lumineusement, instaurer un questionnement en profondeur sans faire peser la moindre lourdeur ni imposer de jugement arbitraire. Le récit se termine en laissant toutes les portes ouvertes même celles qu’on aurait pu croire fermées dès le départ. N’est-ce point là, un des principes majeur de l’art de la nouvelle? Un fin inattendue qui ne fait figure de fin que pour certains esprits. 

« Le complexe de l’écrivain » suit les pistes lancées dans le premier récit mais sous des angles totalement différents. Le complexe est plus qu’un synonyme du mot « obsession » qui revient plusieurs fois dans la première partie du livre. On peut l’interpréter comme une volonté de l’auteur, un désir de ne pas simplifier les choses si ce n’est en apparence. On devine que chaque écrivain est en proie à des peurs, à des doutes. « La page blanche », la popularité, la lisibilité, l’accessibilité de l’oeuvre, les enjeux commerciaux, « l’air du temps ». Éric Dubois s’intéresse à ses sujets mais les porte aussi en dérision avec un humour subtil et dénué de rancoeur. L’écriture d’ Éric Dubois est une écriture poétique avant tout. Ses grandes qualités sont une limpidité déconcertante, une approche du quotidien, de l’ordinaire pur et beau, sans fioritures inutiles. Il est de ces auteurs qui résument la vie entière en quelques mots, en quelques phrases. Son monde est à portée de main et bien souvent à portée d’âme. 

©Lieven Callant