Muriel Carminati, Sur les traces de Sintra, illustrations de couverture et des pages intérieures Muriel Carminati, Éditions Traversées, 120 pages, 20€, septembre 2024.

Muriel Carminati, Sur les traces de Sintra, illustrations de couverture et des pages intérieures Muriel Carminati, Éditions Traversées, 120 pages, 20€, septembre 2024.


Muriel Carminati entame un voyage qui n’est pas seulement celui de parcourir joyeusement la ville de Sintra classée par L’Unesco au Patrimoine Culturel de L’Humanité au titre de paysage culturel. 

Sintra est située dans la province de l’Estrémadure, au pied et sur le versant nord de la Serra de Sintra, une étroite chaîne verdoyante aux sommets granitiques qui s’allonge entre Lisbonne et la côte de l’Atlantique. La Serra de Sintra forme une barrière montagneuse (point culminant à la Cruz Alta : 529 m) sur laquelle se condensent les pluies venues de l’océan atlantique. Le climat exceptionnel de cette région favorise la présence d’une végétation dense et riche en espèces au cœur d’un parc national classé par l’UNESCO. À juste titre, Byron l’avait surnommé le « Glorieux Eden ». source Wikipédia

Ce livre est comme un jeu de piste, l’auteur marque les chemins de petits cailloux blancs: les poèmes. À chaque étape, on en apprend plus sur le lieu savamment décrit : le palais national, le parc municipal, le château des Maures, le palais de la Pena, le couvent des Capucins, le palais de Regaleira, le Château de Seteais, le palais de Monserrate. 

Au-delà des indices, des traces, l’auteur invite surtout son lecteur à s’éloigner des chemins tout tracés, de se laisser le temps et de s’offrir l’espace pour voir les choses autrement. La poète va par les chemins de traverse, entre par la petite porte et est toujours prête à s’ouvrir à de nouvelles découvertes: moeurs humaines, habitudes animales, floraisons ordinaires ou extraordinaires. Rien ne l’éloigne, tout est toujours à portée du coeur et de l’émotion forte, sincère, juste. 

Thuya d’exception

Frêle myrmidon que je suis
je te salue
ô cèdre rouge d’Occident

tes branches basses piquent vers le sol
et s’y enracinent pour mieux remonter
jusqu’au ciel
en larges et franches coudées

tu t’élances insoucieux
du genre humain
candélabre géant
chargé d’accueillir les étoiles

va
je patienterais bien jusqu’à ce soir
pour pouvoir admirer ce spectacle! — P74

Comme nous le suggère le dernier poème du recueil ou le texte d’entrée écrit par Richard Rognet, il n’est peut-être pas si facile de trouver sa voie, d’écrire depuis le lieu qui nous est cher, nous importe car il renferme en lui, un temps, un souvenir particulier, la conscience d’avoir découvert une beauté indicible que s’efforce d’exprimer le poème.

Au jeu de l’oie, les joueurs lancent le dé et franchissent toutes les cases d’un chemin qui serpente sur le tableau. Parfois on avance, parfois on recule ou on est projeté vers l’avant. Le premier arrivé remporte la partie. Sensé représenter la vie, la destinée, ce jeu ne nous explique pas ce que l’on perd à vouloir arriver avant tous les autres. Les poèmes de Muriel Carminati ne doivent rien au hasard mais révèlent ce qu’il y a de délicieux à ne pas suivre les règles du jeu mais à en imaginer des nouvelles, plus humaines, plus astucieuses et audacieuses. Se perdre au milieu de nulle part, se retrouver en marchant sans peur de s’ apercevoir que la voie sans issue propose aussi une manière de s’inventer et de s’inviter au coeur des choses.

« je m’égare dans les sentiers sans issue
qui s’amusent à disparaître soudain parmi des brassées de fleurs.  » P98

« rebroussant chemin
je surprends deux dragons ruisselants encore ceinturés de nénuphars
émergeant des tréfonds pattes écartées
pour empêcher une fontaine de toute tentation de babillage » P99

« On s’attarde dans les ruines
d’une abbaye en plein corps-à-corps
avec un figuier étrangleur
et l’on médite sur ce qui mit fin à
l’Âge d’or
et nous précipita dans le Temps
ce grand démolisseur.  » P110

Le regard de la poète est plein de tendresse, d’humour, de dérision. Il y a dans cette écriture une sorte de légèreté. Rien ne pèse et il ne nous coûte rien de se laisser emporter sur les traces de Sintra. Les promeneurs solitaires comprendrons facilement qu’il est des lieux qui poussent à la rêverie plus que d’autres. Découvrons-les au fond de nous, creusons, creusons…de nombreuse photographies prises par l’auteur étayent sa démarche poétique.

© Lieven Callant

Nouveau aux éditions Traversées



Faubourg d’Arival, 43

B-6760 VIRTON (Belgique)

Tél.: 0032(0)63/57.68.64

GSM : 0032(0)497/44.25.60

Courriel: traversees@hotmail.com

Michèle Garant, Traversières, éditions Traversées.


Michèle Garant, Traversières.


Traversées (c/o Patrice BRENO)

Faubourg d’Arival, 43

B-6760 VIRTON (Belgique)

Tél.: 0032(0)63/57.68.64

GSM : 0032(0)497/44.25.60

Courriel: traversees@hotmail.com

Patrick Hellin, Terres levées, poésies, Éditions Traversées, 67 pages, 20€


« Terres levées » pourrait être une allusion comme l’auteur nous le suggère p 29, à la pâte à pain qu’on fait lever avant de la reprendre, de la pétrir à nouveau et de l’enfourner. « Terres levées » matière mole, malléable de laquelle on tire poteries. « Terres levées » paysages qui se révoltent. 

Terres labourées, récoltes terminées, mort de toutes les saisons sauf de l’hiver. Les premiers quatrains en quatre mouvements seraient comme les quatre saisons mais l’on sent qu’à travers les vers de Patrick Hellin, le temps ne passe pas, l’été brille de quelques éclats, le printemps remue à peine l’espoir. L’automne pluvieux et l’hiver s’éternisent.

Seul vers la plaine nue
Les mots n’ont plus d’écorce
C’est un sel froid
D’une sève morte s’élève un chant

L’humeur humaine a ses saisons et je sais combien les champs bruineux, vidés, visités par les cris de quelques volatiles noirs peuvent révéler à l’homme sa solitude, sa finitude, l’absurdité de sa vie. Les terres levées bouchent l’horizon. La dépression cette folie inversée gagne par capillarité l’être entier. Pour s’en sortir, il faut accéder à la lucidité, s’agripper au réel. C’est ce à quoi nous invitent les textes de Patrick Hellin.

Tu observes sa fuite
Son échappée, la route
De tes pas, ton allure
Tu te cramponnes à ses ravins 

C’est un espace affranchi d’ombres et de lumières
Il y brûle des soleils factices
Un noeud de lisières, de rameaux et d’oranges
On y sème les sources qui avalent le ciel

On aura compris que le chemin sera difficile, jalonné d’obstacles qu’on contourne ou affronte avec obstination. 

Les saisons sont étroites
Celle où je vis
En équilibre sur le rétréci
Et l’éveil se vêt de sommeil

À quoi se rattacher?
Écoute le silence des mots
L’écho de l’instant

La poésie, l’écriture a-t-elle un rôle à jouer dans notre quête à être?

Dans tes yeux qui s’affament d’oubli
Le geste du sourcier
Qui cherche le néant
Et ce qui en sa cendre lui survit

À cette « cendre » répond à la page suivante comme en un miroir le mot « pollen »

Ce sont des ombres ailées
Le pollen de demain
Et la poussière des choses

Valerius De Saedeleer- Vóór de lente-olieverf op doek-tussen 1905 en 1941

La poésie de Patrick Hellin fait grand usage des métaphores se rapportant à la nature, aux saisons, à la terre. Les tableaux proposés ressemblent à ceux qui ont bercés mon enfance. Je pense aux paysages hivernaux de Valerius De Saedeleer  ou ceux d’Albert Saverijs. Je regardais les tableaux sans trop comprendre ce qu’ils avaient de sombre et d’éclairant à la fois, ces paysages hivernaux, ces champs d’automne. Plus tard, j’ai compris comment cette grisaille, cette lumière de reflets et d’éclats de miroir caractérisent une position intermédiaire, faite de compromis, jalonnée de quêtes contre l’extrême noirceur. Position d’équilibre. Rien ne semble acquis pour toujours, il faut sans cesse vouloir reconstruire sans pour autant partir de rien.

Albert Saverys (1886-1964)
Paysage hivernal sur la Lys Huile sur toile Signée en bas à gauche H_63 cm L_78 cm

Sur la crête sombre
Figé à la limite
Des ombres et de la lumière
Ce solitaire est nu

L’immobilité tombe du ciel, étreint la terre
Le gel encore a saisi les labours
Un peu de givre accompagne
Leur houle

Dans le ciel mat, l’écho d’un oiseau noir
L’attente et le suspens se couvrent
De nuit. Une vague de terre court vers
Le ciel, ombres et lumières figées

Elle est solitude, monodie du temps
Ce qui parle en costume d’infini
Immobile aussi
Dans les cercles du soir

Où le ciel est un creux que les mots ne peuvent combler

Voilà  le poème que j’ai choisi comme étant le plus représentatif de ce très beau livre des éditions Traversées. En couverture, on admira l’illustration « Le messager » signée Jean Dutour. La mise en page raffinée due à Patrice Breno assure une belle lisibilité à l’ensemble des textes.


Claude LUEZIOR, SUR LES FRANGES DE L’ESSENTIEL, suivi de ÉCRITURES, Éditions Traversées, Belgique, 2022

Une chronique de Kathleen HYDEN-DAVID

Claude LUEZIOR, SUR LES FRANGES DE L’ESSENTIEL, suivi de ÉCRITURES, Éditions Traversées, Belgique, 2022


« Sur les franges de l’essentiel… », cette première partie de titre incite à vérifier ses connaissances verbales avant d’engager la lecture. Selon le dictionnaire, le mot « frange », outre la coupe de cheveux bien connue, désignerait, entre autre, « une limite floue entre deux choses, deux notions », ce qui lui ouvre grand les portes du possible. Quant à « l’essentiel », s’agissant ici du nom, il désigne ce qui est le plus important, vaste domaine s’il en est. Avec cette belle formule, Claude Luezior fait preuve d’une prudente modestie. Mais à la lecture de la centaine de pages concernée, c’est bien l’âme du poète, sa culture, son talent, ses désirs comme ses souffrances qui nous sont révélés en multiples circonstances de la vie.

Et pourtant, il semblerait que « l’essentiel » se trouve encore au-delà de cette première partie. Écrire, n’est-ce pas, en effet, ce qui donne tout son sens à la vie d’un auteur et d’un poète ? Que vont donc nous apprendre les « Écritures » ? Dès le premier poème intitulé « Liminaire », Claude Luezior exprime son besoin vital d’écrire et en révèle les effets. D’où peut-être, « une urgence (…) celle d’aimer ». L’amour, source inépuisable de l’écriture poétique. « Les éclats d’une vie » passée ne suffissent plus à faire naître des images, ni à maîtriser mots et syntaxe, ni même à combler les silences. Alors « L’urgence a repris le pas sur la lassitude » Ainsi est née « Écritures », fascinante trace d’un « Acte irréversible où l’écrivant avoue sa condition humaine tout au bord de la mise en cendres. » Le poète élargit ici le caractère sacré des Écritures religieuses à l’écriture elle-même.

« Écrire, c’est officier sous la voûte des étoiles, c’est chercher le gui à mains nues, sur les ramures des chênes. » 

nous dit-il dans « Hallucinogènes » dernier poème du recueil où « les mots sont une drogue ».

Usant de son art de la métaphore, Claude Luezior va les costumer et les mettre en scène dans d’improbables  et savoureux scenarios poétiques. Au poète en devenir, il conseille « Burine ta page », puis « Les mots en bandoulière, pars à ta propre conquête jusqu’à ce que poésie s’en suive. » Même « … vagabonde, migrante, par nature métissée », la langue ne trouble pas le poète ébloui par « … l’infini arc-en-ciel d’un ailleurs ». Il n’en sera que plus prolifique « Au matin des mots », mettant nos « Papilles » littéraires « en extase ». Sans surprise, on apprend que ce « Bricoleur de mots » n’apprécie guère « … le clavier sans âme », lui qui se désole et lance une « Alerte ! » pour un « … un mot d’amour : échappé ! » Pareillement, il se fait ardant défenseur de la virgule : « Une prose sans virgule n’est qu’un brouhaha de lettres, … » Mais le pire n’est-il pas que « Certains prétendent que le Verbe est mort. » ? Alors, « En guise de requiem », le poète propose à cet ancien « copain » de « … partager une dernière tranche de pain ». Ces quelques exemples ne sont qu’une modeste mise en bouche avant le véritable festin des mots que Claude Luezior a concocté. Lecteurs et lectrices, régalez vous !

©Kathleen HYDEN-DAVID