Chronique de Lieven Callant
Miloud Keddar, Man oumi lal ouma, (de ma mère à la communauté) poésie en voyage, éditions La Porte, 2017
Le livre s’ouvre sur un credo de Claude Morenas:
« Au nom des mondes et de la vie, au nom de ta propre et immense liberté qui est seul juge, tu te dois de t’accomplir de toute ton âme et de toutes tes forces, en ne meurtrissant rien, en ne blessant personne, en une ascension journalière, obscure peut-être mais persévérante.
(Car) c’est à la vie génitrice d’espèces que nous avons à rendre des comptes, à elle seulement et à nous-même qui somme les plus exigeants.
« La vie génitrice d’espèce » peut être vue comme un don qui nous est fait à notre naissance par notre mère qui elle-même l’avait reçu de sa mère. La vie comme un flux qui nous rend responsable de nos actes comme des pensées qui les sous-tendent comme si ce don, cette vie reçue ne nous appartenait qu’en partie, le temps infime de notre passage sur terre.
À travers la vie, c’est un message plus vaste qui doit être transmis, nous n’en sommes que les messagers provisoires mais pourtant il importe et concerne intimement et vivement l’être humain que nous sommes, l’entité particulière. Voilà ce qui m’est venu à l’esprit en lisant les poèmes courts contenus dans ce recueil signé Miloud Keddar.
Mais pas seulement, car sans ne m’être jamais rendu qu’en rêve en Algérie, j’ai senti grâce à eux, l’écho d’une voix plus ancienne, comme un de ses vents chauds et secs qui nous ramène des poussières et des sables ocres issus des déserts arides et mystérieux. La voix d’un pays, d’un continent peut-être que les chants promènent depuis la nuit des temps. On reconnait l’enfant, l’adulte exilé de ce pays qui le comprenait si bien, je veux parler de celui de l’enfance, couvert par l’aile protectrice de l’espoir, de la joie, de l’innocence. Le poète se reprend à vouloir « l’organisation du bien » en interrogeant et ses blessures et ses souvenirs et ses langues et les manières d’y parvenir. Il est question de départ, de mort, on évoque des « bottes » qui servent de toit à une maison devenue sans porte et sans fenêtre une prison ou plus éloquent « Une étoile sans cris! ». On suggère les visages que prennent la déroute, l’exil obligatoire mais tous se dépouillent du sentiment de rancune que suppose « Un homme a tué un homme »
« Un geste mort
Que nous tenons comme un Livre:
L’héritage comme houille. »
Que j’interprète comme nous signifiant l’erreur de croire qu’on peut disposer de la vie des autres même sous uns de ces prétextes que nous inscrivons dans nos livres comme s’ils étaient des lois universelles.
« Retiens sur tes épaules
La souveraineté enfantine
La tête haute! »
L’humanité ferait-elle bien de retourner à son enfance, à sa racine nue qui fait de chacun un frère?
Le livre se termine par cette exhorte
« Pays, Algérie,
Pays,
Tu sais
Même dans la main des anges
La guerre est un animal qui ne dort pas! »
Sans doute suis-je bien naïf de songer que ce message s’adresse à ceux que la guerre pour un territoire ne révolte pas.
Comme souvent, la poésie m’emmène avec elle sur ses routes de brumes ou de sable semant en moi toujours plus de questions que de réponses mais n’est-ce pas là un de ses espoirs? Voici donc « de courts poèmes qui en disent long » comme le poète l’a souhaité en me faisant le cadeau de ces vers.
©Lieven Callant