Barbara AUZOU, Tout amour est épistolaire, Z4 Editions S.A.S, 68p., 2023, ISBN : 978-2-38113-057-6

Une chronique de Claude Luezior

Barbara AUZOU, Tout amour est épistolaire, Z4 Editions S.A.S, 68p., 2023, ISBN : 978-2-38113-057-6


Ah, si le poète savait ce qu’il va écrire ! Ah, si le peintre savait ce qu’il va sécréter sur sa toile ! De fait, la plume et le pinceau dictent à l’artiste, au moins dans une certaine mesure, le fruit d’une complicité entre la main créatrice et la conscience.

 … si l’on savait à l’avance la forme que prendront les nuages dans l’ouvrage compliqué dont on est le locataire…

         Ou, plus bas :

   … la poésie quand elle est vécue change la vie et se rit des pages qui nous étaient allouées

Ce recueil ne choisit pas la facilité : pas de ponctuation, retours à la ligne entre un mode de poésie verticale et une prose fluide, foisonnement d’images ; pourtant, les thèmes récurrents de l’amour, de l’absence, de la beauté qui esquisse ses fleurs, de jardins qui respirent leurs parfums y calquent le zig-zag de la pensée, sèment leurs rêves, faufilent leurs semaisons en une sorte de paradis perdu. Le « je t’écris » y est comme une ossature bienfaisante dans une pépinière de symboles au gré des jours. On ne lit pas Auzou, on déguste…

 … le silence tu sais m’a annoncé un arrivage d’oiseaux frais pour

bientôt…

 … au détour d’un sentier j’ai entendu le fruit mûr de ton rire élever

le printemps au niveau de l’été…

Y coulent des sources secrètes. Empreinte omniprésente de l’amour avec une certaine désespérance, la crainte de l’abandon, de l’inachevé, de la solitude. Ce qui donne au texte une dimension éminemment humaine et attachante.

La lettre, l’épître seraient-elles le refuge de la passion ? Ou bien son terreau fertile ?

Mais tout amour n’est-il qu’épistolaire ?

 ©Claude Luezior

Jeanne Champel Grenier, Racines vagabondes, éditions France Libris, 92 p., 2023, ISBN : 9 782382 684023

Une chronique de Claude Luezior

Jeanne Champel Grenier, Racines vagabondes, éditions France Libris, 92 p., 2023, ISBN : 9 782382 684023


À la page 33, sous le titre Peuples errants, en une forme de dédicace : Boumians et Manouches, Bohémiens, Gitans, Mongols, Juifs errants, Bédouins, Touaregs, Gypsies, Roms, Romanichels et nouveaux migrants. Tout un programme : frémissez, bonnes gens !

Déroulons tout d’abord le fil de la genèse de l’auteur : son grand-père fut sans doute fils de gitane. Il est décédé l’année de sa naissance.

Par contre, sa grand-mère Inès, tant aimée, fuyant la dictature de Franco depuis la Catalogne, pour vivre dans des conditions plus que modestes en France, a pris une immense importance dans la vie de Jeanne.

L’Ardèche occupe une place essentielle dans son existence : 

Je suis de ce pays qui accueillit l’exode d’une partie d’Espagne (…)

Je suis de ce pays qui jamais n’oublia la Méditerranée (…)

Je suis d’un pays fier qui subit l’invasion de mille nomadismes (…)

Je suis de ce pays entre Rhône et Ardèche qui accueille l’Ailleurs et qui tatoue la France sur la peau et le cœur de l’humble voyageur…

En résumé : une radicelle, celle de son grand-père au sang gitan, qu’elle n’a pas connu. Des origines espagnoles magnifiées par le souvenir de sa mère-grand. Enfin, de puissantes racines ardèchoises.

Mais surtout, de manière générale, un cœur immense et généreux, dans la vie, comme dans ce nouveau recueil de proses et poésies, pour tous ces peuples migrants, voyageurs, fascinants, chaleureux, errants… Ainsi, les racines vagabondes puisent-elles dans les sources de ses ancêtres.

Des nôtres aussi, car ne sommes-nous tous finalement des Africains ? Comme le disait l’anthropologue Yves Coppens, « père » de Lucy, alors décrite comme la « grand-mère » de l’humanité…

Revenons aux gens du voyage, du mystère :

Ils ont ce feu flambant d’espoir

Et partout des bouts d’infini

Qui brillent au creux des cendres

Traînées de feu sur pierreries

Ou bien :

Ils abandonnent nos rivages

Sans énigme et remplis de vide

Tous leurs rêves ont un visage

Dont les nôtres sont chrysalides

Ou encore :

D’étranges ardeurs dansantes, musicales

Surgissent issues d’abimes millénaires

Alors pulsent avec pudeur les rêves (…)

C’est l’envol, la murmuration de l’amour

Et enfin :

C’était un coin d’Espagne tout incrusté d’églises

Le jour de procession des femmes endeuillées (…)

Elles arboraient de belles robes sombres

Et portaient sur leur front la mantille de soie

Où brillait par instant leur regard mêlé d’ombre

Infinie noblesse de gens si lointains, si proches… On pourrait citer tant et tant de passages magnifiques. Un seul remède : acquérir ce précieux recueil et le déguster à petite page. Les tableaux de la poétesse y ont également finesse et puissance. Jeanne Champel Grenier a mis dans cet ouvrage une immense sincérité, du talent et un lyrisme affirmé, mais aussi et surtout, beaucoup d’âme.

©Claude Luezior 

CLAUDE LUEZIOR, Au démêloir des heures, Librairie-Galerie Racine-Paris, 2023

Une chronique de  Nicole Hardouin

CLAUDE LUEZIOR, Au démêloir des heures, Librairie-Galerie Racine-Paris, 2023


Le titre original du dernier recueil de Luezior intrigue, interroge, les heures seraient-elles des fleurs aux invisibles crocs pour aiguiser les songes ?

Nous sommes esquifs, passagers clandestins, des lignes de l’auteur dont nous partageons les marées dans le troublant flou de ses branches ramifiées. Fatalement nous sommes amenés à nous poser ses questions : suis-je moi-même gibier/ charogne en sursis/ ou acteur insensé/ d’une fureur de vivre ?

Luezior, de cette écriture rare, précise qui fait de lui l’un des meilleurs poètes actuels, est semeur d’arcs en ciel pour aller loin dans l’énigme d’enclos mystérieux, dans un mal sacré, transe/ d’une folie petite/ qui ameute mes frusques, il sait donner aux mots la lumière d’un regard dans l’intimité de l’inaccessible en réveillant les campanules de ses heures endormies. 

Il démêle les secondes et les minutes sans se priver « de tempêter/ contre le temps qui passe, il cherche les mots qui illuminent, peut-être pour se plonger dans une alchimie d’où s’évaporent/ effluves/ et fumets/ velléités/nourricières, tout en sachant que l’imaginaire n‘est qu’une île lointaine sans possibilité d’accoster et que  nous ne sommes que les alpinistes du manque, c’est pourquoi dans le bivouac du désir émerge la fine morsure du devenir  rappelle-toi/ ce matin-là, pourtant/ les écailles de l’abondance/ étaient nées dans l’eau vive / où scintillait la source. 

Chez Luezior les avenues de songes, d’espoir, de doute sont lovés entre les pavements de l’aube où l’on passe de jacasseries/ vomissantes /obésité du mot/ et veules railleries/sans pudeur/ ni décence alors que sur la plage qui frisonne, / une torpeur d’anges/coud ses écumes fines.

Peut-être dans la plissure des rêves, au déclin du jour, en démêlant les heures, le présent se manifeste, l’âme déploie ses feuillets, palpe l’air, frémit et la soif a fait place/ à l’envoûtement / de foins prodigues / et de ferments/ se concentre/ l’ivresse des retrouvailles. C’est alors que, par temps de pleine lune, Luezior, envoie les freux et tous les oiseaux de la nuit sous nos pieds, combat de la couleur/ dans la grisaille, juste pour se gorger d’effervescences / vives.

 Les heures sont réaccordées, il est temps de déchiffrer un sourire/ l’encens d’une chevelure/ et le soleil de tes prunelle/ respirer nos convergences/ quand se déclinent/ les chuchotements aimés.

Avec ou sans heures, dans des nuits sans balise, où s’offrent les Dames Blanches sur d’orgiaques autels, il fait trembler Lucifer et agenouiller les licornes, Luezior cisaille avec humour les interdits, convoque l’insolence/ pour survivre dans le sillon fertile de l’imaginaire, ainsi il sait nous donner des éclats de lumière pour écrire sur les zébrures des orages quand se rebiffe nos chaînes. 

Nous ne saurions clore cette recension sans souligner le texte poétique de la quatrième de couverture rédigé par Alain Breton, ainsi que la toile étincelante du peintre Diana Rachmuth illustrant la première de couverture du Démêloir des heures.

 ©Nicole Hardouin

Claude LUEZIOR, SUR LES FRANGES DE L’ESSENTIEL, suivi de ÉCRITURES, Éditions Traversées, Belgique, 2022

Une chronique de Kathleen HYDEN-DAVID

Claude LUEZIOR, SUR LES FRANGES DE L’ESSENTIEL, suivi de ÉCRITURES, Éditions Traversées, Belgique, 2022


« Sur les franges de l’essentiel… », cette première partie de titre incite à vérifier ses connaissances verbales avant d’engager la lecture. Selon le dictionnaire, le mot « frange », outre la coupe de cheveux bien connue, désignerait, entre autre, « une limite floue entre deux choses, deux notions », ce qui lui ouvre grand les portes du possible. Quant à « l’essentiel », s’agissant ici du nom, il désigne ce qui est le plus important, vaste domaine s’il en est. Avec cette belle formule, Claude Luezior fait preuve d’une prudente modestie. Mais à la lecture de la centaine de pages concernée, c’est bien l’âme du poète, sa culture, son talent, ses désirs comme ses souffrances qui nous sont révélés en multiples circonstances de la vie.

Et pourtant, il semblerait que « l’essentiel » se trouve encore au-delà de cette première partie. Écrire, n’est-ce pas, en effet, ce qui donne tout son sens à la vie d’un auteur et d’un poète ? Que vont donc nous apprendre les « Écritures » ? Dès le premier poème intitulé « Liminaire », Claude Luezior exprime son besoin vital d’écrire et en révèle les effets. D’où peut-être, « une urgence (…) celle d’aimer ». L’amour, source inépuisable de l’écriture poétique. « Les éclats d’une vie » passée ne suffissent plus à faire naître des images, ni à maîtriser mots et syntaxe, ni même à combler les silences. Alors « L’urgence a repris le pas sur la lassitude » Ainsi est née « Écritures », fascinante trace d’un « Acte irréversible où l’écrivant avoue sa condition humaine tout au bord de la mise en cendres. » Le poète élargit ici le caractère sacré des Écritures religieuses à l’écriture elle-même.

« Écrire, c’est officier sous la voûte des étoiles, c’est chercher le gui à mains nues, sur les ramures des chênes. » 

nous dit-il dans « Hallucinogènes » dernier poème du recueil où « les mots sont une drogue ».

Usant de son art de la métaphore, Claude Luezior va les costumer et les mettre en scène dans d’improbables  et savoureux scenarios poétiques. Au poète en devenir, il conseille « Burine ta page », puis « Les mots en bandoulière, pars à ta propre conquête jusqu’à ce que poésie s’en suive. » Même « … vagabonde, migrante, par nature métissée », la langue ne trouble pas le poète ébloui par « … l’infini arc-en-ciel d’un ailleurs ». Il n’en sera que plus prolifique « Au matin des mots », mettant nos « Papilles » littéraires « en extase ». Sans surprise, on apprend que ce « Bricoleur de mots » n’apprécie guère « … le clavier sans âme », lui qui se désole et lance une « Alerte ! » pour un « … un mot d’amour : échappé ! » Pareillement, il se fait ardant défenseur de la virgule : « Une prose sans virgule n’est qu’un brouhaha de lettres, … » Mais le pire n’est-il pas que « Certains prétendent que le Verbe est mort. » ? Alors, « En guise de requiem », le poète propose à cet ancien « copain » de « … partager une dernière tranche de pain ». Ces quelques exemples ne sont qu’une modeste mise en bouche avant le véritable festin des mots que Claude Luezior a concocté. Lecteurs et lectrices, régalez vous !

©Kathleen HYDEN-DAVID