LE REGARD DU MIROIR / PRIVIREA DIN OGLINDA, Michel Bénard

 

  • LE REGARD DU MIROIR / PRIVIREA DIN OGLINDA, Michel Bénard,édition bilingue français / roumain, traduction de Manolita Dragomir Filimonescu, ArTPress éditeur, Timisoara, Roumanie 2011, ISBN : 978 973 108 377 3.

Avis au lecteur qui dès le titre de ce dernier recueil de poésie de Michel Bénard se voit une fois encore mis à une ductile contribution, afin de tenter de saisir la simple complexité du propos poétique, soutenu tout au long de ce volume de plus de 300 pages par ce poète et peintre remois. Bel ouvrage à la couverture satinée, illustrée par l’auteur. En son mitan figure aussi l’une des récentes productions de Michel Bénard, suggérant une pause – marque-page pictural – au cours de la lecture-déchiffrement, dont la couleur saturée, marbrée conférée au motif, savant assemblage géométrique évoque des sortes de totems, de stèles ou autres dolmens verticaux, et semble sous tendre ces mots du poète

« Je confie à la pierre dressée

Le poème que pour toi j’ai signé ».

Mais d’emblée, la question se pose ici de savoir, si ce titre : Le regard du miroir renvoie à une image réfléchie par le miroir, ou bien un regard porté sur le miroir par celui qui s’y mire et qui lui est donc renvoyé, ou bien encore de manière métaphorique, le regard propre du miroir, c’est-à-dire : le vide réfléchi qui fait à son tour réfléchir le poète (le lecteur avec). Mais pourrait-il aussi s’agir du regard d’un alter ego – aux traits de femme, une et plurielle, face au poète qui reconnaît en elle son double, une sorte de gémellité inavouée ? Avec cette énigme inhérente à l’atmosphère, au mystère poétique, inscrits « dans le miroir des sources primordiales », Michel Bénard pose là, l’une de ses règles du jeu lyrique. Car la poésie pour lui est affaire sérieuse, profonde, sacrée, au sein de laquelle écrit le poète : « Tout se distille au mirage du destin, tout aspire à tant de beauté qu’il serait vain de contenir notre fil d’Ariane, sève émotionnelle de nos âmes ». Vain donc de chercher à élucider quelque mystère, puisque : « Par la magie de ce jeu d’images mélodieuses et poétiques, se forme l’effigie jumelée d’un amour complice, osmose qui se stigmatise aux creux de nos mains en signe d’alliance, que protège dans la nuit un voile d’étoile parfumé de rêves ».

Dès lors, nous pouvons entendre ces mots d’amour pluriel, de « mémoire des sables », cette voix de la « Tora », des « Dames blanches », d’une « Isabelle » imaginée au cœur « D’une fête médiévale », devenue « Esther » à petits coups de mémoire hébraïque revivifiée. Nous pouvons encore entrevoir cette « Image égyptienne » au cœur des « Hiéroglyphes », des « Calligraphies » et voir surgir cette « Icône » enluminée 

« Dans le bleu d’un vitrail

Tel un rayon de soleil au couchant

Suspendu aux ailes de la colombe »,

nimbée de « Lumières d’Orient ». Mille et une images encore d’inspiration païenne ou chrétienne, invariablement si proches et si lointaines de notre condition mortelle. Au Sud d’un Sud, décrit, dépeint à l’aide des « Signes de l’alphabet de silence », ce même alphabet mutique, magique permettrait d’

« Entrouvrir la porte conduisant

Au-delà du miroir

Par delà la fracture », 

« pour simplement mieux nous penser » formule encore le poète-conteur-penseur.

Mieux nous penser ! Certainement, après avoir accompli cette lecture d’un verbe dense, soyeux et ciselé, invitant le lecteur à une véritable proménadologie, tout au long de laquelle, l’homme Michel Bénard, pour qui l’amitié rime avec « l’alliance éternelle » n’omet pas de saluer quelques-uns de ses bons compagnons de route, ses amis artistes, ainsi que sa traductrice coutumière, elle-même poète, Manolita Dragomir Filimonescu qui ici, une nouvelle fois, pour lui, pour nous réalise le passage de la langue française à la langue roumaine ; langues dans lesquelles, elle se sent chez elle, comme poisson dans l’eau, et comme on habite la terre en poète.

Mieux nous penser, aussi, après être passés de l’autre côté du miroir, en deçà, au-delà du rêve, des mirages, du conte, de la légende, du sacré, dans un geste délicatement feuilleté, polysémique, diffracté, tel qu’il se décline dans un miroir brisé, dont les fragments disjoints laissent deviner d’autres interstices et ouvertures, d’autres manières d’être au monde, d’autres désirs ardents et subtils d’îles et d’elles…

« Sous l’écume soyeuse d’une touche de bleue,

Femme dansant au cœur du désert,

Pour célébrer la vie » ;

« Déversant ses souvenirs de voyage » ; reflets de la vie singulière, universelle, offerts ici en partage réflexif dans LE REGARD DU MIROIR.

◊Rome DEGUERGUE