L’apéritif des Poètes, ce samedi 6 mai 2017 à l’AEB

Chronique de Lieven Callant

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L’apéritif des Poètes, ce samedi 6 mai 2017 à l’AEB

Ce samedi 6 mai 2017 dans ses très beaux salons, l’AEB recevait LA REVUE TRAVERSÉES représentée par ses sympathiques et chaleureux fondateurs PATRICE BRENO et PAUL MATHIEU. On a regretté l’absence pour raisons de santé de JACQUES CORNEROTTE. Cet apéritif poétique était l’occasion de renouer avec une belle tradition remontant à Roger Foulon, président de l’AEB de 1973 à 1994. Une première qui je l’espère sera renouvelée.

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Claude Miseur et Patrice Breno

TRAVERSÉES est née comme nous l’a rappelé Patrice Breno, d’une envie et d’une histoire d’amitié. Désir de poésie. Envie de nouer avec elle et les poètes une amitié basée sur la sincérité, le respect.

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Paul Mathieu et Patrice Breno

Dès ses débuts, alors que la revue ne comptait qu’une quinzaine de pages, la volonté de ses créateurs a été de l’ouvrir aux mondes et de n’imposer aucun thème, de ne fabriquer aucune frontière entre les poètes et leurs textes.

Partie de rien, se nourrissant du travail bénévole de tous ses artisans, la Revue Traversées a peu à peu grandi et de simple petit cahier photocopié est devenu le bel ouvrage soigneusement imprimé, admirablement illustré qu’est la revue que les abonnés, les bibliothèques et les diverses presses reçoivent aujourd’hui.

Même si la revue reçoit des subsides de la Province du Luxembourg, de la Fédération Wallonie Bruxelles, de la ville de Virton, elle a toujours su préserver sa liberté et ses spécificités. Tous les intervenants, poètes, graphistes, membres du comité de lecture, correcteurs travaillent bénévolement dans un esprit de camaraderie unique en son genre qui doit sans doute beaucoup à la convivialité passionnée de ses créateurs.

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TRAVERSÉES a au fil des ans donné la parole à de grands poètes reconnus et célèbres pour certains, discrets, confidentiels pour d’autres. La revue a ainsi permis à ses lecteurs de voyager au travers du monde en publiant des textes en provenance de presque tous les continents.

Traversées a consacré des dossiers à ses auteurs: Alain Bertrand, Jean-Claude Pirotte, Abdellatif Laâbi et tant d’autres. Différentes thématiques se sont vues abordées: la traduction, le haïku, les aphorismes, les 50 ans de la collection Gallimard Poésie. Une manière d’ouvrir déjà ses champs de réflexions tout en préservant dans ces numéros la volonté d’offrir un éventail libre de ce qui s’écrit en poésie à l’heure d’aujourd’hui. Traversées ne divise pas les genres, c’est ainsi qu’elle publie proses et nouvelles, mais également illustrations dont beaucoup sont dues à la sensibilité photographique de Jacques Cornerotte. Jacques se charge également de la conception graphique et de la mise en page de la revue.

TRAVERSÉES a également été primée à plusieurs reprises. Le prix de la presse poétique, Paris 2012, le Prix Cassiopée du Cénacle Européen, Paris 2015, le Godefroid culturel de la Province de Luxembourg, Libramont, 2015.

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Paul Mathieu

Depuis deux ans, Traversées est aussi devenue une maison d’édition. Quatre ouvrages ont vu le jour.

Auteurs Autour, Paul Mathieu

Le Guetteur de Matins, Jacques Cornerotte et Anne Léger

L’astragalizonte, Xavier Bordes

Le temps d’un souffle, Paul Mathieu, Blandy Mathieu

Traversées c’est également un site que je gère depuis juillet 2012, un groupe sur Facebook , un blog tumblr, un compte scoop-it et Pinterest et la possibilité de télécharger gratuitement des anciens numéros de la revue en format e-pub pour votre liseuse.

Sur le site sont reprises les chroniques littéraires, les lectures et analyses d’œuvres qui sont envoyées au comité de lecture. Régulièrement grâce aux réseaux sociaux, la Revue relaie les informations, activités, débats, salons, expositions auxquels participent la communauté toujours grandissante des AUTEURS DE TRAVERSÉES.

Cette rencontre ne fut pas seulement une occasion de revenir sur l’aventure de la revue de sa création à aujourd’hui, elle fut aussi et surtout un moment de partage poétique. Paul Mathieu a admirablement lu quelques poèmes qui font la richesse de Traversées et des poètes qui lui ont fait confiance. C’est avec attention et émotion que le public présent a reçu les poèmes. La lecture après avoir rendu hommage à tous les poètes de Traversées et notamment entre autres à Xavier Bordes pour ses participations généreuses au sein du comité de la Revue s’est terminée dans l’humour et la bonne humeur par une sélection d’aphorismes.

Enfin, tous les participants ont été conviés au verre de l’amitié.

©Lieven Callant


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Auteurs autour, de Paul Mathieu Editions Traversées-La Croisée des chemins, 2015, 299 p., 15€

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Auteurs autour, de Paul Mathieu

Editions Traversées-La Croisée des chemins, 2015, 299 p., 15€

Le titre Auteurs autour, à la fois étrange et séduisant, appelle à l’esprit des images d’œuvres-clés et d’écrivains-phares. Lire, n’est-ce pas en effet faire à la fois l’expérience du confort de la connivence, de la reconnaissance, d’un partage serein avec une voix familière, et celle de l’aliénation, du voyage, de l’exotopie, pour reprendre le joli terme de Bakhtine ? Dans son ouvrage, Paul Mathieu se sert à plusieurs reprises de métaphores géographiques pour évoquer les œuvres et les univers des écrivains qui constituent ses alentours à lui, son bouillon de culture propre, les terres littéraires où il aime à aborder. Il rappelle à propos le mot d’archipel utilisé par Butor pour évoquer Joyce, et l’on pourrait ainsi dire qu’Auteurs autour est une croisière d’archipel en archipel, familiers ou bien inconnus, reconnus ou bien confidentiels, en tout cas toujours un bonheur de découverte ou de redécouverte.

L’ouvrage se présente sous la forme de vingt-et-un essais, repris de différentes revues ou inédits, sur des écrivains, de la fin du dix-neuvième siècle à nos jours. Ces textes sont répartis en deux chapitres, les « points de repère » (Andersen, Butor, Ghelderode, Joyce et Kafka) et les « voix contemporaines ». Le choix de Paul Mathieu est un choix forcément personnel (certains auteurs inspirent autant qu’ils sont inspirés), et chacun, en fonction de ses passions et de sa personnalité, pourra regretter l’absence de tel ou tel de ses maîtres à penser, de femmes, d’écrivains du Sud, d’Afrique ou d’Asie, mais c’est aussi un choix justifié, judicieux et formidablement étayé par des analyses pertinentes, et la modestie du propos est acceptée et évoquée dès le sous-titre de l’ouvrage, « Notes sur quelques voix contemporaines et au-delà ».

Les passionnés de littérature s’interrogeront évidemment sur ce qui peut bien unir Andersen et Joyce, Mandiargues et Verheggen. Et, malgré le droit à butiner de texte en genre et d’école en auteur que l’on reconnaît volontiers à Paul Mathieu, malgré l’admiration que l’on ressent pour la plasticité de sa langue, qui adopte le lyrisme un peu académique d’Ovide (auquel il rend un très bel hommage dans son essai sur Georges Thinès) comme le verbe déferlant, zigzagant, truffé de jeux de mots, de Verheggen, on a envie de suivre quelques pistes avec les auteurs choisis par Paul Mathieu.

La première, à mon sens, est celle du méandre. L’image, reprise d’Umberto Eco, est employée par Paul Mathieu dans son pertinent essai sur Joyce, parce que le parcours de l’écrivain irlandais, de Gens de Dublin à Finnegans Wake, en passant par Ulysse, est symbolique de l’invention de la modernité littéraire, depuis les récits linéaires du début, vus à travers les yeux d’un narrateur extérieur presque objectif, jusqu’à l’odyssée de l’imagination, […la] réinterprétation perpétuelle de son propre objet qu’est Finnegans Wake, ouvrage solipsiste par excellence, mais d’un solipsisme à partager, si l’on peut oser cette métaphore, pour peu que l’on accepte le méandre comme figure allégorique du tricotage et du détricotage à l’œuvre dans l’écriture. Méandre aussi que la poésie bucolique qui explore et commente le monde à partir des quelques dizaines de kilomètres de la Maye chez Jacques Darras, les je successifs de Jude Stéfan, le lyrisme rocailleux de Verheggen ou encore celui des acrobaties lexicales de Marcel Béalu, qui constituent un art poétique.

Béalu, mais aussi André Schmitz ou Luc Bérimont, plaisent à Paul Mathieu à cause de l’ancrage de leurs textes dans des objets du quotidien, des choses anodines, parfois surannées, souvent dérisoires. En lisant les essais qui leur sont consacrés, on repense aux analyses splendides de Paul Mathieu sur Andersen, dont l’art consiste à nous donner l’illusion de la spontanéité. Les héros d’Andersen, Paul Mathieu nous le rappelle, ne font pour ainsi dire rien, voire ne sont pas des héros (L’innovation principale de l’auteur ne provient-elle pas de l’utilisation des objets (et des animaux)?), qui semblent nous parler et nous accompagner dans l’extraction d’une morale existentielle. Cette idée que le héros ne f[ait] pour ainsi dire rien est celle qui irrigue les œuvres de Kafka et de Joyce citées ici, mais aussi tant d’autres textes de la littérature contemporaine et au-delà, puisqu’on pense aussi, par exemple, à Emma Bovary, au prince Muichkine ou à Oblomov.

Une autre piste, avec laquelle Paul Mathieu joue de manière récurrente, est la question de la belgitude. L’essai sur Hubert Juin la traite de manière approfondie, et Paul Mathieu y fait sienne la question rhétorique de Joseph Duhamel : Une histoire de la littérature belge est-elle possible ?, avant de donner deux éléments de réponse : sont « belges » le surréalisme et l’incessant questionnement sur [soi]-même. Le surréalisme, avec sa fascination pour les objets anodins détournés de leur sens et son goût pour les assemblages hétéroclites, est de toute évidence un élément qui unit un grand nombre des auteurs de ce volume, puisque la poésie qui plaît à Paul Mathieu est celle qui questionne sans cesse les mots dans leur forme et dans leur sens, qui fait jouer étymologie, homonymies et intention de signification, amène ce qu’il nomme avec pertinence une descente en marche du train-train sémiotique dans le texte consacré à Verheggen, le post-surréaliste goguenard par excellence. Quant à l’incessant questionnement sur soi-même, il est à peine étonnant que cette belgitude-là s’aventure à passer la Haine (pour reprendre le très beau titre de Rose-Marie François) et à annexer le Ponthieu aquatique et mouillé de Jacques Darras et même le Canada de Guy Jean, en passant par Copenhague, Dublin et Prague.

Ce questionnement sur soi-même, cet effort incessant de donner forme littéraire à des émotions, sont peut-être ce qui unit le plus profondément les convives de Paul Mathieu. Il n’y a pas de repus de la littérature et de gens satisfaits d’eux-mêmes parmi les auteurs dont il s’entoure, et c’est tant mieux pour ses lecteurs.

©Jean-Luc Breton