Hafid Aggoune – Rêve 78 – Editions Joelle Losfeld – Littérature française ; (64 pages – 9,50€).

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  • Hafid Aggoune – Rêve 78 – Editions Joelle Losfeld – Littérature française ; (64 pages – 9,50€).

Comme Colombe Schneck, à la veille d’être mère, a ressenti à partir d’une photo le besoin d’explorer sa généalogie, chez Hafid Aggoune, le narrateur Hervé Babel, bientôt 34 ans, éprouve le besoin de se retourner sur un pan douloureux de son enfance avant d’être père. L’expression Là-bas réveille une douleur incommensurable, celle d’un enfant seul, triste, « prisonnier d’un désastre intérieur »,« à moitié sauvage ».

Une photo, exhumée de l’album familial, le représentant enfant avec sa mère sur une plage, s’ est imposée alors à lui, convoquant divers souvenirs et la nécessité de ce livre pour goûter au bonheur d’être « seul avec sa mère ». Elle incarne leur renaissance, la joie des retrouvailles, la libération et démontre leur attachement à des lieux (la côte Atlantique) qui sont des liens et leur mémoire.

Mais n’aurait-il pas idéalisé cette mère qui lui manqua terriblement ?

Il en brosse un portrait très détaillé, sensible à sa beauté, à sa silhouette svelte disséquant tous les indices du cliché. Il voit une femme « miraculée », « une apparition paradisiaque », fière de poser avec son fils retrouvé.

Peu à peu Hervé Babel nous dévoile par bribes la cause de son traumatisme : un éloignement forcé en Algérie, des « années blanches », un exil en terre inconnue, imposé par un père autoritaire envers qui il va engranger de la haine.

Pourtant ne lui avait-il pas dit dans une injonction «  le plus beau mot » qui soit : lire ?

Et le narrateur de confier que la lecture lui « a sauvé la vie » trouvant dans chaque mot lu une main qui l’a « éloigné du bord des gouffres ».

Le narrateur retrace le passé de sa mère (battue par son père), son émancipation à 15 ans refusant un mariage arrangé, d’où son errance seule. Il découvre une femme soumise, ayant attenté à ses jours, ayant souffert tout autant que lui durant leurs deux années de coupure. Le narrateur revient sur son parcours d’« enfant de nulle part » et sur les stigmates causés par cette carence d’amour maternel, cette sensation d’abandon « un calvaire », à un âge où on ne peut pas comprendre. Situation d’autant plus insoutenable qu’il ne pratiquait plus le français, sa langue maternelle.

Il se remémore aussi les parenthèses heureuses, ses visites chez ses tantes, ses premières expériences dont la découverte de la nudité de « trois Grâces » au Hammam et de l’érotisme.

Le narrateur s’étonne de sa résilience tant ce « besoin d’amour était aussi grand que l’océan », tant la peur d’une rupture l’acculait à la solitude, adolescent. Il reconnaît avoir trouvé une catharsis dans la jouissance de l’écriture : écrire pour juguler les angoisses, pour déambuler dans sa ville natale, se fondre dans la page, pour vivre.

Dans cet opus, Hafid Aggoune aborde aussi l’aspect vampirisant de l’écriture qui exige beaucoup d’abnégation de la part du partenaire et peut mettre un couple en péril. « Il y a peu d’écrivains heureux en amour », précise-t-il, soulignant la tendance égocentrique du romancier et son besoin de solitude et de silence.

Il paye sa dette aux livres qui l’ont nourri très tôt, convaincu que « Seuls les livres consolent de l’inconsolable », témoignant sa fervente dévotion à la Littérature, cette « femme aux mamelles intarissables ».

Ce récit fait penser à Jacqueline de Romilly qui déclina aussi sa piété filiale, sa relation fusionnelle dans Jeanne, livre dédié à sa mère.

Hafid Aggoune montre à travers ces pages combien la lecture et l’écriture sont précieuses et salvatrices dans les moments difficiles et participent à la reconstruction d’un être, comme si les mots pouvaient combler la fracture du désert affectif dû à la séparation. Rêve 78 est une confession pétrie d’amour et de tendresse dans laquelle l’auteur a magnifié des souvenirs indélébiles.

Sa gratitude va aussi à celle qui le « comprend comme personne au monde », celle qui lui a permis de prendre du recul avant d’être père afin de mieux assumer ce rôle et de ne pas reproduire les erreurs de son géniteur:« la femme de sa vie »,rare comme « un diamant dans un désert » qui va à son tour, donner la vie.

Hafid Aggoune signe un récit votif, à la veine autobiographique, court mais bouleversant par cet hymne aux femmes et en premier à sa mère, son héroïne, envers qui il témoigne toute son admiration et sa reconnaissance.

Gageons que cette photo de l’été 78, irradiée par le sourire de la mère restera un perpétuel baume au cœur pour le narrateur, son talisman.

© Nadine Doyen

Lily et Po de Lauren Oliver, traduit de l‘anglais (États-Unis) par Alice Delarbre.

  • Lily et Po de Lauren Oliver, traduit de l‘anglais (États-Unis) par Alice Delarbre. Hachette Romans, novembre 2012. Tome 1, 2 et 3. Chacun fait 160 pages, les deux premiers reprennent les deux premiers chapitres du tome suivant. 9,90 € par tome.

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Trois livres jolis comme tout pour une seule histoire. Une belle histoire, celle de Lily et Po, tissée autour d’un sujet grave : la perte d’un proche, et pire encore, l’assassinat d’un proche pour le plus vil des motifs : la cupidité. Ici c’est le papa de Lily qui est empoisonné par Augusta, sa deuxième femme. La « parfaite » incarnation de la marâtre affublée de sa propre fille idiote, et la pauvre petite Lily, a la mort de son père, se retrouvera recluse au grenier. C’est là que Po et Baluchon vont faire leur apparition. Po n’est pas un garçon, il n’est pas une fille non plus et Baluchon n’est pas un chat, ni un chien, mais il pourrait être l’un ou l’autre. Po et Baluchon viennent de l’Autre Côté. Ce sont des fantômes et tous deux et Lily vont devenir comme les meilleurs amis du monde, ou plutôt, des deux mondes. Ils aideront Lily à s’échapper du grenier pour réaliser son vœu le plus cher : apporter le coffret contenant les cendres de son père au pied du saule pleureur à la Maison Rouge, là où est enterrée sa mère. Il lui faudra prendre le train, c’est une grande aventure, mais Po et Baluchon seront ses compagnons de route. Seulement, c’est sans compter d’innombrables obstacles qui ne vont pas manquer de se mettre en travers de leur route, en grande partie dus à quelques adultes dotés de très vilains défauts. Ainsi, suite à une malencontreuse confusion entre deux coffrets, l’un contenant les cendres du papa de Lily, l’autre une poudre magique, la plus puissante qui soit, la petite Lily va connaître bien des mésaventures. Elle y rencontrera Will, un petit garçon apprenti alchimiste qui l’aimait sans qu’elle ne le sache, et dont le destin est lié au sien, et puis l’alchimiste, qui connait toutes les magies possibles, sauf la plus essentielle : celle du cœur. Une vieille dame rigide et bornée, un policier trop zélé, une pseudo comtesse ambitieuse et cruelle, un malfaiteur qui n’est autre que le frère de cette pseudo comtesse, Mel, le garde de la comtesse, un grand maladroit au cœur énorme, sa chatte Gauchère le sait bien, et d’autres personnages encore. Toute l’histoire se déroule dans un décor sombre – le soleil a disparu depuis des années et la végétation aussi, et baigne dans une ambiance victorienne. La plus grande partie des personnages adultes semble courir après la gloire, la richesse, la reconnaissance sociale, d’autres après leur vision obtuse de l’ordre et de la morale, et tous sont prêts à tout pour obtenir satisfaction. Les deux enfants traverseront bien des dangers, mais la solidarité, l’entraide et l’amour auront raison de tous les mensonges et de toute vilénie. La morale, s’il en faut une, pourrait être que chacun en aidant l’autre, s’aide lui-même et comme dans les contes de fée, l’histoire finira bien.

©Cathy Garcia

 

Lauren Oliver

Lauren Oliver

 

Titulaire d’un diplôme de philosophie et de littérature à l’université de Chicago, Lauren Oliver a ensuite suivi une formation en arts à l’université de New York. Elle a brièvement travaillé comme assistante d’édition chez un éditeur new-yorkais, avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Elle vient d’une famille d’écrivains. Elle a publié son premier livre en 2010 : Le dernier jour de ma vie (Before I fall), puis une trilogie Délirium dont le dernier tome doit paraître en 2013.