Une chronique de Nadine Doyen

Sorj Chalandon, Enfant de salaud, Grasset, ( 20,90€ -333 pages) , Août 2021
Toute vérité n’est pas bonne à dire, c’est ce qu’a pensé le grand-père du narrateur, Sorj Chalandon, lui, fils de salaud , alors que celle qu’il appelait sa « marraine » tenait au contraire à ce que la vérité éclate.
Ce sont des bribes de phrases, entendues à dix ans, qui ont taraudé l’écrivain, au point de mener sa propre enquête afin de percer ce secret, qui est également un fardeau.
Il a juste su que son père « était du mauvais côté », ce qui le pousse à explorer son passé trouble durant la guerre. Un incroyable parcours qu’il restitue dans ce livre.
Le récit commence sur les traces de cette Maison des enfants, où avait eu lieu la rafle d’Izieu le 6 avril 1944. Madame Thibaudet, la propriétaire le reçoit, (5 avril 1987), le conduit à ce qu’il reste de la salle de classe. Il entremêle le passé tragique du lieu à ses émotions et apostrophe ce père qu’il aurait aimé pouvoir questionner, qui lui a tant fait honte.
Il se remémore leur discussion après avoir vu le film « Week-end à Zuydcoote », et ses répliques frustrantes : « un jour je t’expliquerai » !
Il repasse en revue tous les récits de ses exploits, de « ses batailles », mais sans connaître la suite promise. Il a eu « plusieurs vies ». Il fait le lien entre le timbre rouge et la Légion tricolore. Il dresse un portrait sans concession de celui qu’il qualifie de « charlatan, de faussaire, de tricheur ».
A l’occasion d’une rencontre dans un café, au crépuscule de la vie du père, le narrateur tente d’obtenir des explications, d’éclairer cette expression que le grand-père avait utilisée : « fils d’un salaud ». C’est à ce moment-là qu’il découvre que son père « a défendu le bunker d’Hitler, qu’il a traversé à la nage le lac de Tressower (en Poméranie) et qu’il partage avec la Saône un secret, son refuge lyonnais. Il lui reproche d’employer toujours « on ». Pas facile d’encaisser que son père a été SS. La phrase «Mon père a été SS » tourne en boucle. Un autre terme lui a été mystérieux : « les Rouges » mais sa mère n’avait pas consenti à le lui expliquer.
Lui reviennent à l’esprit les sévices que son paternel lui a fait endurer. Insatisfait des réponses de son père, ce renégat, il fait des recherches en bibliothèque, il le recontacte, essayant de lui arracher des réponses. C’est dans la boîte aux souvenirs, détenue par sa marraine, que sa mère lui remet qu’il trouve une pièce à conviction : le casier judiciaire et les preuves de son incarcération. Ce qui le décide à écrire au tribunal de Lille afin de s’informer. Mais « le fardeau » est lourd.
En 1987, il est missionné pour suivre le procès Barbie, qui débute le 11 mai 1987 à Lyon et pour faire le reportage à Izieu. L’accusé, « naturalisé bolivien » se présente sous le nom de Klaus Altmann. Ce chef de la Gestapo de Lyon a pour avocat le célèbre Jacques Vergès.
Le narrateur refusera à son géniteur, l’imposteur qui veut suivre le procès, tout passe-droit ou coupe fil, période où il a levé une première et dernière fois la main sur son père.
Entre deux audiences, Sorj Chalandon a espéré des aveux de ce vieil homme, peu enclin à lui dire la vérité :« J’ai besoin de savoir qui tu es pour savoir d’où je viens. » Une quête vaine jusqu’alors. Mais, en mai 2020, son ami historien Alain a pu se procurer le dossier grâce à son oncle travaillant aux Archives à Lille, 124 pages photocopiées relatant la guerre du père. L’auteur laisse échapper une litanie d’interrogations au fur et à mesure qu’il découvre la réalité. Il évoque le départ en retraite de sa mère, femme de l’ombre, et son appel affolé le prévenant des propos incohérents de son mari et de sa fugue, après avoir cassé des objets auxquels elle tenait et déchiré le livret de famille.
Ce qui est bouleversant dans ce monologue, ce sont les passages où le fils du traître apostrophe son père affabulateur:« Tu vois papa…, je me suis demandé comment tu avais encaissé ces témoignages», « Tu as enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre. »
Sorg Chalandon continue à fouiller son histoire familiale, après Profession du père , il exhume un pan de l’Histoire avec ce procès Barbie. Il montre combien tous les non-dits, les mensonges du père ont ruiné la relation père/fils, lui qui avait espéré une repentance de ce fieffé « serial menteur », des réponses. Le salaud n’est-ce pas le père mythomane qui l’a trahi, « l’homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans traces, sans lumière, sans la moindre vérité » ?
Un portrait saisissant. Un témoignage prenant , à la veine autobiographique, dans lequel on croise, le fils, le journaliste et l’écrivain dont l’enfance a été nourrie de mensonges. Souhaitons que ce livre puisse mettre un terme à ce passé qui l’a tellement, traumatisé, faute de le connaître.
© Nadine Doyen