André Doms, Chemins, Frontispice de Sébastien Dugué, Éditions L’herbe qui tremble, Collection Trait d’union, 2023, 144 pages, 18€,


Je traîne aux guêtres une foule d’actions et d’écritures qui me semblent devenues étrangères, tant elles se sont écartées de ma mémoire active. L’effacement commence à me défaire. Mais ma perte ne compte pour rien en regard du gouffre effarant de l’Histoire. Quand il faudrait s’interroger : qu’avons-nous sauvé des passés ?  

Poète, essayiste, traducteur de voyage, révélateur d’oeuvres poétiques peu connues(Glineur, Bourgeois,Praillet…), André Doms nous entraîne ici, je cite, sur les « chemins » ravinés, cahotiques , de sa vie, toujours à l’écart des belles et grandes routes…Mais s’il se hasarde à « une analyse de ses saisons intérieures », l’auteur n’abandonne pas pour autant ses réflexions critiques sur le monde comme il va. Parmi les thèmes  évoqués, citons, entre autre, l’amour(la poésie doit éclaircir les vérités de l’amour, les traduire en vérités sensibles),  le libre arbitre, la solitude humaine, les idéaux mensongers, l’enseignement, l’écart entre la vie et la littérature voire l’écriture elle-même. D’une manière générale, le propos d’André Doms est de nous signifier le fait que la vie n’est pas ce qu’on nous en montre, qu’il faut nous garder de vivre au niveau de l’opinion, de la vision tronquée des choses, de l’image, de la croyance irréfléchie et qu’il est urgent de retrouver notre vrai moi afin de devenir, le cas échéant,  le réceptacle et l’agent de l’accomplissement de la vie. On ne s’étonnera donc pas du fait que le poète se soit toujours évertué à mettre au jour un langage susceptible de coller au flux de la vie, de « résister » aux forces de corrosion du temps et en définitive, d’ouvrir l’être à de nouvelles dimensions d’être. En effet, pour Doms, la poésie ne fait que dire l’urgence de vivre notre vie au quotidien et est  à même de nous permettre de redécouvrir, sous la simplification abusive que sont les identifications, toute l’ampleur et la complexité du monde et des choses. « Chemins » est un livre brillant qui par la nature de son propos, attise la présence à soi, aux autres et au monde ; « Chemins » est un livre attachant en ce sens qu’il révèle la sensibilité et l’humanité profonde d’un homme pour qui vivre c’est aimer, être en projet, devenir sans cesse, s’éprouver citoyen du monde (matrice de son être profond) ; « Chemins », enfin, est un  livre inspirant dans la mesure où il nous permet subtilement de mieux comprendre que si rien ne dure, la valeur de ce que nous avons vécu, elle, dure pour toujours.

Comment dissocier l’auteur, l’acteur, de l’homme ? Que vaut, ou signifie un « style » ? C’est bien la moindre des choses qu’un écrivain sache écrire, précisément « sa » langue à lui, sa langue « personnelle », qui lui tient au corps, comme  le pinceau prolonge les doigts. L’emploi de l’outil ne révèle t’il pas la qualité de l’ouvrier ? Mots ou marteaux. C’est pourquoi les dictatures ne détestent pas les Arts mais la liberté dont certains portent le souffle. Sans doute, un passé monumental les rassure- t-il, comme dans les académismes mussolinien, nazi, stalinien et tant de néo-classicismes coloniaux, vaguement enguirlandés à la façon locale.  

Soirée littéraire dans les « Écrits de voyage d’André Doms »

Soirée littéraire dans les « Écrits de voyage d’André Doms »

Le jeudi 30 Janvier 2020 à 20H-

Maison de la poésie — Rue Fumal n°28 —5000 NAMUR

L’espace méditerranéen, en ses amples confins, m’offrit un sens pour la vie. – André Doms 

André Doms
Poète et essayiste, André Doms nous emmène vers les péninsules de la Méditerranée, en Italie, en Espagne et dans les Balkans, qu’il arpente depuis sa jeunesse, en quête d’une expérience de vie et d’une connaissance qui nous rappelle ces voyages à l’ancienne, au pas d’homme, à la manière de Montaigne, Stendhal ou de Taine, entre cent autres auteurs ou artistes, fervents pèlerins des chemins et des venelles. Voyeur voyageur, voyageur en vérité, selon ses propres termes poétiques, il ne raconte pas, il ne guide pas, il observe avant tout, il note avec un souci inlassable du détail tout ce qui vit, nourrit l’esprit et exalte les sens. Ses trois derniers livres, publiés en 2019, à Paris, chez « L’herbe qui tremble » : « Italiques », « Ibériques », « Balkaniques », sont un trésor d’érudition, de références et de réflexions sur cet immense « réservoir » culturel que sont les pays du sud et de l’est de l’Europe. Il sera interrogé sur l’écriture du voyage par Michel Ducobu, philologue, romaniste et écrivain, Martine Melebeck, philologue et professeur d’espagnol et Photis Ionatos, compositeur et interprète, qui clôturera la soirée par des chants de son répertoire grec. 

Informations et réservations (souhaitées) : 081/22.53.49 – info@maisondelapoesie.bewww.mplf.be 

Date et horaire : le jeudi 30 janvier, à 20h 
Prix : 8€, 5€ (seniors et étudiants), accessible au tarif Article 27, réduction Carte Prof 
Lieu : Maison de la Poésie
Rue Fumal 28 
5000 Namur 

Rouge résiduel/André Doms(textes), Pierre Tréfois(dessins) ; Postface de Jean-Louis Rambour ; Eranthis Editions, 2015

Chronique de Pierre Schroven

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Rouge résiduel/André Doms(textes), Pierre Tréfois(dessins) ; Postface de Jean-Louis Rambour ; Eranthis Editions, 2015

Dans ce livre, André Doms et Pierre Tréfois remettent insidieusement en question le rapport à soi, à la langue et au monde ; en effet, au détour de chaque page, les mots comme les dessins semblent s’unir rien que pour enfanter un langage autonome, créateur de mystère et d’inconnu.

Ainsi, en créant des concepts de vie non représentables, les deux artistes tentent de « décrocher » avec le fil rouge des apparences qui traversent le creux de nos vies et portent haut le réflexe de vivre à tout rompre dans un pays où les chemins s’effacent…

Dans ce livre jubilatoire, le mot comme le trait oscillent vers le vide du sens, ouvrent le champ des possibles et tentent de résister aux forces de corrosion qui sont celles du temps, de la norme et de la représentation. Bref, il est question dans Rouge résiduel de rechercher la source d’un devenir autre et de mettre en joue une pensée qui ne croit qu’à la coïncidence. D’amour.

La boule rouge, là-haut, ce n’est pas une géante qui sidère, et sous l’œil du voyeur, pas d’arrêt sur scène. Ici, les aimants se touchent à travers nuits, se soudent malgré l’intempérie. La lumière émane des chairs subtiles, leurs combes bleues se répondent, vertiges qui pénètrent, s’enlacent au comble mouvant du désir, l’enchevêtre.

Visages envisagés, corps incorporés, la valse où deux se fondent, hors lieu, têtes et sexes aux « retrouvailles » de l’eau-mère, l’énigme indicative sous le signe du sang qui cavale, où suffit notre fusion d’amour.

©Pierre Schroven

P H I L I P P E J O N E S

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Plutôt qu’être à l’affût – commercial, et donc éculé – du «nouveau» ou du performant, la critique littéraire devrait s’attacher à la valeur intrinsèque des livres, certes estimée subjectivement, mais quels que soient l’âge ou la renommée de leurs auteurs. Truisme, mais pas forcément dans l’usage. Tel fait un chef-d’œuvre à moins de vingt ans, l’autre à plus de quatre-vingts; ou un navet, auquel cas le silence, discret ou terrible, vaut mieux que l’éreintement (profitable, selon Alain Bosquet) ou qu’un de ces «vient de paraître» d’une insignifiance condescendante. Peut-être, à la décharge des recenseurs visés, invoquera-t-on les nombreuses analyses dont un auteur chevronné a pu faire l’objet et qu’un livre d’«outre maturité» ne laisserait guère qu’à répéter des qualités ou défauts reconnus. C’est négliger qu’en dépit de constantes, une œuvre évolue et qu’à mesure son déroulement offre des lignes de perspectives plus amples et souvent éclairantes.

Ainsi de Philippe Jones que le souci de la construction a toujours animé et taraudé, tant chez les artistes qu’il étudiait en critique professionnel et, dirais-je, «illustrait» à leur tour de regards pénétrants, que dans l’écriture minutieuse et concertée de ses propres poèmes (par groupements ou ‘en miroir’, par exemple). Or voici que, comme pour entériner ses nonante ans, un nouveau livre de Jones structure et détaille la notion D’espace endomaines (1). Un espace-temps, enchaînant sur le frontispice de Gabriel Belgeonne, puisque les formes de la Nature, «pierres cailloux fossiles» ou autres, détiennent «un propos» tacite, message en quête de sens au travers et à la faveur des périodes qui les relient, les rallient à nous; par la fusion ou la calcification, elles sont témoins qui «instruise(nt) les mesures», vrais instruments à faire toucher le temps, et à nous toucher, tels que les avait pressentis, déjà et non sans mystère, les burins de Jean Le Moal, tels ces oiseaux «d’ailleurs et d’autrefois», étrangement plantés, sur le reliquaire d’un cœur ou sur «le crâne d’un sage», l’œil figé tant au loin qu’en soi.

Ce qui s’est perpétré, et perpétué, dans la noblesse de la matière, qu’elle soit brique ou marbre, selon la juste forme qu’elle contient, et qui en émane : c’est l’in-formation de la lutte permanente qui nous parvient, sans hâte ni atermoiement, «un bref bilan y a-t-il exception». Sans pour autant qu’il faille «devancer tout progrès/ jusqu’au bang à venir», suffit des «nids de poule du hasard». Dans les divers «domaines» où le poète Jones guette et s’exerce, on le sent «fouiller la pierre, en parcourir les strates, en prendre l’épaisseur et se glisser en elle pour en voir l’autre face» mais ce besoin résulte du «cheminement» même de vivre, et c’est dans l’entre-temps du monde que son chant est le plus simplement émouvant :

dur de quitter le monde

plus dur d’être quitté par lui

toute lampe s’éteint

s’établit le silence

et partout le vide se fonde

vers où se tend la main

Comme en écho, et paru conjointement (2), Parenthèses («ce qui se pense et se dit sans en avouer l’éventuelle importance») précise que «le propre du poème est d’humaniser le monde et le monde offre à cette fin ses références», parmi lesquelles «les oiseaux (qui) s’en reviennent» et l’arbre

dressé, poitrine ou verte au ciel, (qui) occupe son espace

Lui aussi se trace et relève du langage jusqu’à s’identifier avec l’homme, de sorte que «chaque voyageur fonde son paysage», et que «le temps c’est soi-même on le sait». Récit d’un lyrisme très singulier et neuf chez Jones, qui nous confirme cet enchevêtrement de «l’un l’autre». On y reconnaît «cette joie du vivant». Le deuil aussi, «qu’une ligne suggère et ne définit point» ni moins encore n’atténue. Point d’orgue :

ni deuils ni joies ne se comparent

fermer les parenthèses

que le regard se porte ailleurs

  1. Éditions «Le Taillis Pré», Châtelineau, 2013.

  2. Éditions «Le Cormier», Bruxelles, 2013.

©Chronique d’André DOMS

ALEXANDRE V O I S A R D

 index

ALEXANDRE V O I S A R D

Forte et délicate, à la fois ferme (Assez dit assez parlé) et prudente (chanter encore aiderait peut-être / à y voir goutte), interrogeant notre dite progression depuis que nous a fui / la lumière jaillie de nos briquets, et tentée en cette époque itérative de laisser ressasser la lune enfin dans le désordre des linges où nos mères / laissèrent sang et os, la poésie d’Alexandre Voisard, comme toute son œuvre, aussi graphique et d’engagement politique, poursuit un constat d’être. Aux solennités creuses, au boucan liturgique, ce Jurassien juré préfère nos récits de naufragés, plus volontiers rameur que hargneux capitaine et, en tout cas relié au mouvement permanent, dont l’image de l’océan père fondateur, ayant pris place en nous / il y a longtemps refait surface / rabâchant l’épître que nous savons, avec ses exemples et contre-exemples.

C’est qu’il faut oser vivre communément, humblement mais sans servitude plus ou moins volontaire, entre résistance et désir, en loup voyant aux aguets de tout (ce) qui bouge et désormais plus soucieux de déchiffrer ce qui se trouve Derrière la lampe (1), qui ne peut se dire / encette langue d’argile, ou pire: de bois, d’aujourd’hui. Si Voisard, poète au regard ample, au long cours / entre Grande Ourse et flambées d’essarts / à chaque escale réinvente / orient et occident, il n’étonne pas moins en ajusteur de connotations subtiles, hors toute complexité discursive, et si son poème rebelle se rêve, il se rive aussi au sens le plus précis, parce qu’impatient de dire vrai/ à l’heure juste, et cette coïncidence signifiante importe au poète-artisan. Si donc son verbe imparfait ne résout rien, pourémerger trouble troublant en ta précarité, il demeure la vigile essentielle dans cette nuit où l’on veut croire, encore, au lever du jour. Car la terreest un texte livide / auquel il faut donner de la couleur et nous reste la tâche de dire l’effort au retroussis du temps.

Aussi, qu’il parle du for intérieur ou se souvienne d’amis (l’éditeur Bertil Galland, le grand Maurice Chappaz), tendu entre le noyau du silence et la fenêtre matinale ouverte au «monde entier» de Cendrars, Voisard touche à tous les claviers: voix majeure et soutenue de gravité, ou parler bas du plus intime, évoquant l’immense courant de l’histoire et veillant à ce que la fleur meurtrie / soit décrite en petites phrases sautillantes. Quand lui vient l’enfance aux lèvres, la source qui fascinait également Arthur Praillet (qu’on se rappelle ici), ressurgissent le préau et tant d’écarts, ou ces silves que le Robert définit comme de «petits poèmes légers… ayant un air d’improvisation», mais qu’elles en soient ou non, prenons garde au poète lovéen sa barque… sa main dans l’onde, par tous temps, caril éveille les soupçons à susciter la vraie réflexion sur nous-mêmes :

Vois-tu / ce que tu penses / sais-tu / ce que tu vois ?

— Saurez-vous chanter / comme l’allumette /

À l’instant où / s’approche la bougie ?

©Chronique d’André Doms

(1) Éditions «Empreintes», Chavannes-près-Renens, 2012.