CLANDESTIN – Alfredo FRESSIA – (Poètes des cinq continents – Ed. L’Harmattan – 11 p.)

    CLANDESTIN - Alfredo FRESSIA – (Poètes des cinq continents – Ed. L'Harmattan – 11 p.)

  • CLANDESTINAlfredo FRESSIA – (Poètes des cinq continents – Ed. L’Harmattan – 110 p.)

Alfredo FRESSIA explique dans une préface brève qu’il est Urugayen, qu’il écrit en espagnol mais vit exilé au Brésil. Et qu’il a des liens avec la France à travers les poètes français originaires du même pays, Laforgue, Lautréamont, Supervielle. Et manifestement, à cause de ce passé, il parle français très naturellement. Aidé d’une amie poète, Annie Salager, poète lyonnaise notoire (Elle a notamment obtenu le Prix Mallarmé en 2011 pour Travaux de lumière), Alfredo FRESSIA s’est « auto-traduit » dans ce livre dense et varié. Les leçons poétiques de l’histoire y voisinent avec celles de l’humour, et d’autres, bien sûr directement émanées de la condition humaine du poète, plus graves et parfois plus cruelles. Sans vouloir faire un rapprochement facile, il y a quelque chose de la mentalité d’un Pessoa qui transparaît secrètement dans un poème tel que « Leçon d’histoire » ou « Èclipse », même si Fressia n’écrit pas en portugais, et rapporte son ascendance hispano-italienne. Par d’autres côtés, un rapprochement est possible avec Cavafis, par exemple dans le poème « Les Perses », « Journal de chasse ». Plus généralement, par son utilisation de thèmes historiques, antiques en particulier. Enfin, c’est une poésie sous-tendue de mille allusions culturelles qu’il n’est pas obligatoirement nécessaire de percevoir, mais qui apportent le charme un peu surréaliste de la mythologie à une poésie où le très grave et le léger, l’ordre et le chaos, le profane et le religieux, voisinent avec élégance, parfois se répondant d’un poème à l’autre de façon un peu narquoise. Les poèmes où son inspiration est la plus puissante sont ceux comme « Après » (Después) où il affronte directement les questions brûlantes de toujours : nostalgie d’un paradis qui n’a sans doute jamais existé, interrogations sur la divinité, sur les fins dernières. Je ne peux me tenir d’en citer deux strophes qui donneront une idée du talent de Fressia, la première et la dernière,

APRÈS (p.109)

Maintenant après le chant, derrière la sirène,

quand le silence revient pour remédier le monde,

quand la main approche sa fleur à même la terre

et résonne un poème profond car il est muet.

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Justes ou pécheurs cela indiffère à la poussière,

nous enregistrons notre mort, nous l’historions avec de l’oubli

pour faire des os un éclat ardent dans la boue

et mordre ainsi dans la nuit la racine du paradis.

Il y a chez Alberto FRESSIA une grandeur remarquable, associé à une quotidienneté et une ouverture de ses poèmes, qui leur donne un ton original et prenant.

Précisons pour les lecteurs qui parlent l’espagnol que le texte original est en regard sur la page de gauche et qu’il faut s’en féliciter, la traduction en page de droite étant plus appréciable encore du fait que l’on peut consulter ce qu’elle traduit. Tous les livres de poèmes traduits mériteraient d’adopter ce principe, même si tous les lecteurs ne sont pas forcément en mesure de comparer (selon la langue et le type d’alphabet), ne serait-ce que pour entrer visuellement en contact avec un langage venu « d’ailleurs ». Ce contact avec l‘ailleurs étant un trait fondamental de ce qu’on pourrait appeler sommairement « l’essence du poétique ».

©Xavier Bordes – (Paris, 1 nov.2013)

http://xavierbordes.wordpress.com/