Maya Abu-Alhayyat, Robes d’intérieur et guerres, poèmes traduits de l’arabe (Palestine) par Mireille Mikhaïl et Henri Jules Julien, Héros-Limite, 83 pages, 16€, février 2024.


Dans le catalogue de la La librairie Quilombo (Paris), on découvre qu’il s’écrit plein de livres intéressants dans les catégories suivantes: Théorie anarchiste, mouvement libertaire, écologie, décroissance, critique anti-industrielle, capitalisme, travail, mouvements révolutionnaires, mouvement ouvrier, philosophie, histoire, questions internationales, bandes dessinées, livres illustrés, littérature et naturellement poésie. Sont organisés par cette même librairie, débats, mise en avant d’auteurs et/ou de thèmes qui touchent une autre réflection sur nos sociétés capitalistes et néolibérales. C’est ainsi que j’ai découvert ce livre reprenant des poèmes extraits de « La peur» (2021), de « Robes d’intérieurs et guerres »(2015) et de « Ce sourire…ce coeur »(2012) qui sont les trois derniers livres de poésie de Maya Abu Al-Hayyat qui est avant tout romancière mais a aussi écrit de nombreux livres pour enfants. Les éditions Héros-Limite ont également un très riche catalogue de collections originales.

Aucune préface ne présente les textes, ne parle du contexte géopolitique dans lequel ces poèmes ont été écrits et encore moins pourquoi, aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de lire de tels livres. Sans idées préconçues, sans apriori, le lecteur est invité à découvrir la voix singulière de cette poète, la voix d’une femme, d’une femme palestinienne.

Il y a ce titre étrange et qui interroge « Robes d’intérieur et guerres ». Il y a ce vêtement, la robe, que portent les femmes et sur lequel les hommes ont tellement de choses à dire, à imposer. La robe d’intérieur est celle qui ne se prête à aucun regard inquisiteur, n’est imposé par aucune vision, aucun dogme. Ce que l’on porte à l’intérieur de soi ne regarde que soi, cette intimité semble protégée. Et puis on lit le poème intitulé Suicide P30: 

« Chaque sortie de la maison
Une tentative de suicide
Chaque retour un échec
J’ai peur de ne pas rentrer
J’ai peur qu’explosent les pneus enflammés se déchainent
les soldats
J’ai peur du fanatisme des adolescents de la somnolence
du chauffeur routier
Et de trouver ce que je cherchais
Je veux revenir entière à la maison
Alors je laisse des miettes sur la route
Et je continue de sortir et rentrer
Jusqu’à ce que les oiseaux
mangent tout mon pain »

Il y a le vêtement comme un symbole qui est sensé protéger le corps des intempéries, des regards et puis il y a ce mot « guerres » car il n’y en a pas qu’une seule, elles sont innombrables et frappent au hasard voudrait-on dire alors qu’on sait qu’elles ne doivent rien au hasard, les guerres…Elles tuent de manière indistincte, massivement, globalement mais aussi intimement. Un mari, un enfant, un cousin, un voisin. Tout un village, tout un peuple. 

Plans p31 s’offre comme une réponse aux peurs, à la peur.

Je fais parfois des plans pour résoudre les problèmes du monde
Mes plans suppriment la nostalgie dans les histoires

Nous font tomber de fatigue d’avoir trop soupiré
Mettent des points aux phrases manquantes
Sauvent même le soldat du barrage
Les enfants qui grandissent en prison
Les mères vêtues de robes de patience
Les ouvriers suicidés du haut des échafaudages
Je sauve le monde comme l’astucieux héros des contes
Mes plans que tue le peu d’imagination de ce monde
Nous auraient tous sauvés
Nous auraient tous sauvés

La première partie du livre nous apprend dès le premier poème ce qu’est la peur, comment elle se fabrique et ce à quoi elle expose ceux qu’on installe durablement sous son emprise par la privation de liberté, en faisant peser le risque permanent d’une attaque, d’un contrôle d’identité, d’un barrage militaire..
La peur s’impose à tous, à tout moment, comment répondre à une menace, à la violence, à la dépossession? Malgré tout, on vit, on survit. Comment ? On ne sait pas vraiment, on s’efforce de songer qu’il y a quelque chose d’indestructible en nous. On s’interroge sur les racines de cette haine, du mépris.

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« Sommes-nous humains ? »
Demande le livre à la couverture jaune
Nous vivons dans les conceptions et les rêves d’autres que nous
Dans ce que le vent a fait à l’arbre il y a des milliers d’années
Dans les pulsions des animaux des humains des scorpions

Dans les ventres des baleines les racines des arbre l’écho des bavardages nocturnes des habitants des cavernes
Nous errons dans les rues des architectes parmi les débris pioches tranchantes
Dans les plans des anciennes villes et le cerveau d’un vieil homme grincheux
Nos paroles sur la liberté de penser les croyances les terres innocentes
Font partie des conceptions
Une vis dans l’esprit de la chaise à bascule
Qui donne à l’univers l’éclat de la passion

Ah les mères
Nous régurgitons notre chagrin et nos slogans
Comme les histoires nous régurgitent

Année après année

Nous pleurons

Finalement, les poèmes nous guident dans un quotidien qui ne change pas vraiment la conditions des palestiniens, une éternité en ce qui concerne leurs droits, leurs libertés. La parole des femmes, leurs larmes sont par conséquent encore plus invisibilisées. Inaudibles? Certainement pas. Les poèmes de ce livre nous prouvent qu’il existe une force, une volonté qui ne se nourrit pas de la haine, ne cultive pas la revanche ou la défiance. Maya Abu-Alhayyat n’est pas fataliste, elle informe, elle décrit le quotidien d’une femme palestinienne mais pose aussi les jalons d’un monde qui pourrait être totalement différent, solidaire. Un monde qui rassemble, questionne, tempère.

 

Déjà dans un poème de 2021, elle posait cette question à elle-même et à nous tous, à notre conscience:

Que ferons-nous… de ce qui se passe aujourd’hui


Gérard Le Goff, Croquemouflet, conte, illustrations de Sandrine Besnard, 83 pages, éditions Stellamaris, ISBN : 978-2-36868-833-5


Délicieux ! Gérard Le Goff, qui est aussi à l’aise en prose qu’en poésie, nous propose ici un conte pour enfants qui ravit tout autant les adultes que nous sommes. Les dessins signés par Sandrine Besnard sont parfaits et suscitent à la fois fraîcheur et rêves. 

Tout d’abord, les protagonistes, caractérisés par des patronymes savoureux : l’ogre Croquemouflet, le garçonnet Jean Jolicoeur et sa maman Alice, le copain Léandre Coquet, le chat Balthazar, l’instituteur Compas… Et puis, tout un Petit Peuple de nymphes, fées, elfes et autres personnages minuscules, étranges et truculents. Les lieux : le village de Saint-Anthelme, la forêt de Bételgueuse, les Hauts de Golconde, résidence de l’affreux géant. Le décor est planté. On se croirait un peu à Brocéliande (comme son nom l’indique, l’auteur est éminemment breton) !

L’intrigue rappelle celle du boucher qui séquestre des enfants, les dépèce en son saloir et les dévore dans son antre au fond des bois. Le but, comme dans la légende de Saint Nicolas, est de les sauver et de vaincre l’affreux cannibale… S’organise une troupe hétéroclite à cet effet. Atmosphère type Clan des Sept de la bibliothèque Verte tant chérie de notre enfance.

Là s’arrêtent les réminiscences, car la magie est ici subtile. Pas de jeu de force ni de bataille. La mère va proposer à Croquemouflet un plantureux repas de végétaux concoctés au domicile du géant afin de l’apprivoiser, de l’enivrer et de délivrer trois enfants sur le point d’être sacrifiés. La gourmandise du récit et de la recette nous fait penser que l’auteur doit être lui-même bon vivant ou fin cuisinier ! Délivrance et fuite des protagonistes. Ce qui suit ne manque pas d’être original : Croquemouflet se convertit résolument, devient végétarien et se nomme désormais Croquechou ! La chute est non seulement cocasse, mais Le Goff ajoute un Epilogue interpellant le lecteur de manière humoristique. 

La bonhomie du récit, de ses détails et dialogues très réussis, le faux suspens de l’action (on se doute bien de l’issue de ce conte mais on ne devine pas la manière !), une langue parfaitement maîtrisée, donnent ici une ambiance poétique et rendent la lecture délicieuse. Pour tous, y-compris pour les grands-parents, à savoir les enfants que nous sommes restés en ces périodes de Noël.

Frédéric Chef, Poèmeries, préface de Bertrand Degott, Éditions Traversées-Poésie, 96 pages, Juin 2018, 15€

Une chronique de Lieven Callant

 

Frédéric Chef, Poèmeries, préface de Bertrand Degott, Éditions Traversées-Poésie, 96 pages, Juin 2018, 15€

 


Le titre donne le ton à ce nouveau recueil des éditions Traversées: on joue et on se joue des codes traditionnels de la poésie avec une certaine science légère et amusée qui permet malgré tout à son auteur et aux lecteurs d’apprécier avec lucidité des messages complexes et vrais, critiques surtout vis-à-vis d’eux-mêmes. Ces jeux réintroduisent ce qui manque parfois ailleurs, la fantaisie, l’audace, l’humour.

En se ré-appropriant d’une des formes clés de la poésie: le sonnet, Frédéric Chef me rappelle qu’on peut innover sans céder à la facilité voire à la grossièreté, sans rester prisonnier des codes multiples qui portent la poésie ou la sculpte parfois avec trop de rigueur. Les règles, les formes ne se figent pas mais servent de tremplin à l’écriture.

Vanités, hommageries et voyageries  partagent les sonnets selon leurs caractéristiques comme on partagerait des pâtisseries selon leurs goûts et leurs textures mais aussi leurs valeurs nutritives et l’effet que ces délices procurent à ceux et celles qui les goûtent. Les « Poèmeries » seraient donc des friandises, des mets de choix.

Les poèmeries peuvent tout aussi bien être des gamineries autrement dit des enfantillages ou des espiègleries. Le poète reste un enfant après tout, en garde la spontanéité et une certaine joie de vivre, de goûter l’instant présent et de faire de la vie un jeu. De s’habituer à la vie par le jeu. Le poème nous aide donc à nous habituer à la vie.

Le suffixe –emerie fait aussi référence à un lieu de fabrication. Dans les poèmeries, on fabrique des poèmes, dans les hommageries des hommages, dans les voyageries, des voyages.  

Le poème comme une notion à la fois et vague et précise devient aussi le lieu de rencontre de tous les poèmes et de tous les poètes. Lire-écrire, comme le fait Frédéric Chef et comme il nous invite à le faire par ce recueil est sans doute la meilleure façon de saluer le poète, les poètes et les poèmes.

Le poème est le lieu où l’on aspire à être soi, se retrouver dans les mots de l’autre. Il est l’endroit où tout au contraire on aspire à ne rien retrouver d’ancien, de connu et où l’on peut aisément disparaitre entre les mots et leurs saveurs, entre les images et les tableaux.

Le poème est un voyage d’exploration de lieux qui n’existent qu’en lui, ces lieux que l’esprit invente, répertorie ou cache. Pour ce voyage, il n’est pas forcément nécessaire de se déplacer matériellement d’une ville à une autre, d’un pays à un autre. Le poème est un univers en lui-même. Si de nombreux poètes sont de grands voyageurs, des aventuriers, d’autres explorent en restant cloués à un lit par la maladie, l’infirmité, l’angoisse, l’emprisonnement, la mort. Ils s’aventurent en des régions qu’ils sont les seuls à explorer pour l’instant. Pour l’instant seulement, car nous sommes tous condamnés.

François Villon, Georges Perros, Armand Robin, Amen Lubin, Ted Hughes, Roger Bodart, Jacques Borel, Pierre Morhange, Francis James, Ivan Bounine, Charles Baudelaire, Harry Martinson, Théophile Gautier, Pierre Loti, Alain Bertrand, et d’autres sont évoqués au fil des mots. Quelque chose venant d’eux rythme notre lecture, impose un souffle nouveau à l’écriture dans les trois parties que comporte ce très beau livre.

« je lis les poètes un peu comme on se lit

soi-même dans le miroir déformant des mots

essorant les poèmes les buvant jusqu’à la lie

trouveront-ils un soir pour apaiser mes maux » P40

 

« mais aucun poème ne ressuscite un mort

tu t’accables de vivre sans elle qui fut

ta joie ton feu autant le poids du remords » p44

 

« sorti du vide ce poème ou de la main

qui trace un chemin dans la poussière du temps

l’esprit se perd et se trouve un refrain

de l’espoir et l’abondance à contretemps

 

le cerveau est une chambre sans meubles

et sans tapis qui résonne et sonne le creux

et les mots mensongers ce décor meublent

nos regrets et cet appartement spacieux

 

pourquoi ce coeur bat-il encore? envahi

de doute et tremblements comme par la nuit

en nous les cris et le chant des fantômes

 

toi seul poète chasse de nous les araignées

clameur de trompe tous ses vers non alignés

peuplent cet univers vide que nous sommes  p47

 

Les éditions Traversées nous offrent comme à leur habitude, un livre de qualité tant par son contenu que par par sa présentation graphique soignée. L’illustration de la couverture est une aquarelle de Jean-Claude Pirotte. Bertrand Degott a assumé la « préfacerie » 

©Lieven Callant


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