Barbara Auzou, La réconciliation, Cinquante variations autour de La Vague de Camille Claudel, préface de Xavier Bordes, L’Harmattan, collection Poètes des cinq continents, 63 pages, 10€

Une chronique de Lieven Callant


Barbara Auzou, La réconciliation, Cinquante variations autour de La Vague de Camille Claudel, préface de Xavier Bordes, L’Harmattan, collection Poètes des cinq continents, 63 pages, 10€

Dans la préface, Xavier Bordes fait allusion à l’estampe de Hokusai « La Grande Vague de Kanagawa » publiée en 1830 qui a inspiré l’artiste française pour réaliser sa propre oeuvre: « La Vague ou Les Baigneuses » datée avec incertitude entre 1897 et 1903. En regardant les deux chef-d’oeuvres, il est intéressant de voir comme Camille Claudel s’est approprié le thème pour en faire une histoire toute personnelle. Le tsunami auquel la sculptrice nous invite est d’un autre ordre. La vague est sur le point telle une grande main, de cueillir les trois baigneuses presque insouciantes et dansant sans tenir compte semble-t-il, du danger. La Vague de Camille Claudel est un raz de marée sentimental, amoureux. 

Katsushika Hokusai, Public domain, via Wikimedia Commons

Barbara Auzou à son tour interprète et modifie à sa guise la symbolique de l’oeuvre en comprenant que l’impact d’une telle oeuvre sur la vie de qui la regarde et s’interroge sur le sort qui a été réservé à Camille Claudel, est terrible. Il faut bien en proposer 50 variations pour parvenir à La réconciliation avec la vie, avec l’amour et ses propres passions. 50 textes pour évoquer la richesse de l’oeuvre. 

Le choix des matériaux semi-précieux tel le marbre-onyx sont à même de représenter la fulgurante et luxuriante volupté de la vague ainsi que pour les figurines, le bronze. 

Barbara Auzou choisit ses mots avec finesse et sculpte ses phrases. Elle développe ainsi la qualité de sa propre vision et interprétation de l’oeuvre de Camille Claudel.

L’expression artistique, tel « un cri primal », permettrait à celui ou celle qui le pousse une sorte de délivrance car il permet l’extériorisation d’une douleur psychologique. Les deux femmes se retrouvent sur ce point-là, corps et âmes pour un même geste et élan poétique

« elle célèbre l’énigme du monde »

« à la porte où s’usent ses mains
elle en appelle à la docilité ronde
de la réconciliation
accroche à la facette contrariée de
la lune
le précieux appui de l’eau
l’embrun de mille insectes soudain
s’essaie aux syllabes du monde

– et c’est un cri primal où je la rejoins »

Barbara Auzou a conscience du travail physique, de l’effort matériel qu’implique la création artistique en particulier pour une femme dans un monde artistique principalement dominé par les hommes. 

« mains comme des mots
seins comme des siècles

femme comme quelque chose
soudain qui va fondre

dans l’effort qu’accomplit le bras
pour aller au jusqu’au don »

Le travail d’analyse entamé par Auzou implique un regard neuf, une imagination capable de faire confiance à l’émotion et à l’irrationnel. Il désigne avec pudeur tous les points sensibles qui réunissent la poète et la sculptrice. Et finalement Barbara Auzou propose de nouvelles résonances, un rythme plus personnel à la Vague qui devient poème.

«  je recommence ma vue

son galbe ému qui va de l’obscur à
la lumière
au bord dirait-on d’une source qui
détiendrait
le secret feuillu de la toute
première caresse
la montée des sèves dans la soif et
le simple
froissement des silences
un soleil passe et serre bleue l’eau
remise
dans la paume de sa place »

Quelques jours avant la lecture de ce recueil, j’avais parcouru avec admiration un petit livre japonais reprenant toutes les manières graphiques de représenter « les flots ». Quelques centaines d’exemples pour évoquer les milles manières qu’a la vague de se déployer. Signes et symboles, alphabet du dessinateur sorti du contexte des oeuvres remarquables qui ont nourri les imaginations. Je me suis demandé si les variations autour de la vague de Camille Claudel proposées par Barbara Auzou avaient un désir semblable à celui qui a décliné avec précision le langage des flots. Inventer ou répertorier un langage bien particulier, sensible et complet. Un fait est certain : les déclinaisons de Barbara Auzou opèrent une réconciliation. La plus importante peut-être. La réconciliation avec soi-même, avec ce qu’on ressent de personnel, d’intime face à une oeuvre. Il faut faire confiance à son coeur.

« la mer loin comme un voyage
poignante sous la main
cherche soudain la verte lumière
l’olive douce de la vague

rebondissant en son doublon
le crie au creux de l’or
couvert de mousse

Jusqu’à l’éventail des
saisons

son insensé abandon dans la région
du coeur. »

©Lieven Callant

Éric Dargenton, La fleur des pois, Éditions Traversées, 63 pages, janvier 2021, 15€

Chronique de Lieven Callant

Éric Dargenton, La fleur des pois, Éditions Traversées, 63 pages, janvier 2021, 15€

La fleur du pois est zygomorphe, elle s’organise selon un ou plusieurs plans de symétrie. La fleur des pois qui ressemble à un petit papillon plaide pour un monde discret, régulier, harmonieux et gourmand. Elle symbolise la discrétion.

N’en va-t-il pas de même pour les poèmes réunis ici par Éric Dargenton? Jamais les structures régulières n’enferment les mots, les rimes semblent naturellement sortir de terre pour ravir les lecteurs, les amuser, les nourrir grâce à un vocabulaire élégant, une construction impeccable des phrases et des images, des allusions répétées et discrètes à la poésie, à sa genèse. Éric Dargenton nous fait parfois le plaisir de rimes riches et parvient à créer un équilibre délicat là où d’autres opèrent sans nuances pour une lourdeur opaque. 

Le charme opère grâce à l’humour critique, la proposition sous-jacente qui nous apprend que sous ses belles apparences le poème a pour rôles de nous divertir et de nous avertir. 

Une petite fleur, une ombre sur la Terre,
Croissait là, comme croît sous le doute l’espoir,
Mais cet homme en parlant l’écrasa sans la voir.
Moi, je me suis penché sur l’humble renoncule
Qui mourut sous les pas d’un Cerveau Majuscule.
J’ai demandé, pensif, au savant de renom
S’il connaissait la fleur…..
Il me répondit: « Non. » P31

En bien des endroits, j’ai comparé mon plaisir à celui que j’ai de lire Les Fables de Jean de La Fontaine. Le grand poète du 17 ème parvient à me faire appréhender un versant du monde, de la société des hommes qui par sa laideur me heurte, me blesse, me révulse sans pour autant jamais s’abaisser aux mêmes lourdeurs d’esprit, aux mêmes vulgarités, à la même méprise de l’autre. Agir comme poète contemporain sur ce chemin est une tâche ambitieuse. Éric Dargenton ne confie pas au hasard la construction de son univers poétique. Il ne s’ enorgueillit pas non plus. La preuve p 49 « Sonnet à la poésie et ceux qui la servent » 

Et puis, il y a p 37:

« L’éclair affûte sur les toits son long couteau.
Un nuage se crève et sa plaie étoilée
Saigne noir par le ciel une brusque envolée
D’oiseaux vagues, chassés des perchoirs du coteau. »

 Ces vers me font songer à ceux de Rimbaud :


« L’étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,
L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ;
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain. »

Le geste poétique d’Éric Dargenton est une invitation à gouter les saveurs complexes et raffinées des choses simples. Une invitation à sourire de soi-même, à s’ouvrir aux autres. Le voeu que devrait formuler chaque poème: fleurir comme la fleur du pois sans peser sur personne, en papillonnant d’un mot à un autre, sans rien perdre du mystère immanent à la vie. 

p17

« Des fauvettes, depuis un pommier, vont pêcher
Dans les rus de lumière aux rives faites d’ombres
Un fretin bourdonnant qui pullule sans nombre. »

© Lieven Callant