Éric Dubois, Paris est une histoire d’amour, suivi de Le complexe de l’écrivain, éditions Unicités, 55 pages, 2022, 13€

Une chronique de Lieven Callant

Éric Dubois, Paris est une histoire d’amour, suivi de Le complexe de l’écrivain, éditions Unicités, 55 pages, 2022, 13€


Eric Dubois nous propose deux récits où l’on appréciera la limpidité lucide de son style, sa franchise, son humour et le désir de laisser le lecteur libre de voyager dans des lectures à plusieurs niveaux. 

Le premier récit est celui d’une rencontre entre un homme d’une cinquantaine d’années, le narrateur et d’une jeune étudiante à la terrasse d’un café. « Oser, c’est l’histoire de toute ma vie » glisse le narrateur dans son auto-portrait où il se demande dès les premières pages, s’il doit  « surjouer son personnage ». 

Il tombe amoureux même si cela lui apparaît être une « lubie ». La jeune femme lui a à peine adressé la parole, il ne connait d’abord que son prénom qui résonne comme celui de la traductrice Jesenská qui échangea avec Kafka des lettres passionnées : Milena. 

Le narrateur pourrait étrangement correspondre à Éric Dubois lui-même. L’auteur devient alors le personnage de ses histoires car la vie, la vraie est une histoire d’amour. Ce qui traverse ce premier récit et d’une manière plus générale l’écriture d’Éric Dubois est une force impalpable, une obsession fuyante qui ressemble au sentiment amoureux. 

« Je bous intérieurement, j’écris quelques mots, sur la nappe en papier, qui recouvre la grande table inutile de mon salon, des mots de colère et de désoeuvrement »P23

« On peut se perdre dans l’anonymat dans une ville tellement grande que ses tentacules peuvent vous étouffer et vous laisser mourrir dans une chambre de bonne ou sous des cartons, sur l’asphalte, dans la rue, invisibles. »P24

Pour ne pas sombrer le narrateur veut croire au destin d’une rencontre, veut croire à l’amour, à la folie du sentiment amoureux. L’auteur, succombe au désir d’écrire une histoire d’amour, amour d’écrire, amour des mots et de la phrase se superposant à l’autre. Cela répond à mon sens à cette question de la page 27: « Comment vivre avec une obsession? Comment vivre malgré elle? » 

Il faut dire aussi que le narrateur ne se reconnaît pas dans les gens de son âge « les cacagénaires » et se voit comme un « voyageur des âmes et des coeurs ». Pour l’ami et conseil, le narrateur « traverse une zone de turbulences, peut-être une dépression ». Il faudrait «ne retenir de la vie que l’ennui ». Alors que le narrateur et peut-être l’auteur cherche « à travers le miroir, l’autre, un autre que moi dans l’intensité lumineuse ». 

Le premier récit se termine en soulevant plus de questions qu’il ne donne de réponses et c’est bien là le grand art d’Éric Dubois: suggérer, lumineusement, instaurer un questionnement en profondeur sans faire peser la moindre lourdeur ni imposer de jugement arbitraire. Le récit se termine en laissant toutes les portes ouvertes même celles qu’on aurait pu croire fermées dès le départ. N’est-ce point là, un des principes majeur de l’art de la nouvelle? Un fin inattendue qui ne fait figure de fin que pour certains esprits. 

« Le complexe de l’écrivain » suit les pistes lancées dans le premier récit mais sous des angles totalement différents. Le complexe est plus qu’un synonyme du mot « obsession » qui revient plusieurs fois dans la première partie du livre. On peut l’interpréter comme une volonté de l’auteur, un désir de ne pas simplifier les choses si ce n’est en apparence. On devine que chaque écrivain est en proie à des peurs, à des doutes. « La page blanche », la popularité, la lisibilité, l’accessibilité de l’oeuvre, les enjeux commerciaux, « l’air du temps ». Éric Dubois s’intéresse à ses sujets mais les porte aussi en dérision avec un humour subtil et dénué de rancoeur. L’écriture d’ Éric Dubois est une écriture poétique avant tout. Ses grandes qualités sont une limpidité déconcertante, une approche du quotidien, de l’ordinaire pur et beau, sans fioritures inutiles. Il est de ces auteurs qui résument la vie entière en quelques mots, en quelques phrases. Son monde est à portée de main et bien souvent à portée d’âme. 

©Lieven Callant

Jamila Abitar, Chemin d’errance, poésie, Édtions Traversées, 55 pages, 25€, 2022.

Une chronique de Lieven Callant

Jamila Abitar, Chemin d’errance, poésie, Édtions Traversées, 55 pages, 25€, 2022.


Le cheminement poétique de Jamila Abitar est fait de lumière, est porteur d’images qui rendent les rêves plus tangibles. Le monde sensible semble à portée de main. C’est sur des notes profondément positives que s’ouvre ce recueil. Dans la noirceur ambiante, face à l’ironie désabusée de certains, ces brins de fraîcheur d’esprit et d’optimisme volontaire apportent un peu d’espoir mais surtout nous invitent à focaliser notre attention sur ce qui importe le plus pour chacun d’entre nous. 

La vie est une errance et pour réussir à en saisir l’ardente beauté, il nous faut passer par le poème. La quête du poète est spirituelle et outre-passe les frontières. Il ne s’agit pas d’une longue traversées du désert mais au contraire d’un voyage qui va d’oasis en oasis.

Jamila Abitar cherche « Un parfum d’éternité / Sur les lèvres du présent. » Il s’agit d’« Être dans et hors du temps/ dans le visible et l’invisible. » « Pour veiller /à la fragilité de l’imperceptible.» L’auteur est « Certaine qu’il existe en poésie / une saveur commune / à toutes les langues. » et veut « Restituer le poème /…/au plus proche de l’âme. »

Le poème est « Ce qui nous console de vivre, ce qui entre en harmonie avec nos vies. Pour voler vers le langage des fleurs avec ludisme. » « La halte du poème intarissable » est « la caresse venue de l’infini ».

Si l’on part à la recherche d’autres significations du titre, on trouve une belle réponse à la page 31, presqu’à mi-chemin du livre et que je ne peux m’empêcher de reprendre ici:

Marche exilée

De tout temps, j’ai porté des voiles pour assurer
à ma démarche, une part de féminité.

Je porte toujours l’habit qui rappelle
le dernier instant.

Une rencontre du corps et de l’esprit
sur une terre sans nom.

J’ai vu mes semblables courir après le vent,

trahir la lumière par la force,
ils sont entrés dans ma chambre.

J’ai vu mes cahiers d’écolière rompre
avec ma jeunesse.

Mon corps ne se souvient d’aucune rue,
je suis exilée à l’aube de l’éternité.

J’honore la surface de la terre

sans que l’ombre d’un missile
ne vienne défigurer ma pensée.

Je retrouve l’exquise dérive
qui ne mène à rien et sans doute à tout.

Sollicitée pour être,

une épouse,

une maîtresse exilée,

comme une femme,

comme un poète.

Ce texte, comme tous les autres, témoigne du travail patient de l’auteur pas seulement sur les mots avec les mots mais sur elle-même avec la vie. 

Accepter d’être c’est accepter l’errance, c’est aller sur le chemin qui ne nous offrira jamais de certitudes franches et définitives, pour aller au fond de nous, apprendre à habiter le monde sans se leurrer il faut passer par le poème, apprendre à déchiffrer le rêve, le désir, la solitude, l’amour et l’abandon.  

Le poème pourra peut-être devenir le lieu d’une expression de la colère et de la révolte. En lui on trouvera une « libération et la force de vaincre ». Le poème est ce qui nous permet de « Naître de l’épaisseur de la nuit. »

« Le rôle du poème est d’élever les consciences. »  «Le souffle du poème, c’est celui-là même qui ne s’écrit pas. Aimer à n’en plus vivre noyé dans le poème. Tu te réveilleras chaque matin comme une nouvelle note. »  

Avoir pour errance la poésie avec toutes les modalités et perspectives que cela implique et qui font de ce chemin à la fois une épreuve et une source de joies potentielles est le projet de vie que nous propose ici Jamila Abitar.

©Lieven Callant