Gérard Le Goff, L’inventaire des étoiles, éditions Encres Vives, coll. Encres blanches, 32 pages, été 2024.


Gérard Le Goff, qui est aussi romancier et nouvelliste, nous offre ici des textes poétiques en prose ou « à la verticale » écrits avec élégance. 

Le titre de l’opuscule n’est à nos yeux qu’un prétexte car, en deçà des chahuts cosmiques, on est en présence de descriptions naturalistes, de souvenirs aimants, bien terriens, qui nous font penser, par leur sensibilité et par une touche de pessimisme, à notre regretté confrère Louis Delorme.

Complies

Psaume

Ciel gris

ciel de laine

ciel de peine

Chaque feuille envolée

colporte la mémoire

d’un regret inachevé

Tendre bonhommie et bienveillance qui évoquent aussi un Maurice Genevois dans son Raboliot ou un Georges Duhamel dans ses Fables de mon jardin

Gros temps sur la lande, sur le silence dru des pierres,

Sur les champs et les bois aux oiseaux effeuillés,

Gros temps sur la brande, sur les sentiers émiettés

Sur la colline rêche dans l’adieu mauve des bruyères

Comme nous l’avons déjà remarqué dans son roman La raison des absents, Le Goff a une belle appétence pour les mots atypiques ou précieux qu’il sème, çà et là, tel un Petit Poucet : immarcescible, oyat, hydrie, callune, bouloche…

À noter le nouveau format A5 d’Encres Vives sous la direction inspirée d’Eric Chassefière. Ce qui donne à l’ouvrage une allure de vrai petit livre en lieu et place de simples photocopies. 

Au sablier des heures s’égrènent constellations qui s’éternisent d’éternité, sources et corolles, complicités fraternelles, conjugaisons de choses minuscules mais essentielles où s’attellent oublis, aimables réminiscences, argiles et humus de notre condition humaine.

Éric Chassefière, Le jardin est visage suivi de Dans l’invisible du chemin, préface d’Éric Barbier, 537ème Encres Vives, 32 pages, juillet 2024, 6,60€.


Cet ensemble de 50 poèmes pourrait se considérer comme un carnet de croquis où le poète note sur le vif les aspects divers et profonds qu’il découvre en contemplant un jardin. Éléments qui naturellement serviront à alimenter l’imaginaire, la pensée. Le répertoire lexical laisse entendre qu’il se dessine au-delà du jardin comme un portrait. Le jardin est visage, on s’y perd, on s’y retrouve et les forces qui s’en dégagent sont de nature semblable à celles qui se déploient dans cet autre jardin qu’est le poème. On porte en soi un jardin. 

« L’écriture est incessante métamorphose »

« j’écris pour qu’ailleurs naisse ce jardin »

Lignes de force, ombres et éclats de lumière, feuillages, déclinaisons colorées de formes surprenantes. Chemins invisibles qu’écrivent les racines, les voies d’eau souterraines, tellement d’effluves florales supportent discrètement et presque mystérieusement  les intentions du jardinier. Car derrière cette construction magique se cache son concepteur. Il appartient peut-être au lecteur d’en découvrir la force, grâce à ce que le jardin donne en croissant, en se modifiant au gré des saisons, en prenant la liberté de s’éloigner de la main qui l’a créé pour s’approprier des durées qui le dépassent. Notre questionnement de simple humain semble tellement dérisoire.

« on n’entend pas naître les mots
le poème n’est-il lui-même miroitement
dont chaque mot est apparition »

Comme la tourterelle, on ressent la nécessité absolue de s’abreuver à ses douceurs, de se nourrir à l’instar de la mouette de ses hauteurs brassées par le vent. La pluie advient, se mélange aux sèves, se glisse dans l’ombre, surgit dans un éclat. Lumineuse. Le temps cesse d’être déclinaisons de secondes, les heures deviennent élastiques, la nuit côtoie le jour sans plus lui reconnaître de limites coupantes et arbitraires.

« ce silence d’après le cri
c’est en lui que rêve la pénombre
dont la tourterelle a fait sa voix
le grand arbre dort dans les mots »

« sentir comme la nuit est proche du corps
comme parle loin le pas qui va sans rive »

« Soir tout à la clarté des bords
au joyeux morcellement de la lumière »

En lisant ces poèmes, il est difficile de ne pas songer aux autres poètes pour lesquels le jardin devient bien plus qu’une métaphore de l’amour partagé qu’il est parfois impossible d’accepter, de l’écriture poétique elle-même qui devrait dépasser, surpasser le poète. Il cesserait de se contempler dans un simple miroir. 

Le geste poétique d’Éric Chassefière dépasse la simple contemplation, la prise de conscience s’inscrit et prend racine dans la vie, ce qu’elle a d’éphémère, d’irrévocable. L’observation se doit d’être attentive, ouverte, sensible. L’écoute sincère et humble. 

« le regard posé sur le jardin
qui s’en fait la pensée
le poème jamais écrit
mémoire née de cette éternité »
(…)
s’éveiller à la vérité de soi
(…)
s’ouvrir au parfum de l’ombre
(…)
n’être que ce visage
du jardin souriant à la lumière »