Une chronique de Lieven Callant
Véronique Joyaux, Si loin si proche, 531ème Encres Vives, Janvier 2024, 6,60€, 32 pages.
Dessin de couverture de Véronique Joyaux.
L’écriture est un long processus qui débute toujours pour moi par la lecture, mes lectures deviennent peu à peu les traductions du monde de l’auteur pour aboutir à un monde qui fait sens pour moi et qu’à mon tour j’essaye de transmettre. Afin que cela soit plus clair pour le lecteur et parce que les citations sont nombreuses, j’ai établi un code couleur:
Orange pour Véronique Joyaux,
Bleu pour Lieven Callant
Le format court et consacré à un seul auteur convient parfaitement pour rêver le poème, s’interroger sur son écriture et son déploiement dans le temps au gré d’une existence.
1- VAGUES TOUJOURS
Premier poème, multiples strophes. Il est question de cette frontière poreuse: ta peau. Il est question de vagues comme les pages d’un beau livre, de mots assemblés pour un voyage. Il est question du « Je » celui qui sortira, celui qui longe, marche, cherche. Ce « je » qui ne peut être le moi du lecteur.
Il y a toi, l’amour, l’amant, l’ami, l’enfant, l’âme avec laquelle former un nous.
« Protéger le coeur du froid
Se parler sans rien dire
Déchiffrer ce poème
la tiédeur de ta peau
Le tremblement de tes gestes
sous les pas de la pluie
l’espace d’un arbre »
Il y a le mot,
« un mot perdu dans une page que je t’adressais ».
Il y a toi qui deviens une écriture, sur la page blanche et la conscience par là-même que tu t’échappes. Connivence et mémoire, dilatation du rêve, le temps est un synonyme pour la mer et ses marées. Au fil des pages, naît « nous ». Quelle est cette entité qui ne se résume pas à la somme de toi et moi?
« C’est dans l’embrasure que nous allons »
« Ton appel prend le large »
L’âme palpite. « Tu » serait mort? et « Je » tisserait pour lui, l’absent, ce poème à l’instar de Pénélope.
« La phrase en moi s’écoule
– elle n’a jamais cessé-
blanche
à l’écoute du monde »« un sentiment d’urgence
nous habite résolument. »
Pourtant
« Nul besoin de mots pour dire cet espace où l’on s’appuie pour mieux durer. »
« Je suis seule tout à coup »
« J’ai toujours parlé de toi depuis le début.
« Que restera-t-il de nous après la mort si ce ne sont ces mots écrits? »
« Tu es là tu es partout » « Le temps dans la tête a fait son nid. »
2-INSTANTS
Deuxième poème, construit sur plusieurs souffles, quelques retours en arrière, quelques pauses salvatrices. L’idée que la voie se poursuit avec cette même exigence malgré l’usure et la lenteur. Regards sur l’autre, introspections, présences au monde.
Les instants sont des lieux où sont présentes la mer, ses vagues, sa faune de bruits et de senteurs.
« Tout est là vivant dans l’immensité du rien. »
Nous, cette association de toi et de moi, sommes le rivage du poème,
nous arpentons ses déserts parmi les ombres noires
Entre les mots, il y a l’empreinte de nos pas. Le corps prend la mesure du vide, « tu » devient « l’encre noire entre l’image et son reflet », « tu » est « il »
« Il sillonne les rives du non-dit
cherche appui contre un arbre
Il marche à tâtons. »
Il est le gîte, elle est la maison,
« celle qui reste dans la rue quand elle se vide »
« Toujours marcher dans la limite
entre le dehors et le dedans
dans l’entre-deux du miroir
Être là juste bord
aux confins du réel
Être juste en équilibre
funambule qu’un seul pas ferait tomber
Toujours se tenir là
dans la pénombre de son être »
« On entre dans le deuil
la froideur soudaine des mots »
« On existe parfois
dans le regard d’un autre. »
« On habite le monde
On s’en départit »
« Nous » devient « On » plus anonyme, plus universel sur la voie de l’écriture.
Il vient un moment où il faut « sauver l’encre du dire », Sauver l’écriture. Dresser un chemin, construire un monde en marge. Se glisser là où tout est limpide, « conquérir cette clarté », tendre vers ce nous qui rassemble et se fait repères, pierres d’un édifice.
« Toujours chercher les mots qui délivrent de l’absence. »
Les mots parfois nous vident de nous.
En cherchant les mots, les mots du poème, en suivant leur ombre aux confins de soi, en cherchant à les installer durablement dans la vie, il faut s’ouvrir, prendre à bras le corps la vie dans ce qu’elle a de plus ultime, de plus juste, de plus beau. Le poète a à se positionner par rapport au présent, à sa seconde ultime. Chercher l’autre sans se perdre mais presque, sans le dénaturer jamais. L’autre on l’aime. Forcément. Sinon il n’y a pas de poème. J’ignore si c’est le message que veut glisser à notre esprit Véronique Joyaux. C’est ce que le mien a bien voulu lire entre les lignes, au-delà des mots.
« Se demander pourquoi nous écrivons, élucider ce mystère, au risque de ne plus écrire… »
©Lieven Callant